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N° 3918

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à la création d’une allocation d’émancipation de la jeunesse,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Aurélien TACHÉ, Mmes Émilie CARIOU, Delphine BAGARRY
et Fiona LAZAAR,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le temps de la jeunesse est rêvé comme celui de la liberté, de l’espoir et de l’émancipation. Bien loin de cet idéal, les crises que nous traversons ont mis au grand jour la réalité douloureuse de la situation d’une jeunesse qui se développe sans être reconnue et surtout sans être protégée.

Entre précarité et dépendance, c’est l’insécurité qui domine. Avant l’accès à un emploi stable, toute perspective d’avenir reste incertaine, voire illusoire. Faire des études ou non, accéder à son autonomie, s’émanciper de sa situation d’origine et de sa situation familiale : toute cela reste quasiment impossible. Nous le savons, les précarités de la jeunesse laissent des stigmates à long terme pour l’insertion professionnelle et sociale.

Notre idéal universaliste républicain se heurte à la dure réalité de la reproduction sociale : selon la situation sociale de chacun, l’origine de la famille, ou le capital culturel, les horizons des possibles sont inégaux. La nécessité́ d’une reconnaissance et celle d’un statut social protecteur de la jeunesse sont d’autant plus importants en cette période de crise que les jeunes sont parmi les premiers à en subir les conséquences désastreuses.

Que signifie être jeune ? Ce qu’on appelle la jeunesse n’est pas tant un âge qu’une période tumultueuse séparant la fin de la scolarité obligatoire et l’entrée dans la « vie d’adulte », souvent avec un premier emploi stable. Si la jeunesse est hétérogène et recouvre des situations diverses, elle est liée par un besoin commun et une aspiration commune : l’émancipation vers une véritable autonomie.

Or avec un système d’aide sociale hérité d’un autre âge, illisible, inadapté et injuste reposant quasi exclusivement sur le principe de familiarisation : les réponses des pouvoirs publics ne sont pas à la hauteur.

Les aides accordées aux étudiants sont trop peu élevées, elles ne permettent pas de subvenir aux besoins (40 % des étudiants boursiers sont ainsi obligés de se salarier). Quel que soit l’échelon de bourses sur critères sociaux, ils demeurent largement en deçà du seuil de précarité. Un ensemble fragmenté d’aides existe (aides au logement, bourses sur critères sociaux, aides d’urgence, aides à l’insertion, etc.) ; ces aides sont souvent méconnues des étudiants et font l’objet ni d’un versement automatique, ni d’un guichet unique ; laissant de côté les plus exclus.

Ce système d’aides sociales repose entièrement sur la familiarisation. Cette perspective paternaliste ne considère par les jeunes comme des sujets de droit mais comme des ayants droit rattachés à leurs parents. C’est ce qui explique notamment que, sur la dizaine de minima sociaux existants, si peu soient accessibles aux jeunes. À titre d’exemple, le RSA n’est pas accessible aux moins de 25 ans tandis que l’ouverture du « RSA jeunes » reste exceptionnelle – n’offrant dès lors aucune réponse durable contre la précarité des jeunes.

Le statut de la sécurité sociale est celui d’un ayant droit. Les bourses sur critères sociaux sont pensées pour soulager les familles d’une partie du poids financier des études supérieures. Elles ne sont pas un moyen d’accéder à l’autonomie, comme l’illustre le fait qu’elles soient calculées selon le revenu des parents. Par ailleurs, elles sont souvent calculées selon les revenus des parents des années n‑1 ou n‑2, rendant ainsi les étudiants vulnérables aux changements économiques de la situation familiale (chômage, divorce, etc.). La crise que nous traversons, sanitaire, économique, mais aussi sociale – ne l’oublions pas –, révèle, chaque jour un peu plus, un système obsolète. En septembre dernier, un rapport de l’observatoire de la vie étudiante constatait que près de 36 % des étudiants salariés ont perdu leurs emplois lors du premier confinement – soit une diminution de 274 € par mois et par étudiant. Sans ressources, ces étudiants vivent désormais de l’aide alimentaire.

Alors que l’âge moyen de l’emploi stable se situe entre 27 et 28 ans et que la moitié des pauvres ont moins de 30 ans, les jeunes dépendent essentiellement de leurs familles et des petits boulots précaires. Faute de ressources, ils sont de plus en plus nombreux à arrêter leur formation. En l’absence d’un système social efficace à destination des jeunes, nombreux sont ceux qui dépendent de facto du financement de leurs études par les ressources familiales. Ainsi, d’après le Conseil d’orientation des politiques de jeunesse, parmi les enfants de cadres et de professions libérales, 96 % des étudiants perçoivent une aide familiale – d’un montant moyen de 450 euros par mois –, là où les enfants d’ouvriers ne sont que 83 % à percevoir une aide familiale – pour un montant moyen de 220 euros par mois. Il faut stopper cette hémorragie et donner aux jeunes les moyens de construire leur vie en autonomie.

L’autonomie c’est tout d’abord donner les moyens financiers à chacun d’agir sur sa propre existence indépendamment de sa famille et de son milieu social.  Mais la volonté d’autonomie n’est pas liée à la seule notion d’émancipation vis‑à‑vis de sa famille. C’est aussi être majeur socialement, et faire ses propres choix de vie.

Aussi afin de lutter contre les inégalités fondées sur l’origine socio‑économique des jeunes et pour garantir l’accès à l’autonomie de tous, la présente proposition de loi crée une allocation d’émancipation de la jeunesse accorde à toute personne majeure ou mineure émancipée et âgée de moins de vingt‑huit ans. L’allocation d’émancipation de la jeunesse ayant vocation à lutter contre le risque de pauvreté, son montant ne peut être inférieur au seuil de pauvreté monétaire fixé à 50 % du niveau de vie médian de la population et ne se substitue pas au bénéfice des autres prestations auxquelles sont éligibles ses bénéficiaires.

L’article 1er crée une nouvelle allocation pour la jeunesse. Il ajoute les articles suivants au code de l’éducation :

– un article L. 821‑11 créant une nouvelle allocation pour les jeunes qui ont entre 18 et 28 ans : l’allocation d’émancipation de la jeunesse (alinéa 1). Cette allocation n’est pas exclusive d’autres aides (alinéa 2) ;

– un article L. 821‑12 fixant le montant de l’allocation d’émancipation de la jeunesse au niveau du seuil de pauvreté – défini à 50 % du niveau de vie médian de la population. Ce montant fait l’objet d’une réévaluation annuelle ;

– un article L. 821‑13 précisant que l’allocation d’émancipation de la jeunesse ne se substitue pas à aucune prestation existante (alinéa 1). Au‑dessus d’un certain niveau de ressources, le montant versé au titre de l’allocation d’émancipation de la jeunesse est dégressif (alinéa 2). Le montant versé au titre de l’allocation d’émancipation de la jeunesse ne peut être dégressif tant que le niveau de ressources des bénéficiaires n’est pas égal ou supérieur au seuil de pauvreté (alinéa 3). Les ressources prises en compte et les modalités de calcul de la dégressivité sont fixées par un décret pris en Conseil d’État (alinéa 4).

En vue d’assurer la recevabilité de la proposition de loi au regard de l’article 40 de la Constitution, l’article 2 gage le financement du dispositif présenté précédemment par la création de taxes additionnelles aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code des impôts.


proposition de loi

Chapitre IER

De la création d’une allocation d’émancipation de la jeunesse

Article 1er

Après le chapitre Ier du titre II du livre VIII de la troisième partie du code de l’éducation, il est inséré un chapitre Ier bis ainsi rédigé :

« Chapitre Ier bis

« Allocation d’émancipation de la jeunesse

« Art. L. 82111. – La collectivité nationale accorde à toute personne majeure ou mineure émancipée et âgée de moins de vingt‑huit ans, résidant en France de manière stable et effective, une allocation d’émancipation de la jeunesse, dispensée notamment par le réseau des œuvres universitaires mentionné à l’article L. 822‑1. Le versement de cette allocation est conditionné, pour ses bénéficiaires, soit au suivi d’une formation, soit à l’exercice, même partiel, d’une activité professionnelle, au cours des deux dernières années.

« Sans préjudice du premier alinéa, les collectivités territoriales et toutes personnes morales de droit public ou privé peuvent instituer des aides spécifiques.

« Art. L. 82112. – Le montant de l’allocation d’émancipation de la jeunesse ne peut être inférieur au seuil de pauvreté monétaire fixé à 50 % du niveau de vie médian de la population. Il fait l’objet d’une réévaluation annuelle sur la base des dernières données statistiques publiées par l’Institut national de la statistique et des études économiques.

« Art. L. 82113. – L’allocation d’émancipation de la jeunesse ne se substitue pas au bénéfice des autres prestations auxquelles sont éligibles ses bénéficiaires.

« Au‑dessus d’un certain niveau de ressources perçu par les bénéficiaires, le montant versé au titre de l’allocation d’émancipation de la jeunesse est dégressif.

« L’allocation d’émancipation de la jeunesse ayant vocation à lutter contre le risque de pauvreté, le niveau de ressources, au‑dessus duquel le montant versé au titre de l’allocation d’émancipation de la jeunesse est dégressif, ne peut être inférieur au seuil de pauvreté monétaire fixé à 50 % du niveau de vie médian de la population et calculé selon les modalités prévues au premier alinéa de l’article L. 821‑12.

« Sous réserve des trois premiers alinéas du présent article, les ressources prises en compte et les modalités de calcul du niveau de ressources, au‑dessus duquel le montant versé au titre de l’allocation d’émancipation de la jeunesse est dégressif, sont définies par décret en Conseil d’État. »

Chapitre II

Des autres dispositions relatives à l’allocation d’émancipation
de la jeunesse

Article 2

I. – Les charges pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charges pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et , corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits sur les tabacs prévus par les articles 575 et 575 A du code général des impôts.