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N° 4542

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à faciliter le changement de nom des enfants
notamment suite à un divorce,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Patrick VIGNAL,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Le divorce fait disparaître le mariage, non l’ancien conjoint » ([1]) : le lien entre ex‑époux n’est jamais complètement effacé malgré leur indépendance retrouvée, « ainsi que le montre encore aujourd’hui le régime du nom » ([2]). Si l’article 264 du code civil dispose clairement qu’« À la suite du divorce, chacun des époux perd l’usage du nom de son conjoint », le nom de l’ex‑conjoint – dans les faits, souvent le nom patronymique – continue d’assurer la survie symbolique du mariage.

Cette survivance symbolique de la cellule familiale à travers le nom s’explique par la volonté d’institutionnaliser le lien de l’enfant avec le père ([3]). Même si la loi n° 2002‑304 du 4 mars 2002 relative au nom de famille, issue de la proposition de loi déposée le 15 novembre 2000 par M. Gérard Gouzes, a substitué le « nom de famille » au « nom patronymique » en promouvant l’égalité théorique entre époux lors de la transmission du nom à leur enfant et en permettant à la mère – qu’elle soit mariée ou non – de transmettre, avec l’accord du père, son propre nom de famille à l’enfant commun, celui‑ci continue de porter, dans la grande majorité des cas et après le divorce de ses parents, le nom du père, en l’absence de volonté déclarée ou conjointe devant l’officier d’état civil lors de la naissance.

L’article 311‑21 du code civil précise qu’en cas de filiation légalement établie ([4]) et à défaut de déclaration conjointe des parents à l’officier d’état civil – donc en cas d’omission ou de désaccord –, l’enfant prend le nom de celui de ses parents à l’égard duquel sa filiation est établie en premier lieu et le nom de son père si la filiation est établie simultanément à l’égard de l’un ou de l’autre. La dévolution subsidiaire du nom du parent à l’égard duquel la filiation est établie en premier lieu vise à préserver la possibilité, pour la mère, grâce à la reconnaissance prénatale, de transmettre son nom à l’enfant, même en cas de désaccord avec le père. Cette disposition, introduite par la loi n°2003‑516 du 18 juin 2003 relative à la dévolution du nom de famille, était motivée par le souci de rééquilibrer en faveur de la mère les règles de dévolution du nom de famille.

Les règles de dévolution du nom ont également été débattues lors de l’examen de la loi n° 2013‑404 du 17 mai 2013 ouvrant le mariage aux couples de même sexe, en tirant les conséquences de l’ouverture de l’adoption aux couples mariés de personnes de même sexe. Comme pour la filiation par le sang, les parents adoptifs peuvent choisir le nom dévolu à leur enfant par déclaration conjointe. Mais à défaut de déclaration, l’enfant prend le nom de chacun des parents adoptifs accolés dans l’ordre alphabétique dans la limite d’un nom de famille pour chacun. Les règles supplétives de dévolution du nom ne sont donc pas identiques selon que l’enfant est ou non adopté.

Cette question n’a pas été abordée de la même manière par les deux chambres : l’Assemblée, à la faveur d’un amendement déposé par Mme Corinne Narassiguin et plusieurs de ses collègues, a étendu aux filiations non‑adoptives la suppression de la préférence donnée, par défaut, au nom du père, afin de mettre fin au privilège donné au patronyme, et garantir ainsi une complète égalité entre les sexes pour la transmission du nom. Ainsi, en cas de désaccord ou d’absence de choix, les enfants porteraient le premier nom de chacun des deux parents par le sang, accolés dans l’ordre alphabétique ([5]). Le Sénat, traditionnellement sensible au maintien de la priorité donnée par défaut au nom paternel, a préféré distinguer, dans la règle subsidiaire, le défaut de déclaration conjointe du désaccord entre parents : seul le désaccord de l’un des deux parents exprimé devant l’officier d’état civil impliquerait l’attribution à l’enfant des deux noms de ses parents accolés selon l’ordre alphabétique ([6]).

In fine, cette distinction dans la règle subsidiaire entre le défaut de déclaration conjointe et le désaccord entre parents pose les termes de l’alternative suivante, s’agissant de la dévolution du nom de famille à l’enfant : faut‑il privilégier l’exigence d’égalité entre les sexes ou prévoir la possibilité de donner à l’enfant, en l’absence de choix conjoint – voire de désaccord – entre les parents, le nom, par priorité, de celui qui, le premier – en l’occurrence, la mère – a reconnu l’enfant ?

Si le droit n’admet la transmission du nom patronymique qu’avec l’accord de la mère puisqu’elle peut s’opposer à cette transmission et demander le double nom pour l’enfant, le désaccord exprimé par le père à la dévolution du nom matronymique par reconnaissance prénatale emporte également l’attribution du nom patronymique à l’enfant. Le droit garantit que l’un des sexes ne puisse imposer sa décision à l’autre.

Pourtant, il est permis de considérer que le système onomastique a, en France, un genre. Et de constater que ce genre est très majoritairement masculin[7]. Est‑ce pourtant coutume qui fait que, la plupart du temps, les parents continuent de ne pas choisir de transmettre le nom de la mère, et que l’enfant, à défaut de choix exprimé, continue de porter le nom de son père ? Cette situation est particulièrement prégnante lorsque le couple familial est marié : en effet, l’établissement de la filiation n’est pas unifié par un système généralisé de reconnaissance volontaire. L’article 312 du code civil pose la présomption de paternité du mari. « L’enfant conçu ou né pendant le mariage (ayant) pour père le mari », la dévolution du nom patronymique à l’enfant constitue le prolongement symbolique de cette paternité. La filiation est avant tout une institution protégée, à ce titre, par l’ordre social ([8]). S’agissant des couples non mariés, on peut considérer que les garde‑fous instaurés par la loi permettent aux parents de s’abstraire de l’usage traditionnel qui veut que l’enfant porte le nom du père. Il leur suffit, le cas échéant, d’en manifester la volonté ou de manifester leur désaccord pour que le nom de chacun d’entre eux soit attribué à l’enfant. Ainsi, en cas de séparation, l’enfant continuerait de porter le nom de chacun de ses parents. Pour les couples mariés, l’inertie volontaire des parents peut difficilement être contournée par la loi.

Une réforme du droit de la dévolution du nom de famille à l’enfant risque de rejaillir sur le droit de la filiation qui, s’il ne repose plus uniquement sur les règles de la biologie – l’ouverture de l’adoption aux couples de même sexe et de la PMA aux couples de femmes en sont d’éclatantes manifestations –, ne repose pas non plus uniquement sur l’acte de volonté. Tel n’est pas l’objet de la présente proposition de loi. Cependant, l’inertie involontaire des parents mériterait d’être corrigée, en ouvrant, après la naissance de l’enfant, la possibilité pour celui‑ci de porter les deux noms de famille de ses parents en accolant celui des deux manquant – dans les faits, celui de la mère – à l’autre. Cette possibilité se matérialiserait par un recours en rectification de l’acte de naissance, dans un délai raisonnable après la naissance de l’enfant (article 3).

Sans avoir l’ambition de parvenir à instaurer, pour la transmission du nom à l’enfant, des règles parfaitement égalitaires, la présente proposition de loi propose en particulier de faciliter le changement de nom de l’enfant suite à un divorce. En effet, si une mère divorcée souhaite transmettre son « nom de jeune fille » à son enfant alors qu’elle a, involontairement, permis au seul père de lui transmettre le sien à la naissance, l’accord du père est nécessaire avant d’entamer la – longue – procédure de changement de nom auprès du Garde des Sceaux. Cette situation est source de conflits entre parents et de difficultés d’ordre psychique pour les enfants. De nombreux témoignages existent, de mères souffrant de ne pouvoir, suite à un divorce, attribuer leur nom de naissance à leur enfant ne portant que le nom patronymique. L’utilisation du double nom comme « nom d’usage » n’est pas davantage possible sans l’accord des deux parents.

L’objet de l’article 2 de la présente proposition de loi est donc de permettre au parent divorcé de pouvoir transmettre son nom à l’enfant du couple, accolé à celui de l’autre parent, en l’absence de déclaration conjointe des parents à la naissance de l’enfant. En conservant au bénéfice de l’enfant les deux noms après le divorce de ses parents, l’unité de la fratrie est assurée puisque les deux liens de filiation sont établis simultanément. Cette faculté ne viendrait pas rompre le lien institutionnel entre l’enfant et le père et ne rejaillirait pas sur sa filiation ; elle permettrait de réaffirmer le lien charnel de l’enfant avec sa mère.

Il serait même envisageable de permettre, en cas de divorce, une interversion des noms en cas de désaccord signalé à l’officier d’état civil entre parents sur la dévolution, à la naissance, du nom de famille à leur enfant. Cette interversion ne pourrait intervenir qu’avec l’accord conjoint des deux parents ou sur décision du juge (article 1).

 


proposition de loi

Article 1er

L’article 264 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En cas de désaccord entre les parents tel que prévu au premier alinéa de l’article 311‑21, l’un des époux peut obtenir, avec l’accord de l’autre époux ou avec l’autorisation du juge, que l’ordre alphabétique selon lequel leurs deux noms sont accolés soit interverti par mention à l’état civil. »

Article 2

L’article 286 du code civil est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« En l’absence de la déclaration conjointe prévue au premier alinéa de l’article 311‑21, l’époux dont le nom n’a pas été transmis à l’enfant peut obtenir, après que le divorce a été prononcé, que son nom soit accolé à celui de l’autre époux par mention à l’état civil. »

Article 3

Le premier alinéa de l’article 311‑21 du code civil est complété par une phrase ainsi rédigée :

« En l’absence de la déclaration conjointe prévue au présent alinéa, le parent dont le nom n’a pas été transmis à l’enfant peut obtenir, dans un délai de six mois après la déclaration de naissance, que son nom soit accolé à celui de l’autre parent par rectification à l’état civil conformément à l’article 1046 du code de procédure civile ».


([1])  Philippe Malaurie, Hugues Fulchiron, Droit de la famille, LGDJ, 7ème éd., Paris, p. 386.

([2]) Ibid.

([3])  Dans ce sens, cf. Pierre Legendre, Leçons IV, suite 2. Filiation. Fondement généalogique de la psychanalyse, Fayard, Paris, 1990, p. 16.

([4])  L’expression s’entend de toutes les filiations biologiques établies par reconnaissance ou déclaration, ainsi que celles établies par possession d’état.

([5])  Rapport AN n°628, tome 1, 1re lecture, sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe (commission des lois), rapp. Erwann Binet, p. 303.

([6])  Rapport Sénat n°437, tome 1, 1re lecture, sur le projet de loi ouvrant le mariage aux couples de même sexe (commission des Lois), rapp. Jean-Pierre Michel, p. 81.

([7])  Frédérique Le Doujet-Thomas, « Nom de famille et nom d’usage : le système onomastique a-t-il un genre ? », in Stéphanie Hennette-Vauchez, Marc Pichard et Diane Roman (dir.), La Loi et le Genre, Etudes critiques de droit français, CNRS, Paris, 2016.

([8])  Dans ce sens, cf. Pierre Legendre, L’inestimable objet de la transmission, étude sur le principe généalogique en Occident, Fayard, Paris, 1985, p. 10.