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N° 4288

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 29 juin 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’évaluation climatique des lois,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Erwan BALANANT, Delphine BAGARRY, Jean‑Noël BARROT, Philippe BERTA, Annie CHAPELIER, Sylvie CHARRIÈRE, Jean‑Charles COLAS‑ROY, Loïc DOMBREVAL, Yolaine de COURSON, Jennifer DE TEMMERMAN, Michèle de VAUCOULEURS, Frédérique DUMAS, M’jid EL GUERRAB, Olivier FALORNI, Maud GATEL, Yannick HAURY, Sandrine JOSSO, Yannick KERLOGOT, Anissa KHEDHER, Jean‑Charles LARSONNEUR, Sandrine LE FEUR, Nicole LE PEIH, Marjolaine MEYNIER‑MILLEFERT, Jean‑Michel MIS, Valérie PETIT, Richard RAMOS, Frédérique TUFFNELL, Élisabeth TOUTUT‑PICARD, Sabine THILLAYE, Cédric VILLANI,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le Parlement français, en adoptant la loi relative à l’énergie et au climat de 2019, a déclaré l’urgence climatique et réaffirmé l’objectif de neutralité carbone en 2050. La France s’inscrit dans un mouvement global, qui voit nombre de peuples prendre conscience de l’importance de l’enjeu.

Pourtant, la France ne s’est pas encore donné les moyens de piloter et mesurer efficacement l’impact des lois engagées dans cet objectif de neutralité carbone. Le plan de relance (« France Relance ») intègre 30 milliards d’euros dans le volet écologie sans comporter une évaluation précise des impacts climatiques et de la cohérence de ses dispositions avec l’objectif de neutralité carbone (évaluation déclinée dans les objectifs énergétiques nationaux définis à l’article L. 100‑4 du code de l’énergie, et traduits dans la stratégie nationale bas‑carbone) comme l’a récemment souligné le Haut Conseil pour le Climat (HCC).

Il est indispensable d’intégrer cette nouvelle donnée majeure dans le processus de conception et de mise en œuvre des politiques publiques. Nous proposons que le législateur se dote d’outils pour intégrer cette préoccupation et pour piloter le plus finement son action dans le respect des Accords de Paris. Tant la Suède, le Danemark que la Grande‑Bretagne ont fait évoluer leurs processus de conception des lois pour inclure la dimension d’évaluation au regard du critère climatique.

Le Premier rapport du Haut Conseil pour le Climat (HCC) intitulé : « Agir en cohérence avec les ambitions » et publié le 26 juin 2019, pointe les insuffisances de la France sur le plan de l’action climatique, notamment en termes méthodologiques.

Sur saisine du Gouvernement, le Haut Conseil pour le Climat a publié un rapport spécifique à l’évaluation des lois, le 18 décembre 2019, intitulé « Évaluer les lois en cohérence avec les ambitions ». En résonance avec son premier rapport, le HCC pointe le manque de moyens que se donne la France dans son pilotage vers l’objectif de neutralité carbone. Seuls 3 % des articles de loi sont évalués sous l’angle environnemental. Le HCC recommande la mise en place d’un processus d’évaluation des lois par rapport à la Stratégie Nationale Bas Carbone lorsqu’elles sont au stade de projet (ex ante) et après leur adoption (ex post). Dans ce rapport, le HCC met par ailleurs en avant la nécessité de mobiliser les moyens humains et d’ingénieries indispensables à la bonne réalisation de ces évaluations.

Début 2020, plus de 40 députés du collectif « Accélérons la transition écologique et sociale » ont adressé dans une démarche transpartisane un courrier au Premier ministre demandant à ce que l’évaluation climatique des lois soit mise en place rapidement. « Nous, parlementaires engagés pour le climat, sommes déterminés à faire de l’objectif de neutralité carbone une boussole ».

La Convention Citoyenne pour le Climat a également accueilli dans ses objectifs une proposition similaire lorsqu’elle invite à « renforcer et centraliser l’évaluation et le suivi des politiques publiques en matière environnementale » (proposition C.6.2). La Convention pointe la nécessité de l’existence d’un organisme indépendant vis‑à‑vis de l’État et des influences extérieures et doté de moyens suffisants pour effectuer correctement l’évaluation en matière environnementale.

La présente proposition de loi s’inscrit également dans le mouvement initié par l’arrêt « Grande Synthe » du Conseil d’État (19 novembre 2020) qui ordonne à l’État de justifier, dans un délai de trois mois, « que la trajectoire de réduction à horizon 2030 pourra être respectée ». La trajectoire de réduction de 40 % des gaz à effets de serre ne pourrait que mieux être analysée avec des outils tels que proposés dans ce texte de loi.

Notre proposition de loi a pour objectif de renforcer des outils d’aide à la décision au service du législateur, visant à intégrer le critère de l’impact climatique et l’objectif de neutralité climatique comme une référence transversale dans la production des normes. Le fait que les parlementaires votent désormais de façon quinquennale une Loi cadre sur le climat ( 1 bis‑A du projet de loi Énergie Climat) devrait faciliter l’appropriation de cet outil.

Enfin, notre ambition à long terme est bien de considérer les politiques publiques sous l’angle global des critères environnementaux et sociaux et non uniquement sous l’angle climatique. Par pragmatisme nous posons une première pierre à cet édifice qu’est l’évaluation environnementale. Elle méritera d’être complétée et enrichie d’année en année. En ce qui concerne l’action climatique, nous avons des références pour construire une évaluation solide : un objectif (neutralité carbone en 2050), une stratégie (la Stratégie Nationale Bas Carbone) ainsi que des indicateurs (programmation pluriannuelle de l’énergie, budgets carbone). L’évaluation des impacts climatiques pourra également s’appuyer sur les outils de modélisation et d’analyse technico‑économique mobilisés par l’administration publique dans l’élaboration des trajectoires de référence de la SNBC et de la PPE.

De nombreuses lois ont en effet des impacts climatiques significatifs, comme la Loi d’Orientation pour les Mobilités ‑ LOM ou encore la loi pour l’équilibre des relations commerciales dans le secteur agricole et alimentaire et une alimentation saine, durable et accessible à tous ‑ EGALIM. Or, comme l’a signalé le HCC dans son rapport de 2019, ces impacts ne sont évalués ni ex ante, ni ex post. Petite révolution institutionnelle, l’étude d’impact accompagnant le projet de loi, a été prévue par la réforme constitutionnelle de 2008 pour permettre au législateur de légiférer en meilleure connaissance de cause et d’exercer plus efficacement sa fonction de contrôle. Cette proposition de loi se saisit de l’étude d’impact pour la rendre plus efficace. Ses auteurs recommandent au Gouvernement de se doter de moyens suffisants pour mener à bien cette mission d’évaluation.

L’article 1er prévoit une évaluation systématique des lois adoptées au regard de leur impact climatique, en prévoyant cette compétence dans la fonction d’évaluation du Parlement (via les rapports d’évaluation parlementaires publiés généralement entre 18 mois et 3 ans après la promulgation des lois). Cet examen offrira aux parlementaires un outil précieux de pilotage des politiques publiques, dans l’optique d’évaluer le respect des accords de Paris et de la Stratégie Nationale Bas Carbone dans l’action du Gouvernement.

L’article 2 se consacre à l’amélioration des études d’impact des lois (ex ante) ayant une influence notable sur le climat. Il mandate la Cour des comptes, assistée du Haut Conseil pour le Climat pour garantir la qualité des aspects climatiques des études d’impacts des projets de lois et propositions de lois. La Cour des comptes a constitutionnellement une mission d’assistance auprès du Parlement et du Gouvernement. Elle agit traditionnellement en matière de finances publiques et privées, mais son rôle s’étend désormais à l’efficacité des politiques publiques. L’extension de ses missions au respect des engagements climatiques paraît pertinent. D’autant que les Cours des comptes régionales permettront de croiser cette analyse avec les schémas de planification régionaux.

Enfin, l’article 3 prévoit la remise d’un rapport par le Gouvernement au Parlement avant le 1er janvier 2022 sur l’opportunité de la création d’un principe d’irrecevabilité climatique appliqué aux textes législatifs dont les impacts divergeraient manifestement des trajectoires énergétiques nationales fixées dans l’article L. 100‑4 du code de l’énergie et revue de façon quinquennale par le Parlement. Ces trajectoires trouvent une traduction réglementaire et précise dans les budgets carbone fixés dans la Stratégie Nationale Bas Carbone (SNBC). Ce rapport vise également à analyser la faisabilité juridique et la méthodologie de mise en œuvre de ce principe d’irrecevabilité climatique.

En complément de l’étude d’impact climatique des projets de loi, qui permettra d’effectuer une comptabilité carbone (ou a minima une évaluation de l’impact favorable ou défavorable au climat, au regard de l’objectif de neutralité carbone), l’objectif de cet article est d’ajouter un garde‑fou permettant d’éviter le dépassement manifeste des trajectoires et budgets carbone fixés par la SNBC.

Cette proposition de loi ordinaire est complétée par une proposition de loi organique qui approfondit le champ de l’étude d’impact environnementale et prévoit une plus grande participation du public. Cette proposition de loi ordinaire est également complétée par une proposition de loi constitutionnelle qui étend l’obligation de réaliser une étude d’impact ex ante aux propositions de loi et qui consacre dans la Constitution le rôle de contrôle de l’action du Gouvernement par le Parlement en matière environnementale.


proposition de loi

Article 1er

Après l’article 6 decies de l’ordonnance n° 58‑1100 du 17 novembre 1958 relative au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est inséré un article 6 undecies ainsi rédigé :

« Art. 6 undecies. – Dans le cadre de l’exercice de sa mission de contrôle de l’action du Gouvernement prévue à l’article 24 de la Constitution, le Parlement évalue l’impact des lois ayant des conséquences sur l’environnement au regard de l’objectif de neutralité carbone. »

Article 2

L’article L. 111‑13 du code des juridictions financières est complété par trois alinéas ainsi rédigés :

« La Cour des comptes contribue à l’évaluation climatique des politiques publiques.

« Sans préjudice des dispositions de l’article 9 de la loi organique n° 2009‑403 du 15 avril 2009 relative à l’application des articles 34‑1, 39 et 44 de la Constitution, la Cour des comptes émet un avis public sur les dispositions des études d’impact réalisées en application de la loi organique n° 2009‑403 du 15 avril 2009 précitée, ainsi que sur les rapports d’évaluation des lois réalisés par le Parlement, lorsque la loi évaluée a des conséquences sur le climat.

« Il sollicite l’avis du Haut Conseil pour le climat.

« Les délais de transmission de l’étude d’impact et les modalités de contrôle sont précisés par un décret en Conseil d’État. »

Article 3

Avant le 1er janvier 2022, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur les modalités de mise en œuvre d’un dispositif d’irrecevabilité climatique, qui pourrait être opposé aux projets et propositions de loi dont l’impact serait manifestement contraire aux objectifs climatiques nationaux.