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N° 4395

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 juillet 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire la publicité pour les jeux d’argent et de hasard,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Agnès THILL,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis quelques années, la France constate l’essor des jeux d’argent et de hasard, et plus particulièrement des paris sportifs. Effectivement, si les paris sportifs n’ont été autorisés dans l’Hexagone que depuis 11 ans par la loi 2010‑476 2 mai 2010 relative à l’ouverture à la concurrence et à la régulation du secteur des jeux d’argent et de hasard en ligne, nous assistons à une grande évolution du secteur.

En 2019, l’Autorité de régulation des jeux en ligne (ARJL) révèle, qu’en moyenne, les paris sportifs ont séduit plus de 2 millions de personnes par trimestre. Et malgré l’article L. 3207 du code de la sécurité intérieure qui dispose que : « Les mineurs, même émancipés, ne peuvent prendre part à des jeux d’argent et de hasard dont l’offre publique est autorisée par la loi, à l’exception des jeux d’argent et de hasard mentionnés aux 2° et 7° de l’article L. 3206 », de nombreux mineurs participent tout de même à ces jeux.

Pour preuve, l’enquête Escapad ([1]), réalisée en 2017, par l’Observatoire Français des Drogues et des Toxicomanies (OFDT) met en lumière la croissance exponentielle de mineurs prenant part à des paris sportifs. Le nombre de mineurs âgés de 17 ans qui déclarent avoir fait un pronostic en ligne a doublé entre 2011 et 2017.

Rien de plus facile pour les mineurs que d’accéder à des sites de paris sportifs en ligne. Il suffit, pour les mineurs souhaitant contourner l’article L. 320‑7, de renseigner une date de naissance erronée au moment de l’inscription sur les sites de paris sportifs.

La grande participation de mineurs à ces jeux d’argent, malgré l’interdiction qui leur est faite, s’explique, en grande partie, par la profusion, en ligne ou dans les lieux publics, de publicités ciblées aux codes bien étudiés visant implicitement la jeunesse par la mise en scène de références attrayantes pour cette tranche d’âge. Ces publicités et cette politique d’achalandage sont des vecteurs de la participation croissante des mineurs à ces jeux, malgré l’interdiction instaurée par la loi. Dans le métro, les gares, les rues ou en ligne, les publicités de paris sportifs affectent le quotidien des mineurs qui s’y identifient bien souvent malgré le fait qu’elles ne leur sont pas « officiellement » destinées.

Aussi, ces jeunes, tentés par l’illusion du gain facile et d’émotions fortes, se laissent facilement tenter par ces publicités manipulatrices et mensongères aux qualités séductrices très efficaces. 

Or, il paraît primordial de souligner les effets néfastes que peuvent induire les paris sportifs sur les mineurs. Dans une étude réalisée en 2014 ([2]) à propos des jeux d’argent et de hasard en France, l’Observatoire des jeux révèle que parmi les moins de 18 ans qui ont joué au moins une fois au cours de l’année écoulée, un sur quatre peut être classé dans la catégorie des profils à « faible risque » et un sur dix à risque « problématique ». Dans ce contexte, l’addiction, le regard biaisé sur la valeur de l’argent ou l’endettement sont des conséquences fatales de ce phénomène.

Par ailleurs, il est important de rendre compte du type de mineurs plus particulièrement ciblé par les publicités de paris sportifs, soulignant alors une forme de discrimination. En effet, de nombreuses publicités de paris sportifs ciblent les mineurs issus des quartiers populaires en reprenant leurs codes. Dans une lignée similaire, le site de paris sportifs « Parions Sport » a récemment conclu un partenariat publicitaire avec le rappeur Hatik ([3]), dans l’optique de conquérir la jeunesse des quartiers populaires.

Ces publicités détournent ainsi l’interdiction qui leur est faite de s’adresser à des mineurs en ciblant un public « jeune » et jouant avec l’étendue d’interprétation de ce terme. C’est pourquoi les travaux préliminaires à l’élaboration de la présente proposition de loi ont conclu qu’une interdiction générale de la publicité en faveur des jeux d’argent et de hasard sont l’unique option permettant la protection des mineurs. Elle permettrait en outre de limiter l’exposition aux jeux d’argent des majeurs, eux aussi concernés par les effets néfastes mentionnés.

Ceux‑ci ont fait l’objet de nombreuses études et rapports détaillés, dont celui présenté par le département de psychiatrie du Centre du jeu excessif, et intitulé « Vingt réponses sur les troubles liés aux jeux d’argent ». Ces effets néfastes sont ainsi listés :

– conséquences financières (pertes d’argent, dettes avec ou sans poursuites, factures non payées / crédits multiples, utilisation de budgets destinés à d’autres fins) ;

– conséquences conjugales et familiales (conflits conjugaux et familiaux, mensonges, manque de communication, violence verbale et/ou physique, séparation et/ou divorce) ;

– conséquences sociales (isolement, emprunts, conflits avec l’entourage, précarisation) ;

– conséquences émotionnelles (dépression, anxiété, honte, culpabilité, idées suicidaires avec ou sans passage à l’acte) ;

– conséquences professionnelles (retards, absentéisme, irritabilité, manque de concentration, licenciement) ;

– conséquences judiciaires (activités illégales divers, vols, détournements d’argent, suites pénales ou civiles) ;

L’interdiction générale de la publicité pour jeux d’argent permettra ainsi à la fois de mieux protéger les mineurs, mais également les majeurs eux‑mêmes.

La présente proposition de loi applique aux jeux d’argent et de hasard les dispositifs juridiques existants prévus aux articles L. 3512‑4 et L. 3515‑3 du Livre V du code de la santé publique relatif à la lutte contre le tabagisme et à lutte contre le dopage : interdiction de la publicité et de financement d’événements à destination des mineurs, au risque d’une amende de 100 000 euros et de la confiscation des biens utilisés.

En conséquence, l’article 1er interdit, à partir du 1er janvier 2022, la publicité de jeux d’argent et de hasard de manière directe ou indirecte est interdite, ainsi que le financement d’évènements à destination des mineurs par les opérateurs de jeux d’argent et de hasard.

En parallèle, l’article 2 porte à un niveau réellement dissuasif les sanctions fiscales de la publicité de jeux d’argent et de hasard. Les alinéas 3 à 4 établissent une amende de 100 000 euros en cas de non‑respect de l’article L. 320‑12, et de de 200 000 euros en cas de récidive (alinéa 7), et les alinéas 8 et suivants détaillent les mesures à la disposition des autorités judiciaires et administratives pour faire procéder à la cessation de la publicité.


proposition de loi

Article 1er

I. ‒ L’article L. 320‑12 du code de la sécurité intérieure est ainsi rédigé :

« Art. L. 32012.  I. ‒ La propagande ou la publicité, directe ou indirecte, en faveur des jeux d’argent et de hasard définis à l’article L. 320‑1 est interdite.

« II. ‒ Les opérateurs de jeux d’argent et de hasard ne peuvent financer l’organisation ou parrainer la tenue d’événements à destination spécifique des mineurs. »

II. ‒ Le I de l’article L. 320‑12 du code de la sécurité intérieure, dans sa rédaction résultant du présent article, entre en vigueur à compter du 1er janvier 2022.

Article 2

Après l’article L. 320‑12 du code de la sécurité intérieure, il est inséré un article L. 320‑12‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 320121. – I. – Sont punis de 100 000 euros d’amende :

« 1° Toute propagande ou publicité, directe ou indirecte, des jeux d’argent et de hasard, définis à l’article L. 320‑1 du code de la sécurité intérieure en méconnaissance de l’interdiction prévue à l’article L. 320‑12 du code de la sécurité intérieure ;

« 2° Le fait de méconnaître les dispositions de l’article L. 320‑8. 

« II. ‒ Pour les infractions pénales mentionnées au I, est encourue la peine complémentaire de confiscation de la chose qui a servi ou était destinée à commettre l’infraction ou de la chose qui en est le produit, en application de l’article 131‑21 du code pénal.

« III. ‒ La récidive est punie d’une amende de 200 000 euros. En cas de récidive, le tribunal peut prononcer à titre de peine complémentaire, l’interdiction pendant une durée inférieure ou égale à cinq ans, de la vente des produits qui ont fait l’objet de l’opération illégale.

« Le juge ordonne, s’il y a lieu, la suppression, l’enlèvement ou la confiscation de la publicité interdite aux frais des délinquants.

« La cessation de la publicité peut être ordonnée soit sur réquisition du ministère public, soit d’office par le juge d’instruction ou le tribunal saisi des poursuites. La mesure ainsi prise est exécutoire, nonobstant toutes voies de recours. Mainlevée peut en être donnée par la juridiction qui l’a ordonnée ou qui est saisie du dossier. La mesure cesse d’avoir effet en cas de décision de non‑lieu ou de relaxe.

« Les décisions statuant sur les demandes de mainlevée peuvent faire l’objet d’un recours devant la chambre de l’instruction ou devant la cour d’appel selon qu’elles ont été prononcées par un juge d’instruction ou par le tribunal saisi des poursuites.

« La chambre de l’instruction ou la cour d’appel statue dans un délai de dix jours à compter de la réception des pièces. »


([1]) https://www.ofdt.fr/BDD/publications/docs/eisxejy9.pdf.

([2])  https://www.economie.gouv.fr/files/note_6.pdf

([3]) https://www.ladn.eu/adn-business/news-business/actualites-agences/hatik-ambassadeur-pari-ligne-parions-sport-agence-elbump/