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N° 4771

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre la fracture médicale sur le territoire national,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Nicolas FORISSIER, Nathalie SERRE, Geneviève LEVY, Mansour KAMARDINE, Édith AUDIBERT, Fabrice BRUN, Véronique LOUWAGIE, JeanClaude BOUCHET, Sylvie BOUCHET BELLECOURT, Didier QUENTIN, Marianne DUBOIS, Émilie BONNIVARD, JeanMarie SERMIER, Marc LE FUR, Damien ABAD, Michel VIALAY, Bernard PERRUT, Julien DIVE, JeanLuc REITZER, Frédéric REISS, Virginie DUBYMULLER, JeanJacques GAULTIER, Isabelle VALENTIN, JeanLuc BOURGEAUX, Claude de GANAY, Nathalie PORTE, Guillaume PELTIER, Christelle PETEXLEVET,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Ces derniers mois, le déploiement de la vaccination dans l’ensemble du pays l’a une fois de plus démontré : certaines zones géographiques demeurent encore en marge de notre système de soins. Si nos concitoyens vivant dans les grands pôles urbains ont généralement rencontré peu de difficultés pour aller se faire vacciner, il en a été tout autrement des millions de Français résidant dans les territoires victimes d’une pénurie de médecins.

Alors que l’étude publiée par l’Association des maires ruraux de France (AMRF), en février dernier, révèle une aggravation du problème d’inégalité d’accès aux soins dans nombre de nos territoires, il est désormais temps de prendre toute la mesure de l’enjeu afin de mettre un terme à cette situation inégalitaire qui n’est pas digne de notre pays.

En stagnation depuis une vingtaine d’années, la densité médicale se manifeste de manière très hétérogène sur l’ensemble du territoire national. Les campagnes demeurent trop largement sous‑dotées face aux centres urbains qui abritent généralement un nombre conséquent de médecins. En outre, cette stagnation dissimule une évolution particulièrement alarmante pour les années à venir : on observe en effet une diminution du nombre de généralistes qui s’accompagne d’une augmentation du nombre de spécialistes. Or ces derniers ont tendance, plus encore que les premiers, à s’implanter dans des grandes villes, loin des territoires connaissant des difficultés d’accès aux soins.

Les données récoltées par l’AMRF illustrent parfaitement la gravité de la situation : en l’an 2000, pour 1 000 habitants, on comptait 0,91 spécialiste dans les territoires qualifiés d’ « hyper ruraux » contre 2,17 dans les zones qualifiées d’ « hyper urbaines ». En 2020, ce chiffre est passé à 1,13 dans les territoires « hyper ruraux » et à 2,68 dans les zones « hyper urbaines ». L’écart qui subsiste entre villes et campagnes demeure donc plus que préoccupant.

Le Préambule de la Constitution de 1946, intégré dans notre bloc de constitutionnalité, affirme que la nation « garantit à tous, notamment à l’enfant, à la mère, aux vieux travailleurs, la protection de la santé ». Le code de la santé publique, quant à lui, soutient que « le droit fondamental à la protection de la santé doit être mis en œuvre par tous moyens disponibles au bénéfice de toute personne » et que « l’égal accès de chaque personne aux soins » doit être garanti.

Or, aujourd’hui, selon l’AMRF, près de 10 millions de Français habitent un territoire où l’accès aux soins est de faible qualité. En 2020, la Direction de la recherche, des études, de l’évaluation et des statistiques (DREES) tirait la sonnette d’alarme en soulignant que la part de la population française vivant dans des zones dites « sous‑denses », très sérieusement touchées par le problème de la désertification médicale, était passée, en quatre ans, de 3,8 % à 5,7 %. C’est la raison pour laquelle l’adoption de mesures fortes se révèle désormais impérative.

La liberté d’installation pour les médecins, sans encadrement, n’a jamais permis une régulation satisfaisante de la couverture territoriale de l’offre médicale. À ce titre, la mise en place d’un dispositif de conventionnement sélectif qui limiterait, dans les zones caractérisées par un niveau d’offre de soins déjà très élevé, l’implantation de nouveaux médecins apparaît opportune. Ce système permettrait ainsi un rééquilibrage de la répartition des praticiens sur l’ensemble du territoire national. En outre, il ne remettrait pas en cause le principe de liberté d’installation des médecins puisqu’il viendrait seulement réguler la possibilité pour ces derniers de choisir d’exercer où bon leur semble sur le territoire national de manière temporaire, exceptionnelle et localisée.

Si cette proposition, issue de l’article 1er, n’est pas nouvelle, l’inefficacité des politiques mises en œuvre par les gouvernements successifs depuis plus de 20 ans pour lutter contre l’inégalité de l’offre médicale dans notre pays justifie de replacer celle‑ci sur le devant de la scène.

Alors que plusieurs pays européens, comme l’Allemagne, appliquent déjà ce type de dispositif, et que d’autres, tels que la Suisse et l’Autriche, ont même recours à des mesures plus coercitives encore – le principe de liberté d’installation ne s’applique pas, dans ces pays, aux médecins conventionnés –, l’instauration d’un système de conventionnement sélectif n’apparaît en rien excessive. Cette mesure paraît d’autant moins déraisonnable qu’elle a même été préconisée par la Cour des comptes en 2017. En outre, il convient de rappeler que ce type de dispositif a déjà été mis en place dans notre pays pour d’autres professions médicales (infirmières, sages‑femmes, masseurs kinésithérapeutes) et qu’il a déjà produit des résultats très satisfaisants.

Outre l’amélioration de l’accès aux soins, qui doit rester l’objectif premier de cette proposition de loi, la mise en place d’un conventionnement sélectif contribuerait également à réduire les dépenses de santé. Selon un rapport du Sénat, publié en janvier 2020, le coût des inégalités territoriales d’accès aux soins s’élèverait entre 900 millions d’euros et 5 milliards d’euros par an pour notre système de soins.

Par ailleurs, l’allongement de la durée des stages des internes en fin de cycle dans les zones sous‑dotées, proposé dans l’article 2, constitue également une mesure judicieuse au regard de l’état de la fracture médicale actuelle.

À la suite d’un amendement déposé par des sénateurs en 2019, le gouvernement avait accepté l’idée d’établir un tel dispositif mais réduit sa portée en limitant à un seul semestre la période de stage pour les étudiants. Alors que la concentration des jeunes médecins dans les départements urbains a doublé entre 2012 et 2020 et que le phénomène de vieillissement de la profession médicale affecte particulièrement les campagnes, étendre la durée du stage obligatoire de troisième cycle en zones sous‑denses à une période d’un an relève du bon sens. Cette mesure pousserait les jeunes médecins à venir s’installer dans les territoires ruraux : une année complète passée en zone rurale offrirait en effet à l’étudiant l’opportunité de nouer des liens plus solides avec le territoire sur lequel il effectue son stage, l’incitant ainsi à revenir s’y installer une fois ses études terminées.

En plus d’incarner une solution de long terme, cette mesure accentuerait également le déploiement immédiat d’un nombre conséquent d’étudiants en médecine de dernier cycle dans les territoires les plus touchés par la désertification médicale.

Pour renforcer encore l’attractivité des territoires ruraux chez les médecins et éviter que certains ne soient tentés d’exercer leur profession sans être conventionnés par la sécurité sociale en vue de contourner le dispositif de l’article 1er, l’article 3 met en place une mesure d’abattement fiscal très avantageuse pour les généralistes et les spécialistes conventionnés exerçant en zone sous‑dotée. Ces derniers pourront ainsi bénéficier d’un abattement de 50 % sur le bénéfice imposable.

Afin de compléter les dispositifs des trois premiers articles, l’article 4 instaure une mesure d’exonérations fiscales destinée à inciter les médecins retraités résidant dans les zones sous‑denses à continuer d’exercer. Si le renforcement du mécanisme de cumul emploi‑retraite pour les médecins, par la loi du 21 août 2003, puis par la loi de financement de la Sécurité sociale de 2009, a permis d’augmenter le nombre de praticiens poursuivant leur activité après leur retraite, y compris en zone sous‑denses, des progrès demeurent néanmoins envisageables. En effet, la DREES a récemment fait savoir que c’est à Paris que les médecins recourent le plus à ce dispositif et non dans les territoires ruraux. De plus, on constate également que l’âge des spécialistes à la cessation est plus tardif dans les zones où les médecins sont déjà nombreux à être installés. Ainsi, en exonérant les revenus des spécialistes et des généralistes qui font le choix de prolonger leur activité au‑delà de la retraite, en zone sous‑dense, de la totalité des cotisations sociales et de retraite, cet article a pour ambition d’inciter les médecins à contribuer à l’effort national de lutte pour un égal accès aux soins.

Enfin, l’article 5 est directement issu d’une recommandation d’un rapport d’information du Sénat publié en janvier 2020. Celui‑ci estime nécessaire de recenser et d’évaluer enfin l’ensemble des dispositifs incitatifs pour, le cas échéant, supprimer les aides inopérantes. Si, selon les sénateurs, certaines semblent efficaces, d’autres le sont moins, voire peuvent directement entrer en concurrence avec des mesures qui visent elles aussi à favoriser l’installation des médecins dans les zones sous‑denses, engendrant ainsi des effets de bord. Les fonds qui résulteront de la suppression des aides inefficaces pourront être alloués à l’augmentation des aides les plus efficientes, ou bien au financement des nouveaux dispositifs avancés dans la présente proposition de loi.


proposition de loi

Article 1er

I. – Après l’article L. 4131‑6 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 4131‑6‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 413161. – L’accès des médecins au conventionnement est régulé dans les conditions suivantes : dans les zones mentionnées au 2° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique, le conventionnement à l’assurance maladie d’un médecin libéral ne peut intervenir qu’en concomitance avec la cessation d’activité libérale d’un médecin exerçant dans la même zone. »

II. – Un décret détermine les modalités d’application du présent article.

Article 2

À la première phrase du premier alinéa du II de l’article L. 632‑2 du code de l’éducation, les mots : « un semestre » sont remplacés par les mots : « une année ».

Article 3

Les médecins généralistes ou spécialistes conventionnés secteur 1 installant leur cabinet libéral dans les zones mentionnées au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique bénéficient d’un abattement de 50 % sur le bénéfice imposable.

Article 4

Après l’article L. 161‑22‑1 A du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 161‑22‑1 B ainsi rédigé :

« Art. L. 161221 B. – L’article L. 161‑22 ne fait pas obstacle à l’exercice par un médecin retraité d’une activité dans les zones mentionnées au 1° de l’article L 1434‑4 du code de la santé publique. Les revenus perçus par le médecin retraité au titre de son activité sont exonérés de la totalité des cotisations sociales et de retraite dès lors qu’ils n’excèdent pas 90 000 euros annuels. »

Article 5

Dans un délai d’un an à compter de l’entrée en vigueur de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport visant à recenser et évaluer l’ensemble des dispositifs incitatifs à l’installation des professionnels de santé en zone sous‑dense.

Article 6

I. – La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La perte de recettes pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.