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N° 3843

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à la création de délégations parlementaires
aux droits de l’enfant,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jennifer DE TEMMERMAN, FrançoisMichel LAMBERT, Frédérique DUMAS, Martine WONNER, Mohamed LAQHILA, Bertrand PANCHER, Laurence TRASTOURISNART, Ian BOUCARD, Paul MOLAC, Olivier FALORNI, Annie CHAPELIER, Danièle CAZARIAN, Denis SOMMER, Benoit SIMIAN, JeanLuc REITZER, Laurence GAYTE, Patrick VIGNAL, Cédric VILLANI, Alexandra LOUIS, Charles de COURSON, JeanFélix ACQUAVIVA, Agnès FIRMIN LE BODO, Maud PETIT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi vise à créer respectivement à l’Assemblée nationale et au Sénat une délégation parlementaire aux droits de l’enfant.

La France, pays des droits de l’Homme, est impliquée pour la protection des plus vulnérables en défendant les droits de l’enfant à travers de nombreux engagements.

A cet effet, elle se positionne à plusieurs reprises sur le plan international, que ce soit à l’ONU ou dans les institutions européennes.

Adoptée par l’Assemblée générale des Nations unies le 20 novembre 1989, la France est de fait signataire de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE). La bonne application de ce texte est contrôlée par le Comité des droits de l’enfant des Nations unies. La France est passée devant cette instance pour la 5e fois en janvier 2016. Les observations finales reconnaissent certes les efforts du gouvernement français dans de nombreux domaines mais confirment qu’il existe une marge d’amélioration non négligeable pour aboutir à une application complète de la Convention. Le comité recommande notamment une meilleure coordination des institutions œuvrant pour l’application de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE).

Outre cette Convention des droits de l’enfant, en tant que signataire de l’Agenda 2030 et de ses 17 Objectifs de Développement Durable, la France s’est engagée pour la cible 16.2 de l’Objectif « Paix, Justice et Institution efficaces » visant à mettre un terme à la maltraitance, à l’exploitation, à la traite, et à toutes les formes de violence et de torture dont sont victimes les enfants. L’éradication de la violence à l’égard des enfants doit constituer une priorité politique : chaque année, la moitié des enfants dans le monde sont victimes de violence. S’agissant de la France([1]), les chiffres inquiètent : 73 000 cas de maltraitances sont signalés chaque année à la police nationale et à la gendarmerie ; 70 000 enfants restent handicapés à la suite de ces violences, 1 enfant est tué par l’un de ses parents tous les cinq jours et 53 % des décès pour maltraitance interviennent entre 0 et 4 ans.

Cette priorité a bien été reconnue par la France lorsqu’elle a pris la présidence du Comité des ministres du Conseil de l’Europe du 17 mai au 27 novembre 2019. En effet, alors que le Conseil de l’Europe célèbre son 70e anniversaire cette année, il a permis de réaliser des progrès considérables en matière des droits de l’Homme, mais également des droits de l’enfant. La Commission des questions sociales, de la santé et du Développement Durable de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe (APCE) a par ailleurs produit un rapport([2]) écrit par la Baronne Doreen E. Massey qui recommande aux parlements nationaux de s’impliquer davantage dans la mise en œuvre et le suivi de la cible 16.2 des ODD, en prévoyant la création d’une commission permanente sur les droits de l’enfant.

Au regard de ses engagements internationaux, et pour être en adéquation avec l’article 4 de la Convention Internationale des Droits de l’Enfant (CIDE) qui dispose que « Les États parties s’engagent à prendre toutes les mesures législatives, administratives et autres qui sont nécessaires pour mettre en œuvre les droits reconnus dans la présente Convention » ; la France, à travers le législateur, a également adapté sa règlementation nationale. 

Une institution nouvelle, le Défenseur des droits, a été inscrite dans la Constitution depuis le 23 juillet 2008 et a été créée par la loi organique et la loi ordinaire du 29 mars 2011. Elle regroupe les missions du Médiateur de la République, du Défenseur des enfants, de la Haute Autorité de Lutte contre les Discriminations et pour l’Egalité (HALDE) et de la Commission Nationale de Déontologie de la Sécurité (CNDS). L’une de ses missions consiste donc à défendre et promouvoir l’intérêt supérieur et les droits de l’enfant.

Le législateur n’a certes pas attendu les années 2000 pour protéger et défendre les intérêts des enfants. La politique actuelle de protection de l’enfance prend ses racines dans le préambule de la Constitution du 27 octobre 1946. À l’alinéa 11, il est inscrit que la Nation « garantit à tous, notamment à l’enfant […] la protection de la santé, la sécurité matérielle, le repos et les loisirs. Tout être humain qui, en raison de son âge, de son état physique ou mental, de la situation économique, se trouve dans l’incapacité de travailler a le droit d’obtenir de la collectivité des moyens convenables d’existence. » C’est sur ce fondement que le Conseil constitutionnel reconnaît l’intérêt supérieur de l’enfant comme principe à valeur constitutionnelle.

Ainsi, la protection de l’enfance est au cœur de notre République.

Depuis les lois de décentralisation, la mise en œuvre de cette politique sociale est dévolue aux départements qui disposent de plusieurs services comme la protection maternelle et infantile (PMI) ou l’Aide sociale à l’enfance (ASE). L’évaluation de ces politiques publiques par le législateur demeure rare et complexe. Le rapport([3]) de la mission d’information de la Conférence des présidents sur l’aide sociale à l’enfance a mis en lumière la nécessité pour la représentation nationale de se saisir de la mise en œuvre dans les territoires du droit de chaque enfant à la protection. La création d’une mission ad hoc et limitée dans le temps ne peut être suffisante pour aborder l’enfance dans sa globalité.

À travers la présentation le 28 janvier 2019 de sa feuille de route et la nomination d’un nouveau secrétaire d’Etat auprès de la ministre des Solidarités et de la Sante chargé de l’enfance, le Gouvernement a démontré sa volonté de faire de la protection de l’enfance une action prioritaire. Toutefois, le législateur doit également jouer son rôle et veiller à ce que l’intérêt supérieur de l’enfant soit une considération primordiale dans la législation, tant lors de son élaboration que dans l’exécution des politiques publiques qui en découlent.

Une proposition de résolution([4]) a été adoptée en 2020. Elle prévoyait entre autres que le respect des droits de l’enfant, tels qu’ils sont définis par la Convention internationale des droits de l’enfant, soit pris en compte les travaux législatifs, dans les travaux de contrôle de l’action du Gouvernement et d’évaluation des politiques publiques et qu’à l’initiative de l’Assemblée nationale, un débat annuel sur les politiques publiques menées en faveur de l’enfance soit organisé.

Actuellement, le Parlement ne dispose pas d’organe unique pour s’appuyer sur une vision globale des politiques publiques menées. De nombreuses commissions sont saisies sur des sujets liés aux droits de l’enfant et des avancées sont faites : l’instruction obligatoire à trois ans pour contrer les inégalités de destin, la protection des mineurs victimes de violences sexuelles, l’irresponsabilité pénale des mineurs, la prise en charge d’enfants migrants en sont des exemples. Les commissions des lois, des affaires sociales et des affaires culturelles et de l’éducation sont les principaux garants de l’intérêt supérieur de l’enfant à l’Assemblée nationale.

Cependant pour éviter la fragmentation et viser une efficience propice à la protection des enfants, afin de mettre fin aux violences ; pour libérer la parole de l’enfant, pour pouvoir mener une réflexion sur le rôle de la famille et sur la justice chez les mineurs, pour l’épanouissement de l’enfant ; il nous faut créer un organe au sein de chaque chambre qui permettra au législateur d’avoir une vision globale et plus juste des intérêts de l’enfant. Une délégation aux droits de l’enfant sera un organe de veille, de contrôle et de propositions pour que les droits de l’enfant soient mieux intégrés dans nos politiques publiques.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi.

 

 


proposition de loi

Article unique

Il est inséré, après l’article 6 decies de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 6 undecies ainsi rédigé :

« Art. 6 undecies. – I. – Il est constitué, dans chacune des deux assemblées du Parlement, une délégation parlementaire aux droits de l’enfant. Chacune de ces délégations compte trente‑six membres.

« II. – Les membres des délégations sont désignés en leur sein par chacune des deux assemblées de manière à assurer une représentation proportionnelle des groupes parlementaires et équilibrée des hommes et des femmes ainsi que des commissions permanentes.

« La délégation de l’Assemblée nationale est désignée au début de la législature pour la durée de celle‑ci.

« La délégation du Sénat est désignée après chaque renouvellement partiel de cette assemblée.

« III. – Sans préjudice des compétences des commissions permanentes ou spéciales ni de celles des délégations pour l’Union européenne, les délégations parlementaires aux droits de l’enfants ont pour mission d’informer les assemblées de la politique suivie par le Gouvernement au regard de ses conséquences sur les droits de l’enfants. En ce domaine, elles assurent le suivi de l’application des lois.

« En outre, les délégations parlementaires aux droits de l’enfant peuvent être saisies sur les projets ou propositions de loi par :

« – le bureau de l’une ou l’autre assemblée, soit à son initiative, soit à la demande d’un président de groupe ;

« – une commission permanente ou spéciale, à son initiative ou sur demande de la délégation.

« Enfin, les délégations peuvent être saisies par la délégation pour l’Union européenne sur les textes soumis aux assemblées en application de l’article 88‑4 de la Constitution.

« Elles demandent à entendre les ministres. Le Gouvernement leur communique les informations utiles et les documents nécessaires à l’accomplissement de leur mission.

« IV. – Les délégations établissent, sur les questions dont elles sont saisies, des rapports comportant des recommandations qui sont déposés sur le bureau de l’assemblée dont elles relèvent et transmis aux commissions parlementaires compétentes, ainsi qu’aux délégations pour l’Union européenne. Ces rapports sont rendus publics.

« Elles établissent en outre, chaque année, un rapport public dressant le bilan de leur activité et comportant, le cas échéant, des propositions d’amélioration de la législation et de la réglementation dans leurs domaines de compétence.

« V. – Chaque délégation organise la publicité de ses travaux dans les conditions définies par le règlement de chaque assemblée.

« La délégation de l’Assemblée nationale et celle du Sénat peuvent décider de tenir des réunions conjointes.

« VI. – Les délégations établissent leur règlement intérieur. »


([1]) Rapport de la mission sur les morts violentes d’enfants au sein des familles, Mai 2018.

([2]) Mettre fin à la violence à l’égard des enfants : une contribution du Conseil de l’Europe aux Objectifs de développement durable, Mai 2019.

([3]) Mission d’information de la Conférence des présidents sur l’aide sociale à l’enfance, Juillet 2019.

([4]) Proposition de résolution relative à la prise en compte des droits de l’enfant dans les travaux de l’Assemblée nationale, Novembre 2019.