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N° 4661

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 10 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

pour une nouvelle démocratie citoyenne et participative,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Paula FORTEZA, Matthieu ORPHELIN, Delphine BAGARRY, Albane GAILLOT, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Aurélien TACHÉ, Cédric VILLANI,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La démocratie, parce qu’elle est en éternelle construction, n’est ni statique, ni stable. Il faut veiller à ce qu’elle ne s’essouffle pas, veiller à ce que les citoyens ne s’en sentent pas éloignés et gardent confiance en elle. Or, comme beaucoup de nos concitoyens, nous voyons qu’aujourd’hui elle vacille.

Élections après élections, l’abstention s’aggrave. Lors des élections régionales de juin 2021, nous avons atteint un nouveau record avec plus de 66 % d’abstention au premier tour. Ce détournement des urnes est particulièrement massif chez les moins de 25 ans. En effet, 84 % d’entre eux ne sont pas allés voter, accentuant une tendance déjà perceptible lors des dernières échéances électorales (72 % aux municipales 2020 ; 40 % à la présidentielle 2017).

À la rupture générationnelle sur le rapport au vote s’ajoute une rupture sociale : les catégories populaires se sont abstenues à 72 % aux dernières élections régionales. Le corps électoral se réduit de plus en plus à chaque nouvelle échéance autour de deux catégories de Français : les seniors et les catégories supérieures.

Si l’abstention est la résultante d’un ensemble de facteurs individuels, sociaux ou liés au contexte sanitaire, il convient cependant de s’interroger sur les solutions de fond à apporter à la crise démocratique que traverse notre pays. Le vote est de moins en moins considéré comme le moyen légitime, accepté, partagé de règlement des conflits et de prise de décision collective. Cette désaffection du vote traduit aussi une crise profonde des institutions représentatives, élus et membres du gouvernement, ainsi que des partis qui structurent l’offre politique.

Des interrogations profondes se font jour, dans tous les pays occidentaux, sur le fonctionnement de la démocratie représentative. L’émergence de nouvelles aspirations et de nouvelles pratiques doit voir émerger un renouveau démocratique.

Le premier chapitre de la présente proposition de loi propose d’inscrire dans la Constitution les principes gouvernant la participation citoyenne.

Les auditions menées dans le cadre du processus « Pour une nouvelle Assemblée nationale : les rendez‑vous des réformes 2017‑2022 » ont montré que les citoyens n’entendaient pas limiter leur participation à la vie publique et aux décisions les concernant à l’élection de leurs représentants et aspirent désormais à un exercice démocratique continu.

Le premier rapport du groupe de travail, présenté fin 2017, rappelait que l’article 7 de la Charte de l’environnement prévoit que « toute personne a le droit, dans les conditions et les limites définies par la loi, d’accéder aux informations relatives à l’environnement détenues par les autorités publiques et de participer à l’élaboration des décisions publiques ayant une incidence sur l’environnement » et que cette participation à l’élaboration des décisions publiques ne doit plus être cantonnée au seul domaine de l’environnement, mais à l’ensemble des processus normatifs intéressant la société civile.

Ainsi, l’article 1er de la présente proposition de loi propose de compléter l’article 1er de la Constitution du 4 octobre 1958 en disposant que la loi doit garantir la participation des citoyens à l’édiction des normes publiques et à l’élaboration des politiques publiques.

Ce premier article entend ainsi affirmer au niveau de la Constitution le principe de la participation des citoyens à l’édiction des normes, quel que soit leur niveau, national ou territorial. En outre, cette formulation permet d’intégrer les citoyens dans la définition des politiques publiques.

Dans la continuité de cet article 1er, l’article 2 vise à confier aux parlementaires la mission constitutionnelle de favoriser la participation des citoyens à la vie publique.

Le rapport précité rappelle en effet que les parlementaires n’ont comme rôle que celui de membre d’une assemblée délibérative. C’est la raison pour laquelle le présent article vise à conférer aux parlementaires une mission constitutionnelle visant à favoriser la participation, qui pourrait prendre la forme d’une incitation aux citoyens de participer aux processus participatifs, mais aussi permettre le rôle pivot du parlementaire entre les institutions et la société civile.

La rédaction choisie reste suffisamment large pour qu’une loi organique puisse préciser le cadre dans lequel cette mission peut s’effectuer.

La participation citoyenne doit ensuite inclure des mécanismes permettant la maîtrise de l’ordre du jour des assemblées par les citoyens. C’est l’enjeu posé par l’article 3 de la présente proposition de loi, qui vient constitutionnaliser le principe d’un « ordre du jour citoyen » au sein des assemblées, organisé deux fois par session ordinaire.

Dans sa rédaction actuelle, l’article 48 prévoit une initiative partagée entre le Gouvernement et les assemblées. Afin de garantir la pleine effectivité au principe de la participation citoyenne, il convient de prévoir un mécanisme permettant que des propositions de loi soient également inscrites à l’ordre du jour d’une assemblée, à la demande des électeurs, à l’image des « niches » réservées à l’opposition.

Ce nouveau pouvoir d’initiative législative pourra être précisé par une loi organique.

Aux côtés de la question de l’ordre du jour citoyen, l’article 4 de la présente proposition de loi vise à faciliter la mise en œuvre du référendum d’initiative partagée. Depuis la révision du 23 juillet 2008, existe un mécanisme de référendum d’initiative partagée qui permet à un cinquième des membres du Parlement (soit 185 parlementaires ‑ députés et sénateurs), soutenus par un dixième des électeurs inscrits sur les listes électorales (soit 4,71 millions d’électeurs), dans un délai de neuf mois, de défendre la soumission au référendum d’une proposition de loi. Le Parlement dispose alors d’un délai de six mois pour examiner cette proposition de loi ; ce n’est que si cet examen n’a pas lieu que le texte est soumis au référendum.

Dans la pratique, la procédure est activée pour la toute première fois en 2019, à l’occasion du projet de loi PACTE concernant la privatisation d’Aéroports de Paris (ADP). La mise en place laborieuse de la plateforme permettant de recueillir les signatures et le seuil de 4,71 millions nécessaire pour emporter la validation de la pétition ouvrant le référendum d’initiative partagée n’ont pas permis d’atteindre cet objectif, la proposition n’ayant recueilli finalement que 1,09 million de signatures – seuil très largement inférieur au quorum nécessaire.

La présente proposition de loi propose dès lors de ne pas fixer un nombre de signatures sans l’avoir expérimenté auparavant, car la nature constitutionnelle du texte de référence est trop rigide et empêche toute possibilité d’adaptation. Il semble ainsi préférable de faire un renvoi à une simple loi organique, plus souple et offrant une marge de manœuvre plus importante au législateur, afin de tenir compte des évolutions de la population, des outils technologiques et de la nature de la question posée par le référendum d’initiative partagée.

L’article 5 de la proposition de loi constitutionnelle a pour objet d’inscrire dans la Constitution un droit de pétition effectif. Les révisions constitutionnelles de 2002 et 2008 ont entrepris à donner un statut constitutionnel à la pétition, mais sans réellement réussir à l’inscrire dans une portée générale.

Afin de pallier l’inexistence d’un véritable droit constitutionnel à pétition, la présente proposition de loi propose d’inscrire après l’article 33 de la Constitution du 4 octobre 1958 un nouvel article disposant que le règlement de chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles des pétitions font l’objet d’un examen de l’assemblée saisie et d’une réponse publiée au Journal officiel.

L’article 6 propose d’inscrire le droit d’accès à Internet dans la Constitution. Comme le souligne le rapport de 2017 précité, « consacrer explicitement dans la Constitution le droit d’accès à Internet et ériger cet accès au rang de service universel constitue le préalable indispensable à la reconnaissance de l’exercice effectif des diverses formes de participation citoyenne à la vie démocratique ».

Dans sa décision du 10 juin 2009 (dite « Hadopi »), le Conseil constitutionnel a consacré le droit d’accès à Internet comme composante de l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, relatif à la libre communication des pensées et des opinions.

Ce droit doit aujourd’hui répondre à de multiples défis, parmi lesquels la liberté d’expression sur les réseaux, la neutralité du Net, l’interopérabilité, la lutte contre la fracture numérique, qu’elle soit sociale ou territoriale, ou encore le droit à la formation aux outils numériques.

Afin d’assurer une protection effective de nos libertés fondamentales, la présente proposition de loi propose d’inscrire dans l’article 1er de la Constitution que la loi garantit l’accès libre, égal et universel à des réseaux numériques ouverts et la formation des citoyens à leur utilisation.

En complément, l’article 7 propose d’inscrire le principe du droit à l’information dans la Constitution.

Le rapport de 2017 précipité souligne : « La circulation des informations est un préalable nécessaire à une vie démocratique transparente et redynamisée. En poursuivant cette volonté de construction commune des politiques publiques, il convient de laisser la possibilité à l’ensemble des citoyens de pouvoir se saisir d’un sujet en ayant à sa disposition toutes les informations utiles. La volonté est de faciliter l’accès aux savoirs, que le citoyen puisse être en mesure de développer une expertise sur les affaires publiques lui permettant de contrôler effectivement l’action du gouvernement, des élus et de l’administration. »

La naissance d’un droit d’accès à l’information en France date de la loi n° 78‑753 du 17 juillet 1978 créant la commission d’accès aux documents administratifs, désormais intégrée au sein du code des relations entre le public et l’administration. Cependant, contrairement à des pays comme la Suède, l’accès à ces informations ne constitue pas un droit expressément reconnu par la Constitution.

Ainsi, la rédaction proposée vient consacrer le droit pour les citoyens d’accéder et de réutiliser les informations à caractère personnel les concernant, les informations détenues par les autorités publiques et les informations utiles à un débat d’intérêt public, dans les limites et les conditions fixées par la loi – l’accès à ces informations étant le corollaire de l’exercice plein et entier du citoyen souhaitant jouer un rôle actif dans la vie démocratique par l’accès aux informations publiques nécessaires au débat.

Enfin, le chapitre IV propose d’ouvrir le vote aux étrangers non ressortissants d’un pays de l’Union européenne aux élections locales.

En France, l’exercice citoyen pour les étrangers est déjà une réalité. Ainsi, depuis 1946, les étrangers peuvent voter dans les instances représentatives du personnel. De même, depuis 1968, ils peuvent être élus délégués syndicaux. Depuis 1972, ils peuvent être membres des comités d’entreprises et délégués du personnel. Depuis 1982, ils peuvent voter et être candidats dans les conseils d’administration des caisses de sécurités sociales, les conseils d’administration des établissements publics gérant des logements sociaux (OPAC ou OPHLM). En outre, ils peuvent être élus parents d’élèves délégués, participer aux conseils des écoles ainsi qu’aux conseils d’administration des collèges et des lycées, ou même aux instances de gestion des universités françaises.

Dans sa convention du 5 février 1992 relative à la participation des étrangers à la vie publique au niveau local, le Conseil de l’Europe invite dans son article 6 « à accorder le droit de vote et d’éligibilité aux élections locales à tout résident étranger, pourvu que celuici remplisse les mêmes conditions que celles qui s’appliquent aux citoyens et, en outre, ait résidé légalement et habituellement dans l’État en question pendant les cinq ans précédant les élections ».

En outre, certains pays reconnaissent déjà le droit de vote aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne aux élections locales. C’est le cas notamment de la Belgique, du Danemark, du Luxembourg, des Pays‑Bas ou encore de la Suède qui octroient le droit de vote à tous les étrangers résidant sur leur territoire après un certain nombre d’années. L’Irlande accorde automatiquement ce droit sans condition de durée minimale de résidence tandis que l’Espagne et le Portugal l’accordent sous conditions de réciprocité.

Une proposition de loi votée par l’Assemblée nationale en 2000 puis adoptée par le Sénat en 2010 prévoyait d’accorder le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non communautaires résidant en France, ainsi que leur éligibilité comme conseiller municipal.

Le vote du Congrès (ou un référendum) étant nécessaire à l’adoption de cette modification, celle‑ci sera finalement « retirée » du calendrier par le président de la République en 2010.

Dans l’esprit du texte voté par l’Assemblée nationale en 2000, l’article 8 de la présente proposition de loi constitutionnelle propose d’introduire un article dans la Constitution du 4 octobre 1958 ouvrant le droit de vote aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France.

Mûrie par plusieurs années de travail parlementaire ainsi que d’échanges réguliers avec la société civile, cette proposition de loi est accompagnée d’une proposition de loi ordinaire, déposée ce même jour, intégrant un panel de mesures destinées à répondre aux diverses causes de la crise démocratique que notre pays connaît aujourd’hui : une rénovation du fonctionnement des institutions démocratiques, une meilleure représentation des citoyens – et en particulier des femmes – ainsi que leur intégration à la fabrique de la loi, une transparence accrue de la vie politique, une meilleure éducation des jeunes, afin que chaque citoyenne et citoyen puisse exercer son rôle en pleine conscience.


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Chapitre Ier

Participation citoyenne

Article 1er

I. – L’article premier de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« La loi garantit la participation des citoyens à l’édiction des normes publiques et à l’élaboration des politiques publiques. »

II. – Au deuxième alinéa de l’article 4, les mots : « du principe énoncé au second alinéa » sont remplacés par les mots : « des principes énoncés aux quatre derniers alinéas ».

Article 2

Le premier alinéa de l’article 24 de la Constitution est complété par une phrase ainsi rédigée : « Chacun de ses membres favorise la participation des citoyens à la vie publique. ».

Article 3

L’article 48 de la Constitution est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« Deux jours de séance par session ordinaire sont réservés à l’examen de propositions de loi, à la demande des électeurs, dans des conditions fixées par une loi organique. »

Article 4

L’article 11 de la Constitution est ainsi modifié :

1° Au troisième alinéa :

a) Après le mot : « initiative », la fin de la première phrase est ainsi rédigée : « des électeurs soutenus par des membres du Parlement, dans des conditions fixées par une loi organique. » ;

b) Après le mot : « loi », la fin de la seconde phrase est supprimée.

2° Au début du cinquième alinéa, les mots : « Si la proposition de loi n’a pas été examinée par les deux assemblées dans un délai fixé par la loi organique, » sont supprimés.

Article 5

Le titre IV de la Constitution est complété par un article 33‑1 ainsi rédigé :

« Art. 331. – L’Assemblée nationale et le Sénat peuvent être saisis par les citoyens par voie de pétition.

« Le règlement de chaque assemblée détermine les conditions dans lesquelles des pétitions font l’objet d’un examen de l’assemblée saisie et d’une réponse publiée au Journal officiel. »

Chapitre II

Garantir un droit constitutionnel à internet

Article 6

L’article premier de la Constitution est complété́ par un alinéa ainsi rédigé :

« La loi garantit l’accès libre, égal et universel à des réseaux numériques ouverts, et la formation des citoyens à leur utilisation. ».

Chapitre III

Garantir un droit constitutionnel à l’information

Article 7

L’article premier de la Constitution est complété́ par un alinéa ainsi rédigé :

« Les citoyens ont le droit d’accéder et de réutiliser les informations à caractère personnel les concernant, les informations détenues par les autorités publiques et les informations utiles à un débat d’intérêt public, dans les limites et les conditions fixées par la loi. »

Chapitre IV

Ouvrir le droit de vote aux étrangers

Article 8

Après l’article 72‑4 de la Constitution, il est inséré un article 72‑5 ainsi rédigé :

« Art. 725. – Le droit de vote aux élections municipales est accordé aux étrangers non ressortissants de l’Union européenne résidant en France. Une loi organique détermine les conditions d’application du présent article »