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N° 4745

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire le glyphosate,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Loïc PRUD’HOMME, Michel LARIVE, Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Adrien QUATENNENS, Bastien LACHAUD, Danièle OBONO, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Un quinquennat perdu pour interdire le glyphosate malgré les annonces répétées

Le 27 novembre 2017, à la suite de la promulgation par l’Union européenne du renouvellement de la commercialisation du glyphosate, Emmanuel Macron s’exprimait publiquement à ce sujet : « J’ai demandé au gouvernement de prendre les dispositions nécessaires pour que l’utilisation du glyphosate soit interdite en France dès que des alternatives auront été trouvées, et au plus tard dans trois ans ». Soit le 27 novembre 2020. Cette volonté du gouvernement n’a pas été traduite dans les faits car il s’est enfermé dans une logique de recherche d’alternatives purement chimiques.

Tout au long du quinquennat, l’interdiction du glyphosate a été repoussée pour, finalement, ne jamais advenir. La non‑interdiction du glyphosate n’est pas le seul renoncement environnemental d’Emmanuel Macron sur les questions agricoles et alimentaires. Les décisions du Président et de son gouvernement vont en effet à rebours de l’urgence environnementale : les néonicotinoïdes tueurs d’abeilles ont été réintroduits ; des fermes‑usines ont été autorisées ; la cellule de gendarmerie Déméter, spécialisée dans la traque des militants et militantes écologistes contre l’agrobusiness et contre la maltraitance animale, a été créée.

La bataille contre le glyphosate n’est pas une finalité, mais une première bataille nécessaire contre un modèle agroalimentaire mortifère, règne de la malbouffe imprégnée de pesticides et de perturbateurs endocriniens. Retarder l’interdiction du glyphosate en prétextant l’absence d’alternatives, c’est renforcer le modèle Monsanto. La fusion Bayer‑Monsanto a été actée par l’Union européenne. Le rachat du champion des semences et des OGM par le numéro deux mondial des pesticides permettra à la même entreprise d’avoir la main sur deux tiers des semences et sur les trois quarts des pesticides. Ainsi, les financiers ont trouvé un nouveau débouché économique : vendre la mort et en même temps les produits pour se soigner.

C’est aussi une bataille contre une réglementation au service des firmes. Ni l’opacité du processus (confidentialité des données fournies par les industriels, vote des États dans les comités d’homologation non rendus publics) ni sa dépendance envers les données industrielles (inscrite dans la réglementation européenne) ne sont au service des citoyens.

D’ici fin 2022, l’Union européenne doit de nouveau statuer sur la prolongation pour cinq ans de l’autorisation du glyphosate. Au premier semestre 2022, La France sera présidente du Conseil de l’Union européenne : elle doit donc être exemplaire et ambitieuse, en l’interdisant. C’est ce que nous proposons avec cette proposition de loi : l’interdiction immédiate du glyphosate. Elle aurait ainsi l’autorité pour impulser des réformes réglementaires (transparence et indépendance du processus d’évaluation).

En 2016, 800 000 tonnes de Roundup, nom commercial du glyphosate, et de ses adjuvants (dérivés du pétrole, arsenic), ont été répandues sur la planète. En France, la réduction de l’utilisation du glyphosate n’est pas sur la bonne trajectoire pour atteindre les faibles objectifs que s’était fixés le gouvernement, soit la baisse de moitié de l’utilisation du glyphosate d’ici 2022. En effet, la vente de glyphosate a augmenté de +42 % en 2020 par rapport à 2019, passant de 6 000 tonnes en 2019 à 8 600 tonnes en 2020.

Le glyphosate présente un risque avéré pour la santé et l’environnement

Pourtant, la dangerosité du glyphosate est déjà avérée. Alors qu’il est reconnu comme cancérogène probable par l’Organisation mondiale de la santé (OMS), par le biais du Centre international de recherche sur le cancer (CIRC) depuis 2015, le glyphosate n’est toujours pas interdit par l’Union européenne. Encore moins en France.

Un nouveau rapport de l’Institut national de la santé et de la recherche médicale (Inserm) publié le 30 juin 2021, vient confirmer les constats du CIRC, en montrant que les méta‑analyses publiées depuis 2015 vont toutes dans le même sens concernant le lien entre exposition au glyphosate et lymphome non hodgkinien. Le niveau de preuve estimé par l’Inserm se renforce donc pour cet aspect d’une importance majeure dans l’appréciation du caractère cancérigène.

Les différents débats autour de sa toxicité ont lieu à cause de publications pseudo‑scientifiques financées par Monsanto. N’oublions pas la manipulation des agences européennes par la firme Monsanto révélée par les « Monsanto papers ». En septembre 2017, des journalistes italiens (La Stampa) et britanniques (The Guardian) ont en effet révélé qu’une partie cruciale du rapport de l’Autorité européenne de sécurité des aliments (EFSA) qui concluait en 2015 qu’il n’y avait aucune raison de considérer le glyphosate comme cancérogène, était en réalité un copié/collé d’un document rédigé par Monsanto lui‑même en 2012 au nom d’un consortium industriel nommé « Glyphosate Task Force ».

Le pire est sans doute que le CIRC fonde son expertise uniquement sur des études publiées dans des revues scientifiques, alors que la réglementation européenne contraint les agences à dépendre pour l’essentiel des seules données des industriels. L’étude de Benbroock ([1]) montre le biais majeur introduit par l’utilisation de données différentes entre le CIRC et les agences européennes : 1 % des études fournies par les industriels montrent des effets génotoxiques du glyphosate, alors que le CIRC retrouve ces mêmes effets dans 70 % des études publiques sur lesquelles il fonde son expertise !

L’évaluation scientifique de 53 études industrielles, dans le cadre de l’examen de la génotoxicité du glyphosate (un autre aspect d’une importance majeure dans l’appréciation du caractère cancérigène) menée par deux scientifiques de l’Institut de recherche sur le cancer du Centre hospitalo‑universitaire de Vienne (Autriche), constate le manque de fiabilité de ces études : seules 2 de ces études industrielles sont fiables scientifiquement, alors que 17 études sont « partiellement fiables » et deux tiers sont « non fiables ». Un des deux chercheurs, Siegfried Knasmueller, précise que « parmi ces études, quelquesunes sont acceptables, mais la majorité sont un désastre ». C’est d’autant plus grave que 38 de ces 53 études font partie d’un nouveau dossier d’évaluation du pesticide déposé en 2020 auprès de l’EFSA.

Par ailleurs, récemment questionnée par le collectif citoyen « secrets toxiques » l’EFSA n’a pas été en mesure de confirmer que les études de toxicité à long terme des formulations commerciales de pesticides ont été réalisées, alors même que la jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 1er octobre 2019 qui confirme le règlement européen 1107/2009, l’impose.

On ne compte plus les témoignages et les enquêtes sur les maladies et malformations que le produit provoque. Selon la Mutualité sociale agricole (MSA), un agriculteur sur cinq souffre de troubles de santé directement liés à l’usage des pesticides. D’autant qu’il est rarement utilisé seul, mais en association avec d’autres composés qui renforcent son action. Le CIRC et l’Inserm ne limitent pas leur expertise, contrairement aux agences, à l’étude du glyphosate seul et l’étendent à celle des formulations à base de glyphosate (GBH = Glyphosatebased Herbicide) qui correspondent aux conditions réelles d’utilisation. Ils constatent que les effets génotoxiques sont obtenus pour de plus faibles concentrations de glyphosate utilisées sous forme de GBH par comparaison au principe actif seul. Ces concentrations sont plus proches de celles qui peuvent être détectées dans l’environnement. Une étude publiée en 2014 montrait également que le Roundup était in vitro 125 fois plus toxique que le glyphosate seul.

Nous refusons que le glyphosate rejoigne les sinistres annales des scandales d’État, à l’instar du chlordécone, pesticide utilisé massivement dans les bananeraies des Antilles de 1972 à 1993. Bien que parfaitement averti de ses conséquences terribles, puisque l’OMS l’a classé comme pesticide hautement toxique depuis 1979, l’État français a privilégié l’économie sur notre santé.

En France, jusqu’en 2007, le glyphosate était étiqueté « biodégradable » et supposé « respecter l’environnement » alors même que ses résidus détruisent la biodiversité, s’accumulent dans les nappes phréatiques et contaminent les aliments. Des résidus ont notamment été retrouvés dans le miel. En outre, l’ONG Générations futures a annoncé en 2017 avoir trouvé des traces de glyphosate dans les urines de tous les Français testés. Ces résultats ont été confirmés par les analyses réalisées, pendant deux ans, dans le cadre de la Campagne Glyphosate France. 99,7 % des 6 796 participants ont des traces de glyphosate présentes dans leurs urines. En moyenne, le taux de présence du pesticide correspond aux taux rapportés par l’expertise de l’Inserm de 2021.

Sortir du glyphosate : un combat global en faveur d’un revenu stable et satisfaisant pour les agriculteurs et agricultrices

Le glyphosate est le symbole d’un système agricole à bout de souffle. Verrouillé par l’agrochimie, il tue les agriculteurs et agricultrices et les gens autant qu’il ravage la biodiversité. Interdire le glyphosate, c’est s’attaquer aux lobbies et aux firmes véreuses « et en même temps » mener une réelle politique de transition écologique. Personne ne peut ignorer la difficulté des agriculteurs et agricultrices à vivre de leur métier et combien le modèle d’agriculture productiviste est la cause de souffrance : 18 % des ménages agricoles vivent en dessous du seuil de pauvreté d’après une étude d’octobre 2021 de l’INSEE. 605 agriculteurs et agricultrices se sont suicidés en 2015, d’après la Mutualité sociale agricole (MSA).

Et cela, alors même que dans un rapport publié en décembre 2017, l’Institut national de la recherche agronomique (devenu INRAe) confirme la performance économique de l’agriculture biologique. L’agriculture biologique est donc davantage rémunératrice pour les paysans et permettra de créer des milliers d’emplois tout en protégeant la biodiversité. Les conclusions du rapport « les performances économiques et environnementales de l’agroécologie » de France Stratégie de juin 2020 vont également dans ce sens : « les exploitations agroécologiques, l’AB en particulier, sont en général plus rentables que les exploitations conventionnelles, alors que leurs exigences environnementales sont élevées ». Elles permettent par ailleurs aux agriculteurs et agricultrices concernés de retrouver du sens et un savoir‑faire perdu jusqu’alors. Nombreux sont les témoignages qui affluent soulignant que sans la chimie, les paysans ont redécouvert leur métier, dont la complexité technique et l’exigence de compétences agronomiques font leur fierté de l’exercer.

Ils sont la preuve vivante, au nombre de 53 000 agriculteurs et agricultrices en bio aujourd’hui, qu’un autre modèle est possible, et que l’on peut se passer du glyphosate.

Pour une sortie effective du glyphosate, la France doit fixer cette interdiction dans la loi. L’État doit également travailler à la recherche et à la diffusion de bonnes pratiques. Mais il faut surtout offrir aux agriculteurs et agricultrices un cadre leur permettant d’envisager sereinement l’avenir. Un engagement ferme pour la santé publique et contre les multinationales des phytosanitaires doit s’accompagner d’un modèle économique qui profite avant tout aux paysans et paysannes. Nous devons leur garantir un revenu décent durant la transition vers l’agroécologie et pour cela sortir les marchés agricoles de la mondialisation, garantir des prix planchers à toutes les productions, fixer des quotas, instaurer un protectionnisme solidaire sur des critères sociaux, environnementaux et sanitaires. Il faut par ailleurs garantir un accès au foncier aux Français et Françaises souhaitant vivre de l’agriculture, notamment en sanctuarisant les terres arables et en contrôlant l’accaparement des terres. Le levier de la restauration collective doit également être pleinement activé pour orienter la demande et garantir les débouchés économiques suffisants aux producteurs. Enfin il faut veiller à sortir de l’hyper‑spécialisation des cultures qui nuit à l’autonomie alimentaire du pays, et retrouver de la diversification et de la rotation dans les productions.

Dans un texte de loi déposé dans le cadre de notre niche parlementaire de 2019, nous avions déjà proposé de fixer le cap à travers l’inscription dans la loi de l’interdiction de l’utilisation de produits phytopharmaceutiques contenant la substance active du glyphosate sur le territoire national. Avec cette proposition de loi nous réitérons cette proposition, en proposant une interdiction immédiate du glyphosate, de sa vente comme de son usage.


proposition de loi

Article unique

L’article L. 253‑8 du code rural et de la pêche maritime est complété par un V ainsi rédigé :

« V. – L’utilisation des produits phytopharmaceutiques contenant la substance active du glyphosate est interdite sur le territoire national.

« Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application de cette interdiction. »


([1]) Benbrook Environ Sci Eur (2019) 31:2. How did the US EPA and IARC reach diametrically opposed conclusions on the genotoxicity of glyphosate-based herbicides ?