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N° 4744

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à restaurer l’État de droit par l’abrogation
des régimes d’exception créés pendant la crise sanitaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Adrien QUATENNENS, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE, Moetai BROTHERSON, Sébastien NADOT,

député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Où que nous regardions, l’ombre gagne. L’un après l’autre les foyers s’éteignent. Le cercle d’ombre se resserre, parmi les cris d’hommes et des hurlements de fauves […] Pourtant, nous sommes de ceux qui disent non à l’ombre. Nous savons que le salut du monde dépend de nous aussi […] Nous savons que la terre a besoin de n’importe lesquels d’entre ses fils, de ses fils les plus humbles […] Ah ! tout l’espoir n’est pas de trop pour regarder en face. Les hommes de bonne volonté feront au monde une nouvelle lumière » (Aimé Césaire)

Cette proposition de loi vise à faire disparaître du droit français l’état d’urgence sanitaire et le régime transitoire dit « de sortie » de cet état d’urgence, incluant le « passe sanitaire ». Il en va de la sauvegarde de notre État de droit.

Pleins pouvoirs sanitaires donnés à l’exécutif

La dernière loi relative à la crise sanitaire, celle du 10 novembre 2021, portant diverses dispositions de vigilance sanitaire, a prolongé la possibilité pour le gouvernement d’utiliser le régime d’état d’urgence sanitaire et le « passe sanitaire » jusqu’au 31 juillet 2021. L’exécutif a donc toute latitude pour édicter des mesures d’interdiction ou de restriction susceptibles d’avoir de lourdes conséquences sur la vie démocratique de notre pays puisque la période concernée couvre le temps des campagnes électorales de l’élection présidentielle et des élections législatives : réunions publiques, rassemblements sur la voie publique, opérations de porte à porte, distributions de tracts et documents de campagne, collages d’affiches, ce sont les conditions même de ces campagnes électorales qui seraient alors placées entre les mains d’un gouvernement peu soucieux du respect des libertés fondamentales.

Comment pouvons‑nous tolérer l’éventualité de confinements ou couvre‑feux pendant une telle période sans aucun débat démocratique ? Cela relève du jamais vu, et fait peser une menace sur notre démocratie. La liberté d’aller et de venir, composante de la liberté personnelle, est pourtant protégée par les articles 2 et 4 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du citoyen de 1789 tout comme le droit d’expression collective des idées et des opinions résultant de l’article 11 de cette déclaration. Pourtant, ces prorogations sont rendues possibles sans qu’un nouveau vote du Parlement ne soit prévu avant le mois de juillet 2022, et sans que puisse être discutée au Parlement la nécessité des mesures prises sous l’empire de ces régimes juridiques d’exception.

Tout cela n’est que la continuité d’une valse de textes de loi votés par la majorité présidentielle depuis le 23 mars 2020 et leurs décrets d’application. C’est en effet par la loi d’urgence du 23 mars 2020 qu’a été introduit, dans le code de la santé publique, la possibilité d’instaurer un état d’urgence sanitaire, permettant à l’exécutif d’interdire aux personnes de sortir de leur domicile sauf exceptions, et ainsi d’instaurer confinements et couvre‑feux par décret tout en créant amendes et peines d’emprisonnement afférentes en cas de non‑respect. Cet état d’urgence sanitaire fut ensuite plusieurs fois désactivé, réactivé, prolongé, puis re‑prolongé, selon le bon vouloir du gouvernement, en particulier dans les territoires d’Outre‑mer. Toutefois, ce régime d’état d’urgence sanitaire n’est pas la seule invention de l’exécutif. Le gouvernement a eu l’idée d’un régime dit de « sortie » de cet état d’urgence sanitaire pour les périodes où il ne serait plus en vigueur. Voté pour la première fois en juillet 2020, cette sortie fut elle aussi désactivée, réactivée, prolongée puis de nouveau prolongée. Ce régime dérogatoire au droit commun, presque tout aussi dangereux que l’état d’urgence sanitaire car donnant à l’exécutif des pouvoirs exorbitants, s’est lui aussi banalisé dans notre vie quotidienne.

Où est la démocratie sanitaire ?

Depuis mars 2020, neuf lois se sont succédé pour maintenir ces situations hors du commun, à raison d’une loi tous les 2, 3 ou 4 mois([1]). Durant cette période, la cadence infernale des textes de lois sanitaires présentés à l’Assemblée ne permet pas de les discuter dans des conditions raisonnables. Et l’essentiel de la prise de décision relative à l’épidémie est ailleurs… Dans le secret du Conseil de défense, qui a remplacé le Conseil des ministres. La France est par conséquent gouvernée par un conseil restreint composé du président de la République, des chefs des armées et du renseignement et quelques ministres. Tous sont tenus au secret. Il n’y a pas de compte rendu de ces réunions, et tout ce qui s’y dit est couvert par le secret‑défense. Ainsi, les participants s’exposent à des poursuites pénales s’ils révèlent tout ou partie des discussions ou des propos tenus par Emmanuel Macron. Cette marginalisation systématique du Conseil des ministres, comme du Parlement dans la prise de décision, est une accentuation inédite du pouvoir solitaire du Président. Pourtant, la démocratie sanitaire ne saurait être une formalité administrative ; au contraire, c’est quand une décision est prise collectivement qu’elle a des chances d’être consentie par tous. À quoi nous habituons‑nous, lorsque nos principes démocratiques sont considérés comme optionnels en temps de pandémie ?

Quant au passe sanitaire, il a été instauré par la loi n° 2021‑689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, élargi en juillet par décret puis par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire. La possibilité d’utiliser le « passe sanitaire » a été prolongée jusqu’au 31 juillet 2022 par la dernière loi en vigueur. L’exécutif pourra par conséquent activer et désactiver par décret le « passe sanitaire » à sa guise jusqu’à l’été prochain. Il est pourtant plus que temps de mettre un point final à ce « passe sanitaire » auquel notre groupe parlementaire s’est opposé avec constance depuis sa création. Tel que l’a souligné la Défenseure des droits, la loi du 5 août 2021 a entraîné des « transformations profondes pour l’exercice de droits et libertés qui sont au fondement de notre pacte social et républicain »[2].

Le « passe sanitaire », l’autre nom de la pagaille généralisée !

Le caractère inédit du dispositif mis en place en mai 2021 – et son extension aux lieux du quotidien depuis l’été ‑ a conduit à ce que partout sur le territoire, des professionnels du transport, de la culture, des commerçants, des restaurateurs et serveurs, des agents de sécurité contrôlent de manière systématique les personnes fréquentant leur lieu de travail. En généralisant le « passe sanitaire » à toute personne de plus de 12 ans et aux lieux du quotidien, il a été mis en place un dispositif de contrôle permanent et continu par une partie de la population – dont l’activité est le plus souvent totalement étrangère aux questions de santé et aux contrôles sanitaires de ce type ‑ sur une autre partie. Cela fait peser sur les professionnels concernés une charge de travail supplémentaire difficilement compatible avec le métier qu’ils exercent ; et crée un climat de défiance entre les uns et les autres, sans compter les salariés ayant été suspendus ou ayant démissionné, faute d’avoir accepté de se plier à ces injonctions. Cette manière de procéder, revenant à imposer la vaccination par la contrainte, est contre‑productive. Elle l’est d’autant plus depuis le 15 octobre, date à laquelle les tests sont devenus payants pour les non‑vaccinés. Notre société en est d’autant plus fracturée et les plus précaires se voient une nouvelle fois pénalisés. L’Organisation mondiale de la santé (OMS) n’a‑t‑elle pas au contraire rappelé qu’il faut convaincre plutôt que contraindre ?

Le « passe sanitaire » donne une illusion de protection !

Les personnes vaccinées ne peuvent‑elles pas transmettre le virus ? Le Conseil scientifique a d’ailleurs souligné ses doutes dans plusieurs de ses avis. Il note « Le rôle du passe sanitaire en tant que mesure favorisant la protection des individus est plus difficile à mettre en évidence »([3]) et a « peutêtre permis de réduire la transmission dans un certain nombre de lieux à risques »([4]). En réalité, le « passe » a pour effet d’encourager les comportements à risque, en donnant l’illusion aux personnes ayant reçu leurs injections de vaccin que le virus ne circule plus et d’être invulnérables. Les gestes barrières sont de fait moins respectées. Les incohérences demeurent irrésolues : il faut présenter un passe pour monter dans un TGV vide, mais rien pour monter dans un RER bondé. Un passe est requis pour aller voir un film dans une salle de cinéma à moitié pleine, mais pas pour se rendre dans un lieu de restauration collective. Le « passe » ruine par ailleurs le monde de la culture, déjà éprouvé par près de deux ans d’épidémie. Une étude réalisée début septembre 2021 par Harris Interactive a en effet démontré les répercussions alarmantes du « passe sanitaire » sur la fréquentation des lieux culturels : près d’un Français sur deux ne s’est pas rendu dans un lieu culturel depuis l’instauration du « passe sanitaire » le 21 juillet, alors qu’ils étaient 88 % à le faire avant l’épidémie. Près d’un tiers assurent qu’ils fréquenteront moins les lieux culturels. Dans le détail, seulement 51 % des personnes allant au cinéma habituellement au moins une fois par an, sont retournés en salle. C’est 40 % des habitués des musées ont repris le chemin des expositions, 45 % pour les monuments historiques, 27 % pour les concerts, 25 % sont pour le théâtre. Enfin, près des trois quarts des Français qui se rendaient à un festival au cours d’une année normale n’y sont pas retournés pendant été 2021.

Il est temps de sortir de ces régimes d’exception

Il nous faut renouer avec la normalité démocratique et les promesses de l’après‑guerre, au nom desquelles la Nation « garantit à tous […] la protection de la santé ». Un enfant né en novembre 2015 a passé plus de la moitié de sa vie dans une France où le droit de l’exception s’est substitué à l’État de droit. L’excroissance de pouvoir qu’offrent ces régimes d’exception peuvent tomber dans les mains de personnes pour lesquelles l’État de droit est un caprice qui a fait son temps. Ne perdons pas de vue que lorsque nous légiférons, nous le faisons dans le temps long.

Les alternatives existent

En 2020, plus de 5 700 lits d’hospitalisation complète ont disparu, en pleine pandémie. Sur l’ensemble du quinquennat Macron, 14 000 lits ont été supprimés. 4 milliards d’euros d’économies ont été demandés à l’hôpital public. Enfin, le manque de soignants est criant avec 100 000 postes vacants dans les hôpitaux en France.

Pourtant, cette situation n’était pas inéluctable. Les idées d’alternatives pour la gestion de la crise sanitaire ne manquent pas. Nous n’avons eu de cesse de les répéter : tests gratuits, généralisation des purificateurs d’air, instauration de roulements, création d’un pôle public du médicament, et avant tout, restauration d’un service public hospitalier gratuit et de qualité, capable de protéger tous nos concitoyens. Une réelle politique de santé publique pensée sur le long terme doit se substituer à l’impasse court‑termiste et dangereuse du « passe sanitaire » et au chantage consistant à opposer la protection de la santé et la sauvegarde des libertés.

*

L’article unique de la présente proposition de loi tire un trait sur l’état d’urgence sanitaire et son régime transitoire de sortie. Il abroge par conséquent les dispositions relatives à l’état d’urgence sanitaire dans le code de la santé publique et les dispositions pénales qui y sont associées (alinéas 1er à 3), ainsi que les dispositions de la loi du 31 mai 2021 relative au régime transitoire de sortie qui a créé le « passe sanitaire » (alinéa 5) modifiées par la loi du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire puis par celle du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire. Ainsi, sera abrogée la prolongation jusqu’au 31 juillet 2022 du régime de sortie de l’état d’urgence sanitaire et la possibilité de déployer le « passe sanitaire », tout comme le régime de l’état d’urgence sanitaire donnant la possibilité à l’exécutif d’instaurer confinement et couvre‑feu, pouvoir d’autant plus intolérable en période d’élections nationales.

 

 


proposition de loi

Article unique

I. – Le code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Le chapitre IER bis du titre III du livre IER de la troisième partie est abrogé ;

2° Les huit derniers alinéas de l’article L. 3136‑1 sont supprimés.

II. – L’article 7 de la loi n° 2020‑290 du 23 mars 2020 d’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19 est abrogé.

III. – Les articles 1er à 4 de la loi n° 2021‑689 du 31 mai 2021 relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire sont abrogés.


([1]) Loi n° 2020‑290 du lundi 23 mars 2020 D’urgence pour faire face à l’épidémie de covid‑19, Loi n° 2020‑546 du lundi 11 mai 2020 Prorogeant l’état d’urgence sanitaire et complétant ses dispositions, Loi n° 2020‑856 du jeudi 9 juillet 2020 Organisant la sortie de l’état d’urgence sanitaire, Loi n° 2020‑1379 du samedi 14 novembre 2020 Autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire et portant diverses mesures de gestion de la crise sanitaire, Loi n° 2021‑160 du 15 février 2021 prorogeant l’état d’urgence sanitaire, Loi n° 2021‑689 du lundi 31 mai 2021 Relative à la gestion de la sortie de crise sanitaire, Loi n° 2021‑1040 du 5 août 2021 relative à la gestion de la crise sanitaire, Loi n° 2021‑1172 du samedi 11 septembre 2021 autorisant la prorogation de l’état d’urgence sanitaire dans les outre‑mer, Loi n° 2021‑1465 du 10 novembre 2021 portant diverses dispositions de vigilance sanitaire

([2]) https ://www.defenseurdesdroits.fr/fr/communiquedepresse/2021/07/extensiondu
passesanitaireles10pointsdalertedeladefenseuredes

([3]) Avis du Conseil scientifique du 5 octobre 2021 « une situation apaisée : quand et comment alléger ? » : https ://solidaritessante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_5_octobre_2021.pdf

([4]) Avis du Conseil scientifique du 6 octobre 2021 sur le projet de loi « vigilance sanitaire » https ://solidaritessante.gouv.fr/IMG/pdf/avis_conseil_scientifique_6_octobre_2021.pdf