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N° 4782

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance et à ouvrir une conférence nationale sur les salaires,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Gérard LESEUL, Valérie RABAULT, Olivier FAURE, Joël AVIRAGNET, Marie‑Noëlle BATTISTEL, Gisèle BIÉMOURET, Jean‑Louis BRICOUT, Alain DAVID, Laurence DUMONT, Lamia EL AARAJE, Guillaume GAROT, David HABIB, Christian HUTIN, Chantal JOURDAN, Régis JUANICO, Marietta KARAMANLI, Jérôme LAMBERT, Josette MANIN, Philippe NAILLET, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Claudia ROUAUX, Isabelle SANTIAGO, Hervé SAULIGNAC, Sylvie TOLMONT, Cécile UNTERMAIER, Hélène VAINQUEUR‑CHRISTOPHE, Boris VALLAUD, Michèle VICTORY,  

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2021, dans la 5e puissance économique du monde, ne pas pouvoir vivre dignement de son travail est inacceptable. C’est pourtant la réalité pour des millions de nos concitoyennes et concitoyens qui peinent à « joindre les deux bouts ».

Loin des obsessions identitaires et réactionnaires de quelques‑uns, le pouvoir d’achat et de vivre sont les premiers sujets de préoccupation des Françaises et des Français avec la santé.

Le mouvement des Gilets jaunes qui a traversé la France à partir de l’automne 2019 résonne toujours comme un cri d’alerte sur la première des injustices de notre pays : celle de ne pas pouvoir vivre dignement de son travail.

La crise sanitaire, que nous traversons depuis mars 2020, démontre quant à elle que notre pays repose sur des femmes et des hommes dont le travail essentiel au fonctionnement de la société est pourtant si mal rémunéré.

En 2020 ([1]), 2,25 millions de salariés du secteur privé (soit 13 % des salariés) avaient bénéficié de la revalorisation mécanique ([2]) du Salaire minimum interprofessionnel de croissance (Smic) prévue par l’article L. 3231‑4 du code du travail. Les secteurs qui concentrent l’essentiel des salariés au Smic ([3]) sont l’hôtellerie‑restauration‑tourisme (38,8 %), la santé et l’action sociale (hors fonction publique hospitalière) (22 %), le commerce (17,6 %), les activités de services administratifs et de soutien (14,6 %), la construction (10 %). Autant de secteurs qui ne sont pas exposés à la concurrence internationale et qui connaissent aujourd’hui des tensions pour recruter du personnel.

Le montant du Smic horaire brut actuel est de 10,48 euros soit 8,30 euros net. Pour une personne employée à temps plein, le salaire s’élève à 1 258 euros net par mois ([4]).

Avec un salaire minimum brut fixé à 1 589,47 euros, la France se positionne au 7e rang dans l’Union européenne en 2021 derrière le Luxembourg (2 202 euros), l’Irlande (1 724 euros), les Pays‑Bas (1 685 euros), la Belgique (1 626 euros), et l’Allemagne (1 614 euros).

Hormis des ajustements mécaniques dus à l’inflation évoqués précédemment, le salaire minimum légal n’a pas connu de revalorisation depuis presque dix ans. En effet, la dernière revalorisation remonte à juillet 2012 sous le quinquennat du Président François Hollande. Une décennie de modération salariale depuis la crise des subprimes.

D’après le dernier rapport de l’Observatoire des inégalités, la France compte plus de 2 millions de travailleurs pauvres. Rémunérés bien souvent au Smic, elles et ils pâtissent de contrats précaires et de temps partiels. Les femmes sont particulièrement touchées par ce phénomène puisqu’elles représentent 59,3 % des salariés au Smic soit 1,33 million de travailleuses. De plus, elles occupent 80 % ([5]) des temps partiels et 97 % des emplois d’aide à domicile. Les femmes seraient donc les premières bénéficiaires d’une revalorisation du salaire minimum légal.

Les quelques primes accordées durant cette crise (créant parfois des situations d’inégalités en fonction des statuts comme pour les aides à domicile) et plus récemment pour faire face aux augmentations importantes des prix de l’énergie ne suffisent pas. Cette politique de rustines ne permet pas une véritable considération et revalorisation des métiers mal rémunérés. Ces primes ne peuvent être érigées en revalorisation durable du pouvoir de vivre en France. Il faut plus de salaire net à la fin du mois sur les fiches de paie sans pour autant affaiblir notre modèle social. Une vraie revalorisation salariale doit donc consister dans les prochains mois en une augmentation du salaire minimum brut « chargé » en cotisations. C’est la garantie pour vivre décemment et bénéficier d’une protection sociale collective forte.

Continuer indéfiniment à lier le revenu non pas à la richesse produite dans l’entreprise mais à des primes financées par l’argent public présente un risque, celui de déresponsabiliser à terme l’entreprise dans la négociation salariale dont elle doit pourtant être l’acteur principal. Non seulement de nombreux emplois considérés comme non qualifiés et interchangeables sont exonérés de cotisations, mais les employeurs considèrent que leur faible rémunération est compensée par des aides sociales. Cela n’est pas tenable dans la durée si nous voulons vraiment améliorer le pouvoir de vivre et valoriser le travail et l’activité.

D’aucuns aiment à faire référence à longueur de temps aux valeurs de mérite et de travail. Mais regardons la réalité en face : le Smic est supérieur d’un peu plus de 200 euros au seuil de pauvreté. Comment peut‑on parler de valoriser et d’encourager le travail quand la rémunération de ce dernier est aussi faible ?

Cela apparaît d’autant plus difficile alors que l’envolée des prix de l’énergie ou le poids du logement pèsent de plus en plus lourd dans le budget des français. 50 % d’augmentation pour le gaz en 2021 et de multiples hausses successives pour l’électricité (plus 5,9 et 1,23 % en 2019, plus 2,4 et 1,54 % en 2020, plus 1,26 et 0,48 % en 2021…). Sans compter le prix du litre de gazole qui est passé de 1,22 € en moyenne en octobre 2020 à 1,55 € aujourd’hui. Cela représente une augmentation moyenne de 27 %, soit 33 centimes de plus par litre. Cette réalité est vécue comme une forme de punition pour toutes celles et ceux qui n’ont pas d’autres choix que d’utiliser leur véhicule quotidiennement pour aller travailler. La question du « reste à vivre » est d’ailleurs le reflet du désarroi qui traverse certaines catégories de la population.

Le 5 octobre dernier, plusieurs dizaines de milliers de personnes manifestaient à travers le pays avec au cœur de leurs revendications la question de la hausse des salaires. Chez Sephora, Décathlon, Leroy Merlin, Labeyrie, H&M, Safran et dans bien d’autres entreprises, les salariés se mobilisent également pour réclamer des augmentations. Le gouvernement doit anticiper cette tension palpable et écouter les demandes légitimes portées par les salariés à travers les syndicats. Pour ne pas revivre une crise sociale d’envergure, il est temps d’agir.

C’est pourquoi la forte reprise économique européenne observée depuis le printemps 2021 doit bénéficier en premier lieu à celles et ceux qui sont rémunérés au minimum légal. C’était d’ailleurs le sens des propos tenus par le Ministre de l’Economie, Bruno Le Maire, qui réclamait le 17 novembre dernier ([6]) des « augmentations significatives » dans les secteurs en tension. Le Ministre invitait également les entreprises à « prendre leur part de responsabilité » en matière d’augmentation des salaires. Le Président du Medef, Geoffroy Roux de Bézieux, avait alors répondu par média interposé que « ce n’est pas à l’État de décider s’il faut augmenter les salaires ».

Las de cet immobilisme, nous pensons que l’État, comme puissance régulatrice, doit envoyer un signal fort à l’aube de cette année 2022 pour inciter les entreprises et notamment les nombreux secteurs en tension à envisager des revalorisations salariales fortes.

En effet, plusieurs secteurs économiques comme l’hôtellerie‑restauration, le bâtiment, la logistique et la santé peinent aujourd’hui à recruter afin d’accompagner leur hausse d’activité. Cela s’explique principalement par un manque d’attractivité.

Eric Chevée, élu il y a quelques mois à la tête de l’assemblée des présidents des CESER et vice‑président de la Confédération des petites et moyennes entreprises (CPME) détaillait ([7]) récemment les chiffres issus d’une enquête réalisée auprès de leurs adhérents. Cet été, 44 % des entreprises déclaraient alors rencontrer des difficultés de recrutement.

La question du recrutement guette l’économie française et pourrait à terme constituer un frein à une reprise durable. Evidemment, il faut agir fortement sur la formation et l’accompagnement ‒ plutôt que la stigmatisation ‒ des personnes à la recherche d’un emploi. Mais il faut également que le gouvernement prenne ses responsabilités avec une hausse du Smic qui permettra d’enclencher un dialogue social par branche pour des revalorisations générales.

La conjoncture économique a changé, et comme cela a été démontré précédemment, la reprise économique induit de nombreuses tensions pour recruter. La logique est donc inversée, loin de détruire de l’emploi ([8]) cette mesure permettra de rendre plus attractifs un ensemble de métiers aujourd’hui non pourvus.

Déjà dans un rapport du service des statistiques du ministère du Travail (DARES) publié en 2019, les tensions sur le marché de l’emploi étaient flagrantes. Entre 2015 et 2019, l’indicateur synthétique de tension[9] sur le marché du travail est passé de ‑0,25 à +0,5. Dans le même temps, la part des recrutements considérés comme difficiles par les employeurs est passée de 32,4 % en 2014 à 50,1 % en 2019 ([10]). Ces données témoignent d’une tendance structurelle de fond, y apporter une réponse de revalorisation des salaires est indispensable.

De leur côté, nos partenaires européens n’hésitent pas à anticiper ces difficultés et à revaloriser leur salaire minimal. Le 1er septembre dernier, l’Espagne a entériné une revalorisation de 1,6 % après une hausse cumulée de 31,8 % depuis 2018, ce qui ne l’a pas empêché pas d’avoir créé 400 000 emplois nets en 2019. Outre‑Manche, le salaire minimum britannique passera de 8,91 à 9,50 livres de l’heure en 2022, soit une augmentation de 11,26 %. Même l’Allemagne siffle la fin de la modération salariale avec Olaf Scholz qui dans le cadre de son accord de coalition a prévu de faire passer le salaire horaire minimum de 9,82 € à 12 €, c’est‑à‑dire une hausse de l’ordre de 25 %.

Enfin, au premier trimestre 2021, le taux de marge des entreprises qui permet de mesurer leur profitabilité se situait autour de 35,5 %, au plus haut depuis 1949. Dans le même temps, après une forte baisse en 2020, le versement de dividendes devrait bondir cette année pour retrouver ses niveaux record de 2019 ([11]). Les conditions semblent donc être réunies pour un meilleur partage de la valeur au bénéfice des salariés.

Il faut de la justice. Plus de justice. Il ne peut pas y avoir d’un côté, les ménages les plus aisés qui bénéficient des réformes fiscales avantageuses de ce gouvernement depuis le début de ce quinquennat (suppression de l’Impôt sur la fortune, « flat tax »…) ([12]), du versement des dividendes à venir et de l’augmentation des salaires pour les hauts revenus « en même temps », et de l’autre côté les salariés rémunérés au minimum légal qui n’ont droit à rien. Cette reprise économique doit profiter en premier lieu à celles et ceux qui travaillent dur, bien souvent sans en voir le résultat sur la fiche de paie à la fin du mois.

Avec une revalorisation de l’ordre de 15 % le Smic brut mensuel atteindra 1 827,89 euros soit une augmentation de 238,42 euros. Cette mesure bénéficiera également aux travailleurs qui perçoivent un salaire indexé au Smic ainsi qu’aux salariés à temps partiels, pour beaucoup exclus du dispositif de la prime d’activité.

Il est venu le temps de la reconnaissance de toutes les travailleuses et de tous les travailleurs qui accomplissent des tâches essentielles au fonctionnement de la société.

Il est venu le temps d’organiser une grande conférence sur les salaires en réunissant l’ensemble des partenaires sociaux.

Il est venu le temps de mettre la question des écarts de salaires entre les femmes et les hommes au cœur du débat.

Il est venu le temps d’augmenter significativement le salaire minimum légal en France.

La présente proposition de loi s’attache à envoyer un signal fort en permettant une revalorisation du Smic. C’est une décision attendue depuis longtemps par celles et ceux qui sont rémunérés au minimum légal et qui font des métiers difficiles et essentiels.

L’article premier prévoit donc une revalorisation du Smic pour atteindre 1 827,89 euros brut dès le 1er février 2022. Au plus tard le 1er juillet 2022, les deux millions de travailleurs au Smic bénéficieront d’une revalorisation de l’ordre de 238,42 euros brut.

L’article 2 s’inscrit dans la poursuite d’un objectif de revalorisation globale des salaires pour l’ensemble des travailleurs du secteur privé. Le présent article prévoit l’organisation d’une conférence nationale sur les salaires avant l’ouverture de négociations salariales dans chaque branche, afin d’aboutir à une revalorisation des grilles de salaires conventionnelles.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 3231‑4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er février 2022, le montant du salaire minimum de croissance servant de référence pour le calcul de l’indexation prévue au présent article ne peut être inférieur à 1 827,89 euros brut mensuel. »

Article 2

Le même article L. 3231‑4 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À compter de la promulgation de la loi n°     du      visant à augmenter le salaire minimum interprofessionnel de croissance et à ouvrir une conférence nationale sur les salaires , chaque branche ouvre des négociations en vue de revaloriser les salaires minima hiérarchiques mentionnés au 1° de l’article L. 2253‑1 du code du travail, en concertation avec les organisations syndicales de salariés et les organisations professionnelles d’employeurs représentatives au niveau national et interprofessionnel. Les accords de branche sont négociés dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la loi n°     du      précitée. »


([1])  https ://dares.travailemploi.gouv.fr/sites/default/files/98e403729cf0751ed843e35a64762edd/Dares %20Resultats_revalorisation_Smic_2020.pdf

([2])  Le Smic bénéficie chaque année d’une hausse mécanique, calculée selon deux critères techniques : l’inflation constatée pour les 20 % de ménages aux plus faibles revenus et la moitié du gain de pouvoir d’achat du salaire horaire de base ouvrier et employé (SHBOE).

([3])  https ://dares.travailemploi.gouv.fr/publications/larevalorisationdusmicau1erjanvier2020.

([4])  https ://www.servicepublic.fr/particuliers/vosdroits/F2300.

([5])  https ://www.insee.fr/fr/statistiques/4501614?sommaire=4504425.

([6])  https ://www.lopinion.fr/economie/salairesbrunolemaireplaideanouveaupourdesaugmentationssignificativesdanslessecteursentension

([7])   https ://www.ouestfrance.fr/economie/emploi/emploicommentexpliquerlapenuriedemaindoeuvrequimenaceplusieurssecteurs2a63e15a21c211ec80c3e73d0362011e

([8])  http ://sarkoups.free.fr/cengiz419.pdf

([9]) https ://dares.travailemploi.gouv.fr/sites/default/files/pdf/dares_note_methodologique_sur_l_analyse_des_tensions_sur_le_marche_du_travail_v2.pdf

([10])  Source : enquête besoins en main‑d’œuvre (BMO), Pôle emploi

([11])  https ://www.janushenderson.com/frfr/investor/pressreleases/globaldividendsq2/

([12])  https ://www.ipp.eu/actualites/resultatslesimpactsdubudget2022surlesmenages/