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N° 4116

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 4 mai 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à appliquer le protocole de l’Organisation mondiale de la santé définissant des quotas de livraison de tabac pour empêcher les cigarettiers d’alimenter le commerce parallèle,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. FrançoisMichel LAMBERT,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

À l’initiative de son Président Éric Woerth, la commission des finances de l’Assemblée nationale a souhaité créer une « Mission d’information relative à l’évolution de la consommation de tabac et du rendement de la fiscalité applicable aux produits du tabac pendant le confinement et aux enseignements pouvant en être tirés ». La commission va notamment s’appliquer à estimer le poids réel du commerce parallèle de tabac en France, d’en définir les sources, de mieux comprendre l’évolution constatée du marché du tabac pendant le confinement et de proposer des mesures pour mettre fin à ce fléau du commerce parallèle.

L’objet de la présente proposition de loi est de rappeler que la solution existe dans le traité international qu’est le Protocole de l’Organisation mondiale de la santé (OMS) « pour éliminer le commerce illicite de tabac ». Le Protocole de l’OMS permet notamment d’imposer des quotas de livraison de tabac par pays fondés sur la consommation domestique et d’exiger la mise en place d’une traçabilité strictement indépendante à la fois des contenants de tabac ainsi que des équipements permettant la fabrication du tabac, pour empêcher les fabricants de tabac de surproduire et de sur‑approvisionner les pays à fiscalité plus douce.

Le commerce parallèle de tabac engendre un gigantesque manque à gagner fiscal tant en France qu’en Union européenne, et pénalise les buralistes.

En France, on estime que près de 30% du tabac consommé est acheté en dehors du réseau des buralistes, ce qui engendre pour l’Etat un manque à gagner fiscal de 5 milliards d’euros par an, depuis que le paquet de cigarettes est commercialisé à 10 euros, et un manque à gagner pour les buralistes de 400 millions d’euros annuels ; en Union européenne, le manque à gagner fiscal pour les 27 États membres est estimé à 17 milliards d’euros par an.

Contrairement à une idée reçue, ce commerce parallèle n’est pas composé de cigarettes contrefaites, et les fabricants de tabac n’en sont pas les victimes, au contraire. L’immense part de ce commerce parallèle est constituée de vraies cigarettes, fabriquées et commercialisées par les fabricants de tabac eux‑mêmes.

Comme l’a montré un débat contradictoire organisé en avril 2019 à l’Assemblée Nationale par l’auteur de cette proposition de loi, quelque 55 milliards de cigarettes sont fumées en France chaque année ; mais sur ces 55 milliards, entre 15 et 18 milliards viennent de l’étranger, sont achetées hors réseau des buralistes arrivent dans notre pays de deux façons.

La moitié vient de la contrebande. Ce sont des cigarettes qui sont achetées dans des pays de l’Est de l’Europe notamment là où les fabricants de tabac possèdent leurs usines de fabrication (Ukraine, Kosovo, Bulgarie, Biélorussie…) et où les taxes sont extrêmement faibles. Elles arrivent par containers ou par palettes dans les pays qui pratiquent une fiscalité forte comme la France grâce à l’absence de frontières au sein de l’Union européenne.

L’autre moitié vient des achats frontaliers. Les fabricants de tabac « sur‑approvisionnent » ainsi les vendeurs de tabac des pays limitrophes de la France, Belgique, Luxembourg, Allemagne, Suisse, Italie, Espagne et Andorre, pour alimenter les fumeurs français. Par exemple au Luxembourg où la consommation domestique est de 600 millions de cigarettes chaque année, les fabricants de tabac y livrent 3 milliards de cigarettes. En Andorre où la consommation domestique est de 120 millions de cigarettes chaque année, les fabricants de tabac y livrent 850 millions de cigarettes.

L’objectif des fabricants de tabac est de favoriser la circulation du tabac à bas prix pour saper les politiques de santé publique fondées sur une taxation forte des produits du tabac.

Cette organisation a été particulièrement mise en évidence à l’occasion des deux confinements que la France a connus en 2020 qui ont eu un impact très fort sur le marché du tabac en France. Il apparait en effet que les recettes fiscales ont augmenté de près de 2 milliards d’euros, passant ainsi de 16 à 18 milliards d’euros en 2020. Dans l’attente des conclusions de la mission d’information précitée de la commission des finances de l’Assemblée Nationale, on peut émettre l’hypothèse que lorsque les fumeurs français n’ont plus accès au commerce parallèle de tabac, ils reprennent le chemin de leur buraliste, ce qui permet à la fois de récupérer les recettes fiscales perdues, et de mieux contrôler la consommation de tabac, et à terme de la faire baisser.

Il convient par conséquent de mettre fin au commerce parallèle, et à la duplicité des fabricants de tabac. C’est dans cette perspective que l’OMS a élaboré le Protocole « pour lutter contre le commerce illicite de tabac ».

Le Protocole de l’OMS a été adopté le 12 novembre 2012 par la Conférence des Parties à sa cinquième session à Séoul. Il est entré en vigueur le 25 septembre 2018 après avoir obtenu les 40 ratifications nécessaires. À ce jour il a été ratifié par quelque 60 Parties, dont l’Union européenne, la France et 15 autres Etats membres. Il doit être mis en application en 2023 mais fait l’objet d’un lobbying contraire très fort de l’industrie du tabac.

Il vise à éliminer toute forme de commerce illicite des produits du tabac en exigeant des États qu’ils prennent des mesures pour contrôler efficacement la chaîne logistique des produits du tabac. Le Protocole impose des obligations ambitieuses aux Etats en ce qui concerne les licences, la vérification diligente, le suivi et la traçabilité, la tenue des registres, les ventes sur internet, par télécommunication ou au moyen de toute autre technologie nouvelle, les zones franches et le transit international ainsi que les ventes en franchise de droits.

Le Protocole de l’OMS prévoit la mise en place de quotas de livraison de tabac par pays, fondés sur la consommation domestique, pour empêcher les fabricants de tabac d’alimenter le commerce parallèle.

Ainsi l’article 7 du Protocole prévoit explicitement que les pays peuvent « contrôler les ventes à leurs clients afin de s’assurer que les quantités sont proportionnées à la demande de ces produits sur le marché où ils sont destinés à être vendus ou utilisés » ; l’Article 10 précisant que les fabricants de tabac « fournissent des produits du tabac ou du matériel de fabrication seulement en quantités proportionnées à la demande de ces produits sur le marché où ils sont destinés à être vendus au détail ou utilisés ». Le contrôle de la production de tabac et des quantités livrées se fera directement à partir des usines de fabrication par la traçabilité des produits du tabac qui doit être totalement indépendante des fabricants de tabac, comme l’exige l’article 812 du Protocole, pour que les fabricants de tabac ne puissent plus tricher.

Chaque État concerné fixera le 1er janvier de chaque année et par marque la quantité de tabac qu’il souhaite mettre à disposition de ses consommateurs via son réseau officiel de vente. Cette quantité pourra évoluer chaque année en fonction des priorités de santé publique et fiscales, sans jamais pouvoir dépasser + 5 % de la quantité de tabac théorique nécessaire, réactualisée chaque année en fonction de la consommation réelle enregistrée l’année précédente.

Concrètement, si l’on reprend nos exemples précités, cela signifie que les fabricants de tabac ne pourraient plus livrer chaque année que 600 millions de cigarettes au Luxembourg, contre 3 milliards aujourd’hui, ou que 120 millions en Andorre, contre 850 millions aujourd’hui. Mais en France, les cigarettiers pourraient livrer quelque 55 milliards de cigarettes, alors qu’ils n’en livrent que près de 40 milliards aujourd’hui. C’est d’ailleurs ce qui explique que la France gagnerait chaque année quelque 5 milliards d’euros de recettes fiscales supplémentaires.

Nous demanderons aux parlementaires européens de porter cette proposition à Bruxelles dans le cadre de la révision de la Directive des produits du tabac qui doit intervenir en 2022. Ainsi, demain, les fabricants de tabac ne pourraient plus livrer dans les 27 États membres de l’Union européenne davantage de tabac que les marchés l’exigent.

Andorre n’étant pas membre de l’Union européenne et n’ayant pas ratifié le Protocole de l’OMS, cette législation nouvelle ne pourrait pas lui être directement opposée. Nous proposons que les gouvernements français et espagnol, qui sont les plus concernés par la question, pèsent sur l’Union européenne pour qu’Andorre accepte d’appliquer ce quota annuel de 120 millions de cigarettes. En cas de refus, il conviendrait d’adopter un dispositif contraignant particulier pour protéger notre pays du « sur‑approvisionnement » de tabac pratiqué en Andorre par les fabricants de tabac.

Nous proposerions alors d’abaisser les franchises appliquées aux achats de tabac en Andorre.

Aujourd’hui, en vertu d’un accord sous forme d’échange de lettres entre la Communauté économique européenne et la Principauté d’Andorre du 28 juin 1990 publié au JOCE n° L. 374 du 31 décembre 1990, il est possible pour toute personne de ramener d’Andorre :

– 300 cigarettes (soit 1,5 cartouche) ;

– Ou 150 cigarillos ;

– Ou 75 cigares ;

– Ou 400 g de tabac à fumer.

Nous proposons de diviser ces quantités par 10, et qu’il soit interdit demain pour toute personne âgée de plus de 18 ans de ramener d’Andorre plus de :

– 40 cigarettes (soit 2 paquets) ;

– Ou 15 cigarillos ;

– Ou 7 cigares ;

– Ou 40 g de tabac à fumer.

L’application de la proposition de loi que nous vous proposons d’adopter permettrait :

– de tarir la source du commerce parallèle de tabac ;

– de redonner tout leur sens aux politiques de santé publique et aux mesures fiscales prises contre le tabac ;

– de récupérer chaque année 5 milliards d’euros de manque à gagner fiscal en France, et 17 milliards en Union européenne ;

– de redonner 400 millions d’euros annuels de chiffre d’affaire supplémentaire aux 24 000 buralistes français ;

– de faire baisser la consommation de tabac puisqu’il serait quasi impossible d’en trouver à prix plus faible, ce qui permettrait de faire chuter le coût social du tabac estimé aujourd’hui à 120 milliards d’euros par an, selon l’Alliance contre le tabac (ACT).

 


proposition de loi

Article unique

Après l’article 572 bis du code général des impôts il est inséré un article 572 ter ainsi rédigé :

« Art. 572 ter. – Sur la base des déclarations établies en application de l’article 575 C un arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et du budget fixe avant le 31 janvier de chaque année les quantités maximales de produits susceptibles d’être livrées aux débitants désignés à l’article 568. En tenant compte des quantités consommées sur le territoire national cet arrêté définit les quantités maximales susceptibles d’être importées qui ne peuvent être égales qu’à la différence entre les quantités déclarées au cours de l’année qui précède et les quantités produites sur le territoire majorées au maximum de 5 %.

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article et notamment les conditions de déclinaison des quantités par catégories de produits, et, pour celles qui représentent une part significative de la consommation nationale, par marques de cigarettes ».