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N° 4545

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 12 octobre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à faciliter l’expulsion des gens du voyage et des squatteurs,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par M. Sébastien CHENU,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Présent dès le droit romain, le droit de propriété consacre les pouvoirs, les « droits » dont dispose un individu sur un bien et se distingue ainsi de la simple possession. Le droit de propriété permet donc de protéger le propriétaire d’un bien contre toute attaque d’autrui sur son bien. Le droit de propriété, consacré à plusieurs reprises dans notre législation, fait partie des droits les plus élémentaires dont chaque citoyen dispose. Régulé au moment de la Révolution Française, en 1789, par la Déclaration des droits de l’Homme et du Citoyen en vertu de son article 17 qui le considérait alors comme « un droit inviolable et sacré » et dont « nul ne peut en être privé, si ce n’est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l’exige évidemment, et sous la condition d’une juste et préalable indemnité. ». Cette déclaration, depuis lors, insérée dans le bloc de constitutionnalité a élevé ce droit au sommet hiérarchique de notre législation et sert ainsi de fondement pour interpréter la constitutionnalité des lois faisant l’objet d’un tel contrôle. De même, notre code civil à l’article 544 estime que « la propriété est le droit de jouir et disposer des choses de la manière la plus absolue, pourvu qu’on n’en fasse pas un usage prohibé par les lois et par les règlements. » Ici encore, il convient de souligner la protection apportée au propriétaire de pouvoir utiliser son bien de la façon dont il le souhaite.

C’est pourquoi, il est urgent de proposer des solutions pour respecter le droit de propriété protégé entre autres par la jurisprudence de la Cour de Cassation ([1]). Ce droit fait référence aussi bien à la propriété privée des particuliers que les terrains, propriété des collectivités territoriales. Dans ce cas, les problèmes rencontrés peuvent être relatifs à l’occupation illégale sans droit ni titre de terrains appartenant aux mairies sur lesquels des caravanes mobiles seraient installées par des populations non sédentaires recevant l’appellation de « gens du voyage ». Leur expulsion rencontre de nombreuses difficultés, notamment liées à l’imprécision des trois termes : sécurité, salubrité et tranquillité. Ces termes peuvent, en effet, être interprétés largement ou, au contraire, de façon étroite, empêchant ainsi l’expulsion des populations installées illégalement sur ces terrains. Dans un autre registre, l’acquisition d’un bien immobilier est souvent le résultat du travail d’une vie, ou du moins, de nombreuses années. Une fois le crédit remboursé, les propriétaires en question souhaitent pouvoir profiter pleinement de leur résidence principale ou secondaire sans être victimes d’intrusions ou d’occupations d’inconnus sans leur accord préalable.

De nombreuses affaires médiatisées ont révélé que des « squatteurs » étaient parvenus à s’introduire dans des habitations – qu’il s’agisse de résidences principales ou secondaires – laissant leurs propriétaires démunis de toute possibilité de récupérer rapidement leur bien. Nous avons tous en mémoire l’affaire de Théoule‑sur‑Mer, où un couple de retraités n’a pu prendre possession de sa résidence secondaire victime d’un squat par un jeune couple condamné par le tribunal de Grasse à une peine avec sursis.

Cet exemple n’est pas un cas isolé et doit, collectivement, nous alerter quant à la réalité de la situation en matière de violation de domicile. Ainsi, la ministre déléguée au logement a annoncé le 26 mai dernier (le premier bilan de l’Observatoire des squats, demandé par Emmanuelle Wargon a été publié sur le site du ministère de la transition écologique le 26 mai dernier) que 124 affaires de squat ont été portées à la connaissance des préfets dont près de 25 % des propriétaires n’avaient pas encore pu reprendre possession de leur bien. Certains pourront estimer que ce chiffre est dérisoire au regard du nombre de propriétaires et d’habitants dans notre pays mais la réalité n’en est pas pour autant moins inquiétante en ce que le travail de toute une vie se joue parfois derrière ces affaires. De même, les propriétaires gardent souvent un souvenir traumatisant de ces occupations illégales.

C’est pourquoi la présente proposition de loi se décompose en 3 chapitres. Tout d’abord, il sera question de mieux encadrer et redéfinir le régime d’interprétation judiciaire en ce qui concerne le respect du plan d’aménagement d’accueil des gens du voyage. Ensuite, il sera présenté des modifications à la procédure administrative d’évacuation forcée. Enfin, il conviendra de renforcer et durcir la procédure d’évacuation des squatteurs.

La loi du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est tenue pour référence juridique en la matière. Elle exige des bénéficiaires des services qu’elle met à disposition, notamment via un plan d’aménagement prévu à l’article 443‑3 du code de l’urbanisme, un triple devoir. Il s’agit des trois principes généraux : salubrité, tranquillité et sécurité publiques. Cette transposition des articles 27 à 29 de la directive 2004/38/CE du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2004 relative au droit des citoyens de l’Union et des membres de leurs familles de circuler et de séjourner librement sur le territoire des États membres n’est pas sans faille. Floue et ambiguë, cette directive s’est soldée par un empire de la libre interprétation des juges, au détriment parfois d’une justice objective. La preuve ne permet pas ainsi de démontrer systématiquement qu’une occupation jugulant pourtant la sécurité, la tranquillité ou la salubrité du voisinage ou d’une commune est « suffisamment grave » pour motiver l’expulsion. La Cour d’appel administrative de Lyon a estimé en 2018 ([2]), pour ne citer qu’elle, a conclu malgré « des troubles à l’ordre public déjà constatés lors d’une précédente occupation, au mois d’octobre 2016 » en défaveur de la mise en demeure prévue pourtant par la loi. L’article 1 rappelle les cas d’atteinte à la salubrité, sécurité ou tranquillité publiques.

Il convient de souligner que ce texte de loi entend à la fois faire respecter les principes et parallèlement améliorer l’intégration des gens du voyage sur nos territoires, grâce à un respect de la loi. L’impunité qu’ont connue des comportements frauduleux, délinquants ou abusifs a contribué grandement au discrédit et à la défiance à l’encontre de la première minorité d’Europe.

Dans cette logique, certaines décisions ont dénoté une interprétation inspirée par la méconnaissance des modes de vie des gens du voyage, notamment en ce qui concerne leur sédentarisation. Ainsi, une possibilité d’interprétation très large des juges a pu conduire à un refus de la mise en demeure en s’appuyant sur des preuves de « caravanes immobilisées » ([3]). Il paraît néanmoins fortement disproportionné de trancher un litige sur fait de sédentarisation elle‑même peu fondé en faveur des occupants dans l’illégalité, alors que les principes généraux d’accueil ont été eux‑mêmes violés. Il suffirait d’une immobilisation volontaire des véhicules habitables ou d’abris de fortune pour attester d’une sédentarisation – négligeant d’une part le propre des statuts des gens du voyage, questionnant par conséquent leurs droits, et, d’autre part, donnant un prétexte facile à ceux qui enfreignent la loi pour acquérir l’impunité. L’article 2 fait donc préciser dans la loi que l’immobilisation n’est pas une preuve suffisante, tout en détaillant la nature de l’immobilisation.

Le troisième point récurant présentant une certaine ambiguïté en la matière se trouve à l’article 322‑4‑1 du code pénal, qui ne précise le délit de s’installer illégalement seulement « en réunion ». L’article 3 cherche à compléter en ajoutant également le cas de figure d’une telle introduction commise par un individu seul, sur le principe que le délit est identique et ne devrait pas conduire à une nullité de la peine.

L’article 4 ouvre le chapitre concernant la procédure d’évacuation permettant à un individu justifiant d’un intérêt légitime à demander au préfet de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux. Cet article répond à un droit à la justice, notamment, en cas de troubles anormaux de voisinage. Ces individus – justifiant d’un intérêt légitime – pourront, en effet, intervenir en cas d’atteinte à l’ordre public. D’autres éléments que ceux relevant de la seule illégalité d’un stationnement méritent d’être pris en considération afin d’éviter qu’un déséquilibre vienne entacher le dispositif actuel.

Seule l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général est la condition pouvant amener le préfet à ne pas engager la mise en demeure. L’objectif de l’intervention du préfet est d’améliorer la situation et ainsi de permettre un cadre de vie plus plaisant aux riverains (article 5).

Comme explicité plus tôt, un second point laisse le droit de propriété en France, cette fois‑ci privée, face au constat tout autant alarmant que déconcertant : les passe‑droits accordés aux squatteurs. L’explosion de cette situation demande d’abord de considérer ce phénomène de délinquance comme un délit à part entière. La porosité entre l’entrée par effraction ainsi que le fait de squatter rend juridiquement confus de les tenir comme similaires. Il est essentiel d’introduire dans le code pénal le délit de squat comme un délit propre, dans la mesure où il diverge aisément de l’effraction en termes de modalité d’introduction, d’usage du domicile, de finalité criminelle et parfois juste de nature du délit. Les régimes juridiques applicables ainsi que la nature et le montant des sanctions doivent, par conséquent, être différents (article 6).

De là, alors même que la loi disposait que le maintien dans un domicile suite à une telle introduction était punissable et se référait bien à l’article 38 de la loi n° 2007‑290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, des décisions de justice se sont montrées en faveur des squatteurs pour avoir apporté des preuves manifestes d’un maintien dans le domicile, telles que le changement de serrure, toute facture justifiant d’un raccordement à l’eau, à l’électricité au gaz ou tout autre moyen justifiant d’une installation, ont permis de faire du domicile occupé illégalement le domicile de référence du squatteur. Il est alors protégé allègrement au même titre que le propriétaire. Ce déséquilibre de la loi bafoue les grands principes des droits individuels. Il rend les procédures toujours plus ardues, d’autant plus compte tenu de l’âge avancé des plaignants et les difficultés que cela induit en termes de coûts pécuniaires, physiques et psychologiques (article 7).

L’article L. 412‑6 du code des procédures civiles d’exécution permet l’expulsion des squatteurs y compris durant la trêve hivernale. Néanmoins, cette décision dépendant des juges reste profondément injuste pour les propriétaires ou titulaires des droits d’usage. L’article 8 entend conserver un unique régime d’expulsion des squatteurs sans considération du lieu occupé illégalement et à systématiser cette procédure. Ainsi, les locaux d’entreprises, les garages ou les halls d’immeuble méritent‑ils la même protection que les domiciles.

Enfin, l’article 9 vise à réduire les peines encourues par les propriétaires cherchant à déloger par eux‑mêmes ; dans la proportionnalité du jugement des faits, il est impensable qu’un individu pris par la surprise ou dans un accès de colère à raison puisse être condamné avec les mêmes peines que le squatteur.

 


proposition de loi

Chapitre Ier

Encadrement du régime d’interprétation judiciaire en matière du respect du plan d’aménagement d’accueil des gens du voyage

Article 1er

À la fin du deuxième alinéa du II de l’article 9 de la loi n° 2000‑614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage, les mots : « atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques » sont remplacés par les mots : « une atteinte à la salubrité, la sécurité ou la tranquillité publiques telles qu’elles sont définies à l’article L. 2212‑2 du code général des collectivités territoriales ».

Article 2

Le I de l’article 1er de la loi n° 2000‑614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Ne sont pas considérés comme des gens du voyage au sens de la présente loi les personnes occupant un terrain dans un abri de fortune ou une caravane immobilisée ne disposant pas des moyens nécessaires à sa circulation. ».

Article 3

Au premier alinéa de l’article 322‑4‑1 du code pénal, les mots : « en réunion » sont supprimés.

Chapitre II

Modification de la procédure administrative d’évacuation

Article 4

La loi n° 2000‑614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa du II de l’article 9, les mots : « ou le titulaire du droit d’usage du terrain occupé » sont remplacés par les mots : « , le titulaire du droit d’usage du terrain occupé ou toute personne justifiant d’un intérêt légitime ».

2° Au premier alinéa de l’article 9‑1, les mots : « ou du titulaire du droit d’usage du terrain, » sont remplacés par les mots : « le titulaire du droit d’usage du terrain ou de toute personne justifiant d’un intérêt légitime ».

Article 5

La loi n° 2000‑614 du 5 juillet 2000 relative à l’accueil et à l’habitat des gens du voyage est ainsi modifiée :

1° Après le deuxième alinéa du II de l’article 9, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la condition prévue au deuxième alinéa du présent II est remplie, seule l’existence d’un motif impérieux d’intérêt général peut amener le préfet à ne pas engager la mise en demeure. En cas de refus, les motifs de la décision sont communiqués sans délai au maire demandeur. »

2° Après le premier alinéa de l’article 9‑1, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Lorsque la demande émane du maire, les dispositions du troisième alinéa du II de l’article 9 sont applicables. »

Chapitre III

Renforcement de la procédure d’évacuation des squatteurs

Article 6

Le second alinéa de l’article 226‑4 du code pénal est ainsi rédigé :

« Constitue un délit de squat le fait de se maintenir dans le domicile d’autrui sans l’autorisation du propriétaire ou du locataire du domicile, à la suite d’une introduction de toute nature hors les cas où la loi le permet. Le délit de squat est puni de trois ans d’emprisonnement et de 35 000 euros d’amende. »

Article 7

Après l’article 38 de la loi n° 2007‑290 du 5 mars 2007 instituant le droit au logement opposable et portant diverses mesures en faveur de la cohésion sociale, il est inséré un article 38‑1 ainsi rédigé :

« Art. 381. – Un logement ne peut, en aucun cas, être considéré comme le domicile d’un individu ou groupe d’individus occupant illégalement les lieux. À ce titre, ces derniers ne peuvent se prévaloir d’aucun droit et d’aucun titre dans le but de prolonger leur occupation. Ainsi, tout changement de serrure, toute facture justifiant d’un raccordement à l’eau, à l’électricité au gaz ou toute autre moyen justifiant d’une installation utilisé dans le but de se prévaloir d’un quelconque droit est considéré comme n’ayant jamais existé. »

Article 8

L’article L. 412‑6 du code des procédures civiles d’exécution est ainsi modifié :

1° Au deuxième alinéa, les mots : « dans le domicile d’autrui » sont supprimés ;

2° Le dernier alinéa est supprimé.

Article 9

L’article 226‑4‑2 du code pénal est ainsi modifié :

1° Les mots : « trois ans », sont remplacés par les mots : « six mois ».

2° Le montant : « 30 000 », est remplacé par le montant : « 10 000 ».


([1])  Cour de Cassation – chambre criminelle, 22 janvier 1957. bull. Crim, n° 68.

([2]) Cour Administrative d’Appel de Lyon, 4e chambre, formation 3, 20 décembre 2018, 16LY04164, Inédit au recueil Lebon.

([3]) Cour Administrative d’Appel de Versailles, 4e chambre, 17 octobre 2017, 15VE03703, Inédit au recueil Lebon.