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N° 4010

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 mars 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à favoriser l’autonomie des majeurs protégés et à lutter contre les violences exercées à l’encontre des personnes vulnérables,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Stéphanie ATGER, Camille GALLIARDMINIER, Annie VIDAL, Audrey DUFEU, Fadila KHATTABI, Christine CLOARECLE NABOUR, Lénaïck ADAM, Didier BAICHÈRE, Aurore BERGÉ, Claire BOUCHET, Annie CHAPELIER, Sylvie CHARRIÈRE, Stéphane CLAIREAUX, JeanCharles COLASROY, Fabienne COLBOC, Yves DANIEL, Stella DUPONT, Raphaël GÉRARD, Émilie GUEREL, Danièle HÉRIN, Caroline JANVIER, Gaël LE BOHEC, Charlotte PARMENTIERLECOCQ, Nicole LE PEIH, Jacqueline MAQUET, Didier MARTIN, Sereine MAUBORGNE, Naïma MOUTCHOU, Zivka PARK, Florence PROVENDIER, PierreAlain RAPHAN, Cécile RILHAC, Stéphane TESTÉ, JeanLouis TOURAINE, Alain TOURRET, Laurence VANCEUNEBROCK, Corinne VIGNON, PierreYves BOURNAZEL,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire que nous traversons a souligné l’importance dans le débat public des politiques du grand âge, au service du bien‑être et du bien vivre de nos aînés. Si les contingences qui ont constitué cette épidémie nous ont astreints à considérer une vulnérabilité objectivement plus forte des personnes âgées face au virus, elles ont aussi mis en exergue des invariants dont les faits de maltraitances font partie.

Par leur nature, plusieurs constats s’imposent sur ces phénomènes. D’abord, les maltraitances sont plurielles, elles comptent naturellement les faits les plus graves, à savoir les infractions pénales allant des violences physiques aux privations, la vulnérabilité étant souvent le terreau des abus de faiblesse, de confiance, des vols. Mais cette dernière induit également des éléments tout aussi importants et à teneur plus morale, par un manque de considération des sentiments de la personne âgée dans les choix de vie qui l’impactent directement, notamment quand cette dernière est placée sous un régime de tutelle, de curatelle ou de protection judiciaire. Moins ostensibles que les premiers, ces phénomènes plus insidieux de limitation des libertés sont pourtant lourds de sens, et ils structurent, tout en étant structurés par celle‑ci, une conception sociale de l’âge comme fléau, et non comme une chance.

D’après son dernier rapport d’activité n° 3977, la principale plateforme de recueil des faits de maltraitances sur les personnes vulnérables, compte en moyenne 25 000 appels par an dont la grande majorité concerne des personnes âgées. 75 % des dossiers ouverts à la suite de ces appels concernent des faits commis à domicile, dans un environnement familial, le reste dans des établissements médico‑sociaux. De façon dynamique, on déplore une augmentation importante des dossiers ouverts depuis 2019 et la crise sanitaire a mis en lumière une augmentation de 16 % des maltraitances à domicile et parallèle d’une inflexion légère du nombre de dossiers en établissement. Il convient de s’enquérir de ces augmentations.

Les maltraitances à l’égard des personnes vulnérables, au premier rang desquelles les personnes âgées, ne sont pas assez connues. Dans la sphère familiale, elles font l’objet de tabous encore vifs qu’une variété de dispositions législatives renforcent encore ; en établissement, leur signalement connaît plusieurs freins, notamment dus à un manque de connaissance des dispositifs existants de protection des lanceurs d’alertes. Les chiffres précités confirment ce constat : d’une part la surreprésentation des maltraitances à domicile apparue à la faveur de la crise sanitaire confirme un manque important de signalements en raison des freins à l’alerte, d’autre part les maltraitances envers les personnes âgées dans la sphère familiale allant croissant, il faut qu’elles aient toute notre attention, au même titre que l’ensemble des violences intrafamiliales. Il existe malheureusement dans ce cadre beaucoup de faits de maltraitance dont on a connaissance très longtemps après.

Partant, il appartient au législateur d’agir sur quatre fronts principaux, à savoir une considération renouvelée de la personne vulnérable par son âge par d’une part une réaffirmation de sa citoyenneté, et d’autre part par un recentrement de ses choix dans les procédures de mise sous tutelle ou curatelle. Le troisième front est de penser un régime de protection pour les lanceurs d’alerte le plus complet possible pour favoriser les signalements en établissement médico‑sociaux, le quatrième est de s’attaquer aux tabous qui subsistent autour des violences intrafamiliales. Cela doit être complété par la réalisation d’une étude transversale sur les faits de maltraitance, encore trop méconnus et pas assez quantifiés, tant dans le débat public que par les décideurs. Tel est l’objet de cette proposition de loi.

Le titre Ier, inspiré du rapport Carron‑Déglise (2018), vise à réaffirmer la citoyenneté pleine et entière des personnes majeures vulnérables placées sous tutelle, curatelle ou protection judiciaire.

Pour ce faire, l’article 1er comporte deux volets. Le premier reconnaît le vote de la personne majeure sous tutelle, curatelle ou protection judiciaire, comme un acte réputé strictement personnel, et le deuxième intègre ces actes strictement personnels (au même rang que la déclaration de naissance d’un enfant, sa reconnaissance, les actes de l’autorité parentale relatifs à la personne d’un enfant, la déclaration du choix ou du changement du nom d’un enfant et le consentement donné à sa propre adoption ou à celle de son enfant) au rang des droits fondamentaux et de la dignité de la personne, dont le respect est une condition fondamentale dans l’exercice de la protection de la personne majeure en vertu de l’article 415 du code civil.

Le titre II réaffirme, en prolongeant la dernière réforme des tutelles inscrite dans la dernière loi de programmation de la justice, la place déterminante des choix et des sentiments que la personne majeure la plus concernée est en mesure d’exprimer dans les procédures de mise sous tutelle ou curatelle.

À ce titre, l’article 2 se fondant sur la prise en compte des sentiments de la personne protégée pour désigner le tuteur ou le curateur inscrite dans l’article 449 du code civil par la loi de programmation de la justice, réforme ledit article pour en exclure la hiérarchisation qui existe, d’une part, le conjoint de la personne mise sous tutelle ou curatelle, et d’autre part, sa famille, ses alliés et son entourage proche. Partant de la prise en compte des sentiments précités, qui est au fondement de la désignation du tuteur ou du curateur, une telle hiérarchisation n’a pas lieu d’être.

L’article 3 donne la possibilité au juge de mettre en place, en amont de la mise sous tutelle ou curatelle, une enquête sociale, sur le modèle de l’article 372‑2‑12 du code civil qui vaut pour l’autorité parentale, permettant de faire une désignation du tuteur ou du curateur éclairée, minutieusement étudiée, lorsque cela est nécessaire.

Le titre III tend à renforcer le régime de protection des lanceurs d’alerte dans les établissements médico‑sociaux.

Dans ce sens, l’article 4, inscrit dans le code de l’action sociale et des familles l’interdiction du non renouvellement ou de la révocation des contrats pour les lanceurs d’alerte, d’une part, et, d’autre part, il étend ce régime de protection aux stagiaires et apprentis. Cela répond à un besoin d’adresser plus encore le traitement des alertes, qui sont encore insuffisantes, la DGCS indiquant l’année dernière que sur 200 signalements, 11 seulement concernaient des maltraitances en EHPAD, montrant une sous‑représentation criante par rapport aux proportions observées dans la population. Un moyen d’y parvenir est d’élargir la base des personnes protégées dans ce cadre.

L’article 5 complète le précédent, en inscrivant l’article 323‑24 du code de l’action sociale et des familles dans l’article 911‑1‑1 du code de la justice administrative, par lequel la juridiction peut prescrire de réintégrer toute personne ayant fait l’objet d’un licenciement, d’un non‑renouvellement de son contrat ou d’une révocation en méconnaissance de l’article modifié comme précédemment.

Le titre IV s’inscrit en faveur d’un renforcement de lutte contre les maltraitances financières et physiques dans le code pénal, notamment dans la sphère familiale.

Ainsi, l’article 6 vise à exclure du champ de l’immunité familiale les délits s’appliquant aux personnes vulnérables.

Il tend de ce fait à s’attaquer aux tabous des maltraitances financières en famille induits par l’immunité familiale pour les cas de vol, d’abus de confiance, d’escroquerie ou de chantage. Une variété de réformes ont déjà agi pour appliquer sur un champ de plus en plus restreint cette immunité, en l’excluant des cas de vols d’objets essentiels au quotidien de la victime, dont la loi donne une liste limitative, ou bien en excluant les tuteurs, curateurs, les mandataires spéciaux désignés dans le cadre d’une sauvegarde de justice, les personnes habilitées dans le cadre d’une habilitation familiale ou les mandataires exécutant un mandat de protection future de la victime du champ de sa protection. Mais cela est insuffisant pour protéger des personnes vulnérables qui peuvent être victimes d’abus et de privations de la part de leurs descendants ou de leur conjoint.

Tout l’effort de limitation qui a été fait pour l’article 311‑12 relatif au vol sur les objets énumérés n’est de facto pas applicable pour les autres délits pour lequel cet article trouve à s’appliquer. Il est donc temps d’inscrire une limitation du champ de l’immunité familiale portant sur la personne victime, qui trouve à s’appliquer aux autres délits moraux qu’elle regroupe.

L’inscription d’une exclusion de l’immunité familiale à l’égard des personnes vulnérables, dans la formulation qui est donnée de la vulnérabilité dans l’ensemble du code pénal, résout un paradoxe : en l’état de ce code, la personne victime est protégée contre les abus commis par son tuteur ou curateur en qui elle est réputée avoir une relation de confiance, mais pas contre les autres de ses descendants qui sont manifestement plus susceptibles de commettre des faits de maltraitance financière et de privations.

L’article 7 vise à harmoniser la définition des circonstances aggravante dues à la vulnérabilité de la victime des infractions énumérées dans le code pénal, pour que cette vulnérabilité soit mieux circonscrite pour toutes ces infractions.

Enfin, le titre V, par l’article 8, engage le Gouvernement à remettre au parlement une étude globale et transversale sur les faits de maltraitances envers les personnes vulnérables, au premier rang desquelles les personnes âgées, les données sur ces phénomènes étant encore fractionnées, empêchant de circonscrire à la hauteur de son importance cette problématique qui touche toutes les générations.

proposition de loi

Titre Ier

Disposition relative à un recentrement
de la citoyenneté des personnes âgées
sous tutelle ou curatelle

Article 1er

Le titre XI du livre Ier du code civil est ainsi modifié :

1° Au second alinéa de l’article 458, après le mot : « personnels » sont insérés les mots : « le vote, » ;

2° La seconde phrase du troisième alinéa de l’article 415 est complété par les mots : « et respecte le caractère strictement personnel des actes mentionnés au second alinéa de l’article 458 du présent code ».

Titre II

dispositions relatives À un renforcement de la prise en compte des choix de la personne majeure dans la procÉdure de mise sous protection, tutelle ou curatelle

Article 2

L’article 449 du code civil est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est complété par les mots : « un parent, un allié ou une personne résidant avec le majeur protégé ou entretenant avec lui des liens étroits et stables » ;

2° Le deuxième alinéa est supprimé.

Article 3

L’article 416 du code civil est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À cette fin, le juge des tutelles peut donner mission à toute personne qualifiée d’effectuer une enquête sociale afin de recueillir des renseignements sur la situation de la personne mise sous tutelle ou curatelle et sur les conditions dans lesquelles elle vit. Si une personne pouvant prétendre exercer la mesure de protection conteste les conclusions de l’enquête sociale, une contre‑enquête peut à sa demande être ordonnée. » ;

2° Au début du deuxième alinéa, le mot : « Ils » est remplacé par les mots : « Le juge des tutelles et le procureur de la République ».

Titre III

Dispositions relatives À la protection des lanceurs d’alerte en Établissement mÉdicosocial

Article 4

L’article L. 313‑24 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa est ainsi modifié :

a) Après le mot : « salarié », sont insérés les mots : « un stagiaire, un apprenti » ;

b) Après la première occurrence du mot : « travail », sont insérés les mots : « , ou le cas échéant du contrat d’apprentissage, de la convention de stage » ;

2° Au deuxième alinéa, après le mot : « licenciement » sont insérés les mots : « de non‑renouvellement du contrat ou de révocation ».

Article 5

À l’article L. 911‑1‑1 du code de la justice administrative, après le mot : « travail » sont insérés les mots : « , de l’article L. 313‑24 du code de l’action sociale et des familles ».

Titre IV

Dispositions relatives À un renforcement de lutte contre les maltraitances financiÈres et physiques dans le code pÉnal

Article 6

Le dernier alinéa de l’article 311‑12 du code pénal est ainsi rédigé :

« b) Lorsque la victime est une personne dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à un état de grossesse ou à la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur. »

Article 7

Le titre II du livre II du code pénal est ainsi modifié :

1° Au second alinéa de l’article 222‑30‑1, les mots : « particulièrement vulnérable » sont remplacés par les mots : « dont la particulière vulnérabilité due à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à un état de grossesse ou à la précarité de sa situation économique ou sociale est apparente ou connue de son auteur » ;

2° Au premier alinéa de l’article 225‑13, à l’article 225‑14 et à la première phrase de l’article 225‑14‑2, après le mot : « dépendance », sont insérés les mots : « dus à son âge, à une maladie, à une infirmité, à une déficience physique ou psychique, à un état de grossesse ou à la précarité de sa situation économique ou sociale » ;

3° À la fin du second alinéa de l’article 225‑12‑1 et à l’article 225‑16‑2, les mots : « ou à un état de grossesse » sont remplacés par les mots : « à un état de grossesse ou à la précarité de sa situation économique ou sociale ».

Titre V

Dispositions pour une Étude centrale et complÈte des phÉnomÈnes de maltraitance regroupant
À l’Échelle nationale

Article 8

Deux ans après la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les phénomènes de maltraitances physiques, psychologiques, financières et institutionnelles à l’égard des personnes âgées vulnérables. Ce rapport présente les données, y compris sexuées, dont disposent la direction générale de la cohésion sociale, les agences régionales de santé et les plateformes et cellules de recueil des faits de maltraitance.