Description : LOGO

N° 4742

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

relative à la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Bénédicte TAURINE, Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Adrien QUATENNENS, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Martine WONNER, Moetai BROTHERSON,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes est un acte d’intérêt général urgent. C’est une revendication présente dans la plateforme des Gilets Jaunes, mais aussi portée par la France insoumise et inscrite dans son programme l’Avenir en Commun. Face à l’absence d’un développement conséquent du fret ferroviaire, le réseau autoroutier apparaît comme un monopole de fait pour le transport de marchandises longue distance. Il en va de même pour de nombreux trajets de particuliers. Pourquoi donc la puissance publique continuerait‑elle à laisser ces monopoles de fait et les rentes financières associées aux mains de grands groupes privés plutôt que de faire revenir ces actifs stratégiques au sein du giron public ?

Car tel était majoritairement le cas avant 2006 et la cession à prix cassés par le gouvernement de Dominique de Villepin de l’ensemble des participations publiques détenues par l’État et l’établissement public Autoroutes de France (ADF) dans les sociétés concessionnaires de service autoroutier : Société des autoroutes du Nord et de l’Est de la France (SANEF/SAPN), Autoroutes du Sud de la France (ASF/ESCOTA), Autoroutes Paris‑Rhin‑Rhône (APRR/AREA). Cette privatisation s’est opérée pour 14,8 milliards d’euros. Pourtant le prix estimé à l’époque dépassait les 25 milliards d’euros, soit un cadeau de 10 milliards d’euros.

En outre, les durées des concessions n’ont cessé de s’allonger, notamment en 2015 lors d’un protocole contesté sur le gel des tarifs, signé par Ségolène Royal et Emmanuel Macron. En effet, le protocole du 9 avril 2015 a encore accru la situation de rente des concessionnaires – via notamment l’extension de la durée des concessions pour deux ou cinq ans sans publicité ni mise en concurrence préalable, des engagements fiscaux de la part du gouvernement et des augmentations automatiques des péages chaque 1er février de 2019 à 2023 pour un surcoût de 500 millions d’euros pour les usagers.

La maîtrise pleine et entière des infrastructures de transport national apparaît comme une caractéristique d’une puissance publique garante de l’intérêt général. En particulier, le réseau autoroutier apparaît comme un outil central d’aménagement du territoire. Il n’est pas acceptable que les entreprises accumulent des profits considérables sur le patrimoine des Français.

La vague de privatisations des autoroutes a entraîné une forte hausse des tarifs des péages pour l’ensemble des usagers « nettement supérieurs à l’inflation », tel que le note la Cour des comptes dans un rapport de 2013. En 2014, c’est l’Autorité de la concurrence qui qualifie ces revenus de « rentes ». En 2017, selon les chiffres de l’ARAFER, autorité chargée de la régulation du secteur et ancêtre de l’Autorité des transports, l’ensemble des sociétés autoroutières ont dégagé un excédent brut d’exploitation de 7,3 milliards d’euros pour 10 milliards d’euros de chiffre d’affaires, soit une marge brute de 73 %. Les concessionnaires historiques auraient déjà récupéré près de trois fois le prix d’achat. Et cette accumulation devrait continuer. En effet, la commission d’enquête du Sénat sur les concessions d’autoroutes a conclu dans son rapport de 2021 que les niveaux de rentabilité seront très élevés pour la suite. Par exemple, Vinci touchera des dividendes cumulés « de l’ordre de 20,7 milliards d’euros » sur la période 2020‑2036.

Et c’est sans compter sur le fait que les propriétaires des concessionnaires sont souvent par ailleurs des géants du BTP. En 2014, l’Autorité de la concurrence a démontré que la majeure partie des travaux qu’ils lancent sur leurs réseaux sont effectués par leurs propres filiales. En 2017, l’Autorité de régulation relevait des coûts surestimés de 10 % à 30 % pour 30 des 57 opérations présentées dans le cadre du plan d’investissement autoroutier.

En outre, de nombreuses irrégularités sont constatées : des concessionnaires refusent d’effectuer des travaux prévus dans les contrats et déjà financés par des hausses des tarifs des péages. Par exemple, le Conseil d’État a estimé que l’échangeur de l’agglomération de Pau, via l’A64, devait être réalisé par ASF sans participation des collectivités ni hausse des tarifs. Le ministère des Transports peut mettre le concessionnaire en demeure, au titre de l’article 39 de chaque contrat de concession, et lui imposer des délais à respecter, sous peine de pénalités financières s’il refuse d’effectuer des travaux. Pourtant, le ministère ne l’a pas fait.

Au regard de l’ensemble de ces constats, on se demande quel est l’intérêt de l’État de maintenir un tel statu quo et surtout comment l’État peut‑il montrer tant de laisser‑faire envers les déficiences si documentées des concessionnaires ? Il paraît impératif de ne plus attendre l’hypothétique fin des concessions pour mettre fin à ce racket non seulement des usagers, des collectivités territoriales mais aussi de la puissance publique.

Selon le ministre délégué aux Transports, M. Djebbari, le rachat du réseau pourrait coûter 47 milliards d’euros donc trois fois plus que le montant reçu par l’état lors de la vente. D’après le gouvernement actuel, ce serait le prix à payer afin que l’État redevienne gestionnaire de ces biens publics.

Par conséquent, le ministère fait fi des différentes irrégularités citées plus haut et de ces clauses qui ne sont donc pas respectées. Alors qu’une raison d’intérêt général pourrait tenir au déséquilibre manifeste des contrats au bénéfice des sociétés concessionnaires tel que souligné dès 2014 par l’Autorité de la concurrence. Elle considérait que la « rentabilité nette exceptionnelle » des sociétés concessionnaires « n’apparaît justifiée ni par leurs coûts ni par les risques auxquels elles sont exposées », ou encore au souhait de l’État d’installer une nouvelle politique en matière autoroutière.

Si une nationalisation doit en général faire l’objet d’une compensation pécuniaire, il existe un principe constitutionnel supérieur à toute loi ou clause de contrat qui interdit aux personnes publiques de consentir des libéralités, comme le rappelle le professeur de droit Paul Cassia. En d’autres termes, il est interdit aux personnes publiques de verser une indemnisation manifestement disproportionnée par rapport au préjudice subi, y compris à la suite d’une rupture anticipée d’un contrat administratif (voir par ex. : Conseil d’État, 22 juin 2012, CCI de Montpellier, n° 348676 : « en vertu de l’interdiction faite aux personnes publiques de consentir des libéralités, un contrat administratif ne peut légalement prévoir une indemnité de résiliation ou de nonrenouvellement qui serait, au détriment de la personne publique, manifestement disproportionnée au montant du préjudice subi par le cocontractant du fait de cette résiliation ou de ce nonrenouvellement »).

Le Conseil d’État a eu l’occasion de rappeler ce principe relativement à l’annonce du 17 janvier 2018 du Premier ministre de résilier de manière anticipée et pour un motif d’intérêt général le contrat de concession de l’aéroport de Notre‑Dame‑des‑Landes passé avec le groupe Vinci (CE, section des travaux publics, 26 avril 2018, avis n° 394398). Il a indiqué à cette occasion que les montants de l’indemnisation résultant d’une résiliation anticipée par l’État ne doivent correspondre au manque à gagner du concessionnaire pendant la durée normale de la concession qu’à condition que cette indemnisation ne soit ni disproportionnée, ni dissuasive.

Face à des concessionnaires qui auraient déjà récupéré près de trois fois le prix d’achat de leurs concessions, l’objectif de cette proposition de loi est la nationalisation de ces sociétés concessionnaires d’autoroutes.

L’article 1er prévoit ainsi la nationalisation des sociétés concessionnaires d’autoroutes à l’expiration d’un délai d’une année à compter de la promulgation de la présente loi.

L’article 2 correspond au gage financier.

 

 


proposition de loi

Article 1er

Les sociétés suivantes sont nationalisées à l’expiration d’un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi :

1° Autoroutes des deux lacs (ADELAC) ;

2° Autoroute de Liaison Barentin Écalles‑Alix (ALBEA) ;

3° Autoroute de liaison Calvados‑Orne (ALICORNE) ;

4° Autoroute de Gascogne (A’LIÉNOR) ;

5° Autoroute de liaison Seine‑Sarthe (ALIS) ;

6° Autoroutes Paris‑Rhin‑Rhône (APPR) ;

7° Autoroutes Rhône‑Alpes (AREA) ;

8° Autoroute Artenay‑Courtenay (ARCOUR) ;

9° Autoroutes du sud de la France (ASF) ;

10° ATLANDES ;

11° Compagnie Eiffage du viaduc de Millau (CEVM) ;

12° Compagnie industrielle et financière des autoroutes (COFIROUTE) ;

13° Société des autoroutes Estérel Côte d’Azur Provence Alpes (ESCOTA) ;

14° Société des autoroutes du Nord‑Est de la France (SANEF) ;

15° Société des autoroutes Paris‑Normandie (SAPN) ;

16° Société marseillaise du tunnel Prado‑Carénage (SMTPC).

Article 2

I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la diminution de l’exonération sur la contribution climat énergie pour le gazole routier des poids lourds et la diminution du dégrèvement supplémentaire de la taxe intérieure sur la consommation des produits pétroliers.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.