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N° 4747

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 30 novembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger les enfants exposés aux violences au sein du couple,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Marie TAMARELLEVERHAEGHE, Fadila KHATTABI, Damien ADAM, Patrice ANATO, JeanPhilippe ARDOUIN, Frédéric BARBIER, Anne BLANC, Christophe BLANCHET, Aude BONOVANDORME, PierreYves BOURNAZEL, Carole BUREAUBONNARD, Lionel CAUSSE, Danièle CAZARIAN, Anthony CELLIER, Philippe CHALUMEAU, Paul CHRISTOPHE, Annie CHAPELIER, JeanCharles COLASROY, Fabienne COLBOC, Olivier DAMAISIN, Yves DANIEL, Loïc DOMBREVAL, Nicole DUBRÉCHIRAT, Audrey DUFEU, Françoise DUMAS, M’jid EL GUERRAB, Nadia ESSAYAN, Agnès FIRMIN LE BODO, Pascale FONTENELPERSONNE, Bruno FUCHS, Laurence GAYTE, Olga GIVERNET, Fabien GOUTTEFARDE, Carole GRANDJEAN, Florence GRANJUS, Brahim HAMMOUCHE, Yannick HAURY, Sandrine JOSSO, Catherine KAMOWSKI, Anissa KHEDHER, Christophe LECLERCQ, Sandrine LE FEUR, Nicole LE PEIH, Monique LIMON, Brigitte LISO, Lise MAGNIER, Mounir MAHJOUBI, Sylvain MAILLARD, Jacques MAIRE, Didier MARTIN, Jacqueline MAQUET, Sereine MAUBORGNE, Thierry MICHELS, Patricia MIRALLÈS, JeanMichel MIS, Naïma MOUTCHOU, Claire O’PETIT, Sophie PANONACLE, Hervé PELLOIS, Patrice PERROT, Pierre PERSON, Bénédicte PÉTELLE, Maud PETIT, Michèle PEYRON, Éric POULLIAT, Florence PROVENDIER, Isabelle RAUCH, Rémy REBEYROTTE, Hugues RENSON, Véronique RIOTTON, MariePierre RIXAIN, Mireille ROBERT, Laurianne ROSSI, Gwendal ROUILLARD, Nathalie SARLES, Denis SOMMER, Bruno STUDER, Sira SYLLA, Liliana TANGUY, Sylvain TEMPLIER, Stéphane TESTÉ, Vincent THIÉBAUT, Alice THOUROT, JeanLouis TOURAINE, Alain TOURRET, Élisabeth TOUTUTPICARD, Frédérique TUFFNELL, Annie VIDAL, Corinne VIGNON, Stéphane VOJETTA, Souad ZITOUNI, Laetitia AVIA, Belkhir BELHADDAD, Marc DELATTE, Cyrille ISAACSIBILLE, Yannick KERLOGOT, Sandrine MÖRCH,

députés.

 


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EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Tant que les hommes se convaincront qu’ils peuvent frapper la mère de leurs enfants sans être de mauvais pères, on peut, hélas, redouter, qu’ils continueront à le faire ». Un mari violent n’est pas un bon père. Ce sont les mots d’Édouard Philippe, Premier ministre, lors de l’ouverture du Grenelle des violences conjugales le 3 septembre 2019. La formule a trouvé des concrétisations dans les propositions de loi portées par nos collègues Bérangère Couillard et Aurélien Pradié, notamment en suspendant l’autorité parentale en cas de féminicide et en élargissant les possibilités de retrait de l’autorité parentale et de suspension des droits de visite et d’hébergement. Il faut par ailleurs souligner l’engagement de notre collègue Alexandra Louis, à l’initiative d’une meilleure prise en considération de l’enfant exposé aux violences conjugales dans le procès pénal au sein de la loi renforçant l’action contre les violences sexuelles et sexistes du 3 août 2018.

Malgré ces évolutions, bienvenues, le s­­ujet mérite encore un effort de clarification sur la place de l’enfant et la nature du lien parental dans un contexte de violences au sein du couple.

Car la prudence dans l’évolution de notre droit ces dernières années semble tenir pour grande part à une confusion sur la place de l’enfant dans ces situations de violences conjugales. L’enfant se trouve‑t‑il dans une situation de maltraitance ? Faut‑il séparer le conjugal du parental ? Préserver l’autorité parentale du parent violent porte‑t‑il préjudice à l’enfant ? Écarter l’enfant du procès pénal le protège‑t‑il réellement, clarifie‑t‑il sa situation et permet‑il sa reconstruction ? Enfin, l’intérêt du parent violent peut‑il prévaloir sur l’intérêt de l’enfant ? Soulever ces questions permet d’entrevoir que l’enfant, s’il n’est pas totalement oublié dans le contexte de violences au sein du couple, est toujours considéré à la marge.

C’est pourquoi la présente proposition de loi porte pour ambition de clarifier deux points majeurs : le premier tient à l’autorité parentale en cas de poursuite ou de condamnation et le second à la reconnaissance de l’enfant comme victime dans le procès pénal.

Ce sont 398 310 enfants qui vivraient dans un foyer où ont lieu des violences conjugales ([1]).

Placer l’intérêt de l’enfant audessus du principe de coparentalité

L’autorité parentale comme ensemble de droits et devoirs est non seulement transgressée mais aussi fréquemment détournée par l’auteur des violences. Son exercice devient un instrument de la violence.

 Si le principe de coparentalité et le maintien des liens de l’enfant avec ses parents sont essentiels dans notre droit, la situation de violence au sein de la famille doit nous faire changer de perspective. Il faut bien saisir, comme l’explique le juge des enfants Édouard Durand, que « l’homme, mari et père, s’octroie une position supérieure et asymétrique vis‑à‑vis de sa femme et de son enfant en instaurant un rapport de domination, la mère et l’enfant se trouvant dans une position symétrique, l’un et l’autre victime des violences dans le couple »([2]). Ainsi la conjugalité ne doit pas être séparée de la parentalité.

En effet, les violences au sein du couple mettent en péril la santé et le bien‑être des enfants qui y assistent : 80 % des enfants en sont témoins oculaires et/ou auditifs et 100 % baignent dans les violences psychologiques. Les professionnels de santé au contact de ces enfants nous l’apprennent : ces violences entraînent très souvent un syndrome de stress post‑traumatique pouvant être assimilé à celui des enfants en zone de guerre.

L’enfant évoluant dans un contexte de violences au sein du couple est donc un enfant en danger : son développement, sa santé, sa sécurité et sa moralité sont mis à mal par l’auteur des violences. Celui‑ci n’est plus en capacité de protéger son enfant. Dès lors, le principe de coparentalité se retrouve de facto en échec et c’est pourquoi il est nécessaire d’y faire exception.

Ensuite, il faut considérer les conséquences de l’exercice de l’autorité parentale de l’auteur des violences sur le parent et l’enfant victimes. L’un des défis des politiques de lutte contre les violences conjugales est la prévention de la violence post‑séparation. La continuation de cette violence est permise et favorisée par l’exercice de l’autorité parentale, qui est maintenue majoritairement : « 72,6 % des mères d’enfants mineurs obtenant une ordonnance de protection [ont été] contraintes d’exercer leur autorité parentale avec le conjoint, qui les a vraisemblablement violentées et mises en danger, elles et leurs enfants »([3]).

Or, l’autorité parentale et son exercice, pour l’auteur, ne constitue plus un ensemble de droits et de devoirs mais un moyen d’assurer sa domination.

Ainsi pourra‑t‑il contrôler les actes non usuels requérant l’accord des deux parents, tels que le changement d’établissement scolaire pour l’enfant, ses activités sportives ou les actes médicaux. In fine, par ce pouvoir sur les actes non usuels, l’auteur des violences pourra maintenir son contrôle sur le quotidien du parent et de l’enfant victimes. Il pourra également nuire aux soins nécessaires de l’enfant puisque pouvant s’opposer à son suivi psychologique. De ce fait, par intérêt pour l’enfant, certains thérapeutes prennent le risque de maintenir leur thérapie « en contrebande ».

Parce que l’autorité parentale est mise en échec et constitue un instrument de la violence, l’article premier vise à ce que lorsqu’il y a poursuite ou condamnation pour violences ayant entraîné une interruption temporaire de travail de plus de huit jours, le parent auteur voit l’exercice de l’autorité parentale et les droits de visite et d’hébergement suspendus.

Reconnaître pleinement l’enfant comme victime des violences conjugales

Sur le plan pénal, sauf s’il est lui‑même victime de violences physiques, l’enfant n’est pas considéré comme victime des violences dans le couple.

Pourtant, à l’initiative de notre collègue Alexandra Louis, a été créée dans la loi du 3 août 2018 une circonstance aggravante permettant en théorie à l’enfant de se constituer partie civile et d’être reconnu comme victime.

Mais cette circonstance aggravante est inefficace puisqu’extrêmement peu retenue. Dans son rapport d’évaluation de la loi, Alexandra Louis note qu’ : « il y a eu 138.473 affaires de violences conjugales dans le champ délictuel et la circonstance aggravante a été retenue 1,645 fois » en 2019, soit « dans moins de 2 % des affaires. » ([4]). Alors‑même que plus de 80 % des victimes de violences conjugales sont mères.

Outre les différents éléments développés sur l’autorité parentale, il est absolument nécessaire de reconnaître judiciairement la violence dont est victime l’enfant. Cette clarification de sa situation est un préalable indispensable à une prise en charge thérapeutique efficace. Il faut que la place de l’enfant au sein de ce système de violences soit clairement établie par la loi. Elle est une condition pour prévenir la reproduction de schémas familiaux dans lesquels s’inscrivent ou risquent de s’inscrire les enfants en tant qu’auteur ou victime.

L’article 2 vise donc à reconnaître le statut de victime des enfants exposés aux violences conjugales en créant une infraction autonome. Les mêmes faits seront ainsi une infraction commise contre la mère et une infraction commise contre l’enfant.

L’article 3 dispose que le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le repérage, la prise en charge et le suivi psychologique des enfants exposés aux violences conjugales. Un tel état des lieux est fondamental pour disposer d’une politique publique efficace.

Pour conclure, la présente proposition de loi ne prétend pas résoudre nombre de problèmes relevant du réglementaire ou de la pratique telles que la formation des policiers, gendarmes et magistrats, celle de la communauté éducative et des professionnels de santé, la prise en charge et le suivi des enfants exposés aux violences conjugales, les mesures d’assistance éducative inadaptées aux contextes de violences intrafamiliales.

Mais son objet est fondamental : elle porte la clarification, nécessaire, dans notre droit, de la place de l’enfant exposé aux violences conjugales. Elle vise à ce que les enfants exposés aux violences conjugales n’aient plus à être dans un conflit de loyauté entre leurs deux parents ; elle vise à ce que le discours entendu qu’un conjoint violent n’est pas un bon père trouve une réalité concrète. Elle vise, enfin, à ce que notre système judiciaire soit plus adapté à la nécessaire protection des générations futures. C’est une condition de la restauration de la confiance des citoyens envers la justice.


proposition de loi

Article 1er

À l’article 378 2 du code civil, après le mot : « crime », sont insérés les mots : « ou des violences provoquant une incapacité totale de travail de plus de huit jours ».

Article 2

Le code pénal est ainsi modifié :

1° Les dix‑huitième à avant‑dernier alinéas de l’article 222‑8 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« La peine encourue est portée à trente ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction définie à l’article 222‑7 est commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur.

« Le fait d’exposer un mineur à l’infraction définie au même article commise sur le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité est puni des mêmes peines que celles prévues au premier alinéa du présent article. » ;

2° Les dix‑huitième à avant dernier alinéas de l’article 222‑10 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« La peine encourue est portée à vingt ans de réclusion criminelle lorsque l’infraction définie à l’article 222‑9 est commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur.

« Le fait d’exposer un mineur à l’infraction définie au même article commise sur le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité est puni des mêmes peines que celles prévues au premier alinéa du présent article. » ;

3° Les vingt‑troisième à vingt‑cinquième alinéas de l’article 222‑12 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les peines encourues sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 euros d’amende lorsque l’infraction définie à l’article 222‑11 est commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur.

« Le fait d’exposer un mineur à l’infraction définie au même article commise sur le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité est puni des mêmes peines que celles prévues au premier alinéa du présent article. » ;

4° Les vingt‑cinquième à avant‑dernier alinéas de l’article 222‑13 sont remplacés par deux alinéas ainsi rédigés :

« Les peines encourues sont portées à cinq ans d’emprisonnement et à 75 000 euros d’amende lorsque l’infraction définie au premier alinéa du présent article est commise sur un mineur de quinze ans par un ascendant légitime, naturel ou adoptif ou par toute autre personne ayant autorité sur le mineur. 

« Le fait d’exposer un mineur à l’infraction définie au même alinéa commise sur le conjoint, le concubin ou le partenaire lié par un pacte civil de solidarité est puni des mêmes peines que celles prévues au premier alinéa du présent article. » 

Article 3

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur le repérage, la prise en charge et le suivi psychologique des enfants exposés aux violences conjugales.


([1])  Tableau de bord d’indicateurs. Politique de lutte contre les violences conjugales. Année 2019. Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes.

([2])  DURAND, Édouard, « Violences dans le couple et parentalité : axe judiciaire », in Violences conjugales : un défi pour la parentalité, sous la direction de Karen SADLIER, 2015.

([3])  JOUANNEAU, Solène, Violences conjugales – Protection des victimes, Mission de recherche Droit & Justice, Octobre 2019, p. 285 – cité dans HCE, rapport violences conjugales 2020 (p. 114).

([4])  LOUIS, Alexandra, rapport d’évaluation de la loi du 3 août 2018, renforçant la lutte contre les violences sexuelles et sexistes, décembre 2020.