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N° 3838

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

d’adaptation et de simplification des normes applicables en Guyane en matière de logement et d’aménagement du territoire,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Gabriel SERVILLE,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La Guyane est confrontée, depuis de nombreuses années, à des difficultés spécifiques en matière d’offre de logement, qui est largement insuffisante pour répondre à la croissance démographique rapide au sein du territoire, avec une population jeune, qui double tous les vingt ans.

Aujourd’hui, 98 % de la population est concentrée sur le littoral et les fleuves frontaliers qui concentrent le phénomène d’explosion démographique. Selon le scénario central de projection de population de l’INSEE, la population de la Guyane devrait ainsi augmenter de près de la moitié entre 2017 et 2050, contre une augmentation de 10 % dans l’hexagone.

Face à ce constat, le territoire connaît un manque de logements. Pourtant, le Plan logement Outremer lancé le 24 mars 2015 promettait la construction ou l’amélioration d’au moins 10 000 logements locatifs sociaux ou en accession par an sur la période 2015‑2020 et au total 150 000 logements sur la même période.

Cet objectif est aujourd’hui loin d’être atteint.

Sont en cause plusieurs facteurs, dont on pourra citer : le niveau élevé des loyers, les faibles revenus de la majorité de la population, l’absence d’une offre privée officielle et d’accession sociale à la propriété ou encore la forte part de la population éligible au logement social (près de 80 % des ménages contre 66 % dans l’Hexagone) alliés aux grandes difficultés d’accession au foncier aménagé et au constat que de nombreuses normes internes et communautaires sont manifestement incompatibles avec les impératifs locaux en matière de construction de logement.

Parallèlement, le territoire connaît une autre difficulté liée au développement informel sous forme de bidonvilles. Représentant entre 40 et 60 % des constructions réalisées chaque année, ces dernières ne respectent pas les règles d’urbanisme ou environnementales applicables.

Près de 60 % des constructions illicites se situent ainsi sur des parcelles privées, 17 % sur le foncier de l’État et 8 % sur celui des collectivités locales. Au total, un quart de ces constructions sont susceptibles de retarder la réalisation d’opérations d’aménagement et de constructions publiques.

L’implantation des habitations dans les zones à risque, et particulièrement en zones inondables, aggrave les risques sanitaires, les données indiquant que 22 % des constructions illégales se trouvaient en zone potentiellement insalubre. Par ailleurs, l’absence de réseaux d’assainissement et de collecte des ordures ménagères, voire de distribution d’eau potable et d’électricité, dans les bidonvilles qui se développent, génère un risque sanitaire majeur. Les conditions de sécurité sont également préoccupantes avec notamment des raccordements électriques particulièrement dangereux.

Par ailleurs, l’installation incontrôlée de l’habitat informel sur des terrains vacants, qu’ils soient publics ou privés, s’effectue sans aucune prise en compte des besoins de préservation des terres à urbaniser, agricoles et de protection de la biodiversité, les autorités locales ayant en conséquence du mal à développer une véritable stratégie partagée et durable.

Cette situation rend complexe la mise en place d’une action publique d’aménagement cohérente permettant l’acquisition du foncier et la mise en place d’opérations d’ensemble. Les pouvoirs publics ne sont pas actuellement en mesure de maîtriser la construction de logements et ne peuvent pas réaliser des équipements publics d’infrastructures et de réseaux urbains dont le manque est pourtant également considérable.

C’est dans ce contexte que, par décret n° 2016‑1736 du 14 décembre 2016, l’aménagement des principaux pôles urbains de Guyane a été inscrit parmi les opérations d’intérêt national (OIN) mentionnées à l’article R. 102‑3 du code de l’urbanisme.

La mise en œuvre de cette première OIN ultramarine et multi‑sites, dont le périmètre s’étend sur 24 secteurs, soit 5 800 hectares dont 1 800 hectares appartenant à l’État, est pilotée par l’Établissement public foncier d’aménagement de la Guyane (EPFAG), qui a été désigné comme titulaire du droit de préemption urbain par décret du n° 2018‑784 du 11 septembre 2018 portant création d’une zone d’aménagement différé (ZAD) sur le territoire de sept des neuf communes comprises dans les périmètres de l’OIN.

Il n’en reste pas moins que la mise en place de ces outils s’avère insuffisante eu égard aux enjeux du territoire en matière de logements, et au regard du foisonnement des dispositions et normes recouvrant des secteurs multiples.

Face à cette urgence, il apparaît donc nécessaire, à titre expérimental et dérogatoire, d’adapter la législation aux contraintes et caractéristiques particulières que connaît le territoire, afin d’accélérer le rythme de construction de nouveaux logements en prévoyant des procédures adaptées aux spécificités du territoire guyanais.

Le titre Ier comprend ainsi toutes les dérogations et procédures spécifiques en matière d’aménagement, d’urbanisme, d’environnement et de logement dans les périmètres de l’OIN.

L’article 1er vise, à travers un dispositif expérimental sur une période de dix ans reconductible, à reconnaître la situation d’urgence à caractère civil que constitue la problématique de l’habitat en Guyane.

L’article 2 vise à créer des plans‑guides pour chaque périmètre OIN portant une évaluation globale unique et à dispenser, à titre expérimental et pour une durée de dix ans reconductible, les projets de construction réalisés dans le périmètre de ces plans‑guides d’une évaluation environnementale.

L’article 3 vise, à titre expérimental et pour une durée de dix ans reconductible, à instaurer un rapport de compatibilité – et non plus de conformité – entre une autorisation d’urbanisme et la règle d’urbanisme applicable.

L’article 4 vise à instaurer, à titre expérimental et pour une période de dix ans reconductible, un régime de déclaration préalable à la place de chaque régime d’autorisation applicable.

Le titre II comprend, lui, toutes les dérogations et procédures spécifiques relatives aux dispositions fiscales dans le cadre des opérations d’aménagement réalisées par l’Établissement public foncier d’aménagement de Guyane dans les périmètres de l’OIN.

L’article 5 vise à donner la possibilité à l’EPFAG de bénéficier directement du FCTVA lors de la réalisation d’équipements publics réalisés pour le compte de collectivités territoriales à qui ces équipements sont rétrocédés.

L’article 6 vise à étendre à l’EPFAG l’exonération, prévue pour l’Établissement public foncier d’aménagement de Mayotte à l’article L. 321‑36‑6‑1 du code de l’urbanisme, du paiement des droits, taxes et impôts normalement dus à la suite du transfert de terrains de l’État. Ces deux établissements rencontrent des difficultés foncières similaires.

Le titre III comprend, enfin, les dérogations et procédures spécifiques à la lutte contre les squats d’immeubles non domiciliaires, afin de prévenir la formation de poches d’habitat informel et insalubre.

L’article 7 vise à étendre, pour la Guyane, les dispositions de l’article 226‑4 du code pénal qui organise ne procédure d’expulsion accélérée par voie de décision administrative, sans passer par une décision de justice, dans le cas des squats de domicile et que la loi n° 2020‑1525 du 7 décembre 2020 d’accélération et de simplification de l’action publique a étendu aux résidences occasionnelles.

En conséquence, l’article 8 vise à étendre, pour la Guyane, la procédure prévue à l’article 38 de la loi n° 2007‑290 du 5 mars 2007 à toute les propriétés immobilières d’autrui.


proposition de loi

TITRE Ier

Dispositions relatives à l’aménagement, à l’urbanisme, à l’environnement et au logement

Article 1er

À titre expérimental et pour une durée de dix ans à compter de la promulgation de la présente loi, dans le périmètre délimité à l’article 2 du décret n° 2016‑1736 du 14 décembre 2016 inscrivant l’aménagement des principaux pôles urbains de Guyane parmi les opérations d’intérêt national mentionnées à l’article R. 102‑3 du code de l’urbanisme, il est considéré que la réalisation de logements constitue une urgence à caractère civil justifiant des dérogations à l’application des dispositions du titre II du code de l’urbanisme.

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un rapport d’évaluation du dispositif.

Article 2

À titre expérimental et pour une durée de dix ans à compter de la promulgation de la présente loi, dans chacun des périmètres de l’opération d’intérêt national, des plans‑guides d’aménagement d’ensemble des principaux pôles urbains de Guyane sont élaborés.

Ces plans‑guides d’aménagement d’ensemble définissent les objectifs et les principes de la politique d’urbanisme et d’aménagement dans les périmètres de l’opération d’intérêt national.

Ils présentent une évaluation du patrimoine naturel à identifier et un inventaire de la faune, de la flore et des habitats à conserver.

Ils déterminent les espaces, sites naturels agricoles, forestiers ou urbains à protéger et peuvent en définir la localisation ou la délimitation.

Ils précisent les orientations permettant de favoriser le développement de l’habitat et les objectifs en matière d’aménagement dans la zone concernée.

Ils fixent les périmètres des grandes opérations d’aménagement devant intervenir au sein de l’opération d’intérêt national ainsi que les programmes de construction prévus dans chacune de ces opérations.

Ils font l’objet de l’évaluation environnementale prévue à l’article L. 122‑1 du code de l’environnement. Celle‑ci rend compte des incidences notables sur l’environnement des plans‑guides dans leur ensemble ainsi que de toutes les opérations d’aménagement devant intervenir dans les périmètres de l’opération d’intérêt national.

Ils portent la procédure d’évaluation environnementale de l’ensemble des projets en matière d’habitat dans les périmètres de l’opération d’intérêt national.

L’autorité environnementale rend un avis global sur l’ensemble des opérations envisagées dans les plans guides avant toute mise en œuvre de ces opérations.

Les opérations d’aménagement et projets en matière d’habitat situés dans les périmètres de l’opération d’intérêt national mentionnés dans les plans‑guides d’aménagement d’ensemble ne sont pas soumis à la procédure d’évaluation environnementale prévue à l’article L. 122‑1 du code de l’environnement.

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un rapport d’évaluation du dispositif.

Article 3

À titre expérimental et pour une durée de dix ans à compter de la promulgation de la présente loi, les autorisations d’urbanisme accordées dans les périmètres de l’opération d’intérêt national de Guyane pour des projets de construction liés à l’habitat peuvent être accordées si ces projets sont compatibles avec les dispositions législatives et réglementaires relatives à l’utilisation des sols, l’implantation, la destination, la nature, l’architecture, les dimensions et l’assainissement des constructions ainsi qu’à l’aménagement de leurs abords.

Les projets de construction liés à l’habitat ne doivent pas être incompatibles avec une déclaration d’utilité publique.

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un rapport d’évaluation du dispositif.

Article 4

À titre expérimental et pour une durée de dix à compter de la promulgation de la présente loi, les projets de construction liés à l’habitat situés dans les périmètres de l’opération d’intérêt national de Guyane font systématiquement l’objet d’une déclaration préalable.

Un arrêté du représentant de l’État dans le département précise le contenu spécifique du dossier de déclaration préalable applicable dans les périmètres de l’opération d’intérêt national.

Le délai d’instruction ne peut être majoré sur le fondement de l’article R. 423‑24 du code de l’urbanisme.

Le Gouvernement remet au Parlement, au plus tard six mois avant le terme de l’expérimentation, un rapport d’évaluation du dispositif.

TITRE II

Dispositions relatives à la fiscalité

Article 5

Après le premier alinéa de l’article L. 1615‑2 du code général des collectivités territoriales, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Par dérogation au premier alinéa du présent article, l’établissement public foncier et d’aménagement de Guyane peut bénéficier, en lieu et place des communes propriétaires, des attributions du Fonds de compensation pour la taxe sur la valeur ajoutée au titre des dépenses exposées lors de la réalisation des missions visées au dixième alinéa de l’article L. 321‑14 du code de l’urbanisme. »

Article 6

Après l’article L. 321‑36‑6‑1 du code de l’urbanisme, il est inséré un article L. 321‑36‑6‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 3213662. ‑ L’État peut transférer, à titre gratuit, des terrains lui appartenant à l’établissement public foncier et d’aménagement de Guyane en vue de la réalisation d’opérations de construction de bâtiments scolaires, de logements sociaux et d’infrastructures publiques de première nécessité.

« Ces transferts ne donnent lieu au paiement d’aucun droit, taxe ou impôt de quelque nature que ce soit. Ils ne donnent pas non plus lieu au paiement de la contribution prévue à l’article 879 du code général des impôts. »

Titre III

Dispositions relatives à la prévention
des zones d’habitat informel

Article 7

En Guyane, à titre dérogatoire, les infractions visées à l’article 226‑4 du code pénal sont étendues à l’ensemble des immeubles.

Article 8

L’article 38 de la loi n° 2007‑290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En Guyane, la procédure prévue par le présent article est applicable pour toute propriété immobilière d’autrui, dès lors qu’elle est initiée par le propriétaire de l’immeuble litigieux. »

Article 9

I. – La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La perte de recettes pour les collectivités territoriales est compensée, à due concurrence, par la majoration du prélèvement sur les recettes de l’État au titre de la compensation d’exonérations relatives à la fiscalité locale et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.