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N° 3919

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à la responsabilité civile des entreprises : pour une plus grande effectivité de la responsabilité sociale des entreprises,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Philippe LATOMBE, JeanPierre CUBERTAFON, Nadia ESSAYAN, Bruno FUCHS, Laurent GARCIA, Sandrine JOSSO, Mohamed LAQHILA, Jimmy PAHUN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’actualité met en évidence une recherche croissante de responsabilisation des grandes entreprises[1]. Ce constat appelle une prise de conscience : les réformes réalisées ces vingt dernières années au nom de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont certes la volonté d’accompagner l’émergence de nouveaux comportements positifs, mais répondent-elles suffisamment aux attentes de notre société ? Cette insatisfaction latente ne manifeste-t-elle pas un problème de méthode visant à transposer des mécanismes anglo-saxons dans une culture légaliste qui n’est pas la leur[2] ?

Les nombreux doutes entourant la juridicité de la RSE ont fait naître un mouvement appelant la création de dispositifs plus contraignants afin de réduire l’impunité des acteurs internationaux et de mieux anticiper les effets de ce corpus de textes. Paradoxalement, ces demandes ne proviennent pas seulement des organisations défendant les valeurs de la RSE. Les entreprises vertueuses souhaitent aussi que leurs efforts soient mieux reconnus et qu’elles ne soient pas confondues avec celles qui, de façon opportuniste, développent des discours cosmétiques sur la citoyenneté. Il nous appartient donc d’améliorer l’articulation entre le droit souple issu de la RSE et les textes visant à la conforter. À cette fin, il est nécessaire de poursuivre et d’aller au bout de cette logique de soutien des valeurs de la RSE par la loi, en sanctionnant leur violation au titre de l’intérêt général. L’affirmation de leur protection implique dès lors nécessairement la création d’un nouveau principe de responsabilité civile, applicable à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. Ce principe les obligerait, préventivement, de façon souple et proportionnée à leurs moyens, à anticiper les atteintes à ces valeurs. Mais il les engagerait également, plus fermement, à rendre compte d’un comportement contraire à l’intérêt général, conformément à une logique mettant en phase les responsabilités et les pouvoirs de chacun.

Sans remettre en cause les réformes réalisées, la consécration de cette nouvelle responsabilité viendrait les soutenir, en renforçant leur effectivité grâce aux vertus préventives et sanctionnatrices de cette technique juridique.

Des outils législatifs perfectibles

Ces outils sont perfectibles, car ils ont un domaine limité et une portée incertaine. La France dispose en effet de plusieurs techniques légales afin d’encourager, voire, d’imposer aux entreprises, une prise de conscience de l’impact de leurs activités sur la société. Or, ces mécanismes ont en commun de s’imposer majoritairement aux grandes sociétés. Cette restriction s’exprime également à l’égard des modifications réalisées par la loi Pacte : pour la croissance et la transformation des entreprises, dans le code civil. L’occasion a sans doute été manquée de consacrer plus largement la notion d’entreprise. Cela aurait permis d’éviter de troubler la cohérence du droit des sociétés par l’insertion de nouveaux concepts dont la portée est indéterminée, sinon incertaine, à l’instar des sanctions accompagnant l’ensemble de ces dispositifs légaux. Les doutes ainsi suscités sont tels qu’ils remettent en cause la qualité de la loi et l’habilité du législateur à édicter des principes clairs et intelligibles, conformément aux exigences constitutionnelles. Afin de conférer toute sa vigueur à la responsabilisation des entreprises, un remède consisterait à redonner son sens au mot « responsabilité », lequel implique une reddition de comptes effective, lorsqu’une personne ou une organisation porte atteinte, par son comportement, aux valeurs garanties par la loi.

La création d’un nouveau cas de responsabilité civile des entreprises

Cette consécration est justifiée par la convergence des textes du droit positif vers l’application de la responsabilité civile et la nécessaire recherche d’une plus grande attractivité de nos règles de droit.

En effet, qu’elles soient explicitement posées ou implicitement suggérées, les sanctions de la méconnaissance des textes ayant trait à la RSE tendent à engager la responsabilité civile du fautif. Puisqu’il existe une telle convergence vers l’application de cette technique juridique, le droit gagnerait en clarté en édictant un nouveau principe général visant spécifiquement les entreprises. Car notre société n’a pas seulement le souhait d’enjoindre aux entreprises ne respectant pas nos valeurs de mieux les considérer. Elle souhaite aussi que la loi assure son rôle et ait un effet coercitif à l’égard de celles qui se jouent, par d’habiles stratagèmes, de l’intérêt général. Ce nouveau cas de responsabilité n’a pas vocation à s’immiscer dans la gestion des entreprises. Il s’agit de rappeler un impératif général : celui de respecter nos lois et nos valeurs. Les entreprises les plus susceptibles d’être concernées seront alors libres de choisir leur méthode afin de se conformer à cet impératif.

Afin de l’affirmer, ce nouveau texte pourrait être inséré à la suite des cas de responsabilité généraux présents dans le code civil.

Tel est l’objet de cette proposition de loi à travers un article unique qui prévoit que :

« Toute entreprise qui, du fait de son activité économique, porte atteinte aux lois et aux bonnes mœurs, est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

En présence d’un élément d’extranéité, le demandeur peut saisir la juridiction compétente du pays où est survenu le dommage ou son fait générateur. »

La présente proposition permettrait à la loi de reconnaître, pour la première fois, l’entreprise en tant que structure économique. La grande flexibilité de ce concept a pour avantage d’englober de nombreuses organisations, allant de l’entreprise individuelle aux groupes internationaux, sans que la loi ait à définir précisément les relations de droit ou de fait unissant les différentes entités. Dans ce contexte international, le second alinéa offrirait aux victimes le choix d’exercer leur action auprès de nos juridictions nationales dès lors que serait prouvée l’existence d’une faute commise par l’entreprise incriminée, cette faute se définissant comme une atteinte aux lois ou aux bonnes mœurs réalisée par l’exercice de l’activité économique en cause. La nécessité de prouver cette contrariété peut sembler inutile mais elle présente toutefois deux vertus essentielles. D’une part, elle constitue une injonction comportementale visant à faire respecter l’intérêt général tel qu’incarné par notre corpus juridique. L’ajout dans le texte de la référence aux bonnes mœurs est également utile afin de servir de support à l’appréciation des magistrats car elles incarnent « les règles de la morale sociale considérées comme fondamentales pour l’ordre même de la société ». Or c’est précisément la place qu’occupe actuellement la RSE dans notre société. Cette référence aux lois et aux bonnes mœurs a aussi vocation, d’autre part, à ce que la responsabilité des entreprises ne puisse être recherchée que pour l’existence d’une faute caractérisée afin de ne pas décourager les innovations et initiatives entrepreneuriales. Le rôle de la loi est en effet d’établir un équilibre entre l’évolution de la société et le droit des entreprises d’exercer librement leur commerce et industrie sur notre territoire.

Au-delà de ces éléments novateurs, la technique classique d’engagement de la responsabilité civile demeurera applicable, à savoir, la démonstration d’un lien de causalité entre cette faute caractérisée et ses conséquences dommageables. Ces dernières devront s’interpréter souplement de façon à inclure les dommages futurs, mais dont la réalisation est certaine. Le texte proposé permettrait ainsi de donner un fondement à une action préventive de responsabilité.

L’actualité met en évidence une recherche croissante de responsabilisation des grandes entreprises[3]. Ce constat appelle une prise de conscience : les réformes réalisées ces vingt dernières années au nom de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont certes la volonté d’accompagner l’émergence de nouveaux comportements positifs, mais répondent-elles suffisamment aux attentes de notre société ? Cette insatisfaction latente ne manifeste-t-elle pas un problème de méthode visant à transposer des mécanismes anglo-saxons dans une culture légaliste qui n’est pas la leur[4] ?

Les nombreux doutes entourant la juridicité de la RSE ont fait naître un mouvement appelant la création de dispositifs plus contraignants afin de réduire l’impunité des acteurs internationaux et de mieux anticiper les effets de ce corpus de textes. Paradoxalement, ces demandes ne proviennent pas seulement des organisations défendant les valeurs de la RSE. Les entreprises vertueuses souhaitent aussi que leurs efforts soient mieux reconnus et qu’elles ne soient pas confondues avec celles qui, de façon opportuniste, développent des discours cosmétiques sur la citoyenneté. Il nous appartient donc d’améliorer l’articulation entre le droit souple issu de la RSE et les textes visant à la conforter. À cette fin, il est nécessaire de poursuivre et d’aller au bout de cette logique de soutien des valeurs de la RSE par la loi, en sanctionnant leur violation au titre de l’intérêt général. L’affirmation de leur protection implique dès lors nécessairement la création d’un nouveau principe de responsabilité civile, applicable à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. Ce principe les obligerait, préventivement, de façon souple et proportionnée à leurs moyens, à anticiper les atteintes à ces valeurs. Mais il les engagerait également, plus fermement, à rendre compte d’un comportement contraire à l’intérêt général, conformément à une logique mettant en phase les responsabilités et les pouvoirs de chacun.

Sans remettre en cause les réformes réalisées, la consécration de cette nouvelle responsabilité viendrait les soutenir, en renforçant leur effectivité grâce aux vertus préventives et sanctionnatrices de cette technique juridique.

Des outils législatifs perfectibles

Ces outils sont perfectibles, car ils ont un domaine limité et une portée incertaine. La France dispose en effet de plusieurs techniques légales afin d’encourager, voire, d’imposer aux entreprises, une prise de conscience de l’impact de leurs activités sur la société. Or, ces mécanismes ont en commun de s’imposer majoritairement aux grandes sociétés. Cette restriction s’exprime également à l’égard des modifications réalisées par la loi Pacte : pour la croissance et la transformation des entreprises, dans le code civil. L’occasion a sans doute été manquée de consacrer plus largement la notion d’entreprise. Cela aurait permis d’éviter de troubler la cohérence du droit des sociétés par l’insertion de nouveaux concepts dont la portée est indéterminée, sinon incertaine, à l’instar des sanctions accompagnant l’ensemble de ces dispositifs légaux. Les doutes ainsi suscités sont tels qu’ils remettent en cause la qualité de la loi et l’habilité du législateur à édicter des principes clairs et intelligibles, conformément aux exigences constitutionnelles. Afin de conférer toute sa vigueur à la responsabilisation des entreprises, un remède consisterait à redonner son sens au mot « responsabilité », lequel implique une reddition de comptes effective, lorsqu’une personne ou une organisation porte atteinte, par son comportement, aux valeurs garanties par la loi.

La création d’un nouveau cas de responsabilité civile des entreprises

Cette consécration est justifiée par la convergence des textes du droit positif vers l’application de la responsabilité civile et la nécessaire recherche d’une plus grande attractivité de nos règles de droit.

En effet, qu’elles soient explicitement posées ou implicitement suggérées, les sanctions de la méconnaissance des textes ayant trait à la RSE tendent à engager la responsabilité civile du fautif. Puisqu’il existe une telle convergence vers l’application de cette technique juridique, le droit gagnerait en clarté en édictant un nouveau principe général visant spécifiquement les entreprises. Car notre société n’a pas seulement le souhait d’enjoindre aux entreprises ne respectant pas nos valeurs de mieux les considérer. Elle souhaite aussi que la loi assure son rôle et ait un effet coercitif à l’égard de celles qui se jouent, par d’habiles stratagèmes, de l’intérêt général. Ce nouveau cas de responsabilité n’a pas vocation à s’immiscer dans la gestion des entreprises. Il s’agit de rappeler un impératif général : celui de respecter nos lois et nos valeurs. Les entreprises les plus susceptibles d’être concernées seront alors libres de choisir leur méthode afin de se conformer à cet impératif.

Afin de l’affirmer, ce nouveau texte pourrait être inséré à la suite des cas de responsabilité généraux présents dans le code civil.

Tel est l’objet de cette proposition de loi à travers un article unique qui prévoit que :

« Toute entreprise qui, du fait de son activité économique, porte atteinte aux lois et aux bonnes mœurs, est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

En présence d’un élément d’extranéité, le demandeur peut saisir la juridiction compétente du pays où est survenu le dommage ou son fait générateur. »

La présente proposition permettrait à la loi de reconnaître, pour la première fois, l’entreprise en tant que structure économique. La grande flexibilité de ce concept a pour avantage d’englober de nombreuses organisations, allant de l’entreprise individuelle aux groupes internationaux, sans que la loi ait à définir précisément les relations de droit ou de fait unissant les différentes entités. Dans ce contexte international, le second alinéa offrirait aux victimes le choix d’exercer leur action auprès de nos juridictions nationales dès lors que serait prouvée l’existence d’une faute commise par l’entreprise incriminée, cette faute se définissant comme une atteinte aux lois ou aux bonnes mœurs réalisée par l’exercice de l’activité économique en cause. La nécessité de prouver cette contrariété peut sembler inutile mais elle présente toutefois deux vertus essentielles. D’une part, elle constitue une injonction comportementale visant à faire respecter l’intérêt général tel qu’incarné par notre corpus juridique. L’ajout dans le texte de la référence aux bonnes mœurs est également utile afin de servir de support à l’appréciation des magistrats car elles incarnent « les règles de la morale sociale considérées comme fondamentales pour l’ordre même de la société ». Or c’est précisément la place qu’occupe actuellement la RSE dans notre société. Cette référence aux lois et aux bonnes mœurs a aussi vocation, d’autre part, à ce que la responsabilité des entreprises ne puisse être recherchée que pour l’existence d’une faute caractérisée afin de ne pas décourager les innovations et initiatives entrepreneuriales. Le rôle de la loi est en effet d’établir un équilibre entre l’évolution de la société et le droit des entreprises d’exercer librement leur commerce et industrie sur notre territoire.

Au-delà de ces éléments novateurs, la technique classique d’engagement de la responsabilité civile demeurera applicable, à savoir, la démonstration d’un lien de causalité entre cette faute caractérisée et ses conséquences dommageables. Ces dernières devront s’interpréter souplement de façon à inclure les dommages futurs, mais dont la réalisation est certaine. Le texte proposé permettrait ainsi de donner un fondement à une action préventive de responsabilité.


ETUDE D’IMPACT

SOMMAIRE

I. Des outils législatifs perfectibles

A. Des outils au domaine limité

1. La déclaration de performance extra-financière[5] et l’établissement d’un plan anti-corruption[6]

2. Le plan de vigilance

3. L’article 1833 du Code civil

B. Des outils à la portée incertaine

1. En matière de définition

2. En matière de sanction

a. La déclaration de performance extra-financière

b. Les articles 1833 et 1835 du Code civil

c. Le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre

d. La société à mission

II. La création d’un nouveau cas de responsabilité civile des entreprises

A. Les fondements de la consécration d’un nouveau cas de responsabilité civile

1. Une convergence du droit positif vers cette consécration

2. Un principe renforçant l’attractivité du droit français

B. Le régime du nouveau cas de responsabilité civile

1. Le champ d’application du nouveau cas de responsabilité civile

a. Une responsabilité applicable à « toute entreprise »

b. Une responsabilité civile universelle

2. La faute : une atteinte aux lois et aux bonnes mœurs résultant d’une activité économique

3. Le lien de causalité entre la faute et le dommage

4. Des conséquences dommageables


La France est viscéralement attachée au respect de ses libertés fondamentales. La crise sanitaire liée à la Covid 19 a souligné la nécessité pour chacun de nos citoyens de les exercer librement. La défense de la liberté du commerce et de l’industrie s’est, à cet égard, singulièrement illustrée en mettant en exergue une opposition latente entre les entreprises locales, souvent modestes, et celles de dimension nationale, voire internationale, dont la puissance économique dépasse celle de certains États. Pour cette raison, le respect d’une éthique des affaires s’est progressivement imposé à ces dernières[7], d’abord par l’influence de l’activisme actionnarial[8] puis, plus généralement, par la défiance de l’opinion publique mondiale. Dorénavant bien connue sous le nom de responsabilité sociale des entreprises (RSE), cette dynamique vise à ce que ces entreprises prennent en considération l’impact de leurs activités sur l’environnement, leurs salariés et, plus largement, leurs parties prenantes (fournisseurs, sous-traitants, consommateurs, citoyens, collectivités, etc.). La conception de l’entreprise est ainsi renouvelée et conçue comme une entité insérée dans un tissu social dont la prise en compte participe à une relation vertueuse, car réciproque. Ses bénéfices seront d’autant plus grands si les consommateurs approuvent son éthique. De la sorte, les entreprises sont invitées à intégrer dans leur gestion l’amélioration de leur performance sociale, tant interne (conditions de travail de leurs salariés notamment) qu’externe (sociétale). Après le retentissement dans les années 2000 de scandales financiers, sociaux, et écologiques, les plus importantes ont été nombreuses à adopter une gestion éthique et un management des risques, s’inscrivant dans une politique globale de compliance et d’affirmation de leur responsabilité sociétale.

En 2001, la Commission européenne soulignait l’absence de caractère contraignant du concept de responsabilité sociale des entreprises en le définissant comme « l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties prenantes »[9]. Dans le même temps, des organisations internationales ont contribué à l’émergence de codes de conduite internes aux entreprises, en rédigeant des textes orientant leur comportement afin « d’unir la force des marchés à l’autorité des idéaux individuels »[10]. Cette recherche d’adhésion trouve son avènement avec la création de la norme internationale ISO 26000[11]. Celle-ci propose une liste des procédés afin de bâtir une éthique d’entreprise autour de plusieurs thématiques[12]. Parallèlement à ce mouvement volontariste, l’intégration progressive de la RSE dans le droit écrit a aussi contribué à sa montée en puissance. De nouvelles obligations ont ainsi été définies à l’égard des entreprises afin de les inciter à s’autoréguler conformément à certaines valeurs universelles.

À cet égard, la France a fait figure de précurseur en Europe alors que les États-Unis n’adoptaient le Sarbanes-Oxley Act qu’en 2002. Dès 2001[13], elle a imposé aux sociétés cotées de publier des informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités, dans leur rapport de gestion, désormais remplacé par une déclaration de performance extra-financière[14]. La loi dite Sapin II, du 9 décembre 2016, a permis de franchir un cap en consacrant le principe de compliance et un contrôle des dispositifs d’alerte afin de prévenir et de détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence. Les entreprises deviennent ainsi un relais de répression et de régulation. Le régime de l’alerte est aussi sécurisé par la définition du lanceur d’alerte, la détermination des conditions de signalement, ainsi que la création d’une protection efficace. Cette promotion de la conformité trouve un point d’orgue avec l’adoption de la loi n° 2017-399 du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. S’inscrivant dans une conjonction internationale des réglementations, ce mouvement a pu être qualifié de « Lex publica », en ce sens que les États font peser sur les sociétés mères le contrôle de leurs activités délocalisées, en se réservant, le cas échéant, le droit d’user « avec la plus grande rigueur de leur pouvoir souverain de sanction, civile et pénale, pour le cas où une politique efficace de conformité aux valeurs ainsi défendues n’aurait pas été instaurée ou respectée »[15]. Enfin, la réforme adoptée par la loi PACTE fait définitivement entrer la France parmi les pionniers en la matière. À la suite des réflexions menées par le rapport Senard-Notat sur « la relation entre entreprise et intérêt général »[16], le législateur a entrepris d’instituer un dispositif en trois étapes, permettant aux entreprises désireuses d’affirmer leur engagement sociétal. Ainsi l’article 1833 du Code civil dispose-t-il désormais que la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. Ensuite, l’article 1835 permet aux sociétés qui le souhaitent d’affirmer leur « raison d’être », tandis que les plus impliquées adopteront, enfin, le statut de « société à mission » tel que défini aux articles L. 210-10 et suivants du Code de commerce.

Or les outils juridiques dégagés par ces réformes, et plus particulièrement ceux de la loi PACTE, ont fait l’objet de nombreuses réserves. Certains se sont interrogés sur le fait de savoir s’ils constituaient « des mesures réellement innovantes, ou simplement incantatoires, symboliques, voire cosmétiques ? »[17]. D’autres regrettent la modestie de la réforme[18] quand elle n’est pas jugée plus radicalement non - « indispensable »[19], « parfaitement inutile »[20], voire « inopportune »[21], car « ne [modifiant] en rien le droit existant, ce que l’étude d’impact juridique [reconnaît] avec une touchante naïveté ». Cette étude invite en effet à la retenue en reconnaissant une incidence « limitée » de « l’obligation de moyens » qu’est « l’invitation à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société »[22]. Or ces critiques trouvent un écho particulier dans l’actualité, laquelle met en évidence une recherche croissante de responsabilisation des grandes entreprises[23].

Ce constat appelle une prise de conscience : les réformes réalisées ces vingt dernières années au nom de la RSE ont certes la volonté d’accompagner l’émergence de nouveaux comportements positifs, mais répondent-elles pour autant suffisamment aux attentes de notre société ? Cette insatisfaction latente ne manifeste-t-elle pas un problème de méthode visant à transposer des mécanismes dans une culture légaliste qui n’est pas la leur[24] ? Ces questions sont corrélées par les observations du Conseil d’Etat selon lesquelles « la loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner. Elle n’est pas faite pour bavarder, créer des illusions, nourrir des ambiguïtés et des déceptions »[25]. Force est de constater que les dispositifs insérés jusqu’à présent dans notre droit sont d’inspiration anglo-saxonne et rompent, de ce fait, avec la tradition romano-germanique dont l’une des caractéristiques est précisément de distinguer la règle morale de la règle juridique en lui conférant un caractère coercitif[26]. Or la responsabilité sociale des entreprises repose sur le double postulat du volontariat et de l’absence de contraintes. Dès lors, ces pratiques perdent en crédibilité en s’analysant comme des « engagements qui n’engagent pas »[27], sauf à trouver le soutien d’un mécanisme juridique pour les transformer en obligations contraignantes. Notre droit n’est en effet pas rétif à l’intégration de valeurs morales ou sociales sous la forme de normes qualitatives et de concepts flexibles[28], dont la méconnaissance entraîne l’application d’une sanction. Les droits de l’Homme ont ainsi intégré la Constitution. Des avis sur l’éthique dans certains secteurs sont repris dans les lois. Ces dernières les imposent, en outre, lors de l’exécution de certains contrats[29], pour le bien des parties mais aussi, dans l’intérêt de tous, lorsque les cocontractants ne les intègrent pas spontanément. La juridicité des normes issues de la responsabilité sociale des entreprises et, notamment, la sanction attachée à celles-ci, font donc l’objet de discussions.

Faut-il considérer ces engagements éthiques comme purement internes à l’entreprise ? Ou ont-ils mué en obligations juridiques[30] ? La Cour de cassation admet qu’un code de bonne conduite soit un acte juridique au sens du droit privé, et dont la validité peut être remise en cause par le juge. La qualité des personnes pouvant s’en prévaloir demeure toutefois incertaine[31]. Des interrogations similaires valent à l’égard des dispositions désormais contenues aux articles 1833 et 1835 du Code civil. Faut-il considérer que celles-ci créent de nouvelles obligations à l’égard des sociétés ? Dans l’affirmative, leur violation engage-t-elle la responsabilité de leur auteur, et à quel titre ? Plus difficile encore est de savoir quelle est la sanction attachée au volet sociétal de la RSE, lorsque l’irrespect est invoqué par les parties prenantes, personnes extérieures ou sans lien contractuel mais qui sont intéressées par l’activité économique de l’entreprise.

Les nombreux doutes entourant la juridicité de la RSE ont fait naître un mouvement appelant la création de dispositifs plus contraignants afin de réduire l’impunité des acteurs internationaux et de mieux anticiper les effets de ce corpus de textes. Paradoxalement, ces demandes ne proviennent pas seulement des organisations défendant les valeurs de la RSE. Les entreprises vertueuses souhaitent aussi que leurs efforts soient mieux reconnus et qu’elles ne soient pas confondues avec celles qui, de façon opportuniste, développent des discours cosmétiques sur la citoyenneté. Ces entreprises sont en effet « enclines à demander une intervention publique afin de ne pas subir une concurrence déloyale de la part des passagers clandestins»[32]. Il nous appartient donc d’améliorer l’articulation entre le droit souple issu de la RSE et les textes visant à la conforter. À cette fin, il est nécessaire de poursuivre et d’aller au bout de cette logique de soutien des valeurs de la RSE par la loi, en sanctionnant leur violation au titre de l’intérêt général. L’affirmation de leur protection implique dès lors nécessairement la création d’un nouveau principe de responsabilité civile, applicable à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. Ce principe les obligerait, préventivement, de façon souple et proportionnée à leurs moyens, à anticiper les atteintes à ces valeurs. Mais il les engagerait également, plus fermement, à rendre compte d’un comportement contraire à l’intérêt général, conformément à une logique mettant en phase les responsabilités et les pouvoirs de chacun[33]. Lors de son discours préliminaire, Portalis promouvait une telle méthode en distinguant le rôle du législateur de celui du magistrat : « La science du législateur consiste à trouver les principes les plus favorables au bien commun et celle du magistrat […] est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une application sage et raisonnée »[34]. Or les textes en la matière démontrent une inversion des rôles en imposant des formalismes jugés parfois trop lourds par leurs destinataires. La RSE n’est pas réductible à un concept juridique : « [elle] est avant tout une théorie du comportement [appliquée non pas aux individus mais aux organisations], et donc une terre d’élection des managers »[35]. En outre, l’introduction de nouvelles notions visant à modifier les principes fondamentaux du droit des sociétés suscite une redoutable insécurité juridique (I). Sans remettre en cause les réformes réalisées, la consécration de cette nouvelle responsabilité viendrait les soutenir en renforçant leur effectivité grâce aux vertus préventives et sanctionnatrices de cette technique juridique (II).

I. Des outils législatifs perfectibles

Ces outils sont perfectibles car ils ont un domaine limité (A) et une portée incertaine (B).

A. Des outils au domaine limité

La France dispose de plusieurs techniques instituées par la loi afin d’encourager, voire, d’imposer aux entreprises, une prise de conscience de l’impact de leurs activités sur la société : la déclaration de performance extra-financière, anciennement dénommée « devoir de reporting »[36], le programme de conformité anti-corruption et le dispositif du lanceur d’alertes consacrés par la loi dite Sapin II, le devoir de vigilance des sociétés mères à l’égard de leurs filiales[37] et, dernièrement, les modifications apportées au droit des sociétés [38]. Or, ces mécanismes ont en commun d’avoir un champ d’application limité puisqu’ils s’imposent majoritairement aux grandes sociétés.

1. La déclaration de performance extra-financière[39] et l’établissement d’un plan anti-corruption[40]

Ces dispositifs s’appliquent aux sociétés cotées de plus de 500 salariés, avec un total de bilan dépassant 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, ainsi qu’aux sociétés non cotées (sociétés anonymes, sociétés à responsabilité limitée (SARL), sociétés en commandite par actions) ayant plus de 500 salariés avec un total de bilan ou de chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Sont en revanche exclues les filiales françaises dont la société mère a déjà produit les informations de manière consolidée, ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) cotées, les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les sociétés par actions simplifiées (SAS), hormis celles du secteur financier et de l’assurance. Les SAS sont toutefois tenues d’appliquer le plan de vigilance.

2. Le plan de vigilance

Les seuils applicables à ce dispositif ne sont pas les mêmes que les précédents, créant une regrettable discordance à l’égard des sociétés concernées par les instruments légaux au service de la RSE. En effet, les sociétés devant établir et mettre en œuvre un plan de vigilance emploient, à la clôture de deux exercices consécutifs, soit plus de 5000 salariés en leur sein ou dans leurs filiales directes ou indirectes dont le siège social est situé en France, soit plus de 10 000 salariés en leur sein ou dans leurs filiales directes ou indirectes dont le siège social est situé en France ou à l’étranger[41]. En sont toutefois exemptées les sociétés contrôlées au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce dépassant l’un des seuils précédents, dès lors que leur société mère française a établi et mis en œuvre un plan les couvrant.

3. L’article 1833 du Code civil

Outre cette divergence inopportune entre les précédents dispositifs, l’article 1833 du Code civil dispose dorénavant que la société « est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cette disposition a certes vocation à s’appliquer à toutes les sociétés, qu’elles soient grandes ou petites, commerciales ou non, qu’elles aient pour objet l’exercice d’une activité économique ou la gestion d’un patrimoine : il ne s’agit pourtant là que d’une partie des acteurs économiques laissant ainsi de côté de nombreuses entreprises exploitées par des personnes physiques. L’occasion a sans doute été manquée de consacrer plus largement la notion d’entreprise[42]. Cela aurait permis d’éviter de troubler la cohérence du droit des sociétés[43] par l’insertion de nouveaux concepts dont la portée est indéterminée, sinon incertaine, à l’instar des sanctions accompagnant l’ensemble de ces dispositifs légaux.

B. Des outils à la portée incertaine

Deux facteurs favorisent potentiellement l’ineffectivité des lois adoptées en matière de RSE. D’un point de vue pratique, certaines des 150 à 200 entreprises concernées les appliquent peu[44] ou mal[45]. Ces dispositifs pourraient se révéler très coûteux à mettre en œuvre et les contraintes procédurales qu’ils impliquent très bureaucratiques. Ils ne feraient même que « doublonner avec ce que les grandes entreprises pratiquent déjà en matière de chartes et d’expertises éthiques, d’audit (financiers, commerciaux, sociaux) ou de formation des personnels »[46], tandis que d’un point de vue juridique, les notions consacrées sont sujettes à interprétation, tant en matière de définition que de sanction.

1. En matière de définition

En l’absence de précision légale, il appartiendra au juge de déterminer les contours de l’obligation de vigilance, le contenu du standard de « vigilance raisonnable » et celui d’« atteintes graves »[47]. Les incertitudes résultant de la réforme du Code civil sont encore plus problématiques. Comme le souligne le professeur Lucas, « n’apportant aucune précision sur ce qu’il y a lieu d’entendre par cette notion d’intérêt social qu’elle se contente de faire accéder au nirvana de la codification, la réforme laisse à chaque juge le soin de la définir. Là réside d’ailleurs tout le danger du bavardage auquel se ramène ce projet de loi peu convaincant, qui, en permettant au juge de remettre en cause les choix des dirigeants et des associés au nom de sa conception de l’intérêt social, le transforme en censeur de la gestion des sociétés, perspective inquiétante dans un pays comme le nôtre où – si l’on excepte les tribunaux de commerce – bien des magistrats ont une médiocre connaissance de l’entreprise »[48].

La définition de la notion d’intérêt social est en effet l’objet de controverses doctrinales[49] la rendant malléable aux convictions économiques de chacun : la société, conçue comme la structure juridique organisant l’entreprise, peut être gérée sous différents prismes : soit celui de l’intérêt exclusif des associés, elle aurait alors pour seul objectif une maximisation à court terme des profits à leur égard ; soit celui des associés auquel s’ajoute la considération des parties prenantes, et cela, afin de garantir la pérennité de l’activité à plus long terme. Si la jurisprudence a fait le choix, sage, d’adopter une conception neutre de l’intérêt social en tant qu’intérêt autonome de la personne morale[50], il ne faut pas se méprendre sur les intentions du législateur en 1804. La mention à l’alinéa 1er de l’article 1833 du Code civil selon laquelle « la société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés » n’a rien de politique. Elle vise à caractériser le contrat de société par rapport aux autres contrats, lesquels sont marqués par l’antagonisme de l’intérêt des parties à travers l’échange de leur prestation[51]. Au contraire, la conclusion d’un contrat de société se caractérise par la convergence de la volonté des parties vers la réalisation d’un même but et l’organisation de leurs relations afin de l’atteindre[52], en l’occurrence, la création d’une richesse, de bénéfices. Une finalité partisane ne devrait donc pas être assignée à cette disposition qui ne fait que poser les conditions de validité de la conclusion du contrat de société par rapport aux autres contrats spéciaux, que la société ait vocation à abriter l’organisation de l’activité d’un commerce de proximité, d’une multinationale ou encore de la gestion d’un patrimoine. Dès lors, sous prétexte d’une simple consécration de la solution jurisprudentielle[53], la mention dans un même article de l’intérêt social, en sus de l’intérêt commun, prête à confusion sur l’intention éventuelle du législateur d’opposer ces deux notions. En outre, la rédaction est malheureuse car « l’adjectif social renvoie à la société de telle manière que la proposition selon laquelle “la société est gérée dans son intérêt social“ est redondante »[54].

Des interrogations similaires pèsent sur les notions « d’enjeux sociaux et environnementaux », lesquelles doivent être intégrées à la gestion de la société.

Quelle est la substance de ces enjeux ? Si le législateur a jugé utile de les mentionner au sein du Code civil, cela signifie-t-il que ces enjeux se différencient des obligations déjà contenues dans les Codes du travail, de l’environnement, ou encore de l’urbanisme ? Une réponse positive implique un dépassement par la société du contenu de ces textes. Mais cette méthode d’injonction comportementale a pour inconvénient de rabaisser la valeur de la loi en lui conférant le rôle d’une simple recommandation. Pour connaître plus précisément le contenu de cette nouvelle obligation, une lecture complémentaire de l’étude d’impact est nécessaire. Celle-ci indique qu’il s’agit d’une « obligation de moyens » qui « ne présage pas de l’orientation ou du contenu de la décision de gestion » ; elle n’est qu’une « étape impérative de la réflexion menée »[55]. La question se pose dès lors de savoir quelle est l’articulation de cette prise en considération avec la notion d’intérêt social ? Si l’article 1833 du Code civil est rédigé de façon à inclure ces enjeux comme une composante de l’intérêt social[56], ils en constituent, de toute évidence, une limite, ces derniers étant susceptibles de s’opposer à la profitabilité de l’activité[57]. De ce fait, l’absence de hiérarchie entre ces notions n’est pas aussi claire que le laisse supposer l’étude d’impact[58]. L’imprécision du texte ouvre la porte à une interprétation subjective par les tribunaux et, par conséquent, à la faculté de remettre en cause un choix de gestion, ce que la jurisprudence a toujours refusé en droit des sociétés[59]. Une autre source d’imprécision concerne le champ d’application du nouveau texte lorsqu’il évoque la gestion de la société. Celle-ci appartient en principe aux dirigeants sociaux, mais il ne semble toutefois pas falloir interpréter trop strictement le verbe « gérer ». L’étude d’impact mentionne en effet plusieurs exemples de cas où les associés seront amenés à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux[60]. En outre, l’intégration de ces enjeux dans le droit des sociétés anonymes ne contribue pas à identifier clairement le débiteur de cette nouvelle obligation. En l’attribuant au conseil d’administration, la loi brouille les frontières entre les pouvoirs de ce dernier et ceux du directeur général, alors même que cette problématique est récurrente s’agissant de la direction des sociétés anonymes[61]. L’ensemble de ces doutes a pu faire dire que la formule employée était « pour le moins énigmatique »[62], sans substance, « sauf à admettre que [ces enjeux sociaux et environnementaux] sont parfaitement inutiles et qu’ils ne sont en réalité qu’un effet d’annonce »[63].

Des critiques tout aussi sévères ont été adressées à l’égard de la faculté pour les sociétés de se munir d’une « raison d’être ». Consacrée à l’article 1835 du Code civil, celle-ci a vocation à désigner les « principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Qualifié « d’un peu fumeux »[64], ce concept inédit a suscité des réserves sur son utilité. La liberté contractuelle permettait en effet déjà aux sociétés qui le souhaitaient de mettre en avant, dans leurs statuts, les valeurs auxquelles elles adhèrent. En outre, ce concept se distingue difficilement d’autres notions tel que l’objet social[65] et tend, in fine, à remettre en cause la définition même de la société mentionnée à l’article 1832 du Code civil[66], en opposant une « raison d’être » à une « raison d’avoir », c’est-à-dire, la recherche d’un profit ou d’une économie[67]. Le professeur Tadros s’est ainsi demandé « s’il n’aurait pas été plus constructif de remettre la définition de la société sur le métier plutôt que de procéder à une modification de l’article 1835 du Code civil et de l’expliquer par des formules ésotériques qui laissent le lecteur sur sa faim et donnent l’impression que les rédacteurs du projet n’ont fait qu’instrumentaliser les groupements sociétaires à des fins politiques, sans véritablement fournir un contenu juridique »[68]. Une suppression de la possibilité de s’enrichir au titre du contrat de société serait en effet un choix extrême ayant pour conséquence de transformer toutes les sociétés en associations. Or, il n’est pas raisonnable de faire peser sur ce corpus de textes l’ensemble des maux dénoncés au titre des pratiques d’une « poignée de sociétés par actions qui, étant soumises aux contraintes des marchés et à l’obsession de la création actionnariale, sont concernées par les excès d’une financiarisation qui, dans sa version débridée, heurte le sens commun »[69].

Par conséquent, la conclusion de ces observations n’est guère positive à l’instar de celles ayant été faites pour les notions précédentes : l’insécurité juridique semble malheureusement dominée ces nouveaux concepts, lesquels perturbent en outre la stabilité des textes fondamentaux du droit des sociétés. Or, plus qu’un autre domaine, ce corpus a besoin de clarté et de stabilité puisqu’il sert de support juridique à l’activité économique. Il appartiendra alors à la pratique et à la jurisprudence de préciser non seulement le contenu de ces notions, mais aussi leur portée. Une telle délégation ne peut être acceptable qu’en présence de principes dont le contenu est clair, ce qui n’a pas été démontré en l’occurrence, et ne le sera pas davantage à l’égard des sanctions accompagnant leur violation.

2. En matière de sanction

À l’instar des notions consacrées au nom de la RSE, les sanctions frappant leur irrespect font l’objet de discussions, tantôt quant à leur effectivité, tantôt quant à leur détermination. Ces failles ont néanmoins un point commun : celui de trouver leur source dans l’inadéquation de la transposition du droit souple au droit dur.

a. La déclaration de performance extra-financière

L’absence de sanction de cette déclaration a pu être regrettée au titre d’une « confusion du législateur entre soft law et hard law »[70], le dispositif créé dépendant in fine de la seule volonté des entreprises. La seule possibilité pour les personnes intéressées à faire respecter cette obligation consiste à saisir en référé le président du tribunal en vue d’enjoindre, sous astreinte, au conseil d’administration ou au directoire, selon les cas, de communiquer ces informations manquantes[71].

b. Les articles 1833 et 1835 du code civil

Une critique semblable a été adressée aux modifications du Code civil réalisées par la loi PACTE, lesquelles entendent « encourager la prise en compte de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises »[72]. Cette affirmation illustre le paradoxe de la consécration du droit souple par le droit dur, le législateur ne se satisfaisant pas du caractère volontaire de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, mais se refusant « à édicter de véritables obligations en la matière, créant ainsi une forme d’hybride (…), dont on peine à anticiper ce qu’il sera concrètement »[73]. L’apport normatif d’une prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux n’est en effet pas neutre. La lecture combinée de l’étude d’impact et l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi permet de qualifier cette injonction d’obligation de réflexion ce qui, dans le cadre d’une démarche RSE, implique que la société soit en mesure de justifier de celle-ci conformément au mécanisme anglo-saxon du « comply or explain ». Il est ainsi suggéré à la société d’élaborer une politique en fonction de la nature de son activité, et les dirigeants justifieront ensuite pourquoi leurs décisions se conforment aux exigences induites par les enjeux sociaux et environnementaux ou, au contraire, y dérogent. Or aucun texte ne précise quelle est la sanction applicable en cas d’inobservation de cette « obligation de moyens qui ne présage pas de l’orientation ou du contenu de la décision de gestion»[74].

En ce sens, le Conseil d’État a affirmé que ce « principe de gestion diligente et raisonnable [n’est] assorti d’aucune sanction, et il faut dire que tout semble avoir été fait pour circonscrire les risques juridiques encourus, dans le but de rassurer les milieux d’affaires et pour ne pas ouvrir une “boîte à Pandore“ avec un risque de multiplication des contentieux »[75]. Ainsi, la méconnaissance du nouvel intérêt social élargi ne saurait être sanctionnée par la nullité de la société sur le fondement de l’article 1844-10, al. 1er du Code civil, pas plus que sur celui de son alinéa 3, lequel prévoit l’annulation des actes ou délibérations des organes sociaux[76]. La seule possibilité demeure donc l’engagement de la responsabilité du fautif à laquelle fait référence l’étude d’impact. Selon elle, « les nouvelles dispositions ne créent pas de nouveau régime de responsabilité délictuelle. Toute responsabilité, de la société comme des dirigeants, qui serait recherchée sur le fondement de l’absence de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux, devrait s’inscrire dans l’une des hypothèses reconnues par le droit commun des sociétés (existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité) »[77]. Dès lors, lorsqu’une raison d’être a été adoptée, la violation de ces dispositions légales ou stipulations statutaires, est susceptible d’engager la responsabilité des dirigeants et celle de la société. Les observateurs sont néanmoins unanimes pour reconnaître les doutes entourant la mise en œuvre de ces actions[78].

Quant à la caractérisation de la commission d’une faute par les dirigeants, sa qualification ne sera pas aisée au regard du potentiel antagonisme entre l’intérêt social et les enjeux sociaux et environnementaux. Un dirigeant pourrait de la sorte être révoqué pour avoir privilégié l’intérêt social au détriment de ces enjeux. Or force est d’admettre qu’une révocation fondée sur ce motif serait paradoxale puisque ce dernier doit, précisément, être conforme à l’intérêt social. Et, inversement, la question se pose de savoir si un dirigeant pourrait « faire valoir qu’il a accompli un acte contraire à l’intérêt social, mais afin de donner toute sa mesure à l’obligation qui est la sienne de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux ? En d’autres termes, […] l’article 1833 du Code civil contiendrait-il un nouveau fait justificatif, une nouvelle cause d’exonération potentielle pour les dirigeants sociaux »[79] ? Le dirigeant pourrait aussi voir sa responsabilité engagée par le biais de l’exercice de l’action ut singuli si sa faute engendre un préjudice à l’égard de la société. Cette action a néanmoins peu de succès en pratique car « l’associé agissant supporte les frais de procédure sans en retirer le moindre bénéfice direct puisque les dommages et intérêts obtenus seront versés à la seule société »[80]. Quant aux tiers, ils devront respecter les conditions classiques d’engagement de la responsabilité des dirigeants sociaux, à savoir, une faute intentionnelle d’une particulière gravité se détachant de leurs fonctions[81]. Au contraire, si la faute se rattache aux fonctions, alors la société devra en répondre. Toutefois, conformément à la volonté du législateur, les risques pesant sur elle seront faibles.

D’abord, lorsque la violation invoquée concerne la raison d’être, la capacité des tiers à invoquer les statuts n’est pas certaine. Sur ce point, la jurisprudence semble évolutive[82] et, en outre, la société peut inclure des clauses interdisant aux tiers de s’en prévaloir[83]. Ensuite, même si l’action était jugée recevable, les conséquences de celle-ci seraient relativement faibles. Le préjudice, ici, consiste uniquement en une perte de chance d’éviter un dommage. Le demandeur doit dès lors démontrer que si l’obligation avait été respectée, le dommage aurait été évité. En raison de la difficulté à apporter une telle preuve, les condamnations devraient être peu nombreuses[84].

c. Le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre

Ce reproche avait déjà été exprimé à l’égard de la loi instituant un devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre[85], alors même que ce texte institue le cadre le plus rigoureux de leur responsabilisation. Outre la possibilité d’être mises en demeure de respecter leurs obligations[86], le texte envisage surtout un possible engagement de leur responsabilité civile par renvoi au droit commun des articles 1240 et 1241 du Code civil. Toutefois, ses effets seront limités à la réparation du préjudice qui aurait pu être évité si la société avait respecté ses obligations de vigilance[87]. Le lien de causalité entre la faute et le dommage est donc particulièrement distendu, ce que la doctrine a unanimement regretté. Au-delà de cette critique, d’autres incertitudes éloignent l’effectivité du régime institué de l’intention initiale du législateur. Comme le souligne le professeur Desbarats, « l’existence d’une faute pourra être constatée en présence d’une cartographie manifestement insuffisante des risques ou bien de violation des procédures internes de contrôle instaurées par la société elle-même dans le cadre du plan. En revanche, comment sera abordé le débat sur le caractère “raisonnable“ ou “déraisonnable“ des mesures de vigilance requises et mises en œuvre par la société ? Quelles sont les normes qui devront être respectées dans les domaines environnementaux, des risques corporels ou sanitaires, des droits humains, des libertés fondamentales et de la corruption ? En outre, comment pourra être établi un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur ? Et comment apprécier les dommages réparables : “en fonction des standards du droit français ou en tenant compte des circonstances locales“ »[88] ? Le champ d’application de cette responsabilité est donc pour le moins limité. De plus, le Conseil constitutionnel a souligné qu’il était à craindre que « la prise en compte d’éléments touchant à l’international donnera lieu à des questionnements juridiques et probatoires particulièrement épineux, notamment en matière d’expertises […] »[89]. En effet, la loi compétente est en principe celle du lieu de la survenance du dommage, sauf si son application est écartée au profit de la loi du for par une loi de police. Or, il ne semble pas que cette qualification soit applicable à la loi du 27 mars 2017, créant ainsi « un doute sérieux quant à la portée réelle de la réforme »[90].

d. La société à mission

Enfin, le statut de société à mission[91] n’est pas épargné par le flou entourant les sanctions de l’irrespect de la mission. Or, cette imprécision « crée un danger pour les candidats [à ce] statut, car toutes ses conséquences ne sont pas claires »[92]. Comme pour la violation de l’intérêt social élargi et la raison d’être, se posent des questions relatives à la nullité de l’acte méconnaissant la mission et à l’engagement de la responsabilité civile délictuelle des dirigeants ou de la société.

En premier lieu, dans les rapports externes, la possibilité pour un tiers d’invoquer la nullité de l’acte méconnaissant les statuts n’est pas fixée[93]. Elle ne l’est pas davantage au titre de la responsabilité civile délictuelle. Les conséquences de la violation de la mission sont donc difficiles à cerner à l’égard des tiers. Le seul recours viable dont ils disposent est celui mentionné à l’article L. 210-11 du Code de commerce, lequel indique que « (…) le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d'enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société ». Il ne s’agit donc pas d’une sanction juridique stricto sensu mais d’une sanction médiatique à l’instar du mécanisme anglo-saxon du « Name and Shame », laquelle sanctionne « le trop plein en paroles et le trop peu en actes [en jetant] le discrédit sur les entreprises qui embellissent la réalité à l’aide de logiques cosmétiques. Il vise, en érodant leur capital réputationnel, à les contraindre de modifier leur politique »[94]. Le procédé peut donc être d’une redoutable efficacité dans une société de l'information où la défiance des consommateurs et des investisseurs coûte plus cher qu’une condamnation financière. Seulement, un État de droit saurait-il se satisfaire de déléguer son pouvoir de coercition à la vindicte populaire, témoignant de la sorte d’un étiolement de la démocratie représentative ? Si un juste équilibre entre régulation publique et régulation privée se conçoit à l’aune d’un contrôle objectif tel que réalisé par un « organisme indépendant »[95], cette démarche ouvre néanmoins la porte à la promotion d’une justice privée, laquelle peut être excessive, arbitraire, spécialement à l’heure où « les réseaux sociaux deviennent parfois des défouloirs malsains »[96].

En second lieu, dans les rapports internes, des questions se posent également en matière de nullité de l’acte, mais ce sont surtout les dirigeants qui risquent d’être sanctionnés, car, pour que la société puisse invoquer cette nullité, il faudrait que « la mission prévue par les statuts soit considérée comme une clause aménageant une disposition impérative au sens de l’article L. 235-1 du Code de commerce, […], à moins que l’adoption du statut constitue véritablement une nouvelle limite légale aux pouvoirs de tous les organes sociaux »[97]. Les dirigeants sociaux sont donc les premiers exposés par la menace d’être révoqués ou de voir leur responsabilité engagée pour avoir méconnu les statuts et commis une faute de gestion. Au-delà de ces conséquences strictement juridiques, cette faute de gestion contraire à l’intérêt social élargi, à la raison d’être, ou à la mission de la société, pourrait-elle être qualifiée d’acte anormal de gestion d’un point de vue fiscal[98] ?

Force est de constater que les implications engendrées par ces nouveaux concepts sont nombreuses et semblent se démultiplier à l’infini. Les incertitudes prévalent, à défaut d’applications concrètes, et il appartiendra, là encore, à la pratique et aux juges, de préciser les ramifications de ces textes. Toutefois, cette délégation n’est guère satisfaisante. Les doutes suscités sont tels qu’ils remettent en cause la qualité de la loi et l’habilité du législateur à édicter des principes clairs et intelligibles, conformément aux exigences constitutionnelles. Afin de conférer toute sa vigueur à la responsabilisation des entreprises, un remède consisterait à redonner son sens au mot « responsabilité », lequel implique une reddition de comptes effective, lorsqu’une personne ou une organisation porte atteinte, par son comportement, aux valeurs garanties par la loi.

II. La création d’un nouveau cas de responsabilité civile des entreprises

L’état des lieux réalisé démontre que si la transposition de la démarche RSE dans la loi est louable, elle engendre cependant de trop nombreuses incertitudes[99]. Celles-ci peuvent toutefois être résorbées par la consécration d’un nouveau cas de responsabilité civile, lequel est non seulement fondé juridiquement (A) mais aussi, parfaitement viable, grâce au soutien d’un régime à la fois classique et novateur (B).

A. Les fondements de la consécration d’un nouveau cas de responsabilité civile

Cette consécration est fondée par la convergence des textes du droit positif vers l’application de la responsabilité civile (1) et la nécessaire recherche d’une plus grande attractivité de nos règles de droit (2).

1. Une convergence du droit positif vers cette consécration

Qu’elles soient explicitement posées ou implicitement suggérées, les sanctions de la méconnaissance des textes ayant trait à la RSE tendent à engager la responsabilité civile du fautif : le dirigeant ou la société. Le flou entourant leurs conditions de mise en œuvre ne garantit cependant pas l’effectivité de l’action[100]. Néanmoins, puisqu’il existe une telle convergence vers l’application de la responsabilité civile, le droit gagnerait en clarté en édictant un nouveau principe général ayant pour champ d’application les entreprises.

Loin de faire valoir uniquement la fonction curative de la responsabilité civile, l’édiction de ce principe aurait aussi vocation à mettre en avant sa fonction préventive. Celle-ci mériterait en effet d’être davantage usitée, car elle constitue une alternative à la transposition de mécanismes inspirés du « soft law ». Leur intégration, plus ou moins heureuse, nuit à la cohérence de notre système juridique, dont la structure et l’esprit sont différents. Mais en dépit de ces différences, celui-ci contient aussi des instruments aptes à atteindre les objectifs préconisés dans le cadre d’une démarche dite « RSE ». À cet égard, la technique de la responsabilité civile semble particulièrement appropriée. Elle accorde une place centrale à l’idée d’obligation, en permettant la transformation d’un devoir éthique en une véritable obligation juridique. En outre, elle est suffisamment souple pour répondre à « la pression des faits sur le droit [laquelle] consiste en l’apparition de dommages nouveaux ignorés dans la période précédente : apparition des accidents liés à l’évolution technique, à la fin du XIXème siècle, apparition de nouveaux risques liés à l’évolution technologique, à la fin du XXème siècle » [101]. Comme le souligne le professeur Thibierge, « ces risques nouveaux amènent le droit positif à ses limites et viennent souligner son insuffisance. (…) Cette insuffisance constitue alors le terreau d’idées nouvelles : proposition de la théorie du risque, puis de la garantie qui permettent au droit de s’affranchir de l’exigence d’une faute prouvée et de créer ainsi une responsabilité sans faute ; développement philosophique du principe de responsabilité et de l’idée d’une responsabilité orientée vers l’avenir, qui permettrait au droit de s’affranchir de la nécessité d’un préjudice consommé et de créer une responsabilité pour simple menace de dommage, à la condition que celui-ci soit suffisamment grave »[102].

C’est vers cette dernière orientation que se dirige la présente proposition. Il ne s’agira pas de consacrer une responsabilité sans faute à l’égard des entreprises, car elles risqueraient de voir leur liberté d’entreprendre freinée par l’éventualité d’une interprétation subjective des juges[103]. Cette nouvelle responsabilité sera à la fois préventive et curative. Préventive en premier lieu, car, outre la crainte légitime de la sanction pécuniaire qu’elle engendrera, cette action permettra aussi d’obtenir des mesures de suspension, de conservation, et de créer des obligations de recherches complémentaires. Elle sera une responsabilité conservatoire en ce sens qu’elle pourra empêcher la réalisation future d’un dommage certain, dont l’existence se manifeste par des menaces. Mais cette responsabilité sera aussi curative, en second lieu, car elle a un rôle de rétribution[104], lequel est attendu de la société civile et même, paradoxalement, de la plupart des acteurs économiques[105]. À l’heure où notre droit s’évertue à poser des règles non coercitives pour se conformer à des standards anglo-saxons, un renforcement de cet aspect est plébiscité afin qu’une véritable crédibilité soit accordée aux entreprises les plus vertueuses[106]. En ce sens, un traité onusien contraignant les entreprises multinationales à respecter les droits humains est en débat[107], tandis que la commission nationale consultative des droits de l’Homme a également souligné la nécessité de davantage expliciter les responsabilités civiles, administratives et pénales, ainsi que leur articulation[108].

La présente proposition s’inscrit donc dans la lignée d’un renforcement de l’effectivité du droit en permettant de faire cesser l’illicite à un double niveau : avant la réalisation du dommage, en agissant sur sa source dans un but préventif, et une fois celui-ci réalisé, en vue d’atténuer le trouble subi, par la condamnation de son auteur afin, non seulement de réparer sa faute auprès de la victime, mais aussi, selon une fonction plus contemporaine, de dénoncer publiquement son comportement anti-social à l’instar des effets recherchés par la technique du « Name and Shame ». Au regard de ces éléments novateurs, le droit français garderait son rôle de précurseur en la matière, et la cohérence ainsi retrouvée lui conférerait une réelle attractivité.

2. Un principe renforçant l’attractivité du droit français

L’insertion de la notion de RSE dans le Code civil devait constituer le sommet d’une évolution tendant à incorporer le droit souple au droit dur afin de rendre les entreprises comptables d’une fraction de l’intérêt général. En rendant autonome cette notion par rapport aux obligations de conformité, la loi imposait aux entreprises non plus de déclarer mais d’agir. Il n’est pourtant pas certain que ces objectifs soient atteints à l’aune des impératifs d’accessibilité du droit et de sécurité juridique.

L’accessibilité du droit résultant de la modification du Code civil est de toute évidence discutable puisqu’il faut sans cesse se référer à l’étude d’impact et à l’avis du Conseil d’État pour en saisir la substance[109]. En outre, la modification du Code civil a certes une valeur symbolique forte mais sa portée, selon l’aveu même de l’étude d’impact, devrait être « nul[le], s’agissant de l’introduction de la référence à l’intérêt social (une simple intégration de solutions jurisprudentielles) et limité[e] pour ce qui concerne l’invitation à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société (une simple obligation de moyens »[110]. À l’heure où la crédibilité de la représentation nationale est remise en cause, il appartient au législateur de rectifier la voie choisie en respectant la fonction de la loi : celle d’exprimer la volonté générale. Or, notre société n’a pas seulement le souhait d’enjoindre aux entreprises ne respectant pas nos valeurs de mieux les considérer. Elle souhaite aussi que la loi assure son rôle et ait un effet coercitif à l’égard de celles qui se jouent, par d’habiles stratagèmes, de l’intérêt général[111].

L’absence de précision des sanctions attachées à ces injonctions légales conforte, malheureusement, ces comportements, tout en créant une insécurité juridique latente puisque la détermination des sanctions accompagnant leur méconnaissance est désormais déléguée à la pratique et aux juges[112]. Or les injonctions de communication ne résolvent pas les difficultés liées à une information erronée, tandis que l’éventualité d’un engagement d’une responsabilité des dirigeants, sur un plan purement interne, n’est guère satisfaisante au regard des enjeux collectifs auxquels ont trait ces réformes. En pratique, celles-ci ont également entraîné des lourdeurs procédurales et un surcoût pour les entreprises qui respectaient déjà volontairement, au titre du droit souple, les normes issues de la RSE[113].

La présente proposition de loi suggère un retour aux finalités respectives de la loi et de la gestion, car la RSE est avant tout une méthode de gestion. Elle se révèle difficilement transposable en tant que norme juridique, spécialement sous l’influence de techniques anglo-saxonnes, lesquelles engendrent, dans notre système juridique, de nombreuses incohérences. La loi, quant à elle, a vocation à édicter des principes généraux applicables au plus grand nombre. L’édiction d’un principe général applicable à l’ensemble des entreprises redonnerait une attractivité certaine à notre droit, lequel a perdu son unité, en légiférant sous le prisme de l’activité des plus grandes sociétés[114]. La démarche proposée est ainsi inversée par rapport à celle usitée pour transposer les normes de soft law. Il ne s’agit pas de s’immiscer dans la gestion des entreprises en leur enjoignant un comportement. Il s’agit de rappeler un impératif général : celui de respecter nos lois et nos valeurs. Les entreprises les plus susceptibles d’être concernées seront alors libres de choisir leur méthode afin de se conformer à cet impératif.

B. Le régime du nouveau cas de responsabilité civile

La proposition de loi est la suivante :

« Toute entreprise qui, du fait de son activité économique, porte atteinte aux lois et aux bonnes mœurs, est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

En présence d’un élément d’extranéité, le demandeur peut saisir la juridiction compétente du pays où est survenu le dommage ou son fait générateur. »

Si le champ d’application de la proposition comporte des éléments novateurs, sa mise en œuvre sera plus classique.

1. Le champ d’application du nouveau cas de responsabilité civile

Ce nouveau cas viserait toutes les entreprises (a), quand bien même le fait générateur de responsabilité ou son dommage se situeraient en dehors de nos frontières (b).

  1. Une responsabilité applicable à « toute entreprise »

La consécration d’un principe de responsabilité civile des entreprises constitue l’innovation majeure de cette proposition de loi. Elle s’inscrit dans la continuité du droit positif, tout en allant plus loin.

Aujourd’hui, des solutions jurisprudentielles et légales[115] tendent à contrer ponctuellement l’écran de la personnalité morale, afin que le véritable titulaire d’un pouvoir réponde de ses choix, lorsque ces derniers portent atteinte à autrui. Cette recherche de justice est prégnante à l’égard des groupes internationaux qui, par l’exercice d’un habile « forum shopping », contournent les contraintes légales et fiscales imposées par les États, tout en usant, à leur profit, des notions de personnalité morale, d’autonomie patrimoniale et de relativité des conventions. Or, les attentes de la société civile[116] et les critiques formulées à l’encontre du pointillisme du droit positif[117] laissent penser que le moment est venu de dépasser ces solutions ponctuelles.

La présente proposition permettrait à la loi de reconnaître, pour la première fois, l’entreprise en tant que structure économique, laquelle est traditionnellement définie comme « une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes »[118]. Ce concept dépassant les limites de la personnalité juridique, il serait dès lors inutile d’enrichir le Code civil d’un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui, que cette responsabilité soit qualifiée d’objective[119] ou de subjective[120].

La grande flexibilité du concept d’entreprise a en effet pour avantage d’englober de nombreuses organisations, allant de l’entreprise individuelle aux groupes internationaux, sans que la loi ait à définir précisément les relations de droit[121] ou de fait[122] unissant les différentes entités. Celles-ci devront néanmoins être prouvées par le demandeur à l’instance, car il lui appartiendra de déterminer quelle personne juridique, physique ou morale, incarne l’entreprise responsable du dommage. Dans cette perspective, si le litige comporte un élément d’extranéité, un choix devra lui être offert afin que son action ne soit pas entachée d’irrecevabilité.

  1. Une responsabilité civile universelle

La principale caractéristique de la loi de 2017 consacrant un devoir de vigilance a été de créer une obligation légale de garantie générale, à l’égard des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, pour les conséquences de leur activité, alors même que celle-ci serait exercée par d’autres organisations, y compris à l’étranger. Si l’intention du législateur a été saluée en tant qu’« avancée majeure vers une plus grande responsabilisation des entreprises, au-delà de leurs frontières juridiques classiques », certaines lacunes techniques lui confèrent une valeur surtout symbolique[123]. En effet, outre la superficialité du lien de causalité entre le dommage causé par la filiale et la méconnaissance de son devoir de vigilance par la société mère[124], la mise en œuvre du droit international privé aboutit à neutraliser le texte en présence d’un élément d’extranéité, alors même qu’un des objectifs de la loi était précisément de prendre en compte les dommages survenus à l’étranger[125]. L’hypothèse est classique et bien connue de la doctrine : « un demandeur domicilié dans un État non-membre de l’Union européenne et ayant subi un dommage grave dans ce pays intente une action contre une filiale non européenne d’une société mère européenne (en l’occurrence, française) et contre cette dernière. Les juridictions européennes (en l’occurrence, françaises) sont-elles compétentes pour une telle action ? Quelle est la loi applicable ? »[126]. Faute pour la loi de 2017 de répondre à ces questions, il convient d’appliquer le droit international privé. Or, son inefficacité a souvent été dénoncée, car il ne permet pas aux victimes d’obtenir réparation de leur préjudice, les privant ainsi d’un véritable accès à la justice[127]. Si l’action en responsabilité délictuelle est dirigée contre la société mère française, l’application du règlement 864/2004/CE dit « Rome II » ne garantit pas l’application de la loi française. Tout dépendra du type d’action intentée : atteinte aux droits fondamentaux, risques sanitaires ou encore dommages corporels ou environnementaux graves. La règle de conflit ne sera dès lors pas nécessairement la même. L’article 7 relatif aux atteintes à l’environnement est la plus protectrice de la victime, en lui permettant de choisir entre la loi du dommage, en principe applicable, et la loi du lieu du fait générateur. Pour les autres types de dommages, l’article 4 faisant figure de droit commun est applicable. Or, celui-ci donne en principe compétence à la loi du lieu de survenance du dommage. Par conséquent, la loi française sera seulement applicable si la société mère, française, doit répondre d’un dommage causé à l’environnement. Si l’action est dirigée contre la filiale à l’étranger, le résultat de l’application de la règle de conflit ne sera guère plus favorable à la victime puisqu’elle désignera, le plus souvent, la loi étrangère du lieu de survenance du dommage. Le règlement prévoit néanmoins quelques exceptions qui permettraient de fonder l’applicabilité du droit français, mais leur mise en œuvre demeure incertaine[128].

C’est pourquoi, afin de garantir l’accès des victimes à la justice, un second alinéa sera ajouté à la présente proposition. Sa rédaction s’inspire de la solution posée à l’article 7 du règlement dit Rome II, lequel est plus favorable aux victimes. Celles-ci auront dès lors le choix d’exercer leur action auprès des juridictions où est survenu le dommage ou son fait générateur, ce dernier se comprenant comme une atteinte faite aux lois ou aux bonnes mœurs par l’exercice de l’activité économique de l’entreprise.

  1. La faute : une atteinte aux lois et aux bonnes mœurs résultant d’une activité économique

Pour obtenir réparation d’un dommage subi, il appartient à la victime de prouver la faute de l’auteur du dommage. Aujourd’hui, la domination quasi exclusive de la faute en tant que fondement de la responsabilité civile a pris fin. Cependant, le nouveau régime proposé ne s’inscrira pas dans cette tendance contemporaine. Comme pour la loi sur le devoir de vigilance, l’idée d’une responsabilité objective et de plein droit doit être exclue. Une caractérisation de la faute sera en effet nécessaire afin que la responsabilité des entreprises ne soit pas engagée à la légère. Comme le souligne le professeur Bénabent, « toute faute est une défaillance de conduite. Mais cette définition souvent avancée n’est pas suffisante : défaillance par rapport à quoi ? Pour apprécier s’il y a défaillance, il faut une norme de référence, qui définit la conduite normale qu’il aurait fallu tenir en pareilles circonstances. Définir la faute contractuelle était relativement aisé par la référence aux obligations nées du contrat. La difficulté est plus grande en matière délictuelle : on se retrouve en effet en présence de personnes (l’auteur et la victime du dommage) qui ne sont unies par aucun lien juridique, sinon de vivre dans la même société, qui n’ont donc l’une envers l’autre aucune obligation, sinon celle de respecter mutuellement leurs droits et intérêts au sein d’une même société. La faute délictuelle est donc une atteinte à l’attitude que l’on peut attendre entre concitoyens normalement conscients et respectueux de l’équilibre qu’exige toute vie en société »[129]. Or, c’est précisément cette absence de sentiments d’appartenance à notre société qui est dénoncée à l’égard de certaines multinationales, lesquelles exercent une activité économique conséquente sur notre territoire, sans pour autant respecter l’ensemble de nos lois grâce à leur implantation à l’étranger. L’exemple le plus criant est celui des GAFAM qui, en dépit de la réalisation d’un chiffre d’affaires important, échappent à notre fiscalité. La jurisprudence administrative a récemment évolué afin de corriger cette injustice. Grâce à une reconsidération de la notion d’établissement stable, les bénéfices réalisés dans l’hexagone sont désormais assujettis en France selon le juge administratif[130]. Il appartient donc au législateur de donner aux justiciables et à nos institutions, notamment fiscales, des armes afin de saisir à son tour le juge judiciaire, et de condamner ce comportement portant atteinte à notre démocratie.

Toutefois, la mention explicite de cette contrariété dans le texte peut sembler redondante avec le fondement de la responsabilité délictuelle, laquelle suppose l’accomplissement d’un délit ou quasi-délit de la part de son auteur, c’est-à-dire d’un acte illicite. Mais, outre le fait de rejoindre la notion de faute telle qu’envisagée par la proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile[131], ce rappel présente deux vertus essentielles.

D’une part, il permet de concevoir un cadre de référence par rapport à un comportement normalement attendu. Autrement dit, il s’agit d’une injonction comportementale visant à faire respecter l’intérêt général tel qu’incarné par notre corpus juridique. Les lois doivent ainsi s’entendre au sens large, qu’elles soient d’ordre public ou non, désignant l’ensemble des niveaux de la pyramide des normes : de la constitution à la coutume, jusqu’aux règles dégagées par nos juridictions. La présente proposition estime également nécessaire d’ajouter au texte la référence aux bonnes mœurs afin que celles-ci servent de support subjectif et évolutif à l’appréciation des magistrats. Cette mention fait écho à l’article 6 du Code civil, lequel dispose qu’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. Cette notion n’a pas été définie en 1804 et ne le sera pas davantage à l’occasion de la présente proposition, car il s’agit d’une « norme cadre, (…) se concrétis[ant] par le canal du juge »[132]. En pratique, elle est une sorte de compromis entre « une éthique transcendantale » et « le fait de la majorité de la population »[133]. Les bonnes mœurs ne se confondent toutefois pas avec la morale : « alors que la morale poursuit le perfectionnement intérieur des individus, les bonnes mœurs visent seulement un conformisme extérieur. Mais cette morale sociale ne saurait elle-même s’identifier aux pratiques de la majorité de la population. La loi a donné délégation aux bonnes mœurs et non aux mœurs. Ce n’est pas parce qu’une étude révèlerait que la majorité des couples mariés est infidèle ou que la moitié des hommes politiques est corrompue qu’adultère et corruption deviendraient des composantes des bonnes mœurs. En définitive, il semble qu’on puisse définir les bonnes mœurs comme les règles de la morale sociale considérées comme fondamentales pour l’ordre même de la société »[134]. Or c’est précisément la place qu’occupe actuellement la RSE dans notre société. Par conséquent, englobées dans la notion cadre de bonnes mœurs, « les normes RSE, et plus généralement [leurs objectifs], constituent des données extra-juridiques que le juge est susceptible d’intégrer dans son appréciation de la faute »[135]. À travers cette incarnation de la RSE par les bonnes mœurs, la loi a ainsi vocation à rester souple et réceptive aux évolutions de la société.

Cette référence aux lois et aux bonnes mœurs a aussi vocation, d’autre part, à ce que la responsabilité des entreprises ne puisse être recherchée que pour l’existence d’une faute caractérisée. Il s’agit ici de ne pas décourager les innovations et initiatives entrepreneuriales. Le rôle de la loi est en effet d’établir un équilibre entre l’évolution de la société et le droit des entreprises d’exercer librement leur commerce et industrie sur notre territoire. À cet égard, il convient de souligner que « (…) pareilles craintes avaient déjà été émises lors de l’apparition de la théorie du risque, source d’une responsabilité sans faute, au début du XXème siècle. Cette dernière s’est pourtant développée, répondant au besoin impérieux d’indemnisation de certains dommages, grâce à l’impulsion de la doctrine et l’encadrement de la jurisprudence et de la loi »[136]. Il en sera de même pour la présente proposition de loi qui, en dépit de son caractère novateur, renvoie à l’application de la technique classique d’engagement de la responsabilité civile, à savoir, la démonstration d’un dommage, d’une faute, et d’un lien de causalité entre le premier et la seconde.

3. Le lien de causalité entre la faute et le dommage

La notion de lien de causalité sera celle usitée par le droit positif. Il appartiendra à la victime de prouver non seulement la faute du défendeur, mais encore le lien de causalité unissant cette faute à son dommage. Puisqu’une responsabilité pour faute est instituée, la charge de prouver cette causalité pèsera toujours sur le demandeur, qu’il s’agisse d’une causalité dite « adéquate » ou par « équivalence des conditions »[137]. Le dommage sera conçu un peu moins classiquement puisqu’admettant la possibilité d’une action préventive.

4. Des conséquences dommageables

Selon les rédacteurs du Code civil, « pour que [le dommage] soit sujet à réparation, [il] doit être l’effet d’une faute ou d’une imprudence de la part de quelqu’un »[138]. Comme pour les précédents cas de responsabilité, il n’appartient pas à la loi de définir les variétés de dommage, lequel peut être matériel ou moral.

Lorsque le dommage présentera une certaine nature relevant d’un cas spécial de responsabilité, tel un dommage causé à l’environnement, alors le dispositif spécial sera applicable en vertu de l’adage selon lequel « specialia generalibus derogant », le nouveau cas de responsabilité des entreprises ayant une vocation générale.

De même, les caractères traditionnels du dommage devront être respectés. Le dommage sera ainsi direct, certain et légitime. La mention des « conséquences dommageables » doit être interprétée souplement de façon à inclure les dommages futurs, dont la réalisation est certaine. Le texte proposé permet ainsi de donner un fondement à une action préventive de responsabilité civile.


proposition de loi

Article unique

Le chapitre IER du sous‑titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un article 1244‑1 ainsi rédigé :

« Art. 12441. – Toute entreprise qui, du fait de son activité économique, porte atteinte aux lois et aux bonnes mœurs, est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

« En présence d’un élément d’extranéité, le demandeur peut saisir la juridiction compétente du pays où est survenu le dommage ou son fait générateur. »


[1] Citons les réflexions en matière pénale sur la création d’un délit d’écocide. En matière fiscale sur une taxation des GAFAM eu égard à une optimisation fiscale dénoncée comme un moyen pour ces multinationales de s’exempter de leur obligation de contribuer à l’effort collectif. Mais également sur l’éventualité d’un contrôle des contenus diffusés sur les réseaux sociaux (v. notamment (Ch.) WOITIER, (A.) DEBOUTÉ, « Facebook fait face à la bronca grandissante de ses annonceurs – Plus de 800 marques boycottent le réseau pour qu’il agisse davantage contre la haine en ligne » Le Figaro, 4-5 juillet 2020).

[2] Ces questions sont confortées par les observations du Conseil d’Etat selon lesquelles « la loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner. Elle n’est pas faite pour bavarder, créer des illusions, nourrir des ambiguïtés et des déceptions » (CE, Sécurité juridique et complexité du droit, Doc. Française, 2006, p. 282).

[3] Citons les réflexions en matière pénale sur la création d’un délit d’écocide. En matière fiscale sur une taxation des GAFAM eu égard à une optimisation fiscale dénoncée comme un moyen pour ces multinationales de s’exempter de leur obligation de contribuer à l’effort collectif. Mais également sur l’éventualité d’un contrôle des contenus diffusés sur les réseaux sociaux (v. notamment (Ch.) WOITIER, (A.) DEBOUTÉ, « Facebook fait face à la bronca grandissante de ses annonceurs – Plus de 800 marques boycottent le réseau pour qu’il agisse davantage contre la haine en ligne » Le Figaro, 4-5 juillet 2020).

[4] Ces questions sont confortées par les observations du Conseil d’Etat selon lesquelles « la loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner. Elle n’est pas faite pour bavarder, créer des illusions, nourrir des ambiguïtés et des déceptions » (CE, Sécurité juridique et complexité du droit, Doc. Française, 2006, p. 282).

[5] C. com., art. L. 225-102-1.

[6] L. n° 2016-1691, 9 décembre 2016, art. 17.

[7] Le mouvement de la RSE est relativement ancien et né aux Etats-Unis. Le débat a été lancé par Howard Rothmann Bowen en 1953 (« The social responsabilities of the businessman », New York, Harper and Brothers, 1953) à la suite de Wallace Brett Donham (« The social significance of business », HBR, July 1927).

Pour un exposé historique, v. notamment : (S.) SWATON, « La responsabilité sociale des entreprises : un sursaut éthique pour combler un vide juridique ? », Revue de Philosophie économique, vol. 16, n° 2, p. 6

[8] (B.) AMANN, (J.) CABY, (J.) JAUSSAUD, (T.) PINIERO, « Activisme des actionnaires et responsabilité sociale des entreprises – Une comparaison Espagne – France – États-Unis – Japon », Revue de l’organisation responsable 2007, vol. 2, p. 37.

[9] Commission européenne, « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », Livre vert, juillet 2001.

[10] ONU, Global compact.

[11] Organisation internationale de normalisation (ISO), « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale », 2010.

V. à ce propos : (I.) CADET, « La norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale : une nouvelle source d’usages internationaux », Revue internationale de Droit Économique 2010, p. 401, spéc. p. 408 : « ce sont plus de 500 experts représentant plus de 90 pays et une quarantaine d’organisations internationales qui ont participé à l’élaboration de cette nouvelle norme ».

[12] La gouvernance, les droits de l’homme, les conditions et les relations de travail, l’environnement, les bonnes pratiques des affaires et la protection des consommateurs ainsi que la contribution au développement local.

[13] L. n° 2001-420, 15 mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Économiques (NRE).

[14] Ord. n° 2017-1180, 19 juill. 2017 transposant la directive n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014.

[15] (X.) BOUCOBZA, (Y.-M.) SERINET, « Loi “Sapin 2“ et devoir de vigilance : l’entreprise face aux nouveaux défis de la compliance », D. 2017, p. 1619, n° 3.

[16] L’entreprise, objet d’intérêt collectif, rapport, 9 mars 2018 ; v. également (J.) PAILLUSSEAU, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? », D. 2018, p. 1395.

[17] (I.) DESBARATS, « De l’entrée de la RSE dans le code civil », Dr. Social 2019, p. 47.

[18] (S.) VERNAC, « L’entreprise et sa raison d’être », Semaine sociale Lamy, 19 mars 2018 : « l’absence de toute référence expresse à l’entreprise, entendue comme cadre d’action […] non-réductible à la société, [étant particulièrement] regrettable ».

[19] (P.-H.) CONAC, « L’article 1833 et l’intégration de l’intérêt social et de la responsabilité sociale d’entreprise », Rev. Sociétés 2019, p. 570, n° 24 : « Il n’est donc pas certain que cette réforme était indispensable ».

[20] (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765.

[21] (F.-X.) LUCAS, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », BJS 2018, p. 477.

[22] Ass. Nat., Étude d’impact du projet de loi PACTE, p. 545.

[23] Citons les réflexions en matière pénale sur la création d’un délit d’écocide. En matière fiscale sur une taxation des GAFAM eu égard à une optimisation fiscale dénoncée comme un moyen pour ces multinationales de s’exempter de leur obligation de contribuer à l’effort collectif. Mais également sur l’éventualité d’un contrôle des contenus diffusés sur les réseaux sociaux (v. notamment (Ch.) WOITIER, (A.) DEBOUTÉ, « Facebook fait face à la bronca grandissante de ses annonceurs – Plus de 800 marques boycottent le réseau pour qu’il agisse davantage contre la haine en ligne » Le Figaro, 4-5 juillet 2020).

[24] V. notamment en ce sens : (P.) BERLIOZ, « Droit souple ou droit dur, un (non) choix lourd de conséquences », Rev. Sociétés 2018, p. 644, n° 26 : « C’est pourquoi, même si l’objectif du texte paraît louable, on peut se demander si l’instrument choisi est le plus adéquat. N’aurait-il pas été préférable de s’en tenir à des mécanismes purement incitatifs, voire si l’on souhaitait rendre une démarche RSE obligatoire à imposer une déclaration de performances extra-financières à d’autres sociétés qu’à celles qui y sont aujourd’hui tenues, le cas échéant, en prévoyant une déclaration allégée pour ces plus petites sociétés ? »

[25] CE, Sécurité juridique et complexité du droit, Doc. Française, 2006, p. 282.

[26] Selon une doctrine majoritaire, la sanction étatique est considérée comme le critère de la règle de droit (v. notamment à ce sujet : (P.) DEUMIER, Le droit spontané, Économica, 2002, § 259).

[27] (F.-G.) TREBULLE, « Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale », Rép. Soc. Dalloz.

[28] V. en ce sens : (J.-L.) BERGEL, « Droit et déontologies professionnelles », Lib. Univ. Aix-en-Provence, 1997, p. 16.

[29] On pense au droit du travail, de la consommation ou encore de l’environnement (v. à ce propos : (M.) BOUTONNET, « Des obligations environnementales spéciales à l’obligation environnementale générale en droit des contrats », D. 2012, p. 377 : « À la multiplication des obligations d’information environnementale créées par le législateur s’ajoutent des obligations issues du contrat destinées à encadrer écologiquement la prestation principale. L’engouement législatif et pratique est devenu tel que se pose la question de savoir si, à l’avenir, ces obligations environnementales ne deviendront pas “ spéciales “, donnant ainsi naissance à une obligation environnementale “générale“. »).

[30] Via le truchement d’une obligation naturelle, v. en ce sens : (F.-G.) TRÉBULLE, « Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale », Rép. Soc. Dalloz, n° 48.

[31] Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191.

[32] (N.) CUZACQ, « Le cadre normatif de la RSE, entre soft law et hard law », 2012, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00881860/document

[33] V. en ce sens notamment : (P.) ROUBIER, « L’arrêt des chambres réunies du 2 décembre 1941 et la théorie de la responsabilité civile », JCP 1942, I, 257 ; (D.) SCHMIDT, « La responsabilité civile des relations de groupes de sociétés », Rev. Sociétés 1981, p. 725, spéc. p. 738.

[34] PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de Code civil

[35] (P.) ABADIE, « Le juge et la responsabilité sociale de l’entreprise », D. 2018, p. 302.

[36] Ce devoir vise à garantir la transparence au sein de l’entreprise. Il consiste en une déclaration de performance extra-financière, laquelle a été étendue au domaine environnemental. Dans leur rapport de gestion, les sociétés concernées doivent fournir des informations « sur la manière dont [elles prennent] en compte les conséquences sociales et environnementales de [leur] activité, ainsi que, [pour une partie d’entre elles], les effets de cette activité quant au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption. La déclaration comprend des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit, à ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et de la lutte contre le gaspillage alimentaire, aux accords collectifs conclus dans l’entreprise et à leurs impacts sur la performance économique de l’entreprise ainsi que sur les conditions de travail des salariés, aux actions visant à lutter contre les discriminations et promouvoir les diversités et aux mesures prises en faveur des personnes handicapées ». Ces informations sont obligatoires et leur déclaration repose sur un mécanisme anglo-saxon consistant à s’appuyer sur des indicateurs ou, à défaut, sur des explications pertinentes : « comply or explain ». Leur véracité est garantie par l’avis d’un organisme tiers, lequel est transmis à l’assemblée des actionnaires ou des associés, en même temps que le rapport du conseil d’administration ou du directoire (C. com., art. L. 225-102-1, al. 6).

[37] Le Code de commerce impose à la société mère ou donneuse d’ordre un devoir de vigilance à l’égard des activités de ses filiales et sous-traitants en France et à l’étranger. Consacré en réponse à l’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013 et à la mort consécutive de plus d’un millier de travailleurs bangladais travaillant pour des marques internationales de vêtements, ce devoir se traduit par une obligation de mettre en place un plan de vigilance afin de prévenir les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sur l’ensemble de la chaîne entrepreneuriale. Ce plan doit ainsi comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle ». Le plan de vigilance et le compte-rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion de performance extra-financière (C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 5).

[38] Notamment C. civ., art. 1833 et 1835.

[39] C. com., art. L. 225-102-1.

[40] L. n° 2016-1691, 9 décembre 2016, art. 17.

[41] C. com., art. L. 225-102-4, al. 1er.

[42] V. néanmoins la proposition faite en ce sens : infra n° 38.

[43] V. en ce sens très critique : (F.-X.) LUCAS, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », BJS sept. 2018, p. 477.

[44] (J.) RENAUD et ali., « Loi sur le devoir de vigilance, année 1 : les entreprises doivent mieux faire », fév. 2019.

https://www.amnesty.fr/responsabilite-des-entreprises/actualites/les-entreprises-dans-le-viseur-des-ong

Et déjà ce constat avait été réalisé dès 2008 par le Sénat à propos du devoir de reporting (Rapport Sénat n° 552 – 2008-2009).

[45] V. notamment : (J.) CAMY, (C.) OBERKAMPF, « Devoir de vigilance des banques : quels constats à l’aune des premiers plans ? », Dr. Social 2020, p. 239 : « Le recours à des mécanismes et à des méthodes existants, qui prenaient jusqu’ici la forme d’engagements volontaires et non contraignants, s’inscrit au cœur de la démarche de vigilance. Cependant, force est de constater l’insuffisance de ces pratiques et leur hétérogénéité. »

[46] (X.) BOUCOBZA, (Y.-M.) SERINET, « Loi “Sapin 2“ et devoir de vigilance : l’entreprise face aux nouveaux défis de la compliance », D. 2017, p. 1619, n° 27.

[47] (J.) CAMY, (C.) OBERKAMPF, op. cit., Dr. Social 2020, p. 239.

[48] (F.-X.) LUCAS, op. cit., BJS sept. 2018, p. 477

[49] V. notamment : (A.) CONSTANTIN, « L’intérêt social : quel intérêt ? », in Etudes offertes au Pr. B. Mercadal, Editions Francis Lefebvre 2002, p. 317 et s ; (P.-H.) CONAC, « La société et l’intérêt collectif : la France seule au monde ? », Rev. Sociétés 2018, p. 558.

[50] La notion d’intérêt social est souvent comparée à une boussole pour un juge afin de déterminer lorsque les dirigeants ou associés ont outrepassé leurs pouvoirs et porté atteinte à l’autonomie de la personne morale (abus de droit de vote, juste motif de révocation, responsabilité d’un dirigeant social).

[51] Par exemple, dans le cadre d’une vente, une même chose est l’objet de deux intérêts contraires : un achat et une vente.

[52] V. à propos de cette catégorie de contrats : (P.) DIDIER, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L'avenir du droit. Mélanges en l'honneur de François Terré, Dalloz, PUF, Éditions du Juris-Classeur, 1999, pp.635-642.

[53] Exposé des motifs projet de loi PACTE, art. 61 : « Afin de conserver cette souplesse, essentielle à son application, le projet d’article ne propose pas de définition rigide, mais plutôt d’en consacrer la notion. L’obligation proposée d’une gestion des sociétés « dans l’intérêt social, en considération des enjeux sociaux et environnementaux » consiste ainsi à entériner, dans le Code civil, l’application qui en est faite en jurisprudence. Cette consécration entérinerait ainsi pour la première fois au niveau législatif un aspect fondamental de la gestion des sociétés : le fait que celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières, mais dans leur intérêt autonome et dans la poursuite des fins qui lui sont propres. »

[54] (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765.

[55] Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, n° 3.1 ss art. 61.

[56] V. à ce propos : (M.) TIREL, « La réforme de l’intérêt social et la “ponctuation signifiante“ », D. 2019, p. 2317.

[57] (P.-H.) CONAC, « L’article 1833 et l’intégration de l’intérêt social et de la responsabilité sociale d’entreprise », Rev. Sociétés 2019, p. 570, n° 18 : « Une situation difficile serait celle où une société devrait promouvoir un projet qui respecterait les normes environnementales mais qui pourrait néanmoins affecter l’environnement, comme une exploration pétrolière dans un écosystème fragile ».

[58] Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, n° 3.1 ss art. 61 : « il importe de souligner […] que la rédaction de l’article 1833 est à même de résoudre une difficulté résultant d’une éventuelle contradiction entre l’intérêt social et certains enjeux environnementaux et sociaux. Pour tout acte de gestion, elle affirme en effet la primauté du respect de l’intérêt social ; les enjeux sociaux et environnementaux doivent quant à eux “être pris en considération“. L’article 1833 dans sa nouvelle rédaction ne devrait pas être lu comme autorisant le dirigeant à se fonder sur des considérations d’ordre social ou environnemental pour prendre une décision contraire à l’intérêt social ».

[59] V. en ce sens, (P.-H.) CONAC, op. cit., loc. cit. : « En réalité, les juges sont réticents, sauf exception notamment en cas de faillite, à porter un jugement sur les opérations de gestion ».

[60] Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, n° 1.1.2 ss art. 61.

[61] (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765, n° 4.

[62] (A.) TADROS, op. cit., n° 10.

[63] (A.) TADROS, op. cit., n° 11.

[64] (D.) FASQUELLE, AN, commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, compte rendu n° 21, 14 sept. 2018, p. 55.

[65] Un effort de clarification est tenté par l’étude d’impact selon laquelle l’objet social définit « la nature de l’activité que la société déploie pour partager un bénéfice ou profiter d’une économie », la raison d’être devrait plutôt s’appréhender comme « l’ambition que les fondateurs de la société proposent de poursuivre ». La raison d’être s’oppose aussi à l’intérêt social, celui-ci étant une composante « essentielle » et « principale » de la société ; « la raison d’être en [étant] l’intérêt accessoire, éventuellement non patrimonial, qui ne contredit par [cet] intérêt social, mais que l’activité de la société doit contribuer à satisfaire » (p. 543).

[66] L’alinéa 1er de ce texte dispose que : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. »

[67] Selon l’exposé des motifs de la loi PACTE, cette modification de l’article 1835, alinéa 2, devrait inciter, « sous la forme d’un effet d’entraînement, les sociétés à ne plus être guidées par une seule “raison d’avoir“, mais également par une raison d’être, forme de doute existentiel fécond permettant de l’orienter vers la recherche du long terme ».

[68] (A.) TADROS, op. cit., n° 25.

[69] (F.-X.) LUCAS, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », BJS sept. 2018, p. 477, ajoutant : « Au-delà, il faut signaler que le contrat de société n’est pas la cause des maux dénoncés car, s’il vise à enrichir les associés, c’est au même titre que d’autres contrats permettant l’exercice d’une activité économique. La location procure au bailleur des revenus, la vente vise à enrichir le vendeur et le crédit le banquier, sans que personne ait jamais prétendu imposer à ces parties de modifier l’économie du contrat au nom d’enjeux sociaux et environnementaux ».

[70] (N.) CUZACQ, « Le cadre normatif de la RSE, entre soft law et hard law », 2012, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00881860/document

[71] C. com., art. L. 225-102, al. 3.

[72] (C.) DUBOST, AN, commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.

[73] (P.) BERLIOZ, « Droit souple ou droit dur, un (non) choix lourd de conséquences », Rev. Soc. 2018, p. 644, n° 2.

[74] Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, p. 546.

[75] CE, avis sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, 14 juin 2018.

[76] Cette exclusion résulte d’un amendement justifié par le souci « d’éviter que le juge ne s’immisce trop dans la gestion et les orientations des sociétés » (amendement CS 1479, rapporteur (C.) DUBOST, AN, commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, 14 septembre 2018, compte rendu n° 21, p. 46).

[77] Ibid.

[78] (P.) BERLIOZ, op. cit. ; (I.) DESBARATS, « De l’entrée de la RSE dans le code civil – Une évolution majeure ou symbolique ? (article 61 du projet de loi PACTE) », Dr. Social 2019, p. 47 ; (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765.

[79] (A.) TADROS, op. cit., n° 16.

[80] (R.) VATINET, « La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux, devant les juridictions civiles », Rev. Sociétés 2003, p. 247.

[81] Cass. com., 20 mai 2003, Seusse c/ SATI, n° 99-17092, D. 2003, p. 2623, note (B.) DONDERO.

[82] Comp. défav. Cass. com., 18 janvier 2017, n° 14-16.442, D. 2017, p. 1036, note (D.) MAZEAUD ; fav. 3ème civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, RTD com. 2018, p. 701, obs. (A.) LECOURT.

[83] Cass. com., 13 novembre 2013, n° 12-25.675, D. 2014, p. 183, note (B.) DONDERO.

[84] Également en ce sens : (A.) LECOURT, « Statuts et actes annexes – Statuts proprement dits », Rép. Sociétés Dalloz, 2020, n° 18 : « Théoriquement, une réponse positive nous semble pouvoir être apportée mais, pratiquement, la mise en œuvre de cette action semble bien vouée à l’échec ».

[85] La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 vise à prévenir les atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes et à l’environnement, ainsi qu’à responsabiliser les grandes entreprises en cas de dommages causés par leurs sous-traitants ou fournisseurs, notamment à l’étranger.

[86] À défaut de respecter ses obligations dans un délai de trois mois à compter d’une mise en demeure, la juridiction compétente ou le président du tribunal statuant en référé peut, à la demande de toute personne intéressée, enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, de les respecter (C. com., art. L. 225-102-4).

[87] C. com., art. L. 225-102-5.

[88] (I.) DESBARATS, « La RSE “à la française“ : où en est-on ? », Dr. Social 2018, p. 525.

[89] Cons. consti., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, D. 2017, p. 2501, obs. (G.) ROUJOU De BOUBÉE, (T.) GARÉ, (C.) GINESTET, (M.-H.) GOZZI, (S.) MIRABAIL et (E.) TRICOIRE.

[90] (A.) DANIS-FATÔME, (G.) VINEY, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », D. 2017, p. 1610.

[91] D. n° 2020-1, 2 janv. 2020 relatif aux sociétés de mission. Il s’agit de l’avant-dernier dispositif entré en vigueur dans le cadre du mouvement de légalisation de la RSE. Le dernier dispositif étant celui des fonds de pérennité.

[92] (R.) DALMAU, « Les sociétés à mission : quelle nature et quelles sanctions ? », JCP E 2020, 1136, n° 3.

[93] Cass. 3ème civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, P+B, JCP N 2018, n° 26, act. 585 ; contra Cass. com., 23 oct. 2019, n° 18-11.425, JCP N 2020, n° 17, 1090, note (M.) STORCK.

[94] V. à ce propos : (N.) CUZACQ, « Le mécanisme du Name and Shame ou la sanction médiatique comme mode de régulation des entreprises », RTD com. 2017, p. 473.

[95] C. com., art. R. 210-21, II, al. 1er.

[96] (N.) CUZACQ, op. cit.

[97] (R.) DALMAU, op. cit., n° 7.

[98] Ce dernier se définissant comme un acte « accompli dans l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise ou qui n’apporte à cette dernière qu’un intérêt minime hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer » (A.) LECOURT, « Statuts et actes annexes – Statuts proprement dits », Rép. Sociétés Dalloz, 2020, n° 20.

[99] V. supra n° 12 et s.

[100] V. supra n° 21 et s.

Pour une illustration concrète de ces difficultés, v. (N.) CUZACQ, « Premier contentieux relatif à la loi « vigilance » du 27 mars 2017, une illustration de l’importance du droit judiciaire privé », D. 2020, p. 970 ; (M.) HAUTEREAU-BOUTONNET, « Première assignation d’une entreprise pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique : quel rôle préventif pour le juge ? », D. 2020, p. 609.

[101] (C.) THIBIERGE, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p. 577.

[102] Ibid.

[103] V. infra (faute)

[104] (Ph.) LE TOURNEAU, « Responsabilité – généralités », Rép. dr. civil, Dalloz, n° 7.

[105] (N.) CUZACQ, « Le cadre normatif de la RSE, entre soft law et hard law », 2012, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00881860/document: « Il est intéressant de noter que les entreprises vertueuses en matière de RSE souhaitent la création de dispositifs plus contraignants afin que leurs efforts soient reconnus par leurs parties prenantes. Également, le GRI (Global Reporting Initiative) a récemment admis les limites des démarches purement volontaires en matière de reporting, car il a proposé une avancée à l’échelle de l’Union européenne ».

V. également la proposition faite par Amnesty international France de créer un délit spécifique (cité par l’Orse, « La certification des informations sociales et environnementales », Étude Orse 2004, p. 28).

[106] « L’absence d’un cadre légal engendre un phénomène de sélection adverse puisque les entreprises peu vertueuses obtiennent un avantage comparatif, en embellissant la réalité auprès de leurs parties prenantes. Les entreprises vertueuses sont alors enclines à demander une intervention publique afin de ne pas subir une concurrence déloyale de la part des passagers clandestins » ( (N.) CUZACQ, op. cit.).

[107] Communiqué du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, 8 mars 2018 : https://www.ldh-france.org/dossier-presse-traite-onu-les-multinationales-les-droits-humains/ (vu le 07/01/2021)

[108] Avis de l’Assemblée plénière du 15 octobre 2020 sur le suivi du projet d’instrument juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’Homme, recommandation n° 12.

[109] V. les nombreux développements attestant des doutes sur le contenu et la portée des notions ainsi introduites : supra n° 13 et s.

[110] Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, p. 545.

[111] V. supra n° 5.

[112] V. supra n° 18 et s.

[113] V. par exemple : (J.) CAMY, (C.) OBERKAMPF, « Devoir de vigilance des banques : quels constats à l’aune des premiers plans ? », Dr. Social 2020, p. 239.

[114] (P.-H.) CONAC, « L’article 1833 et l’intégration de l’intérêt social et de la responsabilité sociale d’entreprise », Rev. Sociétés 2019, p. 570, n° 25 : « La réforme illustre un défaut récurrent du législateur français qui légifère pour toutes les sociétés alors qu’il ne vise que les sociétés cotées ou les grandes sociétés. »

[115] V. notamment : en droit des procédures collectives : C. com., art. L. 621-2, (B.) GRELON et (C.) DESSUS-LARRIVÉ, « La confusion des patrimoines au sein d’un groupe », Rev. sociétés 2006, p. 281 ; C. com., art. L. 651-2 et s. (action en comblement pour insuffisance d’actif) ; en droit de la concurrence (E.) CLAUDEL, « La responsabilité au sein des groupes de sociétés en droit de la concurrence : un exemple à suivre ?, in Actes du colloque de l’Université de Paris Nanterre, Indépendance juridique de la personne morale versus dépendance économique, dir. L. Sinopoli et A. Danis-Fatôme, JCP E 2017 ; en droit du travail (E.) PESKINE, « Réseaux d’entreprise et droit du travail », LGDJ 2008, spéc. n°215 ; (G.) AUZERO, « Les co-employeurs », in Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ, 2011, p. 43 ; en droit de l’environnement (M.) PRIEUR, Droit de l’environnement, Dalloz, 7ème éd., 2016, n° 1334 ; (C.) HANNOUN, « La responsabilité environnementale des sociétés mères », Envir. 2009, n° 7, p. 33 et s.

[116] V. supra n° 1.

[117] V. notamment les critiques adressées à la mise en œuvre de la responsabilité civile dans le cadre de la violation du devoir de vigilance (supra n° 24).

[118] Définition de l’INSEE au 18/01/2021 : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1496

[119] (P.) CATALA, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. fr., 2006, art. 1360, al. 2 : « De même, est responsable celui qui contrôle l’activité économique ou patrimonial d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ». V. également (F.) TERRÉ, Pour une réforme de la responsabilité civile, 2011, art. 7 :

« La faute de la personne morale résulte de l’acte fautif de ses organes ou d’un défaut d’organisation ou de fonctionnement.

Une société ne répond du dommage causé par la société qu’elle contrôle ou sur laquelle elle exerce une influence notable que si, par une participation à un organe de cette société, une instruction, une immixtion ou une abstention dans sa gestion, elle a contribué de manière significative à la réalisation du dommage. Il en va de même lorsqu’une société crée ou utilise une autre société dans son seul intérêt et au détriment d’autrui. »

[120] Mission Lepage, rapport final, proposition n° 68 :

« Toute société répond du dommage environnemental ou sanitaire causé par la faute de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, en cas de défaillance de ces dernières. Celui qui consent en connaissance de cause un concours destiné à financer une activité violant manifestement les dispositions du Code de la santé publique ou du Code de l’environnement engage sa responsabilité en raison des préjudices subis du fait des concours consentis. La connaissance ne se présume pas.

Les responsabilités ci-dessus ont lieu à moins que les personnes désignées ne prouvent qu’elles n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. »

[121] C. com., art. L. 233-3.

[122] Fictivité, confusion de patrimoine (C. com., art. L. 621-2), direction de fait, apparence (v. notamment : Cass. ass. Plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056, Tapie, D. 2006, p. 2933, note (D.) HOUTCIEFF ; RTD com. 2007, p. 207, obs. (D.) LEGEAIS).

[123] (A.) DANIS-FATÔME, (G.) VINEY, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », D. 2017, p. 1610 ; (K.) HAERI, « Une loi partiellement mais sévèrement censurée qui conserve une portée symbolique forte », JCP 2017, p. 545 ; (P.-L.) PERIN, Devoir de vigilance et responsabilité illimitée des entreprises : qui trop embrasse mal étreint, RTD com. 2015, p. 215 ; (H.) DELANNOT, « Devoir de vigilance des entreprises à l’égard de leurs fournisseurs étrangers : quels enjeux ? », D. 2015, p. 1088 ; (A.) PIETRANCOSTA, (E.) BOURSICAN, « Vigilance : un devoir à surveiller ! », JCP 2015, p. 553.

[124] V. supra n° 24.

[125] V. en ce sens : (E.) PATAUT, « Le devoir de vigilance. Aspects de droit international privé », Dr. soc. 2017, p. 833 ; (O.) BOSKOVIC, « Brèves remarques sur le devoir de vigilance et le droit international privé », D. 2016, p. 385.

[126] BOSKOVIC, op. cit., D. 2016, p. 385, n° 2.

[127] (D.) BUREAU et (H.) MUIR WATT, Droit international privé, PUF, 2014, n° 1024-1.

[128] BOSKOVIC, op. cit., D. 2016, p. 385, n° 6 : « On pense à la clause d’exception, à l’exception d’ordre public, aux règles de sécurité et de comportement ou encore à la technique des lois de police ».

[129] (A.) BÉNABENT, Droit civil – Les obligations, Domat, 11ème édition, 2007, p. 383, n° 540.

[130] CE, 11 décembre 2020, n° 420174, Conversant International Ltd.

[131] Proposition nouvel art. 1241 du Code civil : « Constituent une faute la violation d’une proposition légale ou réglementaire, ainsi que le manquement au devoir général de prudence ou de diligence. »

[132] (F.) TERRÉ, (Ph.) SIMLER, (Y.) LEQUETTE, Droit civil – Les obligations, Dalloz, Précis, 10ème éd., 2009, n° 387, p. 402.

[133] Ibid.

[134] Ibid.

[135] (P.) ABADIE, « Le juge et la responsabilité sociale de l’entreprise », D. 2018, p. 302.

[136] (C.) THIBIERGE, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p. 577.

[137] (A.) BÉNABENT, Droit civil – Les obligations, Domat, 11ème édition, 2007, p. 396, n° 557.

[138] Discours au Corps législatif, LOCRÉ, t. XIII, p. 57.