1

Description : LOGO

N° 4063

_____

ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 avril 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à la revalorisation des carrières des femmes dans l’agriculture,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Jacqueline DUBOIS, Olivier DAMAISIN, Huguette TIEGNA, Alain PEREA, Yves DANIEL, JeanBaptiste MOREAU, MarieChristine VERDIERJOUCLAS, JeanBernard SEMPASTOUS, Pierre VENTEAU, Florent BOUDIÉ, Danièle HÉRIN, Michel DELPON, Didier LE GAC, Laurence GAYTE, Rémy REBEYROTTE, Fabienne COLBOC, Martine LEGUILLEBALLOY, Hervé PELLOIS, Véronique HAMMERER, Nicole LE PEIH, Monique IBORRA, AnneLaure CATTELOT, JeanPierre CUBERTAFON, Annie VIDAL, Frédérique LARDET, JeanCharles COLASROY, Sylvain TEMPLIER, Stéphane TROMPILLE, Éric GIRARDIN, JeanClaude LECLABART, Isabelle RAUCH, Laëtitia ROMEIRO DIAS, Frédéric DESCROZAILLE, Sophie BEAUDOUINHUBIÈRE, JeanLuc FUGIT, Caroline JANVIER, Grégory BESSONMOREAU, Yannick HAURY, Danielle BRULEBOIS, Aude BONOVANDORME, Fabrice LE VIGOUREUX, Laurence VANCEUNEBROCK, Sandrine LE FEUR, Anne BLANC, Mireille ROBERT, Alice THOUROT, Richard RAMOS, Pierre PERSON, Corinne VIGNON, Yaël BRAUNPIVET, Monique LIMON, Béatrice PIRON, Sacha HOULIÉ, Christine HENNION, Nicole TRISSE, Annie CHAPELIER, Stéphane TESTÉ, Hervé BERVILLE, Stéphane MAZARS, Philippe HUPPÉ, Claire BOUCHET, Nathalie SARLES, Valérie THOMAS, Bertrand SORRE, Christelle DUBOS, François de RUGY, Alexandre FRESCHI, Stéphane BUCHOU, Bruno BONNELL, Graziella MELCHIOR, Sandrine MÖRCH, Carole BUREAUBONNARD, Bertrand BOUYX, Sereine MAUBORGNE, Thierry MICHELS, Stéphanie RIST, Véronique RIOTTON, Stéphane TRAVERT, Gaël LE BOHEC, Xavier BATUT, Élisabeth TOUTUTPICARD, Christophe LEJEUNE, Monica MICHEL, Pascale BOYER, Sira SYLLA, Valérie GOMEZBASSAC, Célia de LAVERGNE, Blandine BROCARD, François CORMIERBOULIGEON, AnneLaurence PETEL, Souad ZITOUNI, Cécile RILHAC, Yannick KERLOGOT, Françoise BALLETBLU, Yves BLEIN, Bruno MILLIENNE, Florence LASSERRE, Stella DUPONT, Mohamed LAQHILA, Florence GRANJUS, Pascale FONTENELPERSONNE, Marion LENNE, Buon TAN, Danièle CAZARIAN, Séverine GIPSON, Paul CHRISTOPHE, Benoit POTTERIE, Sophie PANONACLE, Raphaël GÉRARD, Florence PROVENDIER, Jean TERLIER, Cathy RACONBOUZON, Sophie ERRANTE, Thomas GASSILLOUD, Philippe MICHELKLEISBAUER, MariePierre RIXAIN, Loïc KERVRAN, Bérangère COUILLARD, AnneFrance BRUNET, Stéphanie KERBARH, Christine CLOARECLE NABOUR, Michel LAUZZANA, Stéphane CLAIREAUX,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Les femmes ont toujours joué un rôle méconnu mais indispensable dans l’économie rurale ; tantôt dans la cueillette, l’élevage jusque dans la production agricole contemporaine. Ces fonctions se sont longtemps exercées de manière spontanée dans l’ombre d’une exploitation agricole. Et ce n’est que très récemment que les agricultrices sont sorties de l’invisibilité. Alors qu’elles multipliaient les tâches au sein d’une exploitation, elles n’en tiraient pas de reconnaissance sociale. Cette situation a évolué lentement, d’abord avec le statut d’aide familial puis celui de conjoint collaborateur (1999).

De nombreux progrès ont été accomplis en faveur de la reconnaissance juridique et l’intégration des conjoints et aides familiaux comme ayants droit au sein du régime agricole. Le statut de conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole, créé par la loi d’orientation agricole de 1999, a apporté une reconnaissance du travail des femmes par une amélioration de leur protection sociale. Néanmoins, il ne leur permet pas d’accéder à une pension suffisante. Les écarts dans les pensions de retraite subsistent entre les hommes et les femmes : inférieures de 13,2 % pour les cheffes d’exploitation ou d’entreprise agricoles et de 17,4 % pour les salariées agricoles par rapport aux pensions des agriculteurs de même statut, selon la MSA. Ces disparités entre femmes et hommes sont donc particulièrement criantes au moment de la retraite. Pour les femmes qui ont le statut de conjointe collaboratrice ‑ un statut que la Commission nationale des agricultrices de la FNSEA voudrait limiter dans le temps car il est pénalisant pour la retraite ‑ le différentiel de pension par rapport à un homme est ainsi de 19,5 %([1]).

Parmi les agricultrices, 21 200 femmes travaillent encore aujourd’hui sous le statut de collaboratrice d’exploitation ou d’entreprise agricole, plus communément appelé « conjointe collaboratrice ». Au moment de la création du statut, on recensait 100 000 conjointes collaboratrices, leur nombre décroît régulièrement, en raison du choix d’un statut plus protecteur ou de la recherche d’un emploi salarié extérieur apportant une sécurité. Toutefois, on ne compte encore aujourd’hui que 25 % de femmes environ parmi les chefs d’exploitation.

Un statut précaire ?

Un constat partagé par les auteurs du rapport « les femmes et l’agriculture : pour l’égalité dans les territoires »

Un rapport d’information de la délégation sénatoriale aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes sur « les femmes et l’agriculture : pour l’égalité dans les territoires » souligne l’incomplétude du statut de collaborateur d’exploitation qui « présente des limites importantes. S’il offre à l’agricultrice une couverture sociale décente, il ne lui donne en revanche que peu de pouvoir économique sur l’exploitation. En conséquence, il maintient les agricultrices dans un rôle de dépendance visàvis du chef d’exploitation (souvent le mari), sans leur offrir une pleine reconnaissance professionnelle »([2]).

Les auteurs pointent le manque d’informations dont font preuve les femmes conjointes d’exploitants agricoles, leur difficile recensement, le faible recours au congé maternité.

Le rapport préconise de consolider le statut de conjoint collaborateur et sécuriser leur retraite, de mieux prendre en compte la féminisation de la profession agricole et d’encourager l’accès des femmes agricultrices aux responsabilités dans les instances agricoles.

De plus, « la délégation est favorable à une revalorisation du montant de base des retraites agricoles et estime qu’aucune de ces retraites ne devrait être inférieure au minimum vieillesse ». La délégation est également favorable à un alignement des conditions d’accès à la pension de réversion des agricultrices (et agriculteurs) sur celles du droit commun, notamment par la suppression du plafond de revenus qui la caractérise.

Des conjoints collaborateurs d’exploitants agricoles mieux protégés depuis 2011, mais oubliés par la loi du 3 juillet 2020 sur la revalorisation des pensions de retraite agricoles

Depuis 2011, une retraite complémentaire obligatoire (RCO) a été instaurée pour les collaborateurs d’exploitation ou d’entreprise agricole et les aides familiaux. Ainsi, les conjoints collaborateurs se voient attribuer un nombre minimal de points par an en plus de la retraite de base.

En 2019, plus de 750 000 femmes recevaient une pension du régime des nonsalariés agricoles. Certaines d’entre elles, ayant travaillé également à l’extérieur de l’exploitation, bénéficient d’une seconde pension. Toutefois, une agricultrice ayant accompli une carrière complète dans ce régime perçoit en moyenne une pension mensuelle de 601 euros (chiffres MSA).

La représentation nationale a récemment adopté une proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraite agricoles en France continentale et dans les outre‑mer. Les chefs d’exploitations agricoles bénéficieront, au plus tard à partir du 1er janvier 2022 de la revalorisation des pensions à hauteur de 85 % du SMIC pour une carrière complète.

Il apparaît que la loi  2020839 du 3 juillet 2020 concerne aujourd’hui principalement des hommes, les conjoints collaborateurs et aides familiaux n’étant pas concernés par cette revalorisation alors que leurs pensions sont pourtant les plus faibles. De même les chefs d’exploitation qui ont exercé moins de 17 années et demi sous ce statut en sont exclus.

Le rapport n° 4403 de la commission des Affaires sociales de l’Assemblée nationale sur la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles en France continentale et les Outremer, souligne que « L’enjeu primordial de l’égalité entre les femmes et les hommes demeurera hors de portée sans mesures nouvelles. La parité entre les nonsalariés agricoles en matière de prestations n’est toujours pas assurée et ne permet pas de garantir l’équité du système d’assurance vieillesse. L’Association nationale des retraités agricoles de France (ANRAF) a rappelé la nécessité de mobiliser de nouveaux dispositifs en faveur de cet objectif. Cela pourrait passer, à terme, par l’extension du complément différentiel de points au titre du régime RCO – plus connu sous le nom de « garantie 75 % du SMIC » – aux conjoints collaborateurs et aux aides familiaux, audelà des seuls chefs d’exploitation »([3]).

Concrétiser la démarche entreprise répond à un impératif de justice sociale. C’est aussi un enjeu d’actualité pour l’égalité hommefemme

Le régime des pensions agricoles mériterait probablement une restructuration d’ensemble, néanmoins il semble urgent d’apporter des mesures de correction aux plus petites d’entre elles. De nombreux échanges avec des agricultrices, retraitées ou non, la MSA, les syndicats agricoles ont permis de faire émerger un ensemble de leviers qu’il nous semblerait opportun d’actionner pour mieux protéger les droits et améliorer les pensions des assurés agricoles non‑salariés, très majoritairement des femmes. Tout en gardant à l’esprit le contexte économique particulier que traverse notre pays, le moment est venu de les mobiliser, c’est l’objectif des propositions suivantes.

En s’inspirant notamment des préconisations formulées dans le rapport d’information sur les femmes et l’agriculture, il est proposé la limitation, sur le modèle du statut d’aidant familial, du statut de conjoint collaborateur à cinq ans (article 1er).

La présente proposition de loi vise ensuite à revaloriser la pension des retraités des professions agricoles non‑salariées selon différentes modalités. L’article 2 propose que le montant du plafond limitant le versement de la pension majorée de référence ne puisse être inférieur à celui de l’ASPA tandis que l’article 3 invite à revaloriser par décrets les pensions des aides familiaux et des conjoints collaborateurs d’exploitation agricole selon des mécanismes appropriés aux régimes des assurés bénéficiaires, tels que 1° l’alignement progressif du montant de la PMR 2 sur celui de la PMR 1 ; 2° L’attribution d’un complément forfaitaire de RCO ; 3° Un accès facilité au complément différentiel de RCO pour celles et ceux qui ont exercé plusieurs années en tant que cheffe ou chef d’exploitation.

À l’article 4 le texte de loi apporte une exception aux modalités d’attribution de la pension majorée, dans le cas d’un veuvage, afin que celle‑ci ne soit pas affectée par la pension de réversion, se rapprochant ainsi du droit commun.

La proposition crée une obligation pour la caisse de retraite d’informer de façon systématique et annuelle, les pensionnés susceptibles d’avoir recours à l’allocation de solidarité pour les personnes âgées (ASPA), aujourd’hui insuffisamment connue (article 5). Enfin, elle légifère pour une meilleure prise en compte des femmes dans les instances dirigeantes (article 6). L’article 7 propose une application des dispositions dans les deux ans suivant l’adoption du texte. L’article 8 concerne le gage.


proposition de loi

Titre Ier

Améliorer le statut et la protection sociale des conjoints collaborateurs

Article 1er

Après le quatrième alinéa de l’article L. 321‑5 du code rural et de la pêche maritime, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er juillet 2021, toute personne qui possède le statut de conjoint collaborateur d’exploitation ou d’entreprise agricole ne peut conserver cette qualité plus de cinq ans ».

Titre II

Améliorer le montant des pensions des retraités non‑salariés agricoles

Article 2

Le second alinéa de l’article L. 732‑54‑2 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, son montant ne peut être inférieur à celui de l’allocation de solidarité aux personnes âgées prévue par l’article L. 815‑1 du code de la sécurité sociale . »

Article 3

Les pensions des conjoints, des aides familiaux et des collaborateurs d’exploitation agricole ou d’entreprise agricole retraités sont revalorisées selon un plusieurs des mécanismes suivants :

1° L’alignement du montant minimum de leur majoration de pension mentionnée à l’article D. 732‑110 du code rural et de la pêche maritime, sur celui des chefs d’exploitation ou d’entreprise agricole ;

2° L’attribution d’un nombre forfaitaire de points de retraite, qui s’ajoute au complément mentionné à l’article L. 732‑60 du même code pour les pensions ;

3° Un accès facilité au complément différentiel mentionné à l’article L. 732‑63 dudit code pour une carrière complète en tant que non salarié agricole.

Les conditions d’application des dispositions mentionnées aux 1°, 2° et 3° sont fixées par décret.

Article 4

Le premier alinéa de l’article L. 732‑54‑3 du code rural et de la pêche maritime est complété par une phrase ainsi rédigée : « Toutefois, selon des conditions définies par décret les pensions de réversion du régime agricole sont exclues de ce calcul. »

Titre III

Autres dispositions

Article 5

L’article L. 815‑6 du code de la sécurité sociale est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ces informations sont adressées annuellement aux pensionnés susceptibles d’y avoir recours. »

Article 6

La proportion de femmes agricultrices au sein des instances dirigeantes des syndicats agricoles et organisations professionnelles agricoles ne peut être inférieure à un tiers, dans des conditions définies par décret.

Article 7

Les dispositions de la présente loi sont mises en œuvre dans les deux années qui suivent sa publication.

Article 8

I. – La section VIII du chapitre III du titre IER de la première partie du livre IER du code général des impôts est complétée par un article 235 ter A ainsi rédigé :

« Art. 235 ter A. – Il est institué un prélèvement additionnel au prélèvement prévu à l’article 235 ter. Ce prélèvement est assis, recouvré, exigible et contrôlé dans les mêmes conditions que celles applicables au prélèvement prévu au même article 235 ter. Son taux est fixé à 0,1 %. Son produit est affecté à la caisse centrale de la mutualité sociale agricole mentionnée à l’article L. 723‑11 du code rural et de la pêche maritime. »

II. – La charge résultant de la présente loi pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) « Les femmes, incontournables dans le monde agricole mais encore en manque de reconnaissance », Challenges, 8 mars 2021

([2]) Rapport d'information de Mmes Annick BILLON, Corinne BOUCHOUX, Brigitte GONTHIER-MAURIN, Françoise LABORDE, M. Didier MANDELLI et Mme Marie-Pierre MONIER, fait au nom de la délégation aux droits des femmes n° 615 (2016-2017) - 5 juillet 2017 (page 84)

([3]) Rapport fait au nom de la commission des affaires sociales sur la proposition de loi visant à assurer la revalorisation des pensions de retraites agricoles en France continentale et les Outre-mer par M. André Chassaigne n°4403 (page 9)