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N° 3845

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative aux contrôles d’identité,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanChristophe LAGARDE, Michel ZUMKELLER, Pascal BRINDEAU, Valérie SIX, Guy BRICOUT, Yannick FAVENNECBÉCOT, Philippe DUNOYER, Agnès THILL, Philippe GOMÈS, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Béatrice DESCAMPS, Grégory LABILLE, Sophie AUCONIE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La présente proposition de loi vise à renforcer le lien de confiance entre nos concitoyens et nos forces de l’ordre. Pour ce faire, elle propose de compléter les bases juridiques du contrôle d’identité, encadré par l’article 78‑2 du code de procédure pénale.

Précisons, tout d’abord, qu’il ne s’agit pas ici de remettre en cause le travail de nos policiers et de nos gendarmes, ni même l’utilité du contrôle d’identité quand il est nécessaire.

Les conditions de travail de nos forces de l’ordre sont particulièrement difficiles et éprouvantes, entre la vétusté de leurs locaux, l’âge avancé de leur parc automobile, les violences et l’irrespect inacceptables dont elles sont victimes au quotidien, l’accumulation des heures supplémentaires, l’alourdissement de la charge procédurale, l’accentuation d’un sentiment d’abandon ou de déficit de suites judiciaires concrètes.

Cette situation déplorable, qui est en partie due à des années d’abandon budgétaire, doit faire l’objet d’un traitement urgent et ambitieux.

La présente proposition de loi n’a pas pour ambition de porter à elle seule cet objectif. Elle entend néanmoins contribuer à renforcer les liens entre la population et nos forces de l’ordre, en limitant les contrôles d’identité à répétition, qui sont inutiles et générateurs de tensions, par la création d’un récépissé de contrôle d’identité établi lors de chaque contrôle d’identité.

La création de ce récépissé aurait plusieurs avantages dans le travail quotidien qu’effectuent nos forces de l’ordre pour sécuriser la vie de notre Nation. En premier lieu, il apporterait un outil statistique aux services de police qui ne disposent d’aucune donnée pertinente sur ce dispositif de contrôle. Il serait pourtant bien utile pour orienter l’action de la police du quotidien, tant en ce qui concerne les lieux sensibles, les natures de délits soupçonnés, que les personnes qui y sont soumises régulièrement, parfois dans les mêmes endroits. En second lieu, il permettrait d’orienter le législateur et le Gouvernement sur les incivilités du quotidien qu’il conviendrait de réglementer et de contraventionnaliser alors qu’aujourd’hui, elles ne donnent lieu qu’à un contrôle d’identité souvent bien inutile dans ces cas‑là. Enfin, il favoriserait, surtout conjugué à l’utilisation systématique des « caméras‑piétons » prévues pour nos forces de l’ordre, la diminution des comportements inappropriés qui surviennent parfois de la part des forces de l’ordre lors de ces contrôles.

Dans son rapport de 2017, le Défenseur des Droits précise que 84 % des personnes interrogées ont déclaré n’avoir jamais fait l’objet d’un contrôle au cours des cinq dernières années (90 % des femmes et 77 % des hommes). S’agissant des personnes contrôlées, celles‑ci rapportent « généralement peu de comportements en contradiction avec la déontologie des forces de l’ordre, comme le tutoiement (16 %), la brutalité (8 %), les insultes (7 %) ou encore le manque de politesse (29 %) ».

Si la grande majorité des personnes questionnées dans cette étude jugent donc les relations population/police satisfaisantes, certains groupes spécifiques de personnes rapportent, pour ce qui les concerne, des expériences plus contrastées.

Ainsi, en comparaison avec l’ensemble de la population, les jeunes de 18‑25 ans déclarent dans cette étude sept fois plus de contrôles et les « hommes perçus comme noirs ou arabes » apparaissent, quant à eux, cinq fois plus touchés par des contrôles fréquents (plus de cinq fois sur les cinq dernières années). En conjuguant ces deux critères, c’est 80 % des personnes, correspondant au profil « jeune homme perçu comme noir ou arabe », qui déclarent avoir été contrôlées au cours des cinq dernières années. Par rapport à l’ensemble de la population, ces profils ont donc 20 fois plus de chance de faire l’objet d’un contrôle que les autres (19 pour les contrôles fréquents). C’est évidemment une situation délétère pour la République.

Toujours selon cette même enquête, alors que 28 % de l’ensemble de la population masculine indique avoir fait l’objet d’une fouille, ce pourcentage passe à 80 % pour les « jeunes hommes perçus comme noirs ou arabes/maghrébins ». Ces profils déclarent avoir été davantage tutoyés (40 %), insultés (21 %) ou brutalisés (20 %) lors de leur dernier contrôle.

Si les éventuelles discriminations et les manquements à la déontologie professionnelle doivent être signalés et sanctionnés, il apparait que très peu de personnes contrôlées s’engagent dans des démarches visant à faire reconnaitre leur situation. Ce renoncement s’explique en partie par le fait que la procédure est considérée, selon elles, comme inutile, mais aussi par manque de possibilité d’identifier les agents intervenants, du fait de l’absence de dispositif de traçabilité. Les contrôles ne donnent en effet lieu à aucun document permettant de prouver qu’ils se sont bien déroulés et quels étaient les fonctionnaires présents.

Si ces contrôles peuvent aussi être utilisés dans certains secteurs en tension afin de collecter de l’information ou afin d’affirmer l’autorité policière dans l’espace public, ceux‑ci, lorsqu’ils sont fréquents, poussés ou arbitraires, alimentent légitimement chez les personnes contrôlées un sentiment de discrimination et de défiance à l’égard des institutions policières et judiciaires et peuvent se terminer malheureusement en polémiques ou en tragédie.

Ils sont alors d’autant plus absurdes que, loin de contribuer à la tranquillité publique, ils sont générateurs de tensions sans pour autant contribuer à lutter contre la délinquance. Ils favorisent un récit victimaire généralisé en direction de communautés ethniques ou religieuses, au sein desquelles se sent visée une majorité de concitoyens parfaitement respectueux de nos lois. Encore une fois, les statistiques de délinquance ne peuvent pas expliquer que certaines catégories de population ont 20 fois plus de chance de faire l’objet d’un contrôle que d’autres. C’est donc que la majorité de citoyens de ces catégories subit des contrôles à la légitimité discutable qui nourrissent une fracture avec les forces de l’ordre, particulièrement en milieu urbain.

Par ailleurs, trop souvent les forces de l’ordre, dénuées de moyens légaux contraventionnels pour faire face à une situation anormale – comme le squat de hall d’immeuble ‑, n’ont comme seul recours que le contrôle d’identité qui devient alors une forme de punition sans efficacité. Repérer ces situations, les quantifier et les catégoriser permettrait d’adapter notre législation, notre arsenal répressif, pour mieux garantir la tranquillité de nos concitoyens.

Nous sommes convaincus que l’utilisation généralisée ‑ que nous appelons de nos vœux ‑ de « caméras‑piétons » de qualité et d’une durée d’enregistrement suffisante par les forces de l’ordre et l’introduction d’un récépissé de contrôle permettront d’éviter que des contrôles d’identité soient perçus comme abusifs et humiliants, contribueront à renforcer la cohésion sociale, ainsi que les relations à l’égard de nos institutions républicaines.

Alors qu’un tel dispositif existe déjà à l’étranger, notamment au Royaume‑Uni, et que l’Allemagne a repensé son usage du contrôle d’identité, son introduction en France donnera à ces contrôles une traçabilité, permettant, comme l’explique le Défenseur des Droits, d’en déterminer précisément les contours ou d’évaluer leur efficacité par rapport aux zones géographiques ciblées ou aux populations contrôlées.

Ainsi, cette proposition de loi modifie le code de procédure pénale en son article 78‑2 pour y instaurer le récépissé de contrôle d’identité. Remis à la suite de chaque contrôle, celui‑ci portera les mentions suivantes :

– l’identité de la personne contrôlée ;

– le(s) motif(s) du contrôle ;

– le jour, le lieu, et l’heure du contrôle d’identité ;

– le numéro d’identification individuel de l’agent ayant procédé au contrôle d’identité ;

– le résultat du contrôle d’identité ;

– les observations éventuelles de la personne ayant fait l’objet du contrôle.

Ce récépissé de contrôle d’identité permettra de répertorier les contrôles d’identité, leur fréquence et leur efficacité. Il pourra être utilisé, le cas échéant, devant les services de l’Inspection générale de la police nationale (IGPN) en cas de litige entre les services de police et une personne contrôlée, tant par l’agent accusé de contrôle abusif que par le citoyen qui s’en dit victime.

Telles sont les principales orientations de la présente proposition de loi qu’il vous est demandé, Mesdames, Messieurs, de bien vouloir adopter.

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – L’article 78‑2 du code de procédure pénale est complété par neuf alinéas ainsi rédigés :

« Les contrôles d’identité réalisés en application du présent article donnent lieu, à peine de nullité, à l’établissement d’un document nommé « récépissé de contrôle d’identité ». Il doit mentionner :

« – l’identité de la personne contrôlée ;

« – le(s) motif(s) du contrôle d’identité ;

« – le jour, le lieu, et l’heure du contrôle d’identité ;

« – le numéro d’identification individuel de l’agent ayant procédé au contrôle d’identité ;

« – le résultat du contrôle d’identité ;

« – les observations éventuelles de la personne ayant fait l’objet du contrôle. »

II. – Un décret en Conseil d’État pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés détermine les modalités d’application du I de la présente loi.

III. – Le Gouvernement remet chaque année au Parlement un rapport sur la mise en place et l’efficacité du dispositif prévu au I de la présente loi.

Article 2

L’article 804 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« Le présent code est applicable, dans sa rédaction résultant de la proposition de loi n°            du            relative aux contrôles d’identité, en Nouvelle‑Calédonie, en Polynésie française et dans les îles Wallis et Futuna, sous réserve des adaptations prévues au présent titre et aux seules exceptions : »

Article 3

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.