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N° 4451

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à instaurer un continuum de protection des mineurs non accompagnés,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanFrançois ELIAOU, Naïma MOUTCHOU, Monique IBORRA, Stéphanie KERBARH, Aurore BERGÉ, Frédérique TUFFNELL, Stella DUPONT, Valérie OPPELT, Jennifer DE TEMMERMAN, Natalia POUZYREFF, Christine HENNION, Fabienne COLBOC, Hugues RENSON, Mireille ROBERT, Frédérique DUMAS, Benoit SIMIAN, Françoise DUMAS, Sonia KRIMI, Laurence VANCEUNEBROCK, Claire BOUCHET, Carole GRANDJEAN, Ludovic MENDES, Catherine DAUFÈSROUX Yaël BRAUNPIVET, Sacha HOULIÉ, Sylvie CHARRIÈRE, Florent BOUDIÉ, Cathy RACONBOUZON, Anne BRUGNERA, Rémy REBEYROTTE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’accueil des mineurs non accompagnés (MNA) sur le territoire français est un devoir humanitaire qui s’impose aux pouvoirs publics. Il doit être organisé dans le respect des droits fondamentaux de l’enfant, garantis par la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France, et dans l’intérêt supérieur de l’enfant, notion que le Conseil constitutionnel a récemment déduite des 10e et 11e alinéas du Préambule de la Constitution de 1946.

Si cet accueil se passe le plus souvent sans difficulté, de nombreuses villes françaises sont, depuis plusieurs années, confrontées à une augmentation de la délinquance liée à la présence de MNA.

D’abord phénomène essentiellement parisien, notamment localisé dans le quartier de la Goutte d’Or, cette délinquance s’est considérablement étendue à Paris et en Ile‑de‑France et touche désormais également des villes comme Montpellier, Nice ou Bordeaux, où elle est devenue plus visible et plus violente. Elle se déroule le plus souvent sous les yeux d’une population et d’élus légitimement inquiets, et nourrit le découragement des forces de l’ordre et des magistrats devant les nombreuses difficultés que soulève ce type de délinquance inédit.

La commission des Lois s’est saisie de ce sujet par la création, en juillet 2020, d’une mission d’information sur les problématiques de sécurité associées à la présence de ces MNA. À l’issue de sept mois de travaux, 18 recommandations ont finalement été retenues, dont certaines nécessitent un véhicule législatif et justifient la rédaction de la présente proposition de loi.

L’objectif général poursuivi par cette proposition de loi est d’instituer un « un continuum de protection des mineurs non accompagnés » qui permet de prendre en charge les vrais mineurs le plus précocement possible après leur arrivée sur le territoire national afin de les préserver des risques de délinquance liés à leur isolement et à leur errance.   

Le titre Ier comprend plusieurs mesures améliorant les conditions d’accueil des MNA dans les dispositifs de l’aide sociale à l’enfance.

L’article 1er reprend le dispositif de l’article 3 du projet de loi relatif à la protection des enfants, issu des travaux de l’Assemblée nationale en première lecture. Cet article encadre le recours aux hôtels et aux hôtels sociaux pour les personnes de moins de 21 ans en posant un principe d’interdiction, sauf pour répondre aux situations d’urgence et assurer la mise à l’abri des mineurs. L’article 1er supprime ces exceptions et interdit ainsi systématique tout recours aux hôtels et aux hôtels sociaux, y compris durant la période d’évaluation de la minorité.

Les conditions d’hébergement et la qualité des espaces où sont accueillis les MNA diffèrent grandement d’un département à l’autre. Alors que l’article premier de la proposition de loi pose le principe d’un hébergement adapté à ces mineurs, il importe de s’assurer du respect des intentions du législateur et de mieux connaître et objectiver l’offre d’hébergements. C’est l’objet de l’article 2 qui prévoit, deux ans après l’entrée en vigueur de la loi, la présentation d’un rapport au Parlement détaillant la diversité et à la qualité des hébergements proposés aux MNA dans les départements.

L’article 3 modifie le code de l’action sociale et des familles et le code civil afin d’habiliter, non pas le ministre de la Justice – comme cela est actuellement le cas – mais le ministre chargé des affaires sociales à fixer les objectifs de répartition proportionnée des accueils des MNA entre les départements.

Le titre II comprend deux articles renforçant l’efficacité et la qualité des réponses pénales apportées aux MNA délinquants.

L’article 4 permet, lorsque le tribunal correctionnel l’estime nécessaire, le recours à la détention provisoire pour les mineurs délinquants. Cette disposition résulte des nombreux échanges des rapporteurs de la mission d’information relative aux problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés avec les magistrats, qui regrettent que ces mineurs, dont les besoins de prise en charge au titre de la protection judiciaire de la jeunesse sont très importants, échappent le plus souvent à la justice des mineurs, et donc à toute forme d’encadrement.

L’article 5 apporte une précision à l’article L. 423‑4 du code de la justice pénale des mineurs en prévoyant que la procédure à audience unique est nécessairement utilisée pour les MNA accompagnés remplissant les autres conditions énoncées au même article.

Le titre III propose plusieurs dispositifs visant à faciliter l’identification des mineurs non accompagnés.

L’article 6 autorise les relevés signalétiques y compris sans le consentement de l’intéressé lorsque cette opération est strictement nécessaire à l’établissement de l’identité de la personne, et de manière proportionnée.

L’article 7 réécrit l’une des dispositions du projet de loi relatif à la protection des enfants afin d’y inscrire la possibilité, pour les présidents des conseils départementaux, de solliciter les préfets aux fins de réaliser un relevé signalétique, dans les conditions détaillées à l’article 6. Il supprime en outre la possibilité de recourir aux tests osseux et généralise le recours à un administrateur ad hoc pour les MNA lorsque ces derniers font l’objet d’une procédure d’évaluation de la minorité.

L’article 8 modifie le code civil afin de supprimer les références aux tests osseux pouvant aujourd’hui être utilisés afin de déterminer l’âge du mineur. Les travaux de la mission d’information relative aux problématiques de sécurité associées à la présence de mineurs non accompagnés ont en effet souligné le caractère peu fiable de ces tests, dont l’utilisation suscite d’intenses polémiques depuis de nombreuses années. La conjonction des articles 4 et 7 de la proposition de loi permettra de mieux déterminer l’identité du mineur, sans avoir recours à de tels dispositifs.

Enfin, le titre IV contient un seul article ayant pour objet de compenser la charge qui pourrait résulter de la mise en œuvre des dispositions qui précèdent.

 


proposition de loi

TITRE Ier

MIEUX PROTÉGER LES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS DANS LES DISPOSITIFS DE L’AIDE SOCIALE À L’ENFANCE

Article 1er

Après l’article L. 221‑2‑2 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 221‑2‑3 ainsi rédigé :

« Art. L. 221‑2‑3. – Hors périodes de vacances scolaires, de congés professionnels ou de loisirs, la prise en charge d’une personne mineure ou âgée de moins de vingt et un ans au titre des articles L. 221‑1 et L. 222‑5 est assurée par des personnes mentionnées à l’article L. 421‑2 ou dans des établissements et services autorisés au titre du présent code.

« Par dérogation au premier alinéa du présent article et à titre exceptionnel, pour une durée ne pouvant excéder un mois, pour répondre à des situations d’urgence ou assurer la mise à l’abri des mineurs, cette prise en charge peut être réalisée dans d’autres structures d’hébergement, relevant des articles L. 227‑4 et L. 321‑1. Un décret fixe les conditions d’application du présent article, notamment le niveau minimal d’encadrement et de suivi des mineurs concernés requis au sein de ces structures ainsi que la formation requise. »

Article 2

Deux ans après l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement transmet au Parlement un rapport relatif à la diversité et à la qualité de l’offre d’hébergement des mineurs non accompagnés.

Article 3

I. – À la deuxième phrase de l’article L. 221‑2‑2 du code de l’action sociale et des familles, les mots : « de la justice » sont remplacés par les mots : « chargé des affaires sociales ».

II. – Au troisième alinéa de l’article 375‑5 du code civil, les mots : « de la justice » sont remplacés par les mots : « chargé des affaires sociales ».

TITRE II 

AMÉLIORER LES PROCÉDURES DE JUGEMENT DES MINEURS ET AUTRES DISPOSITIONS PÉNALES

Article 4

I. – Après l’article 397‑2 du code de procédure pénale, il est inséré un article 397‑2‑1 ainsi rédigé :

« Art. 39721. – S’il lui apparaît que la personne présentée devant lui est mineure, le tribunal renvoie le dossier au procureur de la République.

« Le tribunal statue au préalable, après avoir entendu les réquisitions du procureur de la République et les observations de la personne et de son avocat, sur le placement ou le maintien de la personne en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant la juridiction pour mineurs compétente. Cette comparution doit avoir lieu le jour même ou au plus tard dans un délai de vingt‑quatre heures, à défaut de quoi elle est remise en liberté d’office. Toutefois, s’il n’y a pas de juridiction pour mineurs au sein du tribunal judiciaire, cette comparution doit intervenir dans un délai de cinq jours ouvrables, à défaut de quoi la personne est remise en liberté d’office.

« Les dispositions du présent article sont également applicables devant le juge des libertés et de la détention statuant en application de l’article 396. »

II. – Après l’article L. 423‑6 du code de la justice pénale des mineurs, il est inséré un article L. 423‑6‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 42361. – S’il apparaît au juge des enfants ou au juge des libertés et de la détention saisi en application de l’article L. 423‑6 que la personne présentée devant lui est majeure, il renvoie le dossier au procureur de la République.

« Il statue au préalable, après avoir entendu les réquisitions du procureur de la République et les observations de la personne et de son avocat, sur le placement ou le maintien de la personne en détention provisoire jusqu’à sa comparution devant le tribunal correctionnel, devant le juge des libertés et de la détention saisi en application de l’article 396 du code de procédure pénale ou devant le juge d’instruction. Cette comparution doit avoir lieu le jour même ou au plus tard dans un délai de vingt‑quatre heures, à défaut de quoi la personne est remise en liberté d’office. Toutefois, si les faits relèvent de la compétence d’un pôle de l’instruction et qu’il n’existe pas de pôle au sein du tribunal judiciaire, cette comparution doit intervenir devant le juge d’instruction du pôle territorialement compétent dans un délai de cinq jours ouvrables, à défaut de quoi la personne est remise en liberté d’office. »

III. – Les dispositions du II entrent en vigueur à la date fixée par l’article 9 de l’ordonnance n° 2019‑950 du 11 septembre 2019 modifiée portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

Article 5

L’article L. 423‑4 du code de la justice pénale des mineurs est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Dès lors que les conditions énoncées au présent article sont remplies, tout mineur étranger privé temporairement ou définitivement de la protection de sa famille est poursuivi devant le tribunal pour enfants aux fins de jugement en audience unique selon la procédure prévue aux articles L. 521‑26 et L. 521‑27. »

TITRE III

FAVORISER L’IDENTIFICATION DES MINEURS NON ACCOMPAGNÉS

Article 6

I. – Le code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° L’article 55‑1 est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Sans préjudice de l’application des dispositions du troisième alinéa, lorsque le relevé signalétique constitue l’unique moyen d’identifier une personne à l’encontre de laquelle il existe une ou plusieurs raisons plausibles de la soupçonner d’avoir commis ou tenté de commettre un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement et qui a été entendue en application des articles 61‑1 ou 62‑2, cette opération peut, avec l’autorisation préalable du procureur de la République, être effectuée sans le consentement de l’intéressé par un officier de police judiciaire ou, sous son contrôle, un agent de police judiciaire, ayant recours à la contrainte strictement nécessaire et proportionnée à cette fin, et tenant compte s’il y a lieu de la vulnérabilité de la personne. Ces opérations font l’objet d’un procès‑verbal qui mentionne les raisons pour lesquelles le relevé signalétique constituait l’unique moyen d’identifier la personne. » ;

2° Au second alinéa de l’article 76‑2, les mots : « et troisième » sont remplacés par les mots : « , troisième et quatrième » ;

3° Le second alinéa de l’article 154‑1 est ainsi modifié :

a) Les mots : « et troisième » sont remplacés par les mots : « , troisième et quatrième » ;

b) Il est complété par une phrase ainsi rédigée : « L’autorisation prévue par le quatrième alinéa est alors donnée par le juge d’instruction. »

II. – Après la section 3 du chapitre III du livre IV du titre Ier du code de la justice pénale des mineurs, est insérée une section 4 ainsi rédigée :

« Section 4

« Des relevés signalétiques

« Art. L. 41316. – Lorsqu’il est fait application à un mineur des dispositions du dernier alinéa de l’article 55‑1 du code de procédure pénale relatives aux relevés signalétiques réalisés sans le consentement de l’intéressé, le recours à la contrainte doit tenir compte de la minorité de la personne. Ses représentant légaux doivent, sauf impossibilité, être informés des opérations. »

III. – Les dispositions du II entrent en vigueur à la date fixée par l’article 9 de l’ordonnance n° 2019‑950 du 11 septembre 2019 portant partie législative du code de la justice pénale des mineurs.

Article 7

Après l’article L. 221‑2‑2 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un article L. 221‑2‑3 ainsi rédigé :

« Art. L. 221‑2‑3. – I. – Le président du conseil départemental du lieu où se trouve une personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille met en place un accueil provisoire d’urgence. La personne se déclarant mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille se voit désigner un administrateur ad hoc dans les conditions prévues à l’article L. 741‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile.

« II. – En vue d’évaluer la situation de la personne mentionnée au I, le président du conseil départemental procède aux investigations nécessaires au regard notamment des déclarations de cette personne sur son identité, son âge, sa famille d’origine, sa nationalité et son état d’isolement.

« Sauf lorsque la minorité de la personne est manifeste, le président du conseil départemental, en lien avec le représentant de l’État dans le département, organise la présentation de la personne auprès des services de l’État afin qu’elle communique toute information utile à son identification et au renseignement, par les agents spécialement habilités à cet effet, du traitement automatisé de données à caractère personnel prévu à l’article L. 142‑3 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le représentant de l’État dans le département communique au président du conseil départemental les informations permettant d’aider à la détermination de l’identité et de la situation de la personne.

« Le président du conseil départemental peut en outre solliciter le concours du représentant de l’État dans le département pour vérifier l’authenticité des documents détenus par la personne et pour effectuer un relevé signalétique sans consentement dans les conditions définies à l’article 55‑1 du code de procédure pénale, aux fins d’identification et d’évaluation de la minorité de l’individu.

« Il statue sur la minorité et la situation d’isolement de la personne en s’appuyant sur les entretiens réalisés avec celle‑ci, sur les informations transmises par le représentant de l’État dans le département ainsi que sur tout autre élément susceptible de l’éclairer.

« La majorité d’une personne se présentant comme mineure et privée temporairement ou définitivement de la protection de sa famille ne saurait être déduite de son seul refus opposé au recueil de ses empreintes, ni de la seule constatation qu’elle est déjà enregistrée dans le traitement automatisé mentionné au présent II.

« III. – Le président du conseil départemental transmet au représentant de l’État dans le département, chaque mois, la date et le sens des décisions individuelles prises à l’issue de l’évaluation prévue au II.

« IV. – L’État verse aux départements une contribution forfaitaire pour l’évaluation de la situation et la mise à l’abri des personnes mentionnées au I.

« La contribution n’est pas versée, en totalité ou en partie, lorsque le président du conseil départemental n’organise pas la présentation de la personne prévue au deuxième alinéa du II ou ne transmet pas, chaque mois, la date et le sens des décisions mentionnées au III.

« V. – Les modalités d’application du présent article, notamment des dispositions relatives à la durée de l’accueil provisoire d’urgence mentionné au I, ainsi qu’au versement de la contribution mentionnée au IV, sont fixées par décret en Conseil d’État. »

Article 8

L’article 388 du code civil est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, après les mots « détermination de l’âge », la fin de l’alinéa est ainsi rédigée : « sont interdits » ;

2° Le troisième alinéa est supprimé.

TITRE IV

DISPOSITION RELATIVE À LA COMPENSATION DE LA CHARGE POUR L’ÉTAT ET LES COLLECTIVITÉS TERRITORIALES

Article 9

I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement, et corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle à la contribution mentionnée à l’article 1613 ter du code général des impôts.