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N° 4269

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 18 juin 2021.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

relative à l’évaluation climatique des lois,,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Erwan BALANANT, Delphine BAGARRY, JeanNoël BARROT, Philippe BERTA, Annie CHAPELIER, Sylvie CHARRIÈRE, JeanCharles COLASROY, Loïc DOMBREVAL, Yolaine de COURSON, Jennifer DE TEMMERMAN, Michèle de VAUCOULEURS, Frédérique DUMAS, M’jid EL GUERRAB, Olivier FALORNI, Maud GATEL, Yannick HAURY, Sandrine JOSSO, Yannick KERLOGOT, Anissa KHEDHER, JeanCharles LARSONNEUR, Sandrine LE FEUR, Nicole LE PEIH, Marjolaine MEYNIERMILLEFERT, JeanMichel MIS, Bertrand PANCHER, Valérie PETIT, Richard RAMOS, Frédérique TUFFNELL, Élisabeth TOUTUTPICARD, Sabine THILLAYE, Cédric VILLANI,

députés.


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Parlement français, en adoptant la loi relative à l’énergie et au climat de 2019 (« Loi Énergie‑Climat »), a déclaré l’urgence climatique et réaffirmé l’objectif de neutralité carbone en 2050. La France s’inscrit dans un mouvement global, qui voit nombre de peuples prendre conscience de l’importance de l’enjeu.

Pourtant, la France ne s’est pas encore donné les moyens de piloter et mesurer efficacement l’impact des lois engagées dans cet objectif de neutralité carbone. Le plan de relance (« France Relance ») intègre 30 milliards d’euros dans le volet écologie sans comporter une évaluation précise des impacts climatiques et de la cohérence de ses dispositions avec l’objectif de neutralité carbone (évaluation déclinée dans les objectifs énergétiques nationaux définis à l’article L. 100‑4 du code de l’énergie, et traduits dans la stratégie nationale bas‑carbone), comme l’a récemment souligné le Haut Conseil pour le Climat (HCC).

Il est indispensable d’intégrer cette nouvelle donnée majeure dans le processus de conception et de mise en œuvre des politiques publiques et en particulier dans l’élaboration des lois. Nous proposons que le législateur se dote d’outils pour prendre en compte cette préoccupation et pour piloter le plus finement son action dans le respect des Accords de Paris. Tant la Suède, le Danemark que la Grande‑Bretagne ont fait évoluer leurs processus de conception des lois pour inclure la dimension d’évaluation au regard du critère climatique.

Le Premier rapport du HCC intitulé : « Agir en cohérence avec les ambitions » et publié le 26 juin 2019, pointe les insuffisances de la France sur le plan de l’action climatique, notamment en termes méthodologiques.

Sur saisine du Gouvernement, le Haut Conseil pour le Climat a publié un rapport spécifique à l’évaluation des lois, le 18 décembre 2019, intitulé « Évaluer les lois en cohérence avec les ambitions ». En résonance avec son premier rapport, le HCC met en exergue le manque de moyens que se donne la France dans son pilotage vers l’objectif de neutralité carbone. Seuls 3 % des articles de loi sont évalués sous l’angle environnemental. Le HCC recommande la mise en place d’un processus d’évaluation des lois par rapport à la Stratégie Nationale Bas Carbone lorsqu’elles sont au stade de projet (ex ante) et après leur adoption (ex post). Dans ce rapport, le HCC met par ailleurs en avant la nécessité de mobiliser les moyens humains et d’ingénieries indispensables à la bonne réalisation de ces évaluations.

Début 2020, plus de 40 députés du collectif « Accélérons la transition écologique et sociale » ont adressé dans une démarche transpartisane un courrier au Premier Ministre demandant à ce que l’évaluation climatique des lois soit mise en place rapidement. « Nous, parlementaires engagés pour le climat, sommes déterminés à faire de l’objectif de neutralité carbone une boussole ».

La Convention Citoyenne pour le Climat a également accueilli dans ses objectifs une proposition similaire lorsqu’elle invite à « renforcer et centraliser l’évaluation et le suivi des politiques publiques en matière environnementale » (proposition C.6.2). La Convention pointe la nécessité de l’existence d’un organisme indépendant visàvis de l’État et des influences extérieures et doté de moyens suffisants pour effectuer correctement l’évaluation en matière environnementale. Pour conférer à un tel organisme toute la légitimité qu’il mérite, nous devons lui donner une existence législative.

La présente proposition de loi s’inscrit également dans le mouvement initié par l’arrêt « Grande Synthe » du Conseil d’État (19 novembre 2020) qui ordonne à l’État de justifier, dans un délai de trois mois, « que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». La trajectoire de réduction de 40 % des gaz à effets de serre ne pourrait que mieux être analysée avec des outils tels que proposés dans ce texte de loi.

Notre proposition de loi a pour objectif de renforcer des outils d’aide à la décision au service du législateur, visant à intégrer le critère de l’impact climatique et l’objectif de neutralité climatique comme une référence transversale dans la production des normes. Le fait que les parlementaires votent désormais de façon quinquennale une Loi‑cadre sur le climat (article 1 bis‑A du projet de loi Énergie‑Climat) devrait faciliter l’appropriation de cet outil.

Enfin, notre ambition à long terme est bien de considérer les politiques publiques sous l’angle global des critères environnementaux et sociaux et non uniquement sous l’angle climatique. Par pragmatisme, nous posons une première pierre à cet édifice qu’est l’évaluation environnementale. Elle méritera d’être complétée et enrichie d’années en années. En ce qui concerne l’action climatique, nous avons des références pour construire une évaluation solide : un objectif (neutralité carbone en 2050), une stratégie (la Stratégie Nationale Bas Carbone complétée par la Stratégie Nationale pour la Biodiversité) ainsi que des indicateurs (programmation pluriannuelle de l’énergie, budgets carbone). L’évaluation des impacts climatiques pourra également s’appuyer sur les outils de modélisation et d’analyse technicoéconomique mobilisés par l’administration publique dans l’élaboration des trajectoires de référence de la SNBC, de la PPE et de la SNB.

De nombreuses lois ont en effet des impacts climatiques significatifs, comme la Loi d’Orientation pour les Mobilités ‑ LOM ou encore la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ‑ EGALIM. Or, comme l’a signalé le HCC dans son rapport de 2019, ces impacts ne sont évalués ni ex ante, ni ex post. Petite révolution institutionnelle, l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, a été prévue par la réforme constitutionnelle de 2008 pour permettre au législateur de légiférer en meilleure connaissance de cause et d’exercer plus efficacement sa fonction de contrôle. Cette proposition de loi se saisit de l’étude d’impact pour la rendre plus efficace. Ses auteurs recommandent au Gouvernement de se doter de moyens suffisants pour mener à bien cette mission d’évaluation.

L’article 1er complète l’article 10 de la Constitution et crée un fondement constitutionnel en vue de l’adoption d’une loi organique édictant une obligation de réaliser une étude d’impact des projets de lois après leur adoption, afin notamment de mesurer leur impact climatique.

L’article 2 modifie l’article 24 de la Constitution afin de consacrer dans la Constitution le contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement, en matière environnementale et climatique. En effet, si ce contrôle existe déjà, les enjeux qu’il traduit, notamment l’importance de préserver notre planète, mérite la plus vive attention et doivent faire l’objet de la plus forte protection juridique.

L’article 3 modifie l’article 39 de la Constitution afin d’étendre l’obligation de réaliser une étude d’impact avant l’examen d’un texte au Parlement aux propositions de loi. En effet, aujourd’hui, cette obligation existe uniquement concernant les projets de lois.

Cette proposition de loi constitutionnelle est complétée par une proposition de loi organique qui approfondit le champ de l’étude d’impact environnementale et prévoit une plus grande participation du public et par une proposition de loi ordinaire qui confie à l’autorité environnementale le mandat de vérifier le sérieux ex ante et ex post au regard du climat.


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article 1er

L’article 10 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Les modalités d’application de cet article sont fixées par une loi organique. »

Article 2

La deuxième phrase du premier alinéa de l’article 24 de la Constitution est complétée par les mots : « notamment au regard des grands objectifs environnementaux. »

Article 3

Au troisième alinéa de l’article 39 de la Constitution, après la première occurrence du mot : « loi », sont insérés les mots : « et des propositions de loi ».