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N° 4582

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ASSEMBLÉE  NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 19 octobre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer la participation lors des élections en France
et à améliorer notre démocratie,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Muriel RESSIGUIER, Caroline FIAT, JeanHugues RATENON, Bénédicte TAURINE, Sabine RUBIN, Michel LARIVE, Danièle OBONO, FrançoisMichel LAMBERT, Jennifer DE TEMMERMAN,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Le droit de vote en France a évolué depuis l’instauration de l’élection au suffrage universel, adoptée par le décret du 5 mars 1848. Réservé tout d’abord aux hommes, il a été étendu ensuite aux femmes par l’ordonnance du 21 avril 1944, puis aux militaires par celle du 17 août 1945 et enfin, par le traité de Maastricht en 1992, à tous les citoyens de l’union européenne de voter et de présenter leur candidature aux élections municipales et européennes dans les mêmes conditions que les nationaux.

Le scrutin universel est l’un des piliers de notre démocratie. Selon nos fondements républicains, c’est par lui que s’exerce la souveraineté des citoyens. L’article 2 de la constitution, le stipule « son principe est : gouvernement du peuple, par le peuple, pour le peuple ». Il permet à chaque citoyen de choisir le candidat ou le parti politique le plus à même de le représenter.

Hélas depuis plusieurs années, l’abstention aux élections est un phénomène qui s’amplifie quel que soit le mode de scrutin. En se détournant de leur droit de vote, les citoyens perdent leur souveraineté et remettent en question la légitimité des élus. Ainsi, lors des élections présidentielles de 2017, 22,23 % des électeurs se sont abstenus au premier tour et 25,44 % au second, soit 12 101 416 citoyens. C’est le taux le plus élevé observé depuis 1969. Les législatives qui ont suivi, n’ont pas été davantage populaires. Un peu plus de la moitié des électeurs ne s’est pas rendue aux urnes lors du premier tour; et la proportion a augmenté au second tour avec 57,36 % d'abstentionnistes. Le taux de participation aux élections législatives recule de façon continue depuis 1993.

Les élections communautaires du parlement européen ne semblent pas susciter plus d’intérêt auprès des citoyens avec une abstention de 49,9 %, soit encore une fois, près de la moitié des personnes inscrites sur les listes électorales.

Lors des élections municipales de 2020, le taux d’abstention au second tour a battu un nouveau record avec 58,4% de non-votants. Il était déjà de 55,4 % au premier tour. Il est en forte progression par rapport au 2e tour des municipales en 2014 qui affichait une abstention de 36,3 %. Quant aux dernières élections régionales, le taux de participation a été particulièrement marquant avec un taux d'abstention de 66,72 % au premier tour et de 65,7 % au second tour. Même si nous devons prendre en considération le contexte sanitaire lié à la pandémie de covid-19 et aux mesures barrières, cela doit nous interroger sur l’état de notre démocratie qui s’exprime par les urnes.

D’un point de vue sociologique, si l’on analyse les franges de la population qui se détournent le plus des élections, quel qu’en soit le type de scrutin, on observe que ce sont les populations ayant de plus faibles revenus. Ainsi, dans les foyers percevant un revenu inférieur ou égal au smic le taux d’abstention atteint 68 % contre 50 % pour ceux ayant un revenu au-delà de 3 000 € par mois. Sur la période allant de 2012 à 2017, la participation aux élections a baissé de 14 et 15 points chez les ouvriers et les employés, contre 8 points chez les cadres. Il est essentiel de se questionner sur les raisons de ce désintéressement, particulièrement présents dans certaines franges de la population et de réfléchir à une meilleure sensibilisation des droits civiques et une meilleure représentativité des élus.

Pour remédier à cette abstention, certains pays de la communauté européenne ou de la communauté internationale ont mis en place le vote obligatoire. C’est le cas par exemple en Australie, pays précurseur en la matière, qui a rendu le vote obligatoire en 1924.

Au sein des pays de l’Union Européenne qui ont rendu le vote obligatoire, la Belgique enregistre un taux de participation de 90 % en moyenne. Chez nos voisins francophones, la non participation à un vote sans motif valable est assortie d’une amende allant de 27,50 à 55 € pour la première fois et plafonne à 137,50 € en cas de récidive. Si le citoyen s'abstient quatre fois sur une période de quinze ans, il peut être rayé des listes électorales pour dix ans. Le citoyen ne peut pas recevoir de nomination, de promotion, ni de distinction de la part d'une autorité publique. Au Luxembourg, le taux de participation avoisine 92 %. Les contraventions en cas d’absence aux élections se situent entre 100 et 250€ pour la première absence et de 500 à 1000€ en cas de seconde absence dans une période de cinq ans. Dans la Principauté du Liechtenstein la participation moyenne est de 75% avec une pénalité de 13€ en cas de non participation à un scrutin. En dehors de l’Union Européenne, le Brésil affiche un taux de participation moyen de 80 %. Si l’absence n’est pas justifiée, les brésiliens ne peuvent plus obtenir un passeport ou une carte d'identité, percevoir un salaire d'une administration publique, participer à un concours ou un examen public ou administratif, ou obtenir un prêt financier auprès d'une des banques officielles. En Australie, la participation moyenne est de 93%. Les abstentionnistes encourent jusqu’à 100$ d’amende.

Au sein de l’Union Européenne, la Grèce qui a également rendu le vote obligatoire, ne prévoit pas en revanche de pénalité en cas d’absence à un scrutin, mais affiche un taux de participation plus faible de 63% en moyenne.

Ainsi, rendre le vote obligatoire en France, comme cela a été proposé depuis plusieurs années, par différents groupes politiques, et bien que n’étant pas la solution miracle, fait partie des solutions qui peuvent être apportées.

Cette obligation doit bien évidemment prendre en compte les situations exceptionnelles d’électeurs ne pouvant pas se déplacer et un assouplissement de la mise en place des procurations, notamment, peut être envisagé.

Une pénalité sous forme de stage civique, semble une réponse plus adaptée au recul de la citoyenneté. Une pénalité financière serait une réponse inégalitaire face à l’écart important des revenus en France. Une pénalité financière ne serait pas forcément contraignante pour les citoyens aux revenus les plus aisés et elle le serait trop pour les citoyens aux revenus plus modestes, sans pourtant apporter un sens civique à cette pénalité. La non-participation à un vote pourrait donc s’accompagner dans un premier temps d’un rappel à loi sous forme de courrier recommandé et dans un deuxième temps, en cas de récidive, d’une sanction sous forme de stage civique, d’une durée de 3 jours, au profit d’une personne morale de droit public, collectivité territoriale, établissement public, d’une personne morale de droit privé chargée d’une mission de service public, d’une association habilitée. Cette sanction serait applicable à chaque fois qu’un citoyen ne participerait pas à une élection sans raison justifiée. En cas de contestation de la sanction, les commissions de contrôles des listes électorales ou le juge électoral pourraient être saisi par le citoyen mis en cause.  

Rendre le vote obligatoire induit la question de rendre effective l’obligation d’inscription sur les listes électorales dès la majorité atteinte déjà prévue à l’article L. 9 du Code électoral. Actuellement, l’inscription se fait automatiquement lors du recensement, mais celui-ci, bien qu’obligatoire, peut être fait entre 16 et 25 ans. Ainsi, un certain nombre d’électeurs potentiels n’apparaissent pas sur les listes entre 18 et 25 ans. D’après une étude de l’INSEE de 2020, 94 % des Français en âge de voter sont inscrits sur une liste électorale. Même si ce nombre est important, les 6 % restant doivent faire l’objet d’une attention particulière, afin de déterminer pourquoi ils ne sont pas inscrits, et de les amener à le faire.

Le recensement des personnes en âge de voter pourrait être établi par les commissions de contrôles des listes électorales, en faisant un croisement du Répertoire Électoral Unique et du Répertoire National d'Identification des Personnes Physiques. Ces deux répertoires étant tenus à jour par l’INSEE.

Une des autres solutions qui favoriserait la participation aux différentes élections serait la mise en place de campagnes de communication, d’une part dans les collèges, les lycées et les établissements d’enseignement supérieur, et d’autres part dans les administrations et les établissements publics, les mairies, les préfectures, afin d’informer et de sensibiliser sur la tenue prochaine d'élection et leurs enjeux.

Le Vote Blanc

Un autre sujet, régulièrement débattu, doit interroger notre système actuel de scrutin, celui de la comptabilisation des votes blancs. Bien que la loi du 21 février 2014 ait modifié l’article L.65 du code électoral « les bulletins blancs sont décomptés séparément et annexés au procès-verbal » or, en réalité, « Ils n’entrent pas en compte pour la détermination des suffrages exprimés, mais il en est fait spécialement mention dans les résultats des scrutins ».  Le vote blanc est une expression face l’offre de programmes et de candidats, qu’il est important de comptabiliser non seulement dans la rédaction des procés verbaux mais dans l’affichage et la prise en compte des résultats finaux.

Selon un sondage BVA de 2019, 80 % des français étaient “plutôt favorables" au vote blanc. Pour illustrer cette tendance, les français été 8,51 % à utiliser le vote blanc lors du second tour des dernières élections présidentielles, soit 3 021 499 bulletins blancs enregistrés. Ils étaient au nombre de 659 997 au premier tour.

Aussi, si lors du second tour, la majorité absolue n’est pas obtenue, il est impératif de respecter le mécontentement des citoyens qui, en déposant un bulletin blanc dans l’urne, exprime leur non-adhésion aux programmes et aux candidats, en organisant de nouvelles éléctions.

La représentativité des élus

Dernièrement, afin de renforcer l'intérêt et la confiance des citoyens envers les élus, il convient de s’interroger sur la représentativité des élus et de permettre à plus de citoyens la possibilité de se présenter à des élections. En effet, trop peu d’élus sont issus de milieux dits “populaires”. Selon l’institut Diderot, seulement 4,6 % des députés se déclarent employés et 23 % cadres. Or, selon l'insee 27,2 % des français sont rattachés à la première catégorie et 17,7 % à la deuxième. Il n’y a donc pas de représentativité proportionnelle des catégories socio-professionnelles de la population parmi les élus.

Afin de sortir du déterminisme social, chacun doit pouvoir faire entendre sa voix, avoir la possibilité de représenter ses concitoyens et de pouvoir exercer des responsabilités politiques, sans que cela soit réservé à un groupe social favorisé. L’un des freins à cet engagement dans la vie publique est le risque de la perte de son emploi à l’issue du mandat. Chaque citoyen qui souhaite s’engager doit pouvoir momentanément être détaché de son employeur en prenant un congé sans solde et pouvoir le récupérer à l’échéance de son mandat. Ceci renouvelable une fois.

En résumé, la perte d’intérêt des citoyens envers les élections et le débat public, visible à travers un taux d’abstention de plus en plus élevé, ainsi que l’insatisfaction qui se manifeste par les votes blancs sont inquiétants pour notre démocratie. Il est crucial de réinventer notre pratique democratique et de renforcer la citoyenneté. Tel est le but de cette proposition de loi, qui par son article 1er rend obligatoire l’inscription sur les listes électorales et le vote dès la majorité sous peine de sanction qui prendrait la forme d’un stage civique de trois jours; prévoit des campagnes d’information dans les collèges, les lycées, les établissements d’enseignement supérieur, dans les administrations et les établissements publics. L’article 2 instaure la reconnaissance du vote blanc comme un vote à part entière devant être inclus dans le décompte et l’affichage final. L’article 3, propose d’invalider le vote si la majorité absolue n’est pas atteinte, entraînant ainsi un nouveau processus électoral. Enfin l’article 4, offre la possibilité aux élus nationaux de renouveler leur mandat une deuxième fois tout en conservant leur emploi grâce à un congé sans solde, comme c’est déjà le cas pour les élus locaux, permettant ainsi à davantage de citoyens de pouvoir se présenter.

L’objet de cette proposition de loi est d’interroger notre pratique démocratique et d’y apporter modestement une contribution. Le statut de l’élu pourrait faire également l’objet d’une Proposition de loi en soi qui permettrait d’ouvrir un plus large débat.

 

 


proposition de loi

Chapitre Ier

Vote obligatoire et inscription sur les listes électorales obligatoire

Article 1er

I. – Le livre Ier du code électoral est ainsi modifié :

1° Après le mot : « est », la fin de l'article L. 1 est ainsi rédigée : « direct, universel et obligatoire » ;

2° L'article L. 9 est complété par les mots : « dès la majorité civile. » ;

3° Le III de l’article L. 16 est complété par un 3° ainsi rédigé :

« 3° Afin de vérifier l’obligation d'inscription sur les listes électorales dès la majorité civile des citoyens, l’Institut national de la statistique et des études économiques transmet aux commissions de contrôles des listes électorales locales des communes respectives et à la demande des commissions, le répertoire national d'identification des personnes physiques et le répertoire électoral unique. » ;

4° L’article L. 19 est ainsi modifié :

a) Après le troisième alinéa du II de l'article L. 19, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« La commission effectue une fois par an un croisement du répertoire national d'identification des personnes physiques et du répertoire électoral unique afin de vérifier l’obligation d’inscription sur les listes électorales prévue à l’article L. 9. » ;

b) Après le 3° du IV, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° D’un agent public assermenté. » ;

c) Après le 2° du V, il est inséré un 3° ainsi rédigé :

« 3° D’un agent public assermenté. » ;

5° Après l'article L. 51, il est inséré un article L. 51-1 ainsi rédigé :

« Art. L. 51-1. – Pendant les deux mois précédant le premier jour du mois d'une élection et jusqu'à la date du scrutin où celle-ci est acquise, des campagnes d'information sur les élections en cours sont menées dans les collèges, les lycées, les établissements d’enseignement supérieur, les administrations publiques, les radios et les télévisions publiques. » ;

6° Le chapitre VII du titre Ier est complété par un article L. 117-3 ainsi rédigé :

« Art. L. 117-3. – Tout électeur qui, sans motif valable, n'a pas pris part aux opérations électorales et qui n'a pas justifié cette absence et prouvé sa bonne foi est sanctionné par un agent public assermenté membre la Commission de contrôle des listes électorales, dans un premier temps, d’un rappel à loi sous forme de courrier recommandé. En cas de récidive, il est sanctionné par un stage civique prévu à l’article 131-18-1 du code pénal, d’une durée de trois jours. » ;

II. – La sous-section 4 de la section 1 du chapitre Ier du titre III du livre Ier du code pénal est ainsi modifiée :

1° Après le 3° de l’article 131-12, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° Un stage civique prévu par l’article 131-18-1. » ;

2° Il est ajouté un article 131-18-1 ainsi rédigée :

« Art. 131-18-1. – Pour toutes les contraventions de la 1e, 2e, 3e et 4e classe, la juridiction peut prononcer à la place ou en même temps que la peine d'amende la peine d’un stage civique au profit d’une personne morale de droit public, collectivité territoriale, établissement public, d’une personne morale de droit privé habilité chargée d’une mission de service public ou d’une association habilitée. »

Chapitre II

Reconnaissance du vote blanc

Article 2

Le chapitre VI du titre Ier du livre Ier du code électoral est ainsi modifié :

1° Après le premier alinéa de l’article L. 58, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Il est mis à la disposition des électeurs pendant toute la durée du vote des bulletins blancs du même format que les bulletins des candidats. » ;

2° L’avant dernier alinéa de l’article L. 65 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Les bulletins blancs sont décomptés et proclamés séparément des bulletins nuls dans les résultats du scrutin. »

Chapitre III

Invalidité d’une élection

Article 3

L’article L. 56 du code électoral est complété par deux phrases ainsi rédigées :

« S’il y a plus de 50 % de bulletins blancs dans les urnes, l’élection est invalidée. Un nouveau scrutin est organisé. »

Chapitre IV

Représentativité des élus

Article 4

La sous-section 8 de la section 2 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail est ainsi modifiée :

1° Au premier alinéa de l’article L. 3142-84, après le mot : « mandat », sont insérés les mots : « dans la limite de deux mandats successifs ou discontinus, » ;

2° Le premier alinéa de l’article L. 3142-85 est ainsi rédigé :

« Les dispositions de l'article L. 3142-84 ne sont pas applicables au-delà de deux mandats successifs ou discontinus, sauf si la durée de la suspension prévue à l'article L. 3142-83 a été, pour quelque cause que ce soit, inférieure à dix ans. »

Article 5

La promulgation de la présente loi s’accompagne d’une campagne d’information ou note de service aux salariés, les administrations publiques, radios et télévisions publiques.

Article 6

I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée, à due concurrence, par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et corrélativement pour l'État par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.