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N° 3927 rectifié

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 février 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative au scrutin législatif à la proportionnelle intégrale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Patrick MIGNOLA,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2013, Jean‑Marc Sauvé, vice‑président du Conseil d’Etat, expliquait lors d’un colloque ([1]) « qu’en matière politique, « représenter peut signifier trois choses ». En premier lieu, « tenir lieu de » : en matière de théorie du mandat politique, le titulaire d’un mandat représentatif « se substitue à celui qu’il représente », puisqu’il n’existe pas de mandat impératif. En second lieu, représenter peut signifier « ressembler » : c’est à ce sens que se rattache, par exemple, l’idée, non de représentation, mais de représentativité d’une institution. La question est alors, par exemple, de savoir si le Parlement est représentatif, en termes notamment de genre et d’origines, de la population française. Enfin, en un troisième sens, représenter peut signifier « être le porte‑parole de », ce dernier sens étant sans doute de plus en plus prégnant ». Cette question de représentation et, corollairement, de « trahison représentative ([2]) » est au cœur du débat public depuis deux siècles avec en filigrane cette attente plus ou moins forte selon les époques de « faire du Parlement le miroir de la nation ([3]) ». Cet objectif a été clairement affirmé par le président de la République, le 3 juillet 2017, devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles. Emmanuel Macron a marqué sa volonté de voir la démocratie française renouer « avec la variété du réel, avec la diversité de cette société française » qui est le souffle profond de la vitalité démocratique de notre pays. Si la « réalité (…) plurielle » de la France est entrée, dans une large mesure, à l’Assemblée nationale en 2017, elle est cependant inachevée. C’est pourquoi, le président de la République a appelé les parlementaires à mener ce combat avec lui, à œuvrer pour « que le Parlement soit élu avec une dose de proportionnelle, pour que toutes les sensibilités y soient justement représentées[4]. »

Cette volonté présidentielle, solennellement affirmée au lendemain des élections législatives, répond à une demande croissante des Français. Ainsi, dans un sondage de l’institut Ifop de novembre 2020[5], 73 % d’entre eux se déclarent favorables à l’introduction d’une dose de proportionnelle aux élections législatives. Derrière ce chiffre, il y a l’expression d’une contestation, celle d’une Assemblée nationale dont le visage n’est pas totalement celui de la France d’aujourd’hui. Il y a aussi un enjeu démocratique fondamental, celui du rétablissement du lien de confiance entre les électeurs et la démocratie représentative.

En 1986, la France a connu le scrutin législatif à la proportionnelle intégrale. C’était la concrétisation d’une proposition qui figurait parmi les 101 propositions de François Mitterrand, lors de la campagne de 1981. Mais les élections législatives de 1988 ont signé le retour du scrutin majoritaire. Pour autant, l’idée de la proportionnelle n’a pas totalement disparu. Elle a même figuré dans plusieurs programmes aux élections présidentielles et notamment ceux des candidats élus :  Nicolas Sarkozy et François Hollande. Paradoxalement, ces promesses de campagne n’ont pas trouvé de traduction dans le code électoral pendant leurs quinquennats.

Aujourd’hui, le déficit de représentation que nos concitoyens ressentent « peut donner le sentiment à une partie importante des électeurs que leur voix ne compte pas ». Cela les « pousse à des comportements de « vote utile » vécus avec amertume mais aussi, le cas échéant, à l’abstention ([6]). Ainsi, aux élections législatives de 2017, pour la première fois depuis 1958, seuls 42,64 % des inscrits se sont déplacés pour le second tour ; un record dans la droite ligne du premier tour (seuls 49,7 % des électeurs y avaient participé).

Si la France n’a pas renoué avec la proportionnelle pour le scrutin législatif, en Europe, la proportionnelle est la norme. Ainsi, au sein de l’Union européenne, vingtetun pays ont des systèmes proportionnels, et cinq ont des systèmes mixtes. La France quant à elle se singularise avec le scrutin majoritaire uninominal à deux tours.

Le but de l’élection, quelles qu’en soient les règles, est d’assurer la représentation politique du peuple souverain ([7]), mais les Français se sentent insuffisamment représentés dans la diversité de leurs sensibilités. C’est pourquoi le retour d’un scrutin législatif à la représentation proportionnelle les séduit majoritairement. A contrario, elle effraie une partie du personnel politique qui craint qu’elle ne soit, notamment, une source d’instabilité gouvernementale. La IVe République a laissé des traces dans la mémoire politique collective, mais les causes de son instabilité ne peuvent être intégralement attribuées à la proportionnelle. De plus, le contexte institutionnel a beaucoup évolué au sein d’une Ve République qui a fait preuve de sa robustesse. Instaurer la proportionnelle intégrale, pour les futures élections législatives, revient donc à assurer la meilleure, et la plus juste, représentation politique des Français. C’est aussi renforcer le rôle du Parlement, lui redonner la légitimité qui doit être la sienne, réaffirmer sa place dans le fonctionnement de nos institutions et remettre la démocratie représentative au cœur de la vie politique de notre pays.

Nous devons aujourd’hui nous rassembler pour donner au Parlement le vrai visage de la France. Nous devons nous extraire d’intérêts partisans immédiats qui desservent la vitalité de notre démocratie et érodent l’indispensable lien de confiance avec nos concitoyens.

Notre responsabilité de législateur est de faire évoluer la loi électorale vers une proportionnelle intégrale pour les prochaines élections législatives. C’est ainsi que notre assemblée pourra véritablement correspondre aux trois définitions du verbe « représenter » données par Jean‑Marc Sauvé ([8]) : « tenir lieu de », « ressembler » et « être le porte‑parole de ».

Tel est l’objet de cette proposition de loi, à travers quatre articles.

L’article 1 réécrit l’article L. 123 du code électoral pour prévoir que les députés sont élus, dans les départements, qui forment une circonscription, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel.

Pour les députés élus par les Français établis hors de France, le vote a lieu dans une circonscription unique.

L’article 2 réécrit l’article L. 124 du code électoral pour prévoir que seules sont admises à la répartition des sièges les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Il précise également les modalités d’attribution des sièges.

L’article 3 réécrit l’article L. 125 du code électoral pour prévoir, notamment, les modalités de répartition des sièges des députés élus.

L’article 4 supprime l’article L. 126 du code électoral.

proposition de loi

Article 1er

L’article L. 123 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L. 123. ‒ Les députés sont élus, dans les départements, au scrutin de liste à la représentation proportionnelle à la plus forte moyenne, sans panachage ni vote préférentiel. Le département forme une circonscription. 

« Pour les députés élus par les Français établis hors de France, le vote a lieu dans une circonscription unique. »

Article 2

L’article L. 124 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L. 124. ‒ Seules sont admises à la répartition des sièges les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. Les sièges sont attribués aux candidats d’après l’ordre de présentation sur chaque liste. Si plusieurs listes ont la même moyenne pour l’attribution du dernier siège, celui‑ci revient à la liste qui a obtenu le plus grand nombre de suffrages. En cas d’égalité de suffrages, le siège est attribué au plus âgé des candidats susceptibles d’être proclamés élus. »

Article 3

L’article L. 125 du code électoral est ainsi rédigé :

« Art. L. 125. ‒ Les sièges des députés élus dans les départements sont répartis conformément aux tableaux n° 1 et n° 1 bis pour la Nouvelle‑Calédonie et les collectivités d’outre‑mer régies par l’article 74 de la Constitution annexés au présent code. Les sièges des députés élus par les Français établis hors de France sont répartis conformément au tableau n° 1 ter annexé au présent code.

« La révision de la répartition des sièges a lieu au cours de la première session ordinaire du Parlement qui suit la publication des résultats du recensement général de la population. »

Article 4

L’article L. 126 du code électoral est abrogé.


([1])  Colloque de la Fondation prospective et innovation organisé le 21 mars 2013 sur le thème : « les défis de la démocratie représentative. » https ://www.conseiletat.fr/actualites/discoursetinterventions/institutionsetdemocratierepresentative

([2])  S. BAUME, Le Parlement face à ses adversaires. La revue de science politique 2006/6 (Vol. 56).

([3])  Terra Nova, 19 mars 2018. « Une dose de proportionnelle » : pourquoi, comment, laquelle ? » https ://tnova.fr/system/contents/files/000/001/540/original/TerraNova_Modesdescrutin_190318.pdf?1521457070

([4]) https ://www.elysee.fr/emmanuelmacron/2017/07/03/discoursdupresidentdelarepubliquedevantleparlementreuniencongres

([5])  https ://www.ifop.com/wpcontent/uploads/2020/11/117717R%C3%A9sultats.pdf

([6])  Terra Nova, 19 mars 2018. « Une dose de proportionnelle » : pourquoi, comment, laquelle ? https ://tnova.fr/system/contents/files/000/001/540/original/TerraNova_Modesdescrutin_190318.pdf?1521457070

([7])  Intervention de JeanMarc Sauvé lors du colloque de la société de législation comparée le 10 novembre 2017 au Conseil d’État. https ://www.conseiletat.fr/actualites/discoursetinterventions/laloielectoraleeneurope

([8])  Colloque de la Fondation prospective et innovation organisé le 21 mars 2013 sur le thème : "les défis de la démocratie représentative." https ://www.conseiletat.fr/actualites/discoursetinterventions/institutionsetdemocratierepresentative .