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N° 4173

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 mai 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à la lutte contre le commerce illégal de drogues,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Éric COQUEREL, JeanFélix ACQUAVIVA, Ugo BERNALICIS, Alexis CORBIÈRE, Elsa FAUCILLON, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, FrançoisMichel LAMBERT, JeanBaptiste MOREAU, Danièle OBONO, Matthieu ORPHELIN, Richard RAMOS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Bénédicte TAURINE, Michèle VICTORY, Patrick VIGNAL,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Cette proposition de loi se donne pour objectif de lutter contre le commerce illégal des drogues en France métropolitaine et dans les territoires des Outre‑mer.

I.  Drogues, cannabis : Où en sommesnous ?

Le terme clinique « drogues » comprend tous les produits psycho‑actifs qui ont un effet sur le psychisme. Ainsi, la caféine, l’alcool ‑première cause de mortalité notamment dans les accidents de la route‑ et bien sûr le tabac sont des drogues avec une dangerosité addictive réelle. Pourtant, ces produits ont été classifiés comme étant des drogues au statut juridique légal ; ils ne sont pas concernés par la prohibition en France, qui est ici la qualification juridique d’illégalité de vente et de consommation d’autres drogues comme le cannabis, la cocaïne, l’héroïne ou encore l’ecstasy. Les drogues font donc partie de notre société et il est illusoire d’estimer pouvoir les éradiquer qui plus est par la seule répression.

En France, concernant les drogues et leurs trafics, c’est le cannabis qui l’emporte très largement sur le marché malgré la politique de prohibition : la France en est le premier consommateur d’Europe avec 900 000 usagers quotidiens. En 2017, 44,8 % des adultes âgés de 18 à 64 ans ont déclaré avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie contre 42 % en 2014, selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies.

II.  Le commerce illégal de drogues aujourd’hui : un phénomène massif aux conséquences délétères pour les quartiers, leurs habitants, les petites mains du trafic et les usagers

Aujourd’hui en France, 240 000 personnes vivent des trafics de drogues. On estime son chiffre daffaire à 4 milliards deuros au niveau national. Ce dernier atteint dans certains départements, comme en Seine‑Saint‑Denis, des proportions bien plus importantes où l’on estime à 1 milliard d’euros le chiffre d’affaire, soit la moitié du budget départemental. Il s’agit donc d’une économie très importante qui n’a plus rien de souterraine.

La crise du Covid a généré sur ce marché des pressions importantes telles que des difficultés dapprovisionnement depuis le Maghreb avec une chute de l’offre et de la demande, et une augmentation des prix ayant pour conséquence des rivalités extrêmement fortes entre groupes de trafiquants pour la reconquête de territoires. Les trafics de drogues obéissent en effet aux règles du capitalisme le plus sauvage, et de la concurrence la plus guerrière. Dans ces activités, tout est précaire pour les « petites mains » du trafic, y compris la vie. Elles représentent les premières victimes des règlements de compte sur fond de trafics. En 2018, le SIRASCO (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégie sur la criminalité organisée) a recensé 77 règlements de compte faisant 106 victimes, dont 54 décès. En février 2020, c’était presque une victime par jour. La crise du Covid a accru, depuis, ce phénomène.

Ceux que l’on appelle « les petites mains », des jeunes souvent mineurs faisant le guet et gérant la vente, sont attirés par « le mythe de l’argent facile ». Ils ne sont évidemment pas recrutés n’importe où, mais bien dans des quartiers où se trouvent des personnes en précarité économique et sociale, et où le décrochage scolaire est important. Ces quartiers sont donc un véritable terreau de main d’œuvre bon marché prête à s’impliquer dans le trafic de stupéfiants pour des raisons de subsistance socio‑économiques. Mais l’argent en tant que petite main n’a rien de « facile », au contraire. Ces jeunes connaissent en réalité des journées de douze heures de travail par jour, six jours par semaine, pour 50 à 100 euros par jour. Ils sont également les victimes du déterminisme social et du sentiment de l’impossibilité d’avoir accès à un autre cadre de vie, à la fois cernés par le spectre du chômage et des difficultés à s’insérer dans la société. Actuellement dans la République française, la mafia des drogues représente un horizon, en réalité précaire et souvent illusoire, d’emploi et d’ascenseur social.

Aujourd’hui le trafic de drogue gangrène des quartiers entiers, souvent déjà défavorisés. Ses victimes sont en premier lieu les habitants de ces quartiers qui pâtissent dans leur vie quotidienne d’une véritable « privatisation » délinquante de leurs lieux de vie communs (cages d’escaliers, cités, voies d’accès), les petites mains de la drogue comme expliqué précédemment, les usagers consommant des stupéfiants de qualité toujours plus dégradée et addictive, la collectivité puisque ces milliards échappent à toute fiscalité et cotisations sociales tôt en ayant des conséquences graves en matière de santé publique. Le trafic de drogue est le fléau premier de beaucoup de quartiers populaires. Il génère, en outre, plusieurs trafics dont celui des armes.

Depuis trente ans, le trafic de drogue n’a pas cessé de sévir. Jamais la consommation n’aura cessé de s’amplifier (4 % de la population étaient des consommateurs réguliers en 1990 ; ils sont 11 % aujourd’hui). Pourtant, la prohibition ‑interdiction juridique de vente et de consommation de drogues‑ et la répression n’ont cessé d’être renforcées. Le nombre d’individus arrêtés pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par 50. Cette politique répressive provoque l’interpellation de 150 000 personnes par an, mobilise un million dheures de travail de la police, et a pour conséquence une sur‑population carcérale. Il y a donc un constat d’échec de la politique qui, au fond, se résume à interdire et informer du danger des usages de drogues.

La prohibition devrait logiquement dissuader les individus de consommer des drogues mais l’effet est totalement inverse : les individus restent, et sont même de plus en plus, massivement à la recherche d’emprise addictive. Ce constat doit donc nous amener à réfléchir sur l’intérêt de la prohibition et de la répression : est‑il possible d’éradiquer les stupéfiants dont le plus courant qu’est le cannabis ? Ou faut‑il mettre des moyens conséquents en matière de prévention sanitaire et sociale, et d’accompagnement des usagers et de régulation des usages comme cela a été procédé pour les deux produits addictifs, mais légaux, que sont le tabac et l’alcool ?

Actant l’échec des politiques menées depuis trente ans, cette proposition de loi vise donc à apporter une réponse globale contre les trafics de drogues, à commencer par le trafic de cannabis qui représente une partie importante des trafics et des usages en France. Il s’agit donc de problèmes systémiques avec d’un côté des difficultés socio‑économiques impliquant des jeunes dans des filières de trafics de drogues, puis la violence générée par l’illégalité et la répression ; et d’un autre côté des consommateurs punis et stigmatisés, exclus socialement, se détournant ainsi de la santé publique.

En cela, cette proposition de loi comprendra plusieurs volets afin d’engager des réponses politiques systémiques : le volet de la prévention, le volet de l’accès à la santé publique pour tous, le volet de la légalisation et de la dépénalisation du cannabis, le volet justice et sécurité.

III.  Élaborer une stratégie de prévention à la hauteur des enjeux

Le volet de la prévention des usages est un enjeu de société compte tenu du nombre d’usagers en France. S’agissant du cannabis, sa consommation devient dangereuse pour le psychisme lorsqu’elle est précoce et régulière. Malgré une stabilisation de l’âge de la première expérimentation du cannabis à 15 ans depuis les années 2000, la France est le pays où l’usage mensuel du cannabis à 16 ans est le plus élevé d’Europe.

La politique de prévention doit s’articuler entre l’offre et la demande. Sur la demande, deux objectifs sont prioritaires : l’intervention préventive précoce et la réduction des risques, avec un contrôle d’interdiction de la publicité notamment sur Internet, et une budgétisation des campagnes d’information.

La politique de prévention exige de mobiliser les secteurs de l’éducation, de l’associatif et du médico‑social, par la globalisation de programmes de co‑éducation préventive : des programmes où les jeunes sont impliqués dans la réflexion sur les usages, plutôt que d’être un public passif uniquement informé sur les dangers. Notre proposition est de systématiser un programme de renforcement de l’éducation préventive en ce domaine, inséré dans les programmes scolaires et reconnu par l’éducation nationale. Ces programmes seront conçus pour la fin du premier cycle et du second cycle et permettront à l’enseignant d’en avoir la maîtrise. Pour le collège et le lycée, des acteurs extérieurs interviennent dans le programme préventif tels les CSAPA, spécialisé dans la lutte contre les addictions ; et le CAARUD, axé sur la réduction des risques ; ou les programmes proposés par des cadres associatifs comme Prima Vera et Verano.

Le financement de cette politique de prévention devra continuer à être intégré dans le Fonds national de lutte contre les addictions, assuré par les budgets du MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), du ministère de la santé, celui de l’éducation et celui de la sécurité sociale par l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Un contrôle des fonds devra être assuré par l’agence régionale de santé. Le financement de cette politique de prévention sera abondé par une taxation du commerce légal du cannabis. Un tel financement s’appuyant sur des structures existantes permettra donc de renforcer le service public de prévention des usages, et de la « Santé des addictions » de Santé publique France. La politique de prévention concernant la demande a pour objectif de retarder l’âge des premiers usages. L’action transdisciplinaire permet aussi de prévenir des facteurs à risques importants (violences intra‑familiales, abus sexuels,...), ce que ne réussit pas à faire la prohibition.

La prévention de l’offre concerne ceux qui sont impliqués, ou pourraient être potentiellement impliqués du fait de leur situation sociale, dans le trafic de drogue. L’isolement social, la situation économique, constituent en effet un autre facteur majeur d’usage et d’implication dans les filières de trafics.

Dans les quartiers populaires, le chômage des jeunes est un fléau ancien : le Conseil économique et social indiquait dès 2008 que « les jeunes des quartiers populaires sont confrontés à un taux de chômage près de deux fois supérieur à celui des autres jeunes ». L’enquête emploi de l’INSEE en 2011 signalait quant à elle que 14,6 % des jeunes de 15‑24 ans issus des quartiers populaires étaient au chômage, contre 7,9 % pour les unités urbaines environnantes. Les chiffres du chômage de 2018 établis par l’INSEE et rapportés par l’Observatoire des inégalités ne font que confirmer cette épidémie de chômage : 32,9 % des actifs de 15 à 29 ans qui habitent dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville sont au chômage, contre 15 % des actifs de cette tranche d’âge qui vivent dans les autres quartiers des villes qui comportent un quartier prioritaire.

Pour enrayer cela, la politique de prévention à destination des « petites mains » des trafics de drogues et des trafiquants, devra s’appuyer sur des dispositifs et des structures existantes d’insertion, en augmentant les moyens qui leur sont alloués. Les missions locales, le Plan régional d’insertion, ou encore l’École de la deuxième chance, redonnent des opportunités via la reconversion et la réinsertion professionnelle à des jeunes en décrochage, ou avec un parcours judiciaire.

Le décrochage scolaire dès le collège est par ailleurs souvent la première étape des conduites dites déviantes. Ce qui pose en priorité le renforcement des moyens humains et matériels alloués au service public de l’éducation nationale notamment dans les départements populaires comme le montre, à propos de la Seine‑Saint‑Denis, le rapport parlementaire des députés Cornut‑Gentille et Kokuendo (2018). Les jeunes décrocheurs entrent en effet en conflit avec les institutions et sont désabusés par un système dans lequel ils ont le sentiment de ne pas avoir de place. Ce sentiment additionné aux difficultés matérielles de la vie (logements, alimentaires, études) et socio‑économiques, conduit de nombreux jeunes dans les filières de trafics de drogues. Souvent, ceux‑ci souhaitent subvenir aux besoins d’une famille en situation, elle aussi, de précarité. La formation d’acteurs sociaux et leur répartition sur le territoire national pour prévenir dès la petite enfance des situations de problèmes familiaux (problématiques de logements insalubres ou sur‑habités, traumatismes liés à des violences ou au délaissement de l’autorité parentale) et les signes de possibles décrochages, seront indispensables.

C’est pourquoi, en plus de programmes éducatifs préventifs, il s’agira pallier aux problèmes de repérages de jeunes en situation de décrochage et en situation de précarité ; actuellement, moins de 30 % de l’accueil total de la Mission locale couvrant Épinay‑sur‑Seine, Saint‑Ouen et Villetaneuse est constituée, par exemple, de premiers rendez‑vous.

Du point de vue de la méthode à adopter, les professionnels de la réinsertion nous ont confirmé que la prise de confiance en soi chez un jeune constitue le premier pas nécessaire à une sortie des parcours de délinquance ou d’addiction. Face à un public fragilisé et entretenant un rapport difficile à l’autorité, la réinsertion ne peut pas être conçue comme un processus qui s’impose de manière autoritaire au jeune. Il s’agira donc de construire petit à petit, avec eux, un projet de vie qui leur convient, à l’image du dispositif TAPAJ.

La formation proposée à la sortie de l’école pour les jeunes, qu’ils soient en décrochage scolaire ou en parcours judiciaire, doit donc intégrer aussi bien des dispositifs de diagnostic et de « coaching social et citoyen » des jeunes et de la découverte des métiers, que des programmes de co‑éducation préventive de la drogue et des trafics illégaux.

Il en ira de même s’agissant du renforcement de la présence de services publics, en particulier de la santé pour un accès aux soins psycho‑médicaux. Idem pour l’accès aux tissus associatifs sportifs et culturels, qui constituent des moyens concrets pour pallier aux ruptures dans les vies scolaires et professionnelles.

Le financement de formations de personnalités‑relais réparties dans les zones prioritaires concernées par les politiques de la ville, ainsi que la création d’une filière de formation (éducation et formation professionnelle) aux nouveaux métiers du commerce du cannabis (production, transformation, vente) permettront de créer une boucle vertueuse de professionnels suivant des jeunes sur le long terme.

Enfin, l’éclatement des structures qui travaillent chacune de leur côté nuit à leur efficacité dans le domaine. Nous proposons donc d’initier des structures de coordination réunissant tous les acteurs de la prévention, de l’éducation, de la formation, de la reconversion, de la santé, des services de police et de justice qui travaillent uniquement sur la question éducative et périéducative. Nous proposons de leur donner pour objectifs les questions de prévention, réinsertion, formation et accompagnement en confiant le rôle d’animation aux tiers secteurs plutôt qu’aux acteurs institutionnels tels que Missions locales, Boutiques d’information jeunesse, associations d’accompagnement des jeunes, Pôles territoriaux de coopération économique.

Mais la lutte contre le trafic de drogues sera vaine sans l’aspect économique et judiciaire porté par la légalisation sous encadrement de l’État et la pénalisation.

IV.– Organiser la dépénalisation et la légalisation du cannabis, sous encadrement de l’État

Le cannabis sera dépénalisé et légalisé, sous encadrement de l’État.

Partant du postulat que ce que l’on nomme « les drogues » fera toujours partie de notre société, malgré un renforcement de la répression, il faut par conséquent s’inscrire dans une logique d’accompagnement (psychologique, médical, social) des usagers, d’encadrement des usages, du commerce et de la qualité du produit associée à une politique ambitieuse de prévention. La prohibition est en effet source de problématiques en matière de santé publique. Le statut juridique actuel de la vente de cannabis empêche le contrôle de qualité des produits : certains sont coupés avec d’autres produits afin d’en renforcer les effets, augmentant ainsi le risque de surdoses et d’overdoses, mais aussi de dommages importants sur le psychisme des usagers. Il y a donc un lien de causalité entre la prohibition et la dangerosité des produits consommés : le but des trafiquants étant de faire du profit issu d’un commerce illégal, il n’y a aucun contrôle des usages, et la santé des usagers n’entre pas en compte. Le volet légalisation et dépénalisation constituera une source de nouvelles filières professionnelles autours des préoccupations en matière de santé publique. Ces mesures seront organisées ainsi :

– la vente et l’usage du cannabis ne seront plus pénalisés jusqu’à un seuil de grammes et de taux de THC fixés par l’État ;

– le commerce du cannabis reposera sur un système d’économie mixte. La légalisation sous contrôle de l’État organisera un encadrement et un contrôle des produits et des usages, tout en permettant à des particuliers de vendre du cannabis dans des lieux de débits et de consommation. Cela impliquera la création d’un établissement public administratif, dénommé Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis (AEPEC), auquel sera confié le monopole des agréments et des contrôles de la production et la distribution, ainsi que les licences accordées pour la vente au détail de cannabis et des produits du cannabis. Ce dernier aura autorité sur le contrôle de la qualité des produits vendus et de leur régulation ;

– la vente au détail sera exercée par l’intermédiaire de débitants autorisés par l’État comme ses préposés et tenus à droit de licence. Toute livraison à domicile se fera à partir de ces lieux de vente au détail et sous leur contrôle. Tout autre circuit de vente de cannabis par correspondance restera prohibé ;

– la légalisation sous contrôle de l’État s’organisera dans le cadre d’une coopération internationale avec d’autres pays producteurs et exportateurs riverains, de façon licite, comme le Maroc ;

– le développement de l’ensemble de la filière, de la production à la vente en passant par la transformation et distribution, favorisera, via les décrets d’application de la loi et la politique publique que nous voulons en la matière, des formes d’organisation économique non capitalistiques : coopérative de production agricole, économie sociale et solidaire et forme associatives non marchandes type « Cannabis Social Club » en Belgique. Au sujet de la vente, l’option « buraliste » pose en effet le problème de l’accompagnement santé et du contrôle des usages que requiert ce commerce. La vente de cannabis par des buralistes poserait ainsi des difficultés pour l’État pour impulser une politique volontariste d’installation des points de vente dans les quartiers prioritaires tel que décrit ci‑dessous ;

– à l’opposé du modèle très libéral du commerce légal du cannabis aux États‑Unis qui entraîne une « gentrification de la légalisation », l’implantation des lieux de débit et de consommation en France sera organisée et contrôlée par l’État. Cette activité économique nouvelle, succédant au trafic illicite de cannabis, ne doit pas en effet constituer un accroissement de difficultés économiques dans les quartiers de zones prioritaires et pour les jeunes adultes actuellement, ou potentiellement, impliqués dans les trafics illicites. Cette préoccupation revêt un caractère prioritaire dans l’élaboration des politiques publiques permises par la présente loi. Il s’agit en effet de garantir l’accès à ces métiers de débit de vente et de consommation, notamment en s’appuyant sur des mécanismes d’économie sociale et solidaire et associatives, mais aussi aux filières de formation prévues par la loi, aux habitants des quartiers de zones prioritaires ;

– du côté de la production, la politique publique privilégiera les régions agricoles aujourd’hui les plus en difficulté ;

– l’âge minimal des clients et des consommateurs des lieux de débit et de consommation sera fixé à 18 ans. Sur le modèle de la loi Evin, la publicité, la promotion et le mécénat seront interdits. L’usage restera prohibé dans les lieux publics, intérieur comme extérieur ;

– l’usage de cannabis à proximité d’établissements scolaires ou privés, d’établissements de formation, de lieux professionnels, et dans les lieux publics restera prohibé ;

– le taux de tétrahydrocannabinol (THC) sera fixé par arrêté du ministre chargé de la santé et des solidarités, sachant que ce taux de THC ne doit pas être trop bas afin de ne pas maintenir l’attractivité du marché noir ;

– l’AEPEC fournira l’ensemble des débits de vente et fixera les prix minimaux du cannabis et des produits du cannabis, qui seront actualisés chaque année ;

– l’auto‑culture d’un nombre maximum de cinq plants par foyer ne sera plus pénalisée ;

– les dispositions pénales du code de la route ne seront pas abrogées.

Cette loi prévoit la seule dépénalisation et légalisation du cannabis qui représente plus de 80 % du trafic. Il est cependant nécessaire de préciser que beaucoup des spécialistes auditionnés, notamment en addictologie, estiment que la logique devrait amener notre société à une dépénalisation de toutes les drogues afin d’orienter la politique de répression vers une politique de contrôle, de prévention et d’accompagnement des usages, à l’instar du Portugal où aucune augmentation forte des usages de drogues n’a été constatée. À ce stade, les positions sur l’impact sanitaire d’une telle mesure sont cependant très contradictoires et plus globalement la société n’y parait pas prête. Il serait cependant souhaitable que les législateurs puissent entamer à l’avenir une réflexion sur le sujet à partir de données objectives d’où la demande d’un rapport pour ouvrir la réflexion sur cette question.

V.  Justice et police : soulager les institutions, renforcer leurs moyens, réorienter leurs missions

La légalisation du commerce de cannabis et la dépénalisation de son usage auront pour effet direct de soulager les forces de police, de gendarmerie et de justice mobilisées sur cette mission. Au bout de deux ans, le commerce illégal du cannabis au Canada ne représente en effet plus « que » 40 % de la consommation, des progrès y étant rapidement attendus dans les années à venir, grâce à un meilleur ajustement des prix de vente et du taux de THC .Ces mesures auront également un impact sensible sur la surpopulation carcérale dans les maisons d’arrêt, puisque 70 000 incarcérés le sont aujourd’hui pour infraction à la législation sur les stupéfiants (au centre pénitentiaire de Marseille on compte 35 à 40 % de personnes en pénitentiaire pour des activités liés à l’usage et/ou trafic de stupéfiants, dont une majorité pour consommations illicite, le plus souvent pour de courtes peines).

La présente loi propose ainsi l’amnistie pour toutes les personnes condamnées pour usage illicite de cannabis, pour accompagner les deux mesures de légalisation et de dépénalisation de l’usage et de la vente de cannabis. L’effacement du casier judiciaire, qui est un fardeau pour toute réinsertion dans le temps, pourrait être facilité par le suivi d’une formation labellisée par l’État par exemple, ou encore d’une activité bénévole, ou d’intérêt général.

S’agissant des jeunes majeurs avec un parcours judiciaire, une politique vigoureuse de reconversion, de réinsertion, et de prévention sera mise en œuvre en parallèle de cette loi. Le Plan régional d’insertion pour la jeunesse (le PRIJ) donnera des pistes d’actions concrètes, avec la mise en place de relais et d’hébergements adaptés et de professionnels formés issus de quartiers sensibles. Car actuellement, une carence en acteurs sociaux après un passage en prison, augmentant le risque de récidives, est observée.

Des moyens plus importants de police et de justice, et davantage spécialisés, pourront, grâce à la légalisation du cannabis, être redéployés sur le « marché noir » de tabac et de cannabis, des autres stupéfiants, des systèmes de blanchiments, et des importations illicites de drogues provenant d’une économie criminelle.

D’autre part, si la nécessité d’un retour à une « police de proximité » au niveau national est posée, cette loi proposera d’instaurer rapidement dans les quartiers concernés aujourd’hui par les trafics de drogues une police de présence quotidienne ayant un rôle de prévention et d’intervention de proximité :

– elle sera privilégiée aux polices d’intervention venant de l’extérieur des quartiers. La présente loi implantera des fonctionnaires de police au sein des quartiers, qui y circuleront régulièrement, et qui seront familiers des habitants ;

– les quartiers de zones prioritaires bénéficieront d’un système d’ilotage tel que pratiqué en Angleterre, et en France par le passé avec les Vigies.

Les moyens consacrés à la police d’investigation seront renforcés, par l’augmentation des effectifs d’officiers de police judiciaire dont le nombre est souvent déficitaire en particulier dans les départements subissant le plus le trafic de drogue. Il en sera de même pour les effectifs des services de la police judiciaire spécialisés sur le sujet. Ces brigades devront être sous responsabilité d’un magistrat.

Dans le cadre de la lutte contre le trafic de drogue, les procédures de saisies, notamment de véhicules et d’immeubles, sont aujourd’hui trop lourdes et trop lentes. La présente proposition de loi doit donc s’accompagner d’une simplification et d’une accélération des procédures, notamment via deux outils principaux : la Plateforme d’identification des avoirs criminels (PIAC) ainsi que l’Agence de gestion et de recouvrement des avoirs saisis confisqués (AGRASC). Ces mesures seront présentées dans un rapport annexé à la proposition de loi.

Il est également nécessaire, dans ce même rapport, de réfléchir à une meilleure formation des magistrats sur les procédures de saisie, délaissées en raison du temps qu’elles impliquent, au sein d’une institution qui manque déjà cruellement de moyens.

La lutte contre le trafic de drogue sur le Dark Net et le Deep Web sera renforcée, sous la responsabilité du la Cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (la CROSS). Il ne sera pas question de permettre à des filières inconnues et non vérifiées par l’État de pouvoir écouler quelconque stupéfiant.

Les conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance qui constituent le cadre de concertation sur les priorités de la lutte contre l’insécurité et de la prévention de la délinquance dans la commune, seront rénovés. Le CLSPD est l’instance démocratique à l’échelon local chargée de la coordination du contrat local de sécurité (CLS) ou de la stratégie territoriale de sécurité et de prévention de la délinquance (STSPD). Nous souhaitons rapprocher cette instance de la population en proposant que toutes les communes soient incluses dans ce type d’instance, et qu’il soit inscrit dans la loi que le CLSPD doit se réunir au moins une fois par an en présence des habitants de la commune. La police doit être proche de la population et de la démocratie.

Les services douaniers agissant contre l’importation illicite de stupéfiants et les services fiscaux utiles à la remontée des filières de blanchiment d’argent de la drogue, à l’image de TRACFIN, disposent d’un bilan solide : 44 constatations ont été établies chaque jour, et 60 tonnes de cannabis ont été saisies en 2020. Néanmoins, si les saisies douanières sont robustes, elles ne suffisent plus à endiguer l’augmentation du trafic. Ces chiffres sont une photographie : ils révèlent plus une augmentation du trafic qu’une augmentation du nombre de prises au fil des années.

Ce décalage s’explique notamment par des politiques publiques qui ont baissé continuellement les effectifs des services douaniers au fil des années, sauf lors d’évènements exceptionnels liés au terrorisme. On compte ainsi environ 350 suppressions de postes de douaniers par ans, en moyenne. Les objectifs d’accélération constante des échanges marchands ont également un impact négatif sur le travail des douanes. Ainsi, les douaniers ont comme critère de performance celui du moins de temps possible passé à immobiliser les marchandises. Résultat : 95 % des marchandises arrivent sans contrôle. Le taux de contrôle par container marchand s’établit, quant à lui, à environ 3 contrôles pour 1 000 containers.

Afin de répondre à ces problématiques, la présente proposition de loi s’accompagnera en annexe d’un rapport présentant une consolidation des effectifs et des moyens alloués aux services douaniers, pour aller de 17 000 douaniers actuellement à au moins 20 000 douaniers. Le rapport détaillera également les perspectives pour un retour à un maillage plus fin du territoire, et à modifier les objectifs et les critères d’évaluation donnés aux douaniers.

Afin de remplir tous ces objectifs, cette proposition de loi prévoit :

Article 1er : L’adoption des orientations relatives à la réglementation du cannabis et à la lutte contre les toxicomanies figurant à l’annexe I.

Article 2 : D’encadrer la production, la distribution, la vente, l’usage et le contrôle du cannabis dans un nouveau titre du code de la santé publique, créé à cet effet. Le code général des impôts (article 4) et pénal (article 5) sont modifiés en conséquence.

Article 3 : De rendre obligatoire dès l’école élémentaire la prévention des usages et contre les addictions. La méthode par laquelle les programmes de co‑éducation préventive seront intégrés et systématisés sera via un programme de renforcement de l’éducation préventive, inséré dans les programmes scolaires et reconnu par l’Éducation nationale sera fixé par décret et décrite dans un rapport annexé à la présente proposition de loi. L’article ajoute également la formation à la prévention des addictions aux missions des instituts nationaux supérieurs du professorat et de l’éducation (INSPE) afin que les enseignants soient mieux formés à ces problématiques.

Article 6 : D’amnistier l’usage illicite du cannabis lorsque l’infraction a été commise avant mai 2021.

Article 7 : De modifier le code de la sécurité intérieure pour imposer à chaque commune d’intégrer un conseil local ou intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance (CLSPD). Celui‑ci devra se réunir au moins une fois par an en présence des habitants et des effectifs concernés. La mise en place d’une police de présence quotidienne, par ilotage, sera renvoyée à un décret d’application dont les modalités sont présentées en annexe de la proposition de loi.

Article 8 : Dans les six mois à compter de la promulgation de la présente loi, que le Gouvernement remette au parlement un rapport sur les conséquences sanitaires de l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique pénalisant l’usage de stupéfiants ; ce rapport présentera également l’expérience de dépénalisation conduite par le Portugal depuis 2000.

Un rapport annexé à la présente proposition de loi précise les modalités de mise en œuvre des mesures précitées et présente les textes réglementaires nécessaires à leur bonne application.


proposition de loi

Article 1er

Le rapport définissant les orientations relatives à la réglementation du cannabis et à la lutte contre les toxicomanies, annexé à la présente loi, est approuvé.

Article 2

Le livre IV de la troisième partie du code de la santé publique est complété par un titre III ainsi rédigé :

« TITRE III

« PRODUCTION, DISTRIBUTION, VENTE, USAGE
ET CONTRÔLE DU CANNABIS

« Chapitre Ier

« Dispositions liminaires

« Art. L. 34311. – L’expression « plante de cannabis » désigne toute plante du genre cannabis.

« L’expression “résine de cannabis” désigne la résine séparée, brute ou purifiée, obtenue à partir de la plante de cannabis.

« L’expression “huile de cannabis” désigne toute solution d’extrait de plante de cannabis.

« Le mot “cannabis” désigne toute partie de la plante de cannabis dont la résine n’a pas été extraite, quelle que soit sa forme et sa dénomination, ainsi que la résine et l’huile de cannabis.

« L’expression “produit du cannabis” désigne tout produit contenant du cannabis.

« Art. L. 34312. – Sont autorisés dans les conditions prévues au présent titre la production, la fabrication, le transport, l’importation, l’exportation, la détention, l’offre, la cession, l’acquisition ou l’emploi et, d’une manière générale, les opérations agricoles, artisanales, commerciales et industrielles relatifs au cannabis et aux produits du cannabis dont la teneur en tétrahydrocannabinol (THC) n’excède pas un taux fixé par arrêté du ministre chargé de la santé.

« Chapitre II

« Dispositions générales

« Section 1

« Autorité de la production d’exploitation du cannabis

« Art. L. 34321. – Il est institué un établissement public administratif, dénommé Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis (AEPEC) placé sous la tutelle du ministre chargé de la santé, auquel est confié le monopole des agréments et de contrôles accordés pour la production et la distribution en France, et des licences accordées pour la vente au détail de cannabis et des produits du cannabis, ainsi que le contrôle de la qualité des produits vendus et de leur régulation d’usage. Le droit de licence est régi par l’article 568 du code général des impôts.

« Sans préjudice des compétences reconnues aux ministres chargés de la santé, de la sécurité intérieure, de l’économie et des finances, l’Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis fixe les conditions d’exploitation des débits de vente de cannabis et de produits du cannabis.

« L’Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis participe à la lutte contre le trafic illicite de stupéfiants.

« Sans préjudice de la politique de réduction des risques et des dommages prévue à l’article L. 3411‑7, l’Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis participe à la protection de la santé et au développement des programmes de prévention, de lutte contre les conduites addictives et de sensibilisation.

« L’Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis fournit aux consommateurs une information complète sur la nature et la composition de ses produits ainsi que sur les risques de leur consommation abusive ou associée à d’autres produits. Elle met en place des mécanismes de prévention adaptés et participe au contrôle de l’offre et à la modération de la demande. Elle participe au financement des campagnes d’information et de prévention des risques inhérents à l’usage du cannabis et de ses produits.

« Section 2

« Production du cannabis et des produits du cannabis

« Art. L. 34322. – La production agricole de plantes de cannabis sur le territoire national est soumise à autorisation. L’autorisation ne peut être délivrée qu’à un exploitant agricole prévu à l’article L. 311‑1 du code rural et de la pêche maritime. Elle détermine précisément les parcelles sur lesquelles la culture des plantes de cannabis est autorisée. Elle est délivrée par le représentant de l’État dans le département où est située l’exploitation agricole, après avis conforme de l’établissement mentionné à l’article L. 3432‑1 et avis du représentant de l’État dans chaque département où se trouve une parcelle concernée par la demande. Le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet.

« Le titulaire de l’autorisation est tenu de déclarer annuellement sa production à l’établissement mentionné à l’article L. 3432‑1. Il ne peut détenir aucun stock de graines autre que pour les besoins immédiats de la plantation.

« L’utilisation de pesticides ou d’engrais chimiques est proscrite. La production de cannabis doit être écologique et respectueuse de l’environnement.

« Un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’agriculture fixe le contenu du dossier de demande d’autorisation, les modalités selon lesquelles l’établissement mentionné à l’article L. 3432‑1 ainsi que les conditions de contrôle et de traçabilité des quantités produites.

« Section 3

« Transport du cannabis et des produits du cannabis

« Art. L. 34323. – Le transport de cannabis et de produits du cannabis est soumis à autorisation de l’État, sauf celui directement associé à une consommation individuelle. Le silence gardé par l’autorité compétente pendant deux mois vaut décision de rejet.

« Un arrêté des ministres chargés de la santé, de la sécurité intérieure et des transports fixe les conditions d’emballage, de chargement, de déchargement, de manutention et de garde des marchandises correspondantes. Il fixe également les conditions dans lesquelles le titulaire de l’autorisation adresse à l’autorité compétente un état périodique indiquant les quantités reçues, les quantités cédées et les stocks en début et en fin de période ; la période ne peut être d’une durée supérieure à un an.

« Section 4

« Vente et usage du cannabis et des produits du cannabis

« Art. L. 34324. – Le cannabis et les produits du cannabis ne peuvent être vendus au détail que dans des débits de vente de cannabis et dans des débits à consommer sur place conformes à des caractéristiques définies par arrêté interministériel.

« L’ouverture d’un débit de vente de cannabis et d’un débit à consommation sur place de cannabis est soumise à autorisation. L’autorisation est délivrée par le représentant de l’État dans le département, après avis du maire de la commune du lieu d’implantation. Le silence gardé par l’administration pendant deux mois vaut décision de rejet.

« Tout système de vente à distance de cannabis et de produits du cannabis est interdit, à l’exception des systèmes de vente organisés par les débits de vente ouverts dans les conditions définies au présent article.

« Art. L. 34325. – L’article L. 3335‑1 est applicable aux débits de vente de cannabis.

« Art. L. 34326. – La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur du cannabis ou des produits du cannabis est interdite en dehors des débits de vente et des débits à consommation sur place, où les enseignes et affichettes sont autorisées. Ces enseignes et affichettes doivent être conformes à des caractéristiques fixées par arrêté interministériel.

« Toute opération de parrainage ou de mécénat est interdite lorsqu’elle est effectuée par les fabricants, les importateurs ou les distributeurs de cannabis ou de produits du cannabis ou lorsqu’elle a pour objet ou pour effet la propagande ou la publicité directe ou indirecte en faveur du cannabis ou des produits du cannabis.

« Est considérée comme propagande ou publicité indirecte la propagande ou la publicité en faveur d’un organisme, d’un service, d’une activité, d’un produit ou d’un article autre que le cannabis ou un produit du cannabis lorsque, par son graphisme, sa présentation, l’utilisation d’une marque, d’un emblème publicitaire ou un autre signe distinctif, elle rappelle le cannabis ou un produit du cannabis. »

« Art. L. 34327. – Le cannabis et les produits du cannabis vendus au détail dans les débits de vente prévus par l’article L. 3432‑4 doivent respecter les conditions suivantes :

« 1° Les unités de conditionnement, les emballages extérieurs et les suremballages sont neutres et uniformisés ;

« 2° L’étiquetage des unités de conditionnement, tout emballage extérieur ainsi que le cannabis ou le produit de cannabis proprement dit ne peuvent comprendre aucun élément qui :

« a) Contribue à la promotion du cannabis ou incite à sa consommation en donnant une impression erronée quant aux caractéristiques, effets sur la santé, risques ou émissions de ce produit ;

« b) Ressemble à un produit alimentaire ou cosmétique ;

« 3° Les unités de conditionnement et les emballages extérieurs portent, dans des conditions fixées par un arrêté du ministre chargé de la santé :

« a) La composition intégrale du produit vendu ;

« b) Sa teneur en tétrahydrocannabinol ;

« c) Un message à caractère sanitaire sur les risques associés à l’usage du cannabis et des produits du cannabis.

« Art. L. 34328. – Sont interdites :

« 1° La distribution ou l’offre à titre gratuit de cannabis ou de produits du cannabis ;

« 2° La vente du cannabis et des produits du cannabis aux mineurs ; la personne qui délivre l’un de ces produits exige du client qu’il établisse la preuve de sa majorité ;

« 3° La détention pour usage personnel d’une quantité de cannabis ou de produits du cannabis supérieure à un plafond fixé par décret en Conseil d’État ;

« 4° La vente à une même personne, pour son usage personnel, d’une quantité de cannabis ou de produits du cannabis supérieure au plafond mentionné au 3°.

« Art. L. 34329. – L’usage du cannabis ou des produits du cannabis est interdit dans les lieux affectés à un usage collectif et dans les transports publics.

« Chapitre III

« Dispositions pénales

« Art. L. 34341. – Sont punis des peines prévues à l’article 222‑39 du code pénal :

« 1° Le fait pour toute personne de céder, d’offrir ou de revendre du cannabis ou un produit du cannabis sans avoir la qualité de débitant au sens de l’article L. 3432‑1 ;

« 2° Le fait pour tout débitant de vendre à des mineurs du cannabis ou un produit du cannabis ou de vendre des quantités supérieures à celle fixée au 4° de l’article L. 3432‑8 ;

« 3° Le fait de détenir du cannabis ou un produit du cannabis en quantité supérieure à celle fixée au 3° de l’article L. 3432‑8.

« Art. L. 34342. – Le non‑respect des dispositions du chapitre II du présent titre est puni de deux ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende, sous les réserves suivantes :

« 1° Le non‑respect des dispositions de l’article L. 3432‑6 est puni d’une amende de 100 000 euros ;

« 2° Le fait de fumer du cannabis dans les lieux affectés à un usage collectif ou les transports publics est puni de l’amende prévue pour les contraventions de deuxième classe.

« Chapitre IV

« Modalités d’application

« Art. L. 34351. – Un décret en Conseil d’État fixe les modalités d’application du présent titre. »

Article 3

Le code de l’éducation est ainsi modifié :

1° À la première phrase de l’article L. 312‑18, après la troisième occurrence du mot : « les », sont insérés les mots : « écoles élémentaires, les ».

2° La deuxième phrase du neuvième alinéa de l’article L. 721‑2 est complétée par les mots : « et des formations à la prévention des addictions ».

Article 4

Après le chapitre IV du titre III de la première partie du code général des impôts, il est inséré un chapitre IV bis A ainsi rédigé :

« Chapitre IV bis A

« Cannabis 

« Art. 575 N – I. – Il est institué un prélèvement sur le produit de la vente de la plante de cannabis et des produits du cannabis, dans les conditions suivantes :

« 1° Le prélèvement sur le produit de la vente de la plante de cannabis est fixé par décret, dans la limite d’un montant de 0,1 euro par quintal ;

« 2° Le prélèvement sur le produit de la vente du cannabis et des produits du cannabis est fixé par décret, dans la limite de 0,1 % du montant hors taxes de ce produit.

« Le prélèvement est recouvré et contrôlé selon les règles, garanties et sanctions prévues en matière de taxe sur la valeur ajoutée. Les réclamations sont présentées, instruites et jugées selon les règles applicables à cette même taxe.

« II. – Le prélèvement est affecté au financement de la politique de réduction des risques et dommages en direction des usagers de drogue mentionnée à l’article L. 3411‑8 du code de la santé publique. »

Article 5

L’article 227‑20 du code pénal ainsi rétabli :

« Art. L. 22720.  Le fait de provoquer directement un mineur à consommer, détenir, transporter, offrir ou céder du cannabis ou un produit du cannabis est puni de deux ans d’emprisonnement et 150 000 euros d’amende.

« Lorsqu’il s’agit d’un mineur de quinze ans ou que les faits sont commis dans des établissements d’enseignement ou d’éducation ainsi que lors des entrées et sorties des élèves ou aux abords de ces établissements, l’infraction définie au présent article est punie de trois ans d’emprisonnement et de 75 000 euros d’amende. »

Article 6

Sont amnistiées de droit les infractions mentionnées à l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique, lorsqu’elles ont été commises avant la promulgation de la présente loi et qu’elles portent sur l’usage de cannabis ou de résine de cannabis.

Lorsqu’elle intervient après condamnation définitive, l’amnistie résultant du présent article est constatée par le ministère public auprès de la juridiction ayant prononcé la condamnation, agissant soit d’office, soit sur requête du condamné ou de ses ayants droit.

La décision du ministère public peut être contestée dans les conditions prévues aux deuxième et troisième alinéas de l’article 778 du code de procédure pénale.

Article 7

Le chapitre II du titre III du livre Ier du code de la sécurité intérieure est ainsi modifié :

1° L’article L. 132‑4 est ainsi modifié :

a) Au début du second alinéa, les mots : « Dans les communes de plus de 10 000 habitants et dans les communes comprenant un quartier prioritaire de la politique de la ville » sont supprimés ;

b) Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé : 

« Le conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance se réunit à l’initiative de son président en formation plénière au moins une fois par an. Cette réunion est publique. Dans un délai d’une semaine, le compte rendu de la réunion est affiché à la mairie et mis en ligne sur le site internet de la commune, lorsqu’il existe. » ;

2° Le premier alinéa de l’article L. 132‑13 est complété par trois phrases ainsi rédigées : « Le conseil intercommunal de sécurité et de prévention de la délinquance se réunit à l’initiative de son président en formation plénière au moins une fois par an. Cette réunion est publique. Dans un délai d’une semaine, le compte‑rendu de la réunion est affiché dans les mairies des communes membres de l’établissement public de coopération intercommunale et mis en ligne sur le site internet de l’établissement, lorsqu’il existe. »

Article 8

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les conséquences sanitaires de l’article L. 3421‑1 du code de la santé publique pénalisant l’usage de stupéfiants. Ce rapport présente également l’expérience de dépénalisation conduite par le Portugal depuis 2000.

Article 9

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

 


1

ANNEXE

RAPPORT ANNEXÉ À LA PROPOSITION DE LOI RELATIVE À LA LUTTE CONTRE LE COMMERCE ILLÉGAL DE DROGUES

INTRODUCTION

Cette proposition de loi se donne pour objectif de lutter contre le commerce illégal des drogues en France Métropolitaine et dans les territoires d’Outre‑mer en apportant une réponse globale contre les trafics de drogues, à commencer par le trafic de cannabis après l’échec des politiques de prohibition menées depuis 30 ans. L’ambition de cette proposition de loi est de sortir de l’hypocrisie actuelle vis‑à‑vis des drogues, et d’une vision péjorative et excluante des usagers de celles‑ci.

Il est reconnu que le commerce illégal de drogues est responsable de problèmes systémiques, avec d’un côté des difficultés socio‑économiques impliquant des jeunes dans les filières de trafic de drogues, puis la violence générée par le statut juridique et la répression, et d’un autre côté des consommateurs punis et stigmatisés, exclus socialement, se détournant ainsi de la santé publique.

I) Le cannabis est massivement consommé malgré la prohibition

Selon l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies, 44,8 % des adultes âgés de 18 à 64 ans ont déclaré avoir déjà consommé du cannabis au cours de leur vie en 2017, contre 42 % en 2014. Également, malgré une stabilisation de l’âge de la première expérimentation du cannabis à l’âge de 15 ans depuis les années 2000, la France est le pays où l’usage mensuel du cannabis à 16 ans est le plus élevé en Europe.

À l’échelle européenne, la France est le premier consommateur de cannabis, comptant près de 900 000 usagers quotidiens. On compte ainsi près de 11 % de consommateurs réguliers, contre seulement 4 % en 1990, malgré la politique de prohibition.

Pourtant, la politique de prohibition et de répression à l’égard de la consommation et du trafic de drogues est vivace. Entre 1990 et aujourd’hui, le nombre d’individus arrêtés pour infraction à la législation sur les stupéfiants a été multiplié par 50. Cette politique répressive provoque l’interpellation de 150 000 personnes par an.

La politique répressive actuelle de lutte contre le commerce illégal de drogues mobilise un million d’heures de travail de la police, et a, entre autres, pour conséquence une surpopulation carcérale. 

II) Le commerce illégal de drogues est la source de nombreuses violences dans les quartiers

Les jeunes des quartiers, cernés à la fois par le spectre du chômage et les difficultés à s’insérer dans la société, sont également les victimes du déterminisme social et du sentiment de l’impossibilité d’avoir accès à un autre cadre de vie. Ce faisant, ils sont la cible privilégiée de la mafia des drogues, qui voit en eux une potentielle main d’œuvre bon marché et corvéable.

Ces « petites mains » du trafic représentent les premières victimes des règlements de comptes sur fond de trafics, et sont nombreuses. En 2018, le SIRASCO (Service d’information, de renseignement et d’analyse stratégie sur la criminalité organisée) a recensé 77 règlements de compte faisant 106 victimes dont 54 décès.

Entendu que la crise du Covid‑19 a fortement accru ce phénomène, notamment du fait des pressions importantes sur le marché (difficultés d’approvisionnement, notamment depuis le Maghreb) générées par l’épidémie : en février 2020, on comptait près d’une victime par jour.

PLAN

A. – Mise en place d’une politique de prévention

– La politique de prévention vis‑à‑vis de la consommation et des consommateurs doit s’articuler autour de deux axes principaux : l’intervention préventive précoce et la réduction des risques. La politique de prévention vise notamment à retarder l’âge des premiers usages. L’action transdisciplinaire permet aussi de prévenir des facteurs de risques importants (violences intrafamiliales, abus sexuels, etc.), ce que ne réussit pas à faire la prohibition.

– Au sein de l’établissement Santé publique France, un pôle « Santé des addictions » sera créé. Ce pôle sera chargé de la coordination et du financement des programmes nationaux de prévention sur la consommation des stupéfiants. Les missions et les modalités d’organisation de ce pôle sont déterminées par un décret en Conseil d’État. Ce décret modifiera par conséquent le décret n° 2016‑523 du 27 avril 2016 relatif à la création de l’Agence nationale de santé publique. Le financement de ses actions de prévention sera abondé par une taxation du commerce légal de cannabis. 

– Le financement de cette politique de prévention devra continuer à être intégré dans le Fonds national de lutte contre les addictions, assuré par les budgets du MILDECA (Mission interministérielle de lutte contre les drogues et les conduites addictives), du ministère de la santé, celui de l’éducation nationale et celui de la sécurité sociale via l’Objectif national des dépenses d’assurance maladie. Un contrôle des fonds devra être assuré par l’Agence régionale de santé.

– Un contrôle de l’interdiction de la publicité devra être déployé, notamment sur internet, et des campagnes d’information devront être budgétisées. Sur le modèle de la loi n° 91‑32 du 10 janvier 1991 relative à la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme, dite loi Evin, la publicité, la promotion et le mécénat seront interdits.

– Dans le cadre scolaire et au sein du tissu associatif et médico‑social, seront mis en place, de manière systématique et par voie réglementaire, des programmes où les jeunes sont impliqués dans la réflexion sur les usages, plutôt que d’être un public passif uniquement informé sur les dangers des drogues. Notre proposition est de systématiser un programme de renforcement de l’éducation préventive en ce domaine, inséré dans les programmes scolaires et reconnu par l’Éducation nationale, car, pour l’instant, ces programmes ne sont pas déployés sur l’ensemble du territoire national. Ces programmes seront conçus pour la fin du premier cycle et du second cycle et permettront à l’enseignant d’en avoir la maîtrise. Pour le collège et le lycée, des acteurs extérieurs interviennent dans le programme préventif tels que les centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie (CSAPA), spécialisés dans la lutte contre les addictions, les centres d’accueil et d’accompagnement à la réduction de risques pour usagers de drogues (CAARUD), axés sur la réduction des risques, ou encore les programmes proposés par des cadres associatifs, comme Prima Vera et Verano.

B. – Mise en place d’une politique de réinsertion

– Aujourd’hui, près de 240 000 personnes vivent des trafics de drogues. L’évolution de la législation sur le commerce et la consommation du cannabis proposée par cette proposition de loi s’accompagne donc nécessairement d’un bagage de réinsertion à destination notamment des jeunes enrôlés dans le commerce illégal de drogues.

– La politique de prévention à destination des jeunes enrôlés dans le trafic de drogues devra s’appuyer sur des dispositifs et des structures existantes d’insertion, en augmentant les moyens qui leur sont alloués. Sont concernés ici les missions locales, le Plan régional d’insertion, ou encore l’École de la deuxième chance.

– L’implantation des futurs lieux de débit et de consommation en France, organisée et contrôlée par l’État, devra bénéficier aux quartiers de zones prioritaires et aux jeunes adultes actuellement impliqués dans les trafics illicites.

– Le financement de formations de personnalités‑relais réparties dans les zones prioritaires concernées par les politiques de la ville, ainsi que la création d’une filière de formation (éducation et formation professionnelle) aux nouveaux métiers du commerce du cannabis (production, transformation, vente) permettront de créer une boucle vertueuse de professionnels suivant des jeunes sur le long terme. L’État garantira en effet la création de formations adéquates sur la production et le commerce de cannabis dans les conditions prévues à la sixième partie du code du travail et au chapitre VII du titre III du livre III de la deuxième partie du code de l’éducation. Ces formations devront en priorité être destinées aux jeunes en réinsertion des zones touchées par le trafic de stupéfiants.

C. – Mise en place d’une politique d’encadrement du commerce légal de cannabis

– La législation sous contrôle de l’État organisera un encadrement et un contrôle des produits et des usages, tout en permettant à des particuliers de vendre du cannabis dans des lieux et des débits de consommation. Ces débitants autorisés seront autorités par l’État comme ses préposés et tenus à droit de licence. L’âge minimal des clients et des consommateurs des lieux de débit et de consommation sera fixé à 18 ans. L’usage restera prohibé.

– Le taux de tétrahydrocannabinol (THC), fixé par arrêté du ministre chargé de la santé, devra respecter un équilibre entre un seuil de dangerosité et ne devra pas être trop bas afin de ne pas maintenir l’attractivité du marché noir.

– Un établissement public administratif dénommé Autorité de l’encadrement de la production et d’exploitation du cannabis (AEPEC) sera créé. Lui sera confié le monopole des agréments et des contrôles de la production et la distribution, ainsi que les licences accordées pour la vente au détail de cannabis et des produits du cannabis. Ce dernier aura autorité sur le contrôle de la qualité des produits vendus et de leur régulation. L’AEPEC fixera les prix minimaux du cannabis et des produits du cannabis, qui seront actualisés chaque année.

– Du côté de la production, la politique publique privilégiera les régions agricoles aujourd’hui les plus en difficulté.

– Le développement de l’ensemble de la filière, de la production à la vente en passant par la transformation et la distribution, favorisera, via les décrets d’application de la loi et la politique publique que nous voulons en la matière, des formes d’organisation économique non capitalistiques, notamment l’économie sociale et solidaire (ESS), en privilégiant les coopératives de production agricole et les formes associatives non marchandes.

– La légalisation sous le contrôle de l’État s’organisera dans le cadre d’une coopération internationale avec d’autres pays producteurs et exportateurs riverains, comme le Maroc.

D. – Recentrage de la politique de sécurité

– Des moyens plus importants de police et de justice, davantage spécialisés, pourront, grâce à la légalisation du cannabis, être redéployés sur le « marché noir » de tabac et de cannabis, ainsi que des autres stupéfiants. Dans le même temps, les moyens consacrés à la police d’investigation seront renforcés par l’augmentation des effectifs des services de la police judiciaire spécialisés sur le sujet.

– Dans les quartiers prioritaires de la politique de la ville, sera instaurée une police de présence quotidienne ayant un rôle de prévention et d’intervention de proximité. Cette police, assurée par la Police nationale, sera privilégiée par rapport aux polices d’intervention venant de l’extérieur des quartiers.

– Les quartiers de zones prioritaires bénéficieront d’un système d’ilotage tel que pratiqué en Angleterre et, en France, par le passé, avec les vigies.

– Dans un délai de deux semaines à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement nomme un magistrat de l’ordre judiciaire en tant que chef de l’Office antistupéfiants par arrêté du ministre chargé de la justice. À cette fin, l’article 9 du décret n° 2019‑1457 du 26 décembre 2019 portant création du service à compétence nationale dénommé Office anti‑stupéfiants sera modifié, afin qu’un magistrat de l’ordre judiciaire puisse être nommé par arrêté du ministre chargé de la justice.

– La lutte contre le trafic de drogue sur le Dark Net et le Deep Web sera renforcée, sous la responsabilité du la cellule du renseignement opérationnel sur les stupéfiants (la CROSS).

– Les services fiscaux utiles à la remontée des filières de blanchiment d’argent de la drogue, à l’image de Tracfin, verront leurs financements consolidés. De même, les services de l’administration des douanes verront leurs moyens humains renforcés pour opérer un contrôle plus étroit de nos frontières pour lutter contre les trafics.