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N° 4462

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 septembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer les politiques de statistiques publiques
afin de consolider l’action des collectivités des Outremer
dans tous les domaines,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire,
à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Josette MANIN et des membres du groupe Socialistes (1) et apparentés (2),

députés.

 

 

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(1) Mesdames et Messieurs : Joël AVIRAGNET, MarieNoëlle BATTISTEL, Guy BRICOUT, Alain DAVID, Laurence DUMONT, Lamia EL AARAJE, Olivier FAURE, Guillaume GAROT, Chantal JOURDAN, David HABIB, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Gérard LESEUL, Philippe NAILLET, Christine PIRES BEAUNE, Valérie RABAULT, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Boris VALLAUD, Michèle VICTORY.

(1) Mesdames et Messieurs : Régis JUANICO.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La France est un des ensembles océaniques et terrestres les plus larges dans le monde grâce à ses douze territoires des Outre‑mer qui cumulent 560 173 km² et près de 2,6 millions d’habitants sur plusieurs continents. Trop souvent perçus comme de simples destinations touristiques, nos départements, régions et collectivités d’Outre‑mer sont avant tout les ambassadeurs de notre République et de ses valeurs dans le monde.

Toutefois, si « la République reconnait, au sein du peuple français, les populations d’outre‑mer, dans un idéal commun de liberté, d’égalité et de fraternité », ces dernières connaissent encore de fortes inégalités et discriminations. C’est notamment ce que relève le rapport d’information sur les discriminations dans les Outre‑Mer qui dépeint la réalité dans ces territoires et relève des obstacles notamment en ce qui concerne : la justice sociale, la réduction du chômage structurel, la lutte contre l’habitat indigne et le logement insalubre, l’éducation et l’accès à la culture pour tous, l’adaptation des infrastructures sanitaires aux besoins des territoires de santé, le vieillissement de la population pour ne citer que ceux‑là.

Parmi les nombreuses causes de ces inégalités et discriminations persistantes et durables, les rapporteurs – Josette Manin, Maud Petit et Cécile Rilhac – avaient identifié entre autres la méconnaissance des spécificités ultramarines et la nécessité de mettre en place une réelle politique publique permettant de pallier l’insuffisance de statistiques pour les Outre‑mer dans tous les domaines.

En effet, même si les départements et régions d’Outre‑mer bénéficient d’une production statistique plus développée et diversifiée que dans l’Hexagone, les manques de données restent particulièrement marqués et nuisent à ce jour à la qualité des politiques publiques mises en place, à leur mise en valeur et à leur évaluation.

Deux exemples avaient été cités lors des travaux de la mission d’information :

– le manque de données transversales et d’enquêtes longitudinales sur les Outre‑mer : particulièrement pendant l’étude TeO (Trajectoire et origines menée conjointement par l’INSEE et l’INED) qui visait à identifier l’impact des origines sur les conditions de vie, les trajectoires sociales ainsi que d’autres caractéristiques sociodémographiques (le milieu social, le quartier, l’âge, la génération, le sexe, le niveau d’études) ;

– l’extension des enquêtes sur l’ensemble des départements, régions et territoires : à titre d’exemple l’enquête Virage (sur les Violences et rapports de genre)qui avait pour objectif de produire des données comparables aux enquêtes menées dans l’Hexagone en 2015 ne se focalisait que sur la Martinique, de la Guadeloupe et à la Réunion.

Sur ce dernier point, le législateur avait introduit un « Titre XIV : dispositions relatives à la statistique et à la collecte de données » dans la loi du 28 février 2017 de programmation relative à l’égalité réelle Outre‑mer et portant autres dispositions en matière sociale et économique avec plusieurs articles qui visaient à :

– étendre systématiquement des enquêtes statistiques nationales à la Nouvelle‑Calédonie et aux collectivités d’Outre‑Mer, pour leur assurer une meilleure visibilité quand ils sont appliqués dans les collectivités régies par l’article 73 de la constitution ;

– avoir un rapport sur les bases et les périmètres de calcul des taux de pauvreté des populations des outre‑mer et des populations hexagonales afin d’harmoniser les méthodes de calcul appliquées entre les différents territoires.

Malgré ces dispositions, à ce jour des collectivités et des acteurs du monde économique ultramarins continuent à connaitre des difficultés et des disparités en terme d’exactitude des statistiques, les pénalisant ainsi au niveau décisionnel. Ces insuffisances s’expliquent ‑ selon le rapport de 2021, « État des statistiques dans les départements d’Outre‑mer et les collectivités d’outre‑mer » de l’Institut national de la statistique et des études économiques ‑ par :

– des sources administratives de qualité insuffisante pour être exploitées dans un processus de production statistique comparable à celui de l’Hexagone selon les standards de qualité en vigueur. Ainsi, les données fiscales et sociales peuvent être parcellaires en raison de problèmes de domiciliation et d’adressage ;

– des spécificités propres et des situations hétérogènes dans les territoires ultramarins qui rendent les comparaisons et les déclinaisons difficiles dans les enquêtes nationales du fait de la faiblesse des échantillons ;

– des coûts de mises en place des enquêtes, surtout en terme de moyens humains et financiers ;

– l’existence de lacunes et de domaines encore mal couverts dont des réponses peuvent être trouvées sur le plan juridique afin d’avoir des données statistiques et des tableaux de bord homogènes, à jour et fiables sur tous les territoires pour mieux les piloter ;

– des contraintes liées au respect du secret statistique (loi de 1951), lorsque l’activité concerne un trop petit nombre d’entreprises ou de personnes : par exemple, statistiques énergétiques, du commerce extérieur, de la recherche.

Afin de pallier à ces contraintes, des organisations et des entreprises ultramarines ou ayant des activités directes ou indirectes dans les Outre‑mer créent dorénavant leurs propres bases de données par l’intermédiaire d’entreprises spécialisées et grâce aux possibilités offertes par les nouvelles technologies de l’information et de la communication. Toutefois, ces initiatives impliquent :

– la production de données différentiées et multiples sur des sujets similaires entre les différents organismes et les services de l’Etat dans les territoires concernés rajoutant ainsi plus de questions que forcément des solutions ;

– la création de bases de données non‑centralisées dont les résultats ne sont pas diffusés alors qu’ils pourraient alimenter les statistiques publiques, nonobstant d’un droit de regard méthodologique.

Loin de vouloir empêcher ces initiatives, qui restent louables et utiles, la question que pose ce texte est celle de la prise en main des statistiques publiques ultramarines par des acteurs du secteur privé alors que c’est l’État qui a « normalement et légalement » la main sur cette activité.

Cette proposition de loi s’articule autour de trois articles :

L’article 1er met en place une expérimentation qui permettra à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) de se voir transmettre des données collectées, produites ou traitées, par le biais d’enquêtes ou par tout autre moyen, par des entreprises et organisations privés qui ne sont pas chargées d’une mission de service public. Son objectif est de renforcer les statistiques publiques dans les Outre‑mer en les dotant de nouvelles sources de données.

L’article 2 propose d’évaluer le processus de collecte à la diffusion des données statistiques dans tous les domaines dans l’ensemble des départements, régions et territoires des Outre‑mer. Son objectif est de permettre aux législateurs de mieux comprendre et de mieux évaluer la façon dont sont conçues les statistiques dans les Outre‑mer.

L’article 3 expérimente les possibilités offertes par une mise à disposition des fonctionnaires d’État – rattachés à l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE) – en poste dans les Outre‑mer vers les communes de ces collectivités. La Martinique et Mayotte sont proposées pour cette expérimentation du fait de leurs spécificités statutaires, géographiques et démographiques différenciées. L’objectif de cette disposition est de pallier aux manques d’effectifs et de moyens dans le cadre des opérations liées aux politiques publiques statistiques (la collecte, la production, le traitement, l’analyse et la diffusion des données) et au recensement complet de la domiciliation des populations et des entreprises.

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, est mise en place dans des collectivités régies par l’article 73 de la Constitution du 4 octobre 1958, une expérimentation visant à doter l’Institut national de la statistique et des études économiques de moyens supplémentaires et adéquates pour implanter des dispositifs permettant aux entreprises, enregistrées au registre du commerce et des sociétés dans ces territoires et définis à l’article 51 de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, et aux organisations relevant de la loi du 1er juillet 1901 et du décret du 16 août 1901 réalisant par tout moyen de la collecte, de la production, du traitement, de l’analyse et de la diffusion des données de les transmettre à l’Institut national de la statistique et des études économiques pour répondre aux insuffisances statistiques dans tous les domaines d’activité.

II. – Au plus tard douze mois avant le terme de l’expérimentation mentionnée au I, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation afin de déterminer les conditions appropriées pour son éventuelle généralisation dans les collectivités régies par l’article 73 et 74 de la Constitution du 4 octobre 1958.

Ce rapport évalue les impacts directs et indirects de la dotation de moyens supplémentaires et des dispositifs sur la collecte, la production, le traitement, l’analyse et la transformation des données statistiques dans les collectivités susvisées.

III. – Un décret en Conseil d’État précise les collectivités régies par l’article 73 et 74 de la Constitution du 4 octobre 1958 concernées par cette expérimentation, les moyens supplémentaires et les dispositifs précités au I du présent article.

Article 2

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet un rapport au Parlement évaluant la méthodologie, les moyens et les dispositifs permettant la collecte, la production, le traitement, l’analyse, la transformation et la diffusion de données statistiques dans tous les domaines d’activité dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution ainsi que leurs impacts directs et indirects dans le processus décisionnel de ces collectivités.

1° Ce rapport évalue les impacts directs et indirects de la loi n° 51‑711 du 7 juin 1951 sur l’obligation, la coordination et le secret en matière de statistiques sur les politiques publiques dans ces collectivités.

2° Ce rapport évalue les impacts directs et indirects des spécificités locales au niveau économique, social, environnemental et administratif sur les politiques publiques dans ces collectivités.

Article 3

I. – Pour une durée de trois ans à compter de la promulgation de la présente loi, est mise en place en Martinique et à Mayotte une expérimentation visant à mettre à disposition des communes de ces deux territoires et de leurs administrations, des fonctionnaires d’État rattachés à l’Institut national de la statistique et des études économiques afin de pallier les manques de moyens dans la collecte, la production, le traitement, l’analyse, la transformation et la diffusion des données statistiques dans tous les domaines d’activités.

II. – Cette expérimentation inclut des opérations permettant de compléter les données manquantes concernant la domiciliation et l’adressage des populations, des entreprises enregistrées au registre du commerce et des sociétés dans ces territoires et définis à l’article 51 de la loi n° 2008‑776 du 4 août 2008 de modernisation de l’économie, et des organisations relevant de la loi du 1er juillet 1901 et du décret du 16 août 1901.

III. – Au plus tard douze mois avant le terme de l’expérimentation mentionnée au I, le Gouvernement remet au Parlement un rapport d’évaluation de l’expérimentation afin de déterminer les conditions appropriées pour son éventuelle généralisation dans les collectivités régies par les articles 73 et 74 de la Constitution du 4 octobre 1958.

IV. – Un décret en Conseil d’État précise les conditions et l’organisation de la mise à disposition des fonctionnaires d’État précités au I du présent article vers les communes de la Martinique et Mayotte.

Article 4

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.