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N° 3853

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 9 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

portant mesures d’urgence pour assurer la régulation de l’accès
au foncier agricole au travers de structures sociétaires,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanBernard SEMPASTOUS, AnneLaurence PETEL, Christophe CASTANER, Patrick MIGNOLA, Olivier BECHT, Roland LESCURE, Barbara BESSOT BALLOT, AnneLaure CATTELOT, Philippe CHASSAING, Yves DANIEL, Philippe HUPPÉ, Sandra MARSAUD, JeanPaul MATTEI, Graziella MELCHIOR, JeanBaptiste MOREAU, Hervé PELLOIS, Patrice PERROT, Véronique RIOTTON, Sophie AUCONIE, Émilie BONNIVARD, JeanChristophe LAGARDE, Jean LASSALLE, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Christophe NAEGELEN, Jérôme NURY, Vincent ROLLAND, Benoit SIMIAN, Nicolas TURQUOIS, des membres du groupe La République en Marche et apparentés (1), les membres du groupe Mouvement Démocrate et Démocrates apparentés (2) et les membres du groupe Agir ensemble (3),

députés.

 

____________________________________

(1) Mesdames et Messieurs : Caroline Abadie, Damien Adam, Lénaïck Adam, Saïd Ahamada, Éric Alauzet, Ramlati Ali, Aude Amadou, Patrice Anato, Pieyre‑Alexandre Anglade, Jean‑Philippe Ardouin, Christophe Arend, Stéphanie Atger, Laetitia Avia, Florian Bachelier, Didier Baichère, Françoise Ballet‑Blu, Frédéric Barbier, Xavier Batut, Sophie Beaudouin‑Hubiere, Belkhir Belhaddad, Aurore Bergé, Hervé Berville, Grégory Besson‑Moreau, Barbara Bessot Ballot, Anne Blanc, Yves Blein, Pascal Bois, Bruno Bonnell, Aude Bono‑Vandorme, Julien Borowczyk, Éric Bothorel, Claire Bouchet, Florent Boudié, Bertrand Bouyx, Pascale Boyer, Yaël Braun‑Pivet, Jean‑Jacques Bridey, Anne Brugnera, Danielle Brulebois, Anne‑France Brunet, Stéphane Buchou, Carole Bureau‑Bonnard, Pierre Cabaré, Céline Calvez, Christophe Castaner, Anne‑Laure Cattelot, Lionel Causse, Danièle Cazarian, Samantha Cazebonne, Jean‑René Cazeneuve, Sébastien Cazenove, Anthony Cellier, Émilie Chalas, Philippe Chalumeau, Sylvie Charrière, Fannette Charvier, Philippe Chassaing, Francis Chouat, Stéphane Claireaux, Mireille Clapot, Christine Cloarec‑Le Nabour, Jean‑Charles Colas‑Roy, Fabienne Colboc, François Cormier‑Bouligeon, Bérangère Couillard, Dominique Da Silva, Olivier Damaisin, Yves Daniel, Dominique David, Typhanie Degois, Marc Delatte, Cécile Delpirou, Michel Delpon, Nicolas Démoulin, Frédéric Descrozaille, Christophe Di Pompeo, Benjamin Dirx, Stéphanie Do, Loïc Dombreval, Jacqueline Dubois, Christelle Dubos, Coralie Dubost, Nicole Dubré‑Chirat, Audrey Dufeu, Françoise Dumas, Stella Dupont, Jean‑François Eliaou, Sophie Errante, Catherine Fabre, Valéria Faure‑Muntian, Jean‑Michel Fauvergue, Richard Ferrand, Jean‑Marie Fiévet, Alexandre Freschi, Jean‑Luc Fugit, Camille Galliard‑Minier, Raphaël Gauvain, Laurence Gayte, Anne Genetet, Raphaël Gérard, Séverine Gipson, Olga Givernet, Valérie Gomez‑Bassac, Guillaume Gouffier‑Cha, Fabien Gouttefarde, Carole Grandjean, Florence Granjus, Romain Grau, Benjamin Griveaux, Émilie  Guerel, Stanislas Guerini, Marie Guévenoux, Véronique Hammerer, Yannick Haury, Christine Hennion, Pierre Henriet, Danièle Hérin, Alexandre Holroyd, Sacha Houlié, Monique Iborra, Jean‑Michel Jacques, Caroline Janvier, François Jolivet, Catherine Kamowski, Guillaume Kasbarian, Stéphanie Kerbarh, Yannick Kerlogot, Fadila Khattabi, Anissa Khedher, Rodrigue Kokouendo, Jacques Krabal, Sonia Krimi, Mustapha Laabid, Daniel Labaronne, Amal‑Amélia Lakrafi, Anne‑Christine Lang, Frédérique Lardet, Michel Lauzzana, Célia de Lavergne, Marie Lebec, Gaël Le Bohec, Jean‑Claude Leclabart, Sandrine Le Feur, Didier Le Gac, Gilles Le Gendre, Martine Leguille‑Balloy, Christophe Lejeune, Annaïg Le Meur, Marion Lenne, Nicole Le Peih, Roland Lescure, Fabrice Le Vigoureux, Monique Limon, Richard Lioger, Brigitte Liso, Alexandra Louis, Marie‑Ange Magne, Mounir Mahjoubi, Sylvain Maillard, Laurence Maillart‑Méhaignerie, Jacques Maire, Jacqueline Maquet, Jacques Marilossian, Sandra Marsaud, Didier Martin, Denis Masséglia, Fabien Matras, Sereine Mauborgne, Stéphane Mazars, Jean François Mbaye, Graziella Melchior, Ludovic Mendes, Thomas Mesnier, Marjolaine Meynier‑Millefert, Monica Michel, Thierry Michels, Patricia Mirallès, Jean‑Michel Mis, Sandrine Mörch, Jean‑Baptiste Moreau, Florence Morlighem, Cendra Motin, Naïma Moutchou, Cécile Muschotti, Mickaël Nogal, Claire O’Petit, Valérie Oppelt, Catherine Osson, Xavier Paluszkiewicz, Sophie Panonacle, Didier Paris, Zivka Park, Charlotte Parmentier‑Lecocq, Hervé Pellois, Alain Perea, Patrice Perrot, Pierre Person, Anne‑Laurence Petel, Bénédicte Pételle, Bénédicte Peyrol, Michèle Peyron, Damien Pichereau, Béatrice Piron, Claire Pitollat, Brune Poirson, Jean‑Pierre Pont, Jean‑François Portarrieu, Éric Poulliat, Natalia Pouzyreff, Florence Provendier, Bruno Questel, Cathy Racon‑Bouzon, Pierre‑Alain Raphan, Isabelle Rauch, Rémy Rebeyrotte, Hugues Renson, Cécile Rilhac, Véronique Riotton, Stéphanie Rist, Marie‑Pierre Rixain, Mireille Robert, Laëtitia Romeiro Dias, Muriel Roques‑Etienne  ; Xavier Roseren, Laurianne Rossi, Gwendal Rouillard, Cédric Roussel, Thomas Rudigoz, François de Rugy, Pacôme Rupin, Laurent Saint‑Martin, Laëtitia Saint‑Paul, Nathalie Sarles, Jean‑Bernard Sempastous, Olivier Serva, Marie Silin, Thierry Solère, Denis Sommer, Bertrand Sorre, Bruno Studer, Sira Sylla, Marie Tamarelle‑Verhaeghe, Buon Tan, Liliana Tanguy, Sylvain Templier, Jean Terlier, Stéphane Testé, Vincent Thiébaut, Valérie Thomas, Alice Thourot, Huguette Tiegna, Jean‑Louis Touraine, Alain Tourret, Élisabeth Toutut‑Picard, Stéphane Travert, Nicole Trisse, Stéphane Trompille, Alexandra Valetta Ardisson, Laurence Vanceunebrock‑Mialon, Pierre Venteau, Marie‑Christine Verdier‑Jouclas, Annie Vidal, Patrick Vignal, Corinne Vignon, Guillaume Vuilletet, Hélène Zannier, Souad Zitouni, Jean‑Marc Zulesi.

(2) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Erwan Balanant, Géraldine Bannier, Jean‑Noël Barrot, Stéphane Baudu, Justine Benin, Philippe Berta, Christophe Blanchet, Philippe Bolo, Jean‑Louis Bourlanges, Blandine Brocard, Vincent Bru, David Corceiro, Yolaine de Courson, Michèle Crouzet, Jean‑Pierre Cubertafon, Marguerite Deprez‑Audebert, Bruno Duvergé, Nadia Essayan, Michel Fanget, Isabelle Florennes, Pascale Fontenel‑Personne, Bruno Fuchs, Laurent Garcia, Maud Gatel, Luc Geismar, Perrine Goulet, Brahim Hammouche, Cyrille Isaac‑Sibille, Élodie Jacquier‑Laforge, Christophe Jerretie, Bruno Joncour, Sandrine Josso, Jean‑Luc Lagleize, Fabien Lainé, Mohamed Laqhila, Florence Lasserre‑David, Philippe Latombe, Patrick Loiseau, Aude Luquet, Max Mathiasin, Jean‑Paul Mattei, Sophie Mette, Philippe Michel‑Kleisbauer, Patrick Mignola, Bruno Millienne, Jimmy Pahun, Frédéric Petit, Maud Petit, Josy Poueyto, François Pupponi, Richard Ramos, Sabine Thillaye, Frédérique Tuffnell, Nicolas Turquois, Michèle de Vaucouleurs, Laurence Vichnievsky, Philippe Vigier, Sylvain Waserman.

(3) Ce groupe est composé de Mesdames et Messieurs : Olivier Becht, Pierre-Yves Bournazel, Annie Chapelier, Paul Christophe, M’jid El Guerrab, Christophe Euzet, Agnès Firmin Le Bodo, Thomas Gassilloud, Antoine Herth, Dimitri Houbron, Philippe Huppé, Loïc Kervran, Aina Kuric, Luc Lamirault, Jean-Charles Larsonneur, Vincent Ledoux, Patricia Lemoine, Lise Magnier, Valérie Petit, Benoit Potterie, Maina Sage.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les terres agricoles sont « une ressource particulière » ([1]) aujourd’hui sous tensions. Elles sont non seulement les premières victimes de l’artificialisation ([2]), mais aussi la clé de nombreux investissements, supports ou non de projets agricoles. Leur préservation est indispensable, s’agissant d’une ressource rare ([3]), non reproductible et garante de notre souveraineté alimentaire. L’avenir de l’agriculture, des agriculteurs et des territoires est en jeu :

– le nombre d’agriculteurs exploitants a été divisé par quatre en quarante ans ([4])  ;

– près d’un tiers des agriculteurs avait plus de 55 ans en 2016, et la moitié d’entre eux partirait à la retraite avant 2026 ([5])  ;

– entre 1955 et 2013, le nombre d’exploitations a été divisé par cinq, s’établissant à près de 452 000  ;

– entre 1988 et 2013, la surface moyenne d’une exploitation a doublé en France ([6]).

La terre, en tant que ressource, doit être préservée. Il faut la cultiver en adoptant une gestion responsable et des modes d’exploitation durables, alliant performances économiques, sociales et environnementales. La forme et la taille de l’exploitation agricole influent directement sur la qualité du sol et le respect de sa multifonctionnalité.

La concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles impactent :

– notre modèle d’agriculture traditionnelle, par des situations de concurrence (notamment par les prix) liées à la raréfaction du foncier disponible, au monopole de grandes exploitations. L’installation de jeunes agriculteurs s’en trouve entravée  ;

– l’environnement par le développement de monocultures et la simplification des itinéraires culturaux qui contribuent à appauvrir les sols et à déstabiliser la biodiversité  ;

– la vitalité des territoires et les emplois ruraux par la standardisation des productions qui conduit à la disparition de productions locales et du métier d’agriculteur. La trop grande concentration des terres aboutit à des systèmes de production à moindre valeur ajoutée à l’hectare et économes d’emplois (en atteste la stagnation du capital d’exploitation de la « ferme France » : + 2 % de 1990 à 2013)  ;

– l’indépendance alimentaire car la diversité de la production agricole est une condition de l’indépendance alimentaire de la France. Cet enjeu prend un relief particulier dans le contexte actuel de la crise sanitaire liée à la pandémie de la Covid‑19 qui rappelle l’importance, pour notre pays, de la sécurité de son approvisionnement alimentaire et, par suite, du maintien d’une agriculture forte et orientée vers la qualité et la diversité de ses productions, de ses modes de transformation et de distribution.

Ces éléments démontrent le besoin de préserver un modèle d’exploitation à taille humaine. Il faut agir en régulant tous les modes d’accès au foncier, y compris le marché sociétaire. Cette analyse est partagée par la Commission européenne et la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) qui considèrent que « la concentration excessive des exploitations, la spéculation foncière et la protection des terres agricoles sont des enjeux majeurs » ([7]).

La régulation ([8]) est légitime au regard des objectifs politiques agricoles poursuivis. Les politiques publiques en faveur de l’agriculture ont, notamment, pour finalités de « protéger et de valoriser les terres agricoles » et pour objectifs de contribuer au « renouvellement des générations », de « favoriser la transmission des exploitations agricoles dans un cadre familial et hors cadre familial », de « promouvoir la diversité des systèmes de production sur les territoires », de « limiter les agrandissements et les concentrations d’exploitations » et de « faciliter l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables ». Ces objectifs sont énumérés à l’article L. 1 du code rural et de la pêche maritime que le législateur complète régulièrement. L’article 45 de la loi du 30 octobre 2018 pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous (dite « EGALIM ») a ajouté un objectif 18° : « promouvoir l’indépendance alimentaire de la France à l’international, en préservant son modèle agricole ainsi que la qualité et la sécurité de son alimentation ». L’agriculture sert l’intérêt général.

La France a été précurseur dans la régulation de l’accès au foncier agricole, par la création en 1960 ([9]) des deux outils de régulation, toujours en place, que sont les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) et le contrôle des structures. Ces deux institutions d’ordre public, l’une et l’autre placées au service de l’intérêt général et au service d’une même politique, ont pour mission de contrôler qui achète et qui exploite la terre agricole et, en tant que de besoin, d’orienter cette ressource vers des projets sélectionnés en fonction des objectifs de la réglementation.

Mais l’efficacité de ces outils, bâtis sur le modèle de l’exploitation familiale ([10]) détenus par des personnes physiques, est amoindrie face à la structuration et au développement des exploitations sous forme sociétaire.

Si les sociétés peuvent permettre une gestion optimisée de l’exploitation et une transmission progressive, elles sont malheureusement de plus en plus souvent utilisées aussi pour s’affranchir des règles.

Les sociétés exploitent désormais en France près des deux tiers de la surface agricole utile (SAU) et le marché sociétaire représente l’équivalent du cinquième de la valeur du marché foncier ([11]). Aux côtés des exploitations de caractère familial et de subsistance, se développe une agriculture de firmes (10 % des exploitations agricoles, soit près de 44 000) avec des structures pouvant atteindre plusieurs milliers d’hectares ([12]).

En 2019, le marché des parts sociales a porté sur 1,2 milliard d’euros, en échappant à toute régulation, ce qui aurait représenté « l’équivalent de 6,9 % du nombre de transactions et 17,6 % de la valeur ». La Cour des comptes reprend ces chiffres et pointe que « ces transactions, qui étaient au nombre de 275 pour une valeur de 132 millions d’euros en 2014, représentent, en 2018, 8 611 opérations pour une valeur de 1,1 milliard d’euros ([13]) ». 

Aussi, une fois la terre ameublie, elle se transmet via la cession des titres de la société qui l’héberge, ou une modification de la répartition de son capital social. Ces opérations échappent aux filtres que constituent la SAFER et le contrôle des structures :

– le contrôle des structures qui soumet les opérations d’installation, d’agrandissement ou de réunion d’exploitations agricoles à une autorisation préfectorale demeure insuffisant pour lutter contre l’accaparement et la concentration excessive des terres, parce qu’il n’est pas adapté au marché sociétaire. La simple prise de participation financière dans une société d’exploitation ou de portage du foncier n’est pas soumise à ce dispositif, pas plus que les prises de participation multiples dans des exploitations dès lors qu’il n’y a pas de participation aux travaux (au moins au stade de la demande)  ;

– les SAFER ne peuvent, quant à elles, agir sur le marché sociétaire que de façon très limitée puisque leur droit de préemption ne peut s’exercer qu’en cas de cession à titre onéreux de la totalité des titres d’une société et uniquement avec pour objectif d’installer un agriculteur. Cette innovation, apportée par la loi d’avenir pour l’agriculture, l’alimentation et la forêt du 13 octobre 2014, a été rapidement et aisément contournée par l’aliénation d’une partie seulement (jusqu’à 99 %) des parts ou actions d’une société agricole. Ainsi, en une seule fois ou de manière successive, ces cessions partielles peuvent donner accès au contrôle de la société, sans possibilité pour la SAFER d’exercer son droit de préemption ([14]). En outre, son intervention est pénalisée par le poids de la fiscalité des plus‑values.

Notre législation se heurte à cet angle mort de la régulation qui bouleverse le paysage agricole ([15]).

À ce jour, les commissions départementales d’orientation de l’agriculture (CDOA) et les comités techniques départementaux (CTD) des SAFER qui rassemblent les représentants de la diversité du monde agricole, se révèlent ainsi inaptes à exercer leur droit de regard dès lors que la terre a été préalablement transformée en parts sociales. Rien ne permet donc de réguler ce marché en pleine croissance.

Les conséquences sont préoccupantes pour notre agriculture comme l’alertait le rapport de la mission parlementaire d’information commune sur le foncier agricole en 2018 : « Fondée sur la dérive individualiste de la course à l’agrandissement, un relâchement du contrôle, des failles législatives et l’arrivée de fonds spéculatifs à partir de 2008, une “libéralisation” est à l’œuvre dans notre pays depuis une décennie. Ces désordres risquent de devenir exponentiels et ont d’ores et déjà un effet sur la compétitivité de notre agriculture. L’enrichissement de quelquesuns se traduit par un appauvrissement collectif » ([16]).

Ainsi, ces pratiques sont à l’origine d’une véritable rupture d’égalité entre les exploitants puisque les personnes physiques tombent sous le coup de la régulation, tandis que les cessionnaires de titres sociaux y échappent.

Ce sont ces limites qui aujourd’hui engendrent la concentration des exploitations et l’accaparement des terres agricoles, sources de nombreux cris d’alarme des acteurs du monde agricole et rural. C’est maintenant qu’il faut agir alors que la moitié des agriculteurs a plus de 50 ans et que leurs exploitations sont à la veille, soit d’être transmises à la nouvelle génération, soit d’alimenter la spirale de concentration.

Le ministre de l’agriculture et de l’alimentation avait lui‑même fait le constat que les outils de régulation du foncier étaient inadaptés face au développement des phénomènes de concentration conduits sous forme sociétaire notamment ([17]). Il a également reconnu que « les outils de régulation du foncier agricole sont anciens et éprouvés dans de nombreuses situations. Ainsi lorsque des personnes physiques acquièrent des surfaces, elles doivent se soumettre à la fois au contrôle des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural (SAFER) lors de l’acquisition, et au contrôle des structures lors de la mise en valeur des terres, lorsqu’elles exploitent. Lorsqu’elles n’exploitent pas, elles doivent se soumettre au statut du fermage, qui est d’ordre public. La situation est plus complexe lorsque ce sont des personnes physiques ou des sociétés, qui par des mouvements de capitaux (prises de participation, montée dans le capital, …), finissent par détenir, directement ou indirectement, le contrôle de sociétés détenant et/ou exploitant du foncier agricole » ([18]).

Le Président de la République, Emmanuel Macron, a confirmé sa volonté d’agir en ce sens en affirmant que « nous prendrons des mesures fortes pour faciliter l’accès au foncier pour les jeunes agriculteurs. Nous les prendrons dans le cadre d’une loi foncière à venir ».

Lors du colloque intitulé « Partager et protéger la terre – Plaidoyer pour une nouvelle loi foncière », qui s’est tenu à l’Assemblée nationale le 27 novembre 2019, 450 participants ([19]) se sont accordés sur une motion finale qui énonce notamment la nécessité et l’urgence de « réguler l’ensemble des marchés fonciers en assurant leur transparence, leur contrôle et leur orientation sur l’usage et la propriété ».

Enfin, la Cour des comptes énonçait récemment que « des améliorations sont nécessaires pour mieux maîtriser l’évolution du foncier agricole. L’exercice des missions des SAFER est partiellement contourné par la progression des formes sociétaires d’exploitation (…) Le moment est venu pour l’État de prendre la mesure des conséquences de la progression des transactions portant sur des parts de sociétés agricoles » ([20]).

Pour renforcer les moyens d’action des SAFER, la loi relative à la lutte contre l’accaparement des terres agricoles du 20 mars 2017 visait à instaurer une plus grande transparence dans l’achat de terres par des sociétés et à étendre le droit de préemption des SAFER aux parts sociales ou aux actions en cas de cession partielle. Cette dernière disposition a été censurée par le Conseil constitutionnel dans une décision n° 2017‑748 DC du 16 mars 2017, mettant en lumière que l’intervention par préemption sur le marché des cessions de titres sociaux portant sur des sociétés agricoles ne permettait pas de remplir l’objectif d’installation.

Aujourd’hui, l’adaptation des outils de régulation ne peut plus attendre. Elle est devenue indispensable pour tendre vers davantage de transparence (connaissance de tous les marchés) et pour renforcer le contrôle du marché sociétaire. L’objectif est de favoriser l’installation des agriculteurs, de renouveler les générations agricoles et de lutter contre la disparition des agriculteurs au profit de schémas de production contrôlés par des firmes ou réalisés via des contrats d’agriculture déléguée.

Assurer la transparence des opérations sociétaires, contrôler pour maitriser les excès et surtout orienter le foncier vers les projets les plus conformes aux orientations politiques, professionnelles et territoriales : tel est l’enjeu de la régulation, au service de l’intérêt général et de la vitalité des territoires. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Elle entend mettre un place un outil adapté, à la main des territoires, au service d’un double objectif :

– lutter contre la concentration excessive des exploitations et l’accaparement des terres agricoles, en contrôlant les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés à l’origine de ces deux situations, mais uniquement si l’opération confère au cessionnaire le contrôle de ladite société  ;

– agir pour l’installation et la consolidation des exploitations existantes grâce à un mécanisme d’incitation à vendre ou à donner à bail rural long terme une surface compensatoire au profit d’un agriculteur (libération et orientation du foncier).

Ce dispositif, placé sous l’autorité de l’État, avec le concours des SAFER pour l’instruction des dossiers, s’appuie sur les propositions des acteurs du monde agricole mais aussi les différents rapports institutionnels émis sur le sujet ([21]). Élaborée également dans le but de respecter les exigences constitutionnelles et européennes applicables aux surfaces agricoles, cette proposition de loi porte un dispositif proportionné au regard de la nature sensible du bien protégé.

Cette proposition de loi comporte six articles, répartis dans deux titres :

Un titre Ier intitulé « Contrôle du marché sociétaire » comprend un article unique.

L’objectif est de contrôler les agrandissements objectivement excessifs opérés sous couvert d’un cadre sociétaire. Il repose sur un rapport de proportionnalité entre, d’une part, la sauvegarde d’un modèle d’agriculture qui postule de faciliter l’arrivée de nouveaux exploitants et la consolidation des exploitations agricoles existantes, et, d’autre part, la liberté d’entreprendre des opérateurs du secteur agricole et le droit de propriété.

Ce dispositif ([22]) instaure un contrôle administratif des prises de participation sociétaires au profit d’un bénéficiaire (peu importe sa qualité : exploitant ou non  ; personne physique ou morale) qui dépasse un seuil d’agrandissement considéré comme excessif. Fondé sur un champ d’application distinct, il complète le contrôle des structures qui ne couvre que l’exploitation. Il ne s’agit pas d’opposer un refus automatique à toutes opérations qui dépasseraient ce seuil.

L’article 1er introduit ainsi un nouveau chapitre au titre III dans le livre III du titre III du code rural et de la pêche maritime, visant à soumettre à autorisation administrative les cessions de titres sociaux portant sur des sociétés détenant ou exploitant des terres agricoles, uniquement si l’opération confère le contrôle de ladite société au cessionnaire et qu’il répond aux critères fixés localement de concentration excessive ou d’accaparement de terres (seuil objectif de surface). Ce nouvel outil est attaché à contrôler l’excès, recherché en regardant le bénéficiaire de l’opération et non la société elle‑même.

En visant les mouvements de capitaux intra sociétaires et les holdings, le dispositif se pare contre l’éventualité de tout détournement.

L’article prévoit également d’exempter toutes les opérations accomplies par les SAFER dans le cadre de leurs missions d’intérêt général (dès lors qu’elles s’exercent dans un cadre défini et sont déjà contrôlées mais aussi validées par l’administration), et les cessions réalisées à titre gratuit.

Une procédure est déclinée et renvoie à un décret en Conseil d’État le soin de fixer les délais et modalités d’application du dispositif. En ce sens, la demande d’autorisation sera fusionnée avec l’obligation déclarative préalable (DIA) à accomplir auprès des SAFER et déjà en vigueur, ce qui permet aussi légitimement ([23]) de leur confier l’instruction des demandes, conformément aux préconisations de toutes les études existantes sur le sujet (citées en exposé) mais aussi dans le respect de la volonté des organismes professionnels agricoles. La SAFER agit au nom et pour le compte de l’autorité administrative, laquelle reste toujours seule compétente pour statuer sur la demande d’autorisation.

La situation d’excès (accaparement ou concentration excessive) peut conduire à un refus d’autorisation opposé par l’autorité préfectorale, pris après avis simple formulé par le comité technique départemental de la SAFER dans lequel siègent tous les acteurs de la profession agricole, ce qui inclut la diversité syndicale et des représentants des partenaires du monde agricole. Néanmoins, malgré cet excès et, au cas par cas, à l’appréciation de la SAFER et de l’autorité préfectorale :

– la demande peut être autorisée si l’opération ne porte pas une atteinte caractérisée à l’installation d’agriculteurs, à la consolidation d’exploitation et à la vitalité du territoire  ;

– le cessionnaire pourra consentir à libérer une surface compensatoire, par vente ou bail rural long terme soumis au statut du fermage, au profit d’un agriculteur en phase d’installation ou de consolidation. Ce type d’engagement sera pris par l’intermédiaire de la SAFER, afin de pouvoir assortir les actes qui en découleront d’un cahier des charges d’une durée pouvant aller de 10 à 30 ans, avec pour objectif de sécuriser l’opération a posteriori.

Dans tous les cas, l’autorité préfectorale reste seule décisionnaire, l’avis rendu par la SAFER ne la liant pas. Elle peut, par décision motivée, soit autoriser sans condition l’opération notifiée, soit autoriser celle‑ci en subordonnant sa décision à la réalisation effective des engagements pris par les parties, soit refuser l’autorisation en l’absence d’engagement ou si ceux‑ci sont manifestement insuffisants ou inadaptés aux objectifs poursuivis par le présent dispositif.

Des sanctions sont aménagées en cas de non‑respect du dispositif et une articulation avec le contrôle des structures est prévue, pour éviter de faire peser un double contrôle administratif sur le demandeur.

Ce dispositif permettra ainsi de contrôler l’excès de détention ou d’exploitation de terres agricoles, en veillant au respect des prix du marché foncier local, tout en provoquant une libération de foncier afin de relancer l’installation d’agriculteurs et d’agir pour la consolidation des exploitations agricoles existantes.

Un titre II intitulé « Dispositions diverses d’adaptation » qui comprend cinq articles.

L’article 2 adapte, par mesure de coordination, le champ de l’obligation déclarative sur laquelle repose le présent dispositif. Il précise également, par mesure de clarification, la possibilité pour les SAFER de réaliser des opérations portant sur des actions ou des parts de société en utilisant le mécanisme de la substitution ([24]) et d’imposer un cahier des charges (le texte renvoie à un décret le soin d’en préciser le contenu, notamment les engagements du bénéficiaire de l’opération).

L’article 3 met en cohérence le dispositif relatif à l’obligation déclarative à réaliser auprès des SAFER avec l’actuel régime de transparence. Il entend notamment généraliser le traitement dématérialisé des déclarations à réaliser auprès des SAFER.

L’article 4 vise à permettre un accès au registre des bénéficiaires effectifs à l’autorité administrative chargée du contrôle des mouvements de parts de sociétés et aux Commissaires du Gouvernement auprès des SAFER chargées d’instruire les dossiers au nom et pour le compte de l’autorité administrative.

L’article 5 a pour but, dans un souci d’équité, d’adapter les outils de contrôle de l’accès au foncier agricole, en ouvrant à l’autorité préfectorale la possibilité de refuser une autorisation d’exploiter dès lors qu’elle est contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations du schéma directeur régional des structures agricoles.

L’article 6 gage les dépenses qui pourraient résulter pour les collectivités territoriales et pour l’État de l’application de la présente proposition de loi.

L’ambition de ce texte est donc de mettre en œuvre des mesures d’urgence, applicables rapidement, pour garantir la régulation du marché sociétaire et faciliter l’accès au foncier agricole dans des conditions transparentes et équitables.

Si ces mesures ne prétendent pas à l’exhaustivité, elles constituent le premier volet d’une réforme foncière plus globale.


proposition de loi

TITRE Ier

Contrôle du marché sociétaire

Article 1er

Le titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime est complété par un chapitre III ainsi rédigé :

« Chapitre III

« Contrôle des sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole

« Art. L. 3331. – Le présent dispositif vise à favoriser l’installation d’agriculteurs, la consolidation d’exploitations et le renouvellement des générations agricoles, en luttant contre la concentration excessive des terres et l’accaparement, qui se traduisent par l’exploitation ou la possession de terres au delà du seuil d’agrandissement excessif tel que défini au deuxième alinéa. Il contribue à la souveraineté alimentaire de la France et tend à faciliter l’accès au foncier notamment en contrôlant le respect des prix du marché foncier local.

« Pour l’application du présent dispositif, le seuil d’agrandissement excessif est fixé par le préfet de région en hectares, par région naturelle ou par territoire présentant une cohérence en matière agricole, dans des conditions prévues par décret. Il est compris entre une fois et trois fois la surface agricole utile régionale moyenne fixée dans le schéma directeur régional des exploitations agricoles au titre du II de l’article L. 312‑1.

« Art. L. 3332. – I. – La prise de contrôle d’une société possédant ou exploitant des immeubles à usage ou à vocation agricole au sens de l’article L. 143‑1, réalisée par une personne physique ou morale qui détient déjà, directement ou indirectement, en propriété ou en jouissance, des immeubles de même nature dont la superficie totale excède le seuil d’agrandissement excessif défini à l’article L. 333‑1 ou qui, une fois réalisée la prise de contrôle, détiendrait une superficie excédant ce seuil, est soumise à l’autorisation préalable de l’autorité administrative.

« Le seuil d’agrandissement excessif, au delà duquel l’opération est soumise à autorisation, s’apprécie en additionnant toutes les superficies à usage ou à vocation agricole, toutes productions confondues, que le bénéficiaire exploite ou possède, directement ou indirectement par une ou plusieurs personnes morales interposées dont il a le contrôle au sens du II. Il est tenu compte des équivalences fixées par le schéma directeur régional des exploitations agricoles.

« Est prise en compte la totalité des superficies sans égard pour le régime matrimonial du bénéficiaire de l’opération, ou notamment le fait qu’il ne détienne que des droits indivis ou démembrés sur les immeubles objets du calcul.

« II. – Constitue une prise de contrôle la prise de participation par acquisition de titres sociaux qui confère :

« 1° Au cessionnaire personne physique le statut de bénéficiaire effectif de la société au sens du 1° de l’article L. 561‑2‑2 du code monétaire et financier ;

« 2° À une personne physique ou morale, agissant directement ou par l’interposition d’une personne morale acquéreur, le contrôle de la société au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce ;

« Le présent dispositif s’applique également :

« 1° À toute modification de la répartition du capital social aboutissant à transférer le contrôle de la société décrite au I du présent article au profit d’un nouveau bénéficiaire, associé ou non, remplissant les conditions du même I ;

« 2° À toute prise de participation complémentaire réalisée par un cessionnaire ayant déjà le statut de bénéficiaire effectif dans la société ou détenant déjà le contrôle de celle‑ci ;

« 3° À toute prise de participation complémentaire réalisée par un cessionnaire personne morale ayant pour effet de renforcer les droits d’un tiers agissant par son interposition et qui exerce déjà le contrôle de la société décrite audit I ;

« 3° À la prise de contrôle d’une société qui détient, directement ou indirectement, des titres sociaux dans une autre société réunissant les critères fixés au même I.

« III. – Sont exemptées du présent dispositif :

« 1° Les opérations d’acquisition et de rétrocession, par cession ou substitution, réalisées par les sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural à l’amiable dans le cadre de leurs missions légales ou par l’exercice de leur droit de préemption en application des articles L. 143‑1 à L. 143‑16. Ces opérations sont réalisées avec l’accord préalable des commissaires du Gouvernement lorsqu’il est requis par les textes qui régissent ces sociétés ;

« 2° Les opérations réalisées à titre gratuit.

« IV. – Est nulle toute opération réalisée en violation du présent dispositif. L’action en nullité peut être exercée par l’autorité administrative ou par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural à laquelle la notification mentionnée au premier alinéa de l’article L. 333‑3 devait être adressée. Elle se prescrit par cinq ans à compter du jour où cette opération est portée à la connaissance à l’auteur de l’action.

« Art. L. 3333. – I. – La demande d’autorisation est présentée à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural avec l’information prévue à l’article L. 141‑1‑1. Après avoir vérifié la régularité et le caractère complet de la demande, ladite société la transmet à l’autorité administrative et en accuse réception au demandeur.

« Dans un délai fixé par décret, la société d’aménagement foncier et d’établissement rural instruit au nom et pour le compte de l’autorité administrative la demande aux fins de déterminer si l’opération notifiée est susceptible :

« 1° De contribuer au développement du territoire ou à la diversité de ses systèmes de production au regard notamment des emplois créés et des performances économique, sociale et environnementale qu’elle présente ;

« 2° De porter atteinte aux objectifs du dispositif définis à l’article L. 333‑1, appréciés à l’échelle du territoire agricole pertinent, au regard notamment des caractéristiques des exploitations présentes et de l’agriculture développée, ainsi que des demandes d’installation en attente ou des besoins exprimés de consolidation des agriculteurs en place.

« II. – Si la société d’aménagement foncier et d’établissement rural détermine que l’opération s’inscrit dans le 1° du I du présent article ou que la contribution évoquée au même 1° du I l’emporte sur l’atteinte évoquée au 2° du I, elle en informe l’autorité administrative compétente pour délivrer l’autorisation. À défaut d’autorisation expresse, l’opération est réputée autorisée dans le silence gardé par l’autorité administrative à l’expiration d’un délai fixé par décret.

« III. – Si, en revanche, l’autorité administrative ou la société d’aménagement foncier et d’établissement rural détermine que l’opération s’inscrit dans le 2° du I ou que l’atteinte évoquée au 2° du I l’emporte sur la contribution évoquée au 1° du I, cette société en informe le demandeur dans un délai fixé par décret et lui fait connaître les motifs qui s’opposent, en l’état, au vu des éléments du dossier et des critères prévus au I, à la réalisation de l’opération telle que notifiée.

« IV. – En vue d’obtenir l’autorisation mentionnée à l’article L. 333‑2, la société objet de la prise de contrôle ou le bénéficiaire de cette prise de contrôle peut proposer, dans un délai fixé par décret, des mesures de nature à remédier aux effets de l’opération notifiée en s’engageant, par la conclusion au bénéfice de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural d’une promesse de vente ou de location, avec faculté de substitution, assortie d’un cahier des charges :

« 1° À vendre ou à donner à bail rural long terme prioritairement à un agriculteur réalisant une installation en bénéficiant des aides à l’installation des jeunes agriculteurs ou, à défaut, à un agriculteur réalisant une installation ou ayant besoin de se consolider, une surface lui permettant d’atteindre le seuil de viabilité économique tel que fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l’article L. 312‑1 ;

« 2° À libérer prioritairement au profit d’un agriculteur réalisant une installation en bénéficiant des aides à l’installation des jeunes agriculteurs ou, à défaut, à un agriculteur réalisant une installation ou ayant besoin de se consolider, une surface lui permettant d’atteindre le seuil de viabilité économique tel que fixé par le schéma directeur régional des exploitations agricoles en application du II de l’article L. 312‑1, en résiliant à due concurrence le titre de jouissance dont il dispose, et si le propriétaire des immeubles en question s’engage à les vendre ou les donner à bail rural long terme audit agriculteur s’installant ou ayant besoin de se consolider.

« V. – Après avoir pris connaissance des propositions faites par les parties en application du IV et de l’avis de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural, l’autorité administrative peut, par décision motivée, soit autoriser sans condition l’opération notifiée, soit autoriser celle‑ci en subordonnant son autorisation à la réalisation effective des engagements pris par les parties, soit refuser l’autorisation en l’absence d’engagement ou si ceux‑ci sont manifestement insuffisants ou inadaptés aux objectifs poursuivis par le présent dispositif au regard notamment des motifs mentionnés au III. L’opération est réputée autorisée dans le silence gardé par l’autorité administrative à l’expiration d’un délai fixé par décret.

« Si l’autorisation délivrée est subordonnée à des engagements pris, ceux‑ci doivent être réalisés dans les six mois suivant la date à laquelle le demandeur a reçu l’autorisation administrative. Avec l’accord exprès de celle‑ci délivré au vu de circonstances particulières justifiées par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural titulaire d’une promesse de vente ou de bail, ce délai peut être prorogé de six mois supplémentaires. Le non‑respect des engagements pris dans le délai imparti, dû à la défaillance du titulaire de l’autorisation administrative conditionnelle, entraîne la nullité de l’autorisation et, partant, de la prise de participation.

« Sauf force majeure, absence de faute de la part du souscripteur ou dérogation accordée par la société d’aménagement foncier et d’établissement rural, en cas de non‑respect du cahier des charges, l’autorité administrative peut, d’office ou à la demande de toute personne y ayant intérêt, prononcer une amende administrative, égale au moins au montant fixé à l’article 131‑13 du code pénal pour les contraventions de la cinquième classe et au plus à 2 % du montant de la transaction concernée. Les frais résultant des mesures nécessaires à l’exécution des sanctions précitées sont à la charge du contrevenant.

« VI. – La décision de refus d’autorisation peut faire l’objet d’un recours de pleine juridiction devant la juridiction administrative.

« Art. L 3334. – Si l’opération entrant dans le champ d’application du présent chapitre est également soumise à l’obtention d’une autorisation d’exploiter au titre du chapitre Ier du présent titre, l’autorisation délivrée au titre du présent dispositif tient lieu de cette autorisation. Les opérations qui n’entrent pas dans le champ d’application du présent chapitre demeurent soumises en tant que de besoin à une autorisation préalable d’exploiter en application des articles L. 331‑1 à L. 331‑11.

« Art. L 3335. – Les conditions d’application du présent chapitre sont fixées par décret en Conseil d’État. ».

TITRE II

DISPOSITIONS DIVERSES D’ADAPTATION

Article 2

L’article L. 141‑1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le II est ainsi modifié :

a) Au 2°, après la référence : « 1° », sont insérés les mots : « et au 3° » ;

b) Au 3°, les mots : « ayant pour objet principal l’exploitation ou la propriété agricole » sont remplacés par les mots : « détenant en propriété ou en jouissance des biens immobiliers à usage ou à vocation agricole ou détenant des droits sur de telles sociétés, » ;

2° Le 1° du III est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les engagements du cahier des charges portant sur les actions ou parts mentionnées au 3° du II, qui constituent la contrepartie de l’avantage fiscal prévu aux articles 1028 à 1028 ter du code général des impôts, sont définis par décret en Conseil d’État. »

Article 3

I. – L’article L. 141‑1‑1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi modifié :

1° Le I est ainsi modifié :

a) À la première phrase, après le mot : « cédant », sont insérés les mots : « ou le cessionnaire » ;

b) Sont ajoutées trois phrases ainsi rédigées : « Elle vaut aussi pour toutes opérations emportant augmentation ou réduction de capital d’une société mentionnée au 3° du II de l’article L. 141‑1. La formalité est dans ce cas accomplie par le gérant de la société. Pour les opérations sociétaires, l’obligation d’information doit être satisfaite auprès de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural du lieu du siège social de la société concernée ou, si le siège est situé hors du territoire de la République française, auprès de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural du lieu du siège d’exploitation ou du lieu où se trouve la plus grande superficie de terres détenues ou exploitées par la société. » ;

2° Il est complété par un IV ainsi rédigé :

« IV. – Le notaire transmet à la société d’aménagement foncier et d’établissement rural les informations liées à l’obligation déclarative, sous forme électronique dans les conditions prévues aux articles 1366 et 1367 du code civil et selon les modalités techniques convenues par convention entre le conseil supérieur du notariat et la fédération nationale des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural. Au cas où les opérations prévues au I interviennent sans le concours d’un notaire, la transmission des informations est réalisée uniquement par voie de télé‑déclaration, sur le site internet de la société d’aménagement foncier et d’établissement rural. » 

II. – Les dispositions prévues au 2° du I entrent en vigueur à une date fixée par décret et au plus tard dans les douze mois suivant la publication de la présente loi.

Article 4

Le 2° de l’article L. 561‑46 du code monétaire et financier est complété par des g et h ainsi rédigés :

« g) Les agents de l’autorité administrative chargée du contrôle des mouvements de parts de sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole au titre du chapitre III du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime ;

« h) Les commissaires du Gouvernement auprès des sociétés d’aménagement foncier et d’établissement rural chargées d’instruire les notifications et de donner un avis à l’autorité administrative dans le cadre du contrôle des mouvements de parts de sociétés possédant ou exploitant du foncier agricole au titre du chapitre III du titre III du livre III du code rural et de la pêche maritime ».

Article 5

Après la référence : « L. 312‑1, » la fin du 3° de l’article L. 331‑3‑1 du code rural et de la pêche maritime est ainsi rédigée : « et qu’elle est contraire aux objectifs du contrôle des structures ou aux orientations de ce schéma. »

Article 6

La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) Communication interprétative de la Commission sur l’acquisition de terres agricoles et le droit de l’Union européenne (2017/C 350/05), JOUE 18 octobre 2017.

([2]) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 1460, 5 décembre 2018, p. 15 et suivantes.

([3]) La surface agricole n’est disponible qu’en quantité limitée et se réduit sous l’effet de la demande de terres en vue d’autres usages (urbanisation, infrastructures...) ; la superficie agricole utilisée (SAU) continue de décroître : estimée en 2018 à 28,64 millions d’hectares, elle représentait alors 52 % de la surface du territoire, contre 54 % en 2000 et 63 % en 1950 (Source : Agreste, statistique agricole annuelle 2019). Entre 2010 et 2018, 282 000 hectares de terres agricoles ont été perdus, soit en moyenne 35 000 hectares par an, soit près de 100 hectares par jour ou l’équivalent de presque deux exploitations agricoles par jour, puisqu’une exploitation dispose en moyenne de 63 hectares (Source : Agreste Primeur n° 350, « En 2016, des exploitations moins nombreuses mais plus grandes Enquête sur la structure des exploitations agricoles en 2016 », juin 2018).

([4]) Insee, enquêtes Emploi, séries longues sur le marché du travail, publiée le 23 octobre 2020, https ://www.insee.fr/fr/statistiques/4806717#consulter

([5]) Agreste, recensement agricole 2010 et enquête structure 2016.

([6]) Tendil Michel, « Accaparement des terres : "La vitalité des territoires ruraux est en péril" », Localtis Banque des territoires, 31 mai 2018, https ://www.banquedesterritoires.fr/accaparementdesterreslavitalitedesterritoiresrurauxestenperil

([7]) Synthèse de l’intervention de Mme Anne‑Françoise Mélot, Chef d’unité à la DG Fisma de la Commission européenne, à l’AG de l’AEIAR, 17 mai 2018 (Montpellier).

([8]) La régulation foncière permet de « moraliser le marché », pour ne pas accroître les écarts entre les différents modèles d’exploitation, sans empêcher le développement économique des entreprises agricoles. L. Piet, INRA.

([9]) Loi n° 60‑808 du 5 août 1960 d’orientation agricole.

([10]) Voir sur ce point, l’appréciation de la CEDH dans l’affaire Gauchin c/France, n° 7801/03 du 19 juin 2018, paragraphe 61 ; voir aussi : CEDH, 13 novembre 2008, Beaubatie c/France, n° 16294/04). À noter qu’au niveau européen, la Commission européenne entend également « soutenir le modèle agricole familial dans toutes les régions de l’UE » et « veiller à ce que l’aide soit prioritairement accordée aux véritables agriculteurs, en concentrant les efforts sur ceux qui exercent cette activité pour gagner leur vie » (communication du 29 novembre 2017). Au niveau international, en 2014, dans le cadre de la proclamation par l’Organisation des Nations Unies (ONU) de l’Année internationale de l’agriculture familiale, la FAO a aussi soutenu « l’élaboration de politiques agricoles, environnementales et sociales favorables à une agriculture familiale durable ».

([11]) Conférence de presse de la FNSAFER du 23 mai 2019 sur les marchés fonciers ruraux 2018.

([12]) Purseigle François, Nguyen Geneviève, Blanc Pierre, « Le nouveau capitalisme agricole. De la ferme à la firme », Presses de Sciences Po, 2017.

([13]) Cour des comptesRéféré S20201368,

https ://www.ccomptes.fr/system/files/202011/20201110refereS20201368levierspolitiquefonciereagricole.pdf ; Lenormand Anne, « Artificialisation des sols : la Cour des comptes rappelle l’urgence d’une « véritable politique foncière agricole » » [en ligne], Localtis Banque des territoires, 17 novembre 2020,

https ://www.banquedesterritoires.fr/artificialisationdessolslacourdescomptesrappellelurgenceduneveritablepolitiquefonciere

([14]) Pour des montages sociétaires qui ont fait grand bruit en 2016 et 2017, avec notamment l’affaire dite des Chinois, relative à l’acquisition, par la société Hongyang, basée à Hong‑Kong, de 1 700 hectares de terres dans l’Indre et de 900 hectares dans l’Allier ; Assemblée nationale, Rapport d’information n° 1460, p. 103). En effet, selon les auteurs du rapport n° 16070 précité du CGAAER d’avril 2017 (p. 28), les investissements étrangers en France concernent moins de 1 % des transactions. La fédération nationale des SAFER relève en mai 2019 (Les marchés fonciers ruraux – Synthèse 2019, p. 5) que les étrangers réalisent 86 acquisitions pour 327 millions d’euros. Le niveau atteint en valeur s’explique par quelques transactions exceptionnelles. L’origine des acquéreurs est majoritairement européenne (76 % en nombre), puis viennent ceux originaires d’Amérique du Nord (10 %).

([15]) Réponse du ministre de l’agriculture à la question écrite n° 8241, publiée dans le JO AN du 3 juillet 2018, page 5782.

([16]) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 1460 précité, p. 111.

([17]) Réponse du ministre de l’agriculture à la question écrite n° 06300, publiée dans le JO Sénat du 20 septembre 2018, page 4784.

([18]) Réponse du ministre de l’agriculture à la question écrite n° 21138, publiée dans le JO AN du 30 juillet 2019, page 7132.

([19]) Ces participants représentaient toute la profession agricole : ses syndicats (FNSEA et JA, Confédération paysanne, Coordination rurale, MODEF) ; ses organisations (APCA, FNSAFER, Fédération nationale d’Agriculture bio) ; mais aussi les collectivités locales (associations des Régions et des communes de France) et les ONG (France Nature Environnement, CCFD‑Terres Solidaires, Terres de liens, LPO, Parcs naturels régionaux), etc.

([20]) Cour des comptesRéféré S20201368,

https ://www.ccomptes.fr/system/files/202011/20201110refereS20201368levierspolitiquefonciereagricole.pdf 

([21]) Assemblée nationale, Rapport d’information n° 1460, 5 décembre 2018 ; CESE, avis du 24 janvier 2018 ; Mission « Agenda rural », Rapport « Ruralités : une ambition à partager », 26 juillet 2019.

([22]) Inspiré de celui mis en place pour l’Autorité de la concurrence dans le cadre du « contrôle des concentrations économiques » : V, par exemple, les articles L. 430‑1 et suivants et, dans le secteur particulier, l’article L. 462‑10 du code de commerce.

([23]) En tant qu’organismes privés, sans but lucratif, les SAFER ont été reconnues par le Conseil d’État comme un organisme chargé, sous le contrôle de l’administration, de la « gestion d’un service public » administratif (CE, 20 novembre 1995, Borel, n° 147026, aux Tables p. 795) et par la Cour de cassation comme un organisme à qui l’État a confié une « mission d’intérêt public » (Cass. Civ., 3ème, 21 novembre 1985, n° 84‑93133, Bull. 1985, n° 370) ou une « mission d’intérêt général » (Cass. Civ., 3ème, 3 avril 2014, n° 14‑40006, Bull. 2014, III, n° 46).

([24]) Il existe au profit des SAFER une faculté de substitution permettant à cette société d’attribuer à une ou plusieurs personnes les droits conférés par une promesse de vente qui lui est consentie portant sur des « biens ruraux, des terres et des exploitations agricoles ou forestières ». Il s’agit d’un mécanisme d’ordre public, spécifique au droit rural, aux contours légalement définis. La substitution est un moyen de transmission d’un bien immobilier, permettant de supprimer un deuxième acte de mutation, c’est‑à‑dire en évitant de « titrer » la SAFER avant que celle‑ci ne procède à la rétrocession du bien. L’attributaire devient, par l’intervention de la SAFER, directement le propriétaire du bien sans que celui‑ci soit entré dans le stock foncier de la SAFER. Le législateur a prévu ce dispositif en vue de diminuer le coût du portage des opérations et, partant, d’alléger les frais d’intervention dans les dossiers ne nécessitant pas un stockage temporaire des biens. La substitution est soumise à la même procédure qu’une rétrocession ordinaire (avis d’appel à candidatures, passage pour avis en comité technique départemental, demande d’autorisation auprès des commissaires du Gouvernement, publicité de la décision de rétrocession). Elle n’exonère pas la SAFER de son obligation de motivation des décisions de rétrocession. Elle n’exonère pas l’attributaire du respect d’un cahier des charges. Il est proposé dans cette proposition de loi de clarifier le dispositif actuel en précisant que cette faculté de substitution peut aussi porter sur des opérations d’acquisition de droits sociaux mentionnés au 3° du II de l’article L. 141‑1 du code rural et de la pêche maritime.