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N° 4017 2e rectifié

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 mars 2021.

PROPOSITION DE LOI

établissant la garantie d’emploi par l’État employeur en dernier ressort,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanHugues RATENON, Danièle OBONO, JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,  

Député·es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit à l’emploi est proclamé par le 5e alinéa du préambule de la Constitution du 27 octobre 1946, auquel se réfère la Constitution du 4 octobre 1958. Cet alinéa pose le principe fondamental selon lequel : « Chacun a le devoir de travailler et le droit d’obtenir un emploi ». Il est également évoqué par l’article 23 de la Déclaration universelle des droits de l’Homme de 1948 : « Toute personne a droit au travail, au libre choix de son travail, à des conditions équitables et satisfaisantes de travail et à la protection contre le chômage ».

Pourtant, jusqu’à présent, la République française a échoué dans cette responsabilité historique d’accorder un emploi à chaque personne.

La tâche est d’autant plus urgente que notre pays compte aujourd’hui plus de 6 millions de chercheuses et chercheurs d’emploi, pour un taux de chômage qui s’est stabilisé au cours des dix dernières années autour de 9 % des personnes actives.

Le chômage est d’abord un problème social qui frappe les personnes qui en sont victimes. Sa permanence en fait un fléau qui possède plusieurs dimensions et provoque ou aggrave d’autres difficultés. Plus les personnes sont éloignées de l’emploi, plus le taux de pauvreté augmente. C’est parmi les chômeurs et chômeuses que la proportion de pauvres est la plus élevée.

D’autant que tous les demandeurs et demandeuses d’emploi ne perçoivent pas d’allocation chômage. Sur 6,4 millions d’inscrit·es à Pôle emploi, moins de la moitié sont indemnisé·es, soit 2,6 millions de personnes. Et si la protection sociale indemnise 60 % des chômeurs et chômeuses, les 40 % restants, en fin de droits, radié·es ou en errance, sont privé·es de ressources. Tandis que les personnes indemnisées le sont à hauteur de 1 058 € mensuel en moyenne, 40 % d’entre elles et eux recoivent moins de 970 €.

La crise sanitaire que nous traversons a encore aggravé la situation. Notre pays fait face à la vague de chômage la plus importante de son histoire. Un million de personnes ont perdu leur emploi, souvent précaire, en trois mois. Plus de 700 000 emplois ont été détruits. En Outre‑mer, le chômage frappe encore plus fort avec des taux de 20 à 40 % et touche beaucoup de jeunes.

Vecteur de pauvreté économique, le chômage entraîne souffrances physique et mentale : selon l’association Solidarités nouvelles, les chômeurs et chômeuses sont deux fois plus nombreux et nombreuses que les salarié·es ayant un emploi stable à estimer que leur état de santé n’est pas satisfaisant. Et la mortalité s’accroît avec les périodes de chômage vécues. 14 000 décès par an au moins sont imputables au chômage, notamment du fait de l’inclination à la dépression, au suicide et aux troubles de santé liés au stress. Le chômage est donc à la fois un problème social et une question de santé publique.

Plus indirectement, le chômage aggrave les déséquilibres et injustices de notre société : les personnes victimes de discriminations en raison de leur couleur de peau, origine, religion, genre, orientation sexuelle ou situation de handicap, par exemple, en sont particulièrement victimes. L’enclavement territorial expose également davantage à ce risque.

Le chômage de masse a également un impact sur le quotidien des salarié·es qui, dans leurs entreprises ou administrations, se sentent menacé·es par l’existence de ce risque auquel elles et ils sont exposé·es. Cela a grandement contribué, ces trente dernières années, à affaiblir les collectifs de travail face aux détenteurs et détentrices du capital.

Enfin, il faut évoquer l’impact du chômage sur l’équilibre et la pérennité budgétaire de nos systèmes de protection sociale. On pense évidemment à l’assurance‑chômage, qui subit l’augmentation et le maintien à un haut niveau du chômage, mais aussi les régimes de retraites.

Éradiquer le chômage, c’est rétablir durablement l’équilibre du système de retraites et rendre possible un départ à la retraite plus rapide des assurés sociaux. La privation d’emploi a un coût pour la société que l’on peut estimer à 43 milliards d’euros annuels selon ATD Quart Monde et l’association « Territoires zéro chômeur de longue durée ».

Si la lutte contre le chômage a été l’étendard politique de tous les gouvernements successifs, le fléau au nom duquel tous les reculs sociaux ont été possibles, force est de constater que les recettes libérales n’ont pas fonctionné : ni les baisses de cotisations sociales et le soutien fiscal aux entreprises, ni les mesures de « flexibilisation » du droit du travail ne l’ont fait reculer.

Les ordonnances réformant le Code du travail de septembre 2017 ont eu un effet aggravant très net. Basées entièrement sur l’idée que le chômage était dû à la « peur d’embaucher » des chef·fes d’entreprise, et non sur une activité insuffisante, ces ordonnances ont uniquement contribué à affaiblir les collectifs de travail, à augmenter l’arbitraire au sein des entreprises et à rendre la justice prud’homale impuissante face aux licenciements abusifs.

Il en va de même du Crédit impôt compétitivité des entreprises (Cice) transformé en allégements de cotisations patronales : selon son comité de suivi, il n’aurait généré que quelques dizaines de milliers d’emplois par an, pour un coût extrêmement élevé d’environ 20 milliards par an.

Réduire le « coût du travail », « flexibiliser » l’emploi pour faciliter les embauches ne sont pas et n’ont jamais été des solutions. Non, favoriser les détenteurs et détentrices du capital ne fait pas diminuer le chômage. Multiplier ces recettes inefficaces n’est qu’un simple prétexte pour donner de nouvelles marges financières et juridiques aux plus riches.

Quant aux mesures visant régulièrement à augmenter le contrôle et les sanctions qui pèsent sur les chômeurs et chômeuses, elles nient la dimension sociale du phénomène en faisant des individus les seuls responsables de leur situation. Or, il ne suffit pas de traverser la rue pour trouver un emploi, surtout dans un contexte où c’est la pénurie qui règne.

La dernière réforme en date de l’assurance chômage, entrée en vigueur le 1er novembre 2019, en est un exemple typique. Elle punit les demandeurs et demandeuses d’emploi sous couvert d’inciter le retour à l’emploi : la moitié des 2,6 millions de chômeuses et chômeurs ont vu leurs prestations diminuer ; selon les estimations de l’Unédic, 710 000 personnes auraient été impactées négativement. Pire, les plus touchées seraient les personnes fragiles, « plus jeunes que la moyenne des allocataires » et disposant « de droits plus courts, avec des salaires plus bas ». 

Le dernier levier utilisé par les gouvernements successifs a nié la pénurie d’emplois, en estimant à tort que notre pays était plutôt marqué par une grande inadéquation entre le niveau de formation et les emplois disponibles, et qu’en formant tout le monde on parviendrait à réduire drastiquement le chômage. C’était l’objectif de la seconde grande loi travail de Macron, dite « pour la liberté de choisir son avenir professionnel » et qui s’est entièrement basée sur ce mythe. Or, quand il n’existe qu’un emploi vacant pour vingt demandeurs et demandeuses d’emploi, comment supposer qu’une bonne formation résoudra tout ?

Cette pénurie d’emploi fait du chômage un phénomène intrinsèque au capitalisme contemporain, et donc un risque collectif auquel sont confrontés les individus, dont la protection ne peut leur être entièrement imputée : de l’injonction à favoriser son « employabilité » par une bonne situation géographique et une formation toujours plus adaptée, à celle d’accepter n’importe quel emploi sous peine de privation d’indemnités, le gouvernement actuel ne fait que faire peser sur les épaules individuelles une responsabilité qui est systémique.

Les législateurs et législatrices doivent tirer les conclusions de ces échecs et changer de méthode. Et c’est parce qu’il s’agit d’une responsabilité systémique qu’il est temps que l’État et les collectivités jouent un rôle actif dans l’éradication du chômage de masse, autre que la subvention sans frein ni fard ni contrepartie du secteur privé ou le détricotage du droit qui régit les rapports de travail.

En proclamant les conditions d’un droit réel au travail, notre pays ne fait que rejoindre d’autres programmes internationaux qui agissent en ce sens. La Bill of Economic Right puis la Full Employment Bill du président Roosevelt aux USA, le programme Jef@s de Hogar en Argentine, le National Rural Employment Guarantee Act en Inde, nous montrent comment des pays ruinés par les crises ou en développement ont été capables d’assurer le prochain droit que notre époque appelle : un emploi pour chaque personne qui en désire un.

La crise multidimensionnelle (sanitaire, écologique, économique, sociale et démocratique) que nous vivons impose une remise en question du modèle, destructeur et aveugle, sur lequel est basé nos sociétés. Reconstruire l’économie comme avant, comme si de rien n’était serait un moyen d’accélérer un processus d’autodestruction auquel il s’agit au contraire de mettre un coup d’arrêt.

L’heure est à la justice sociale et environnementale, à l’intervention populaire à tous les échelons, au contrôle public du crédit et de l’investissement et de la planification par l’État au service de l’intérêt général. C’est dans cette transformation que s’inscrit la création d’une garantie d’emploi, par laquelle l’Etat est employeur en dernier ressort et de droit opposable en justice.

L’État s’engage à proposer ou à financer un emploi à tout chômeur et toute chômeuse de longue durée qui souhaite travailler, au salaire de base du secteur public ou davantage. Cela permettra non seulement de réduire le chômage, mais aussi de satisfaire des besoins dans des secteurs non polluants, ou à effet social et écologique positif : amélioration de la vie urbaine (espaces verts, restauration de bâtiments), prise en charge des personnes en situation de dépendance et des enfants en bas âge, activités scolaires ou artistiques, etc. Ces emplois ont ceci de particulier qu’ils ne font pas croître l’usage des ressources, donc qu’ils ne pèsent d’aucun poids sur l’environnement.

L’expérience des « territoires zéro chômeur de longue durée » offre un premier aperçu d’une telle garantie de l’emploi. Elle repose sur trois idées : personne n’est inemployable (tout le monde a des compétences et a droit à la reconnaissance sociale de celles‑ci), l’argent ne manque pas et le travail non plus — ce qui manque, c’est l’emploi tel que le définit le marché, c’est‑à‑dire le travail qui valorise le capital. Il s’agit donc de dépasser le principe de protection contre les aléas du marché du travail en offrant une garantie d’emploi qui, de surcroît, contribuera à satisfaire des besoins non couverts par le marché.

Une vertu supplémentaire d’un tel programme tient à la constitution d’un socle minimal de normes sociales, en termes de conditions de travail et de rémunération, dont les effets protecteurs se diffuseraient à l’ensemble des salarié·es. Avec l’emploi garanti, le travail cesse d’être une marchandise, car son existence et son utilité ne sont plus déterminées par le marché.

C’est à cette fin que la présente proposition de loi prévoit l’instauration de la garantie d’emploi passant par un État employeur en dernier ressort des chômeurs et chômeuses de longue durée et la mise en œuvre effective d’un droit opposable. Inspirée du programme L’Avenir en commun, porté par Jean‑Luc Mélenchon lors de l’élection présidentielle de 2017, elle fait suite à un travail mené avec des citoyens et citoyennes, des responsables associatifs, des syndicalistes, des économistes et des juristes au sein d’ateliers participatifs.

Le premier article de la proposition de loi vise à rappeler les grands principes qui doivent animer un service national de l’emploi, les compétences des différentes collectivités pour assurer et participer au financement d’un emploi à toute personne qui en est durablement privée.

Son deuxième article définit les modalités de la garantie d’emploi, contrat à durée déterminée d’au moins 12 mois renouvelable deux fois. Sa durée hebdomadaire doit être au moins égale à 20 heures, afin d’éviter des détournements de ce dispositif vers la mise en place d’emplois précaires.

Son troisième article prévoit la mise en place des instances nationales et locales qui seront pilotes du dispositif de garantie d’emploi de droit opposable. Il s’agit de permettre, d’une part, d’avoir une vision nationale de la répartition de l’emploi, et, d’autre part, d’avoir des leviers locaux de dynamisation, en lien avec notamment les représentants et représentantes des demandeuses et demandeurs d’emploi, des syndicats, et les territoires.

Le quatrième article assure le financement de la proposition de loi par la mise en place des gages habituels.

 


proposition de loi

Titre IER 

Principes gÉnÉraux de la garantie d’emploi de droit opposable

Article 1er

Le code du travail est ainsi modifié :

 L’article L. 5311‑1 du code du travail est ainsi rédigé :

« Art. L. 53111.  Le service public de l’emploi a pour mission l’accueil, l’orientation, la formation, l’insertion. Il comprend le placement, le versement d’un revenu de remplacement, l’accompagnement des demandeurs et demandeuses d’emploi, l’aide à la sécurisation des parcours professionnels de tous les salariés et toutes les salariées, l’octroi et le financement d’un emploi correspondant à ses qualifications, sa formation et à son parcours professionnel à toute personne qui en est durablement privée et qui en fait la demande, suivant le principe de la garantie d’emploi de droit opposable. »

2° L’article L. 5311‑3 est ainsi rédigé :

« Art. L. 53113.  La région, le département, les communes et leurs groupements concourent et participent à la coordination du service public de l’emploi dans le cadre du dispositif de garantie d’emploi de droit opposable, prévu aux articles L. 5134‑130, L. 6123‑3, L. 6123‑4, L. 5322‑1 à L. 5322‑4. »

3° Après le 6° de l’article L. 5312‑1, il est inséré un 7° ainsi rédigé :

« 7° Octroyer et financer un emploi à toute personne qui en est durablement privée dans les conditions prévues à l’article L. 5134‑136, à la suite d’une convention tripartite entre Pôle emploi, l’association d’emploi et la personne intéressée. »

Titre II

Emplois de droit

Article 2

Le chapitre IV du titre III du livre Ier de la cinquième partie du code du travail est complétée par une section 10 ainsi rédigée :

« Section 10

« Contrat de droit opposable

« Art. L. 5134130.  Le contrat proposé dans le cadre de la garantie d’emploi de droit opposable est un contrat à durée déterminée d’au moins douze mois, renouvelable deux fois, soumis pour les conditions de travail et pour son motif de recours aux conditions définies au présent code.

« Le contrat proposé tient compte des qualifications, de la formation et du parcours professionnel de la personne qui en fait la demande.

« La durée hebdomadaire est comprise entre 20 et 35 heures.

« Le salaire est calculé sur la base du SMIC et de façon à garantir qu’il ne soit pas inférieur au revenu antérieur. »

« Art. L. 5134131. – Le contrat prévu à l’article L. 5134‑130 doit expressément mentionner qu’il est conclu dans le cadre de la présente section « contrat de droit opposable » et inclure une référence explicite à la convention de financement prévue à la section 2 du présent chapitre. »

« Art. L. 5134133. – La demandeuse ou le demandeur d’emploi recevant la proposition est libre d’accepter ou non l’offre qui lui est faite. »

Titre III

Nouvelles structures

Article 3

I. – Un Conseil national de la garantie d’emploi de droit opposable est constitué. Il est composé paritairement de représentants et représentantes :

‒ des usagers et usagères de la garantie d’emploi ;

‒ des organisations syndicales, salariales et patronales, représentatives ;

‒ de l’État, de l’Assemblée nationale, de l’Assemblée des départements de France, de l’Assemblée des maires de France ;

‒ du Conseil économique, social et environnemental ;

‒ du Défenseur des droits ;

‒ d’institutions de recherches.

II. ‒ Un comité des partenaires est mis en place dans chaque agence locale de Pôle emploi pour coordonner le dispositif. Il est composé de représentants et représentantes :

‒ des usagers et usagères de la garantie d’emploi ;

‒ des services concernés à Pôle emploi ;

‒ des associations de personnes en recherche d’emploi ;

‒ des collectivités territoriales chargées de la mise en œuvre de ce droit ;

‒ de membres des syndicats représentatifs d’employeur·ses et de salarié·es ;

‒ d’associations, notamment de défense des droits humains et de l’environnement ;

‒ de citoyens et citoyennes tiré·es au sort.

III. ‒ Les membres du comité des partenaires constituent le conseil d’administration d’une association d’emploi à but non‑lucratif. Elle embauche les bénéficiaires du dispositif.

IV. ‒ Un décret en Conseil d’État établit ces comités, les modalités précises de leurs compositions, fonctionnements et les champs de compétences.

Titre IV

Financement de la proposition

Article 4

I. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création de taxes additionnelles aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.