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N° 4645

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 3 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à la réappropriation des sociétés concessionnaires d’autoroutes,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

MM. Nicolas DUPONTAIGNAN et José EVRARD,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis leur privatisation en 2006, les sociétés concessionnaires d’autoroute (SCA) ont abusé de leur situation pour s’enrichir de manière indécente sur le dos des automobilistes français, réduisant du même coup l’accès des plus modestes à ces infrastructures. A l’occasion du Grand débat national, les automobilistes ont réaffirmé qu’il était temps que le Gouvernement « prenne enfin en compte l’intérêt des usagers » en résiliant par anticipation les anciens contrats passés avec les sociétés concessionnaires. (Cf. Le Grand débat national des automobilistes, résultats de la consultation, p. 19 – Site internet de l’association 40 millions d’automobilistes). Malgré l’ampleur de la protestation et la clarté des exigences exprimées, l’exécutif n’a engagé aucune réforme dans ce sens.

Depuis 2006, les faits n’ont cessé de confirmer ce que nous n’avions eu de cesse de dénoncer : une privatisation excessivement avantageuse pour les groupes privés et catastrophique pour l’État. Comme toujours dans ces cas‑là, ce sont les usagers qui payent la facture. Dès 2017, je proposai la réappropriation par l’État des SCA. Les autoroutes constituent en effet des instruments de la politique d’aménagement et d’attractivité du territoire. Elles sont censées remplir une mission de service public, mais elles sont aujourd’hui aux mains d’intérêts financiers particuliers. Il convient donc de mettre fin à cet abus de position dominante : c’est l’objet de la présente proposition de loi.

Historique

La construction des autoroutes fut autorisée en France par la loi n° 55435 du 18 avril 1955 portant statut des autoroutes, qui dispose dans son article 4 que « l’usage des autoroutes est en principe gratuit » même si, dans l’hypothèse de conventions de concessions, les péages peuvent servir à rembourser, entre autres, les dépenses de l’État.

Attribuées initialement à des sociétés d’économie mixtes publiques, les concessions passèrent à des sociétés privées en 1970 qui, fortement déficitaires, furent finalement reprises par l’État en 1981. Entre 1994 et 1998, la durée des concessions fut allongée pour les sections déjà amorties, afin de financer la construction de nouvelles sections.

Après l’ouverture partielle du capital des sociétés concessionnaires d’autoroute entre 2002 et 2005, le Gouvernement Villepin engagea leur privatisation complète pour désendetter l’État. De fait l’État obtint 14, 8 milliards d’euros et se déchargea des 16.8 milliards d’euros de dettes des sociétés concessionnaires d’autoroutes.

Toutefois, par cette opération au demeurant largement contestée, le Gouvernement ne sut pas valoriser ce patrimoine national. En effet, les prix de cession lors des ouvertures du capital furent faibles au regard de la demande. En outre, s’agissant de la cession d’ASF, la participation de 23 % déjà détenue par Vinci dissuada les investisseurs de présenter des offres concurrentes : aussi la vente se conclut‑elle sur une somme très légèrement au‑dessus du prix plancher. À l’arrivée, cette mauvaise opération financière se solde par un manque à gagner considérable estimé à 6,5 milliards d’euros (Cf. rapport de 2005 sur la valorisation du patrimoine autoroutier du député Hervé Mariton).

2015 : le protocole du renoncement

Les contrats de concessions qui définissent les obligations entre le concédant et le concessionnaires, établis entre les années 50 et 70, n’ont pas été réadaptés lors de la privatisation. L’État s’est ainsi considérablement affaibli face aux SCA qui n’étaient liées par aucune clause de rendez‑vous, de révision ou de plafonnement de la rentabilité.

Déjà en 2013, Arnaud Montebourg étant ministre de l’économie, la Cour des comptes avait dénoncé un modèle économique très favorable aux SCA, ne pouvant conduire qu’à une hausse des tarifs et à un taux de rentabilité élevé. En effet, tout investissement est compensé par une hausse de tarifs et les bénéfices ne sont pas réinvestis.

Dans son avis du 17 septembre 2014, l’Autorité de la concurrence avait estimé que l’addition des dividendes versés par les SCA avait atteint 14,9 milliards d’euros entre 2006 et 2013 : un montant supérieur au prix d’achat des concessions. Sur cette même période, le chiffre d’affaires a davantage progressé que les charges, conduisant à une marge nette entre 20 et 24 %.

Dans la lignée du rapport de la Cour des comptes de 2013, l’Autorité de la concurrence dénonce, en 2014, la « rentabilité exceptionnelle » des SCA, assimilable à « une rente ». En décembre, plus de 150 députés socialistes réclament au Premier ministre, Manuel Valls, le rachat des concessions d’autoroutes par l’État.

Un groupe de travail parlementaire est donc constitué pour envisager toutes les options, y compris celle de la renationalisation. Du moins officiellement… Car en parallèle, les représentants de l’État négocient directement avec les représentants d’autoroute. Certains membres du groupe de travail parlementaire, comme le député socialiste de l’Indre Jean‑Paul Chanteguet, démissionnent pour dénoncer ce double‑jeu du Gouvernement.

Les négociations tendues débouchent ainsi le 9 avril 2015 sur la signature d’un protocole d’accord entre les services de l’État et les sociétés concessionnaires historiques qui avalise le renforcement du contrôle de l’État sur le secteur autoroutier… en échange d’un nouvel allongement de la durée des concessions ! L’hypocrisie gouvernementale débouche sur un véritable renoncement politique. La loi n° 2015990 du 6 août 2015 pour la croissance, l’activité et l’égalité des chances économiques (dite « loi Macron ») confia la régulation du réseau autoroutier concédé à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières (ARAFER) renommée Autorité de Régulation des Transports (ART) en 2019. Ce renforcement du contrôle de l’État ne suffit pas cependant à rétablir un équilibre des forces avec les SCA. Une autre des contreparties consistait pour les concessionnaires à s’acquitter d’un plan « d’investissements verts ». En avril 2019, un rapport de la Cour des comptes a pointé que ces travaux coûteraient 3,2 milliards d’euros aux SCA, quand la prolongation des durées de concessions leur rapporterait quant à elle… 15 milliards d’euros !

Une clause fiscale polémique

Prévue à l’article 32 des contrats, une clause oblige en outre l’État à accorder automatiquement une compensation aux sociétés d’autoroutes, en cas de nouvelle taxe ou de nouvel impôt. Cette clause existait avant la signature du protocole. Mais selon un avis du Conseil d’État de février 2015, son application peut être considérée comme « excessive et anormale ».

À l’époque, le député socialiste Jean‑Paul Chanteguet avait commenté : « Cela signifie que si demain l’État décide d’augmenter une taxe ou une redevance sur les autoroutes, il est obligé d’accepter soit une augmentation des péages, soit un allongement des durées de concession. » Autrement dit, l’État s’est lui‑même « lié les mains ».

Enfin, les groupes privés propriétaires des sociétés d’autoroutes ne comptent pas s’arrêter là et regardent déjà avec avidité ce qui reste de réseau non concédé. Arnaud Hary, Président de l’Association des sociétés françaises d’autoroutes (ASFA) a confirmé en 2019 que les sociétés autoroutières souhaitaient, à long terme, récupérer tout ou partie des 10 000 km de routes nationales non encore concédées.

Les chiffres de la rente autoroutière

Ainsi, fortes de cette positions avantageuses, les SCA ont fait bénéficier leurs actionnaires de dividendes très importants grâce à l’augmentation constante et continue des tarifs des péages, profitant de la passivité coupable de l’État.

Une étude de Frédéric Fortin, expert en fusion acquisition et en finances d’entreprise, commandée dans le cadre du rapport sénatorial Delahaye de 2020 intitulé Concessions autoroutières : des profits futurs à partager équitablement avec l’État et les usagers, illustre la rente mise en place par les sociétés autoroutières.

En 2019, le secteur autoroutier représentait un chiffre d’affaires de 10 milliards d’euros, un bénéfice de près de 5,5 milliards d’euros. 3 milliards d’euros de dividendes ont été versées.

Résultats clés des sociétés autoroutières entre 2006 et 2019 (en millions d’euros)

 

Chiffre d’affaires d’exploitation

Bénéfices (avant intérêts et IS)

Résultat net (après intérêts et IS)

Dividendes

Dette

 

2019

Total cumulé 2006 – 2019

2019

Total cumulé 2006 – 2019

2019

Total cumulé 2006 – 2019

2019

Total cumulé 2006 – 2019

2019

TOTAL
Avec Cofiroute

9 909

114 311

5 535

57 906

3 316

28 470

3 028

33 558

25 342

Moyenne annuelle

/

8 165

/

4 136

/

2 034

/

2 397

/

Source : Etude de Frédéric Fortin, expert en fusion acquisition et en finances d’entreprise, dans le rapport n° 709 (20192020) de M. Vincent DELAHAYE, fait au nom de la CE Concessions autoroutières, déposé le 16 septembre 2020, intitulé Concessions autoroutières : des profits futurs à partager équitablement avec l’État et les usagers

Reprendre les autoroutes sans indemnité

L’article 1er de la présente proposition de loi prévoit que l’État notifie aux SCA qu’il met fin de manière anticipée aux contrats de concession qui prévoient cette éventualité dans leur article 38. Bien loin d’un choix idéologique de renationalisation, il s’agit de la solution la plus opportune pour refonder un système de gestion des autoroutes dévoyé afin de l’orienter au service de l’intérêt général.

Les estimations varient s’agissant du coût d’un tel rachat. On regrette d’ailleurs un manque de transparence sur ces chiffres. Bruno le Maire avait évoqué la somme de 45 à 50 milliards d’euros. De son côté, le sénateur Hervé Maurey, président de la commission de l’Aménagement du territoire et du développement durable, avait parlé d’environ 20 milliards dans une interview au Parisien.

Toutefois, la solution la plus juste reviendrait à reprendre la gestion des autoroutes sans verser aucune indemnité. Regardons les chiffres : les SCA ont racheté les autoroutes pour 14,8 milliards. D’après l’étude de M. Fortin, entre 2006 et 2019, le secteur autoroutier a engrangé 33,5 milliards d’euros de dividendes. Les autoroutes ont donc largement recouvré la somme qu’elles avaient décaissée initialement. Dans ces conditions, faudrait‑il encore verser plusieurs dizaines de milliards d’euros aux SCA pour les reprendre en main ? Les sociétés d’autoroutes ont touché une rente indécente pendant plus de 15 ans. Elles ne peuvent invoquer un manque à gagner si la gestion leur est reprise. C’est le sens de l’avis n° 389520 rendu le 5 février 2015 par la section des travaux publics du Conseil d’État relatif aux marges dont dispose l’État pour assurer une meilleure prise en compte de l’intérêt public dans l’équilibre des concessions autoroutières. Il écrit à propos d’une résiliation anticipée de ces concessions que « si les investissements étaient amortis et si aucun manque à gagner n’était constaté, une indemnisation ne serait pas nécessaire ».

Conserver les péages jusqu’au 1er janvier 2028

Reste les 25 milliards de dette des sociétés d’autoroutes, que l’État devra rembourser, une fois les autoroutes reprises en main. Or, l’étude de M. Fortin comporte également un volet prévisionnel qui prévoit en moyenne 4 milliards d’euros de dividendes par an jusqu’en 2030. Il conviendra donc de geler le tarif des péages et de les conserver pendant 6 ans, entre 2022 et 2027, pour rembourser les 25 milliards de dette. Ainsi, comme le prévoit l’article 2, en janvier 2028, une fois la dette remboursée, les péages seront définitivement supprimés.

Résultats prévisionnels des sociétés autoroutières entre 2021 et 2030 (en millions d’euros)

 

Chiffre d’affaires d’exploitation cumulé 2021 – 2030

Bénéfices avant intérêts et impôts cumulés 2021 – 2030

Résultat net (Bénéfces moins intérêts financiers et IS) cumulé 2021 – 2030

Dividendes cumulées 2021 – 2030

TOTAL

140 861

78 841

55 828

41 902

Moyenne annuelle

14 086

7 884

5 583

4 190

Source : Etude de Frédéric Fortin, expert en fusion acquisition et en finances d’entreprise, dans le rapport n° 709 (20192020) de M. Vincent DELAHAYE, fait au nom de la CE Concessions autoroutières, déposé le 16 septembre 2020, intitulé Concessions autoroutières : des profits futurs à partager équitablement avec l’État et les usagers

L’entretien du réseau par un taxe sur les camions étrangers

Se pose enfin la question du financement de l’entretien du réseau, qui s’élève à environ 1 milliard d’euros par an. A partir du 1er janvier 2028, date de suppression des péages, cette somme sera financée par une taxe sur les camions étrangers empruntant le réseau autoroutier français. En effet, ces camions n’ont pas participé au financement du réseau à la différence des usagers français qui ont financé la construction initiale par leurs impôts avant de payer les péages pendant des années. C’est le sens de l’article 3 de cette proposition de loi.

 

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Est notifiée la résiliation unilatérale des contrats de concession d’autoroutes avec les sociétés suivantes :

– A’LIÉNOR ;

– ADELAC ;

– ALBEA ;

– Arcour ;

– Atlandes ;

– Autoroute de liaison Calvados‑Orne ;

– Autoroute de liaison Seine‑Sarthe ;

– Autoroutes du sud de la France ;

– Autoroutes Paris‑Rhin‑Rhône ;

– Compagnie Eiffage du viaduc de Millau ;

– Compagnie industrielle et financière des autoroutes ;

– Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France ;

– Société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes ;

– Société marseillaise du tunnel Prado‑Carénage. 

II. – La résiliation des contrats mentionnés au I prend effet au 1er janvier l’année suivant la promulgation de la présente loi.

Article 2

Les recettes des péages sont affectées au remboursement de la dette des sociétés d’autoroutes. Une fois la dette remboursée, au plus tard le 1er janvier 2028, les péages sont supprimés.

Article 3

I. – Une fois les péages supprimés, au plus tard le 1er janvier 2028, la charge résultant pour l’État de l’entretien des autoroutes est compensée, à due concurrence, par une taxe additionnelle sur les camions étrangers empruntant le réseau autoroutier national.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.