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N° 4783

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à s’assurer du respect éthique du don d’organes
par nos partenaires non européens,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Frédérique DUMAS, JeanFélix ACQUAVIVA, Damien ADAM, Patrice ANATO, Delphine BAGARRY, MarieNoëlle BATTISTEL, Michel CASTELLANI, JeanMichel CLÉMENT, Fabienne COLBOC, Annie CHAPELIER, Charles de COURSON, Jennifer DE TEMMERMAN, Jeanine DUBIÉ, Olivier FALORNI, Yannick FAVENNECBÉCOT, Albane GAILLOT, Philippe GOSSELIN, Brahim HAMMOUCHE, Régis JUANICO, Stéphanie KERBARH, JeanLuc LAGLEIZE, FrançoisMichel LAMBERT, Jean LASSALLE, Philippe LATOMBE, Paul MOLAC, Sébastien NADOT, Christophe NAEGELEN, Bertrand PANCHER, Maud PETIT, Sylvia PINEL, Christine PIRES BEAUNE, Dominique POTIER, Laurianne ROSSI, Maina SAGE, JeanMarie SERMIER, Agnès THILL, Élisabeth TOUTUTPICARD, Stéphane VIRY, Michel ZUMKELLER,  

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La bioéthique traite des questions éthiques soulevées par les avancées médicales et scientifiques, afin de protéger l’humain et la vie. Le cadre juridique français en matière de bioéthique est structuré par trois grands principes : la dignité, la solidarité et la liberté.

La transplantation d’organes est indéniablement un progrès de la médecine et de la technologie qui a sauvé la vie de nombreux patients. Les grands principes sur la base desquels s’est développé le système français de dons et transplantations d’organes sont le respect du corps de la personne vivante et de la personne décédée, la non‑patrimonialité du corps humain, le consentement libre et éclairé ainsi que l’anonymat du donneur, et enfin la gratuité du don.

Lorsqu’une personne vivante souhaite en France faire don de ses organes, des règles strictes sont prévues afin de recueillir son consentement et de s’assurer que le don n’aura aucun impact négatif sur le donneur tant au niveau physique que psychologique.

Le don d’un organe doit être un acte gratuit et anonyme. La violation de ces règles éthiques est sanctionnée par 7 ans d’emprisonnement et 100 000 euros d’amende.

De manière générale dans le monde entier, il existe un décalage entre l’offre et la demande entraînant des délais d’attente d’une moyenne de trois ans pour l’obtention d’un greffon. Ces délais augmentent chaque année. En Europe sont réalisées environ 35 000 transplantations par an. 150 000 personnes sont sur liste d’attente et 6 000 personnes meurent chaque année sans pouvoir être greffées.

C’est dans ce contexte de pénurie d’organes que se sont donc développés dans certains pays, le prélèvement forcé, le trafic d’organes et le tourisme de transplantation. Le tourisme de transplantation qui s’est développé dans les années 80 est le fait pour une personne en attente de greffe dans son pays, de se rendre dans un pays étranger, pour acheter un organe et se faire greffer.

C’est dans ce contexte qu’a été déposée le 15 septembre 2020 la proposition de loi n° 3316 visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens ([1]).

Toutefois, à la suite de son examen en commission des affaires sociales le 31 mars 2021, il nous est apparu qu’il était utile à la fois d’améliorer et de simplifier le dispositif juridique proposé ainsi que de compléter l’exposé des motifs. C’est pourquoi il a été décidé de déposer une nouvelle proposition de loi « visant à s’assurer du respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens ».

En revanche ses auteurs assument pleinement le fait que l’exposé des motifs développe un argumentaire donnant une place prépondérante à la situation en République Populaire de Chine (RPC), et cela pour trois raisons.

 Première raison 

À la différence de la plupart des pays meurtris par le fléau du trafic d’organes, du tourisme de transplantation et du prélèvement forcé, la situation de la République Populaire de Chine est singulière car ces actes ne sont pas le fait d’organisations criminelles indépendantes mais sont directement organisés par l’État. Comme en fait état le China Tribunal (un tribunal indépendant basé à Londres aux fins d’enquêter sur la pratique du prélèvement forcé d’organes en Chine) dans son jugement publié en 2019 :

« Sur cette merveilleuse terre diversifiée et cultivée qu’est la Chine où, aujourd’hui, la RPC et le PCC sont sans doute impliqués dans beaucoup plus de domaines de la vie que dans d’autres pays, tous ceux qui interagissent de manière substantielle avec la RPC, y compris :

 Médecins et institutions médicales ;

 L’industrie et les entreprises, plus particulièrement les compagnies aériennes, les agences de voyages, les entreprises de services financiers, les cabinets d’avocats et les sociétés pharmaceutiques et les compagnies d’assurance et les touristes individuels,

 Établissements d’enseignement ;

 Établissements artistiques

devraient maintenant reconnaitre qu’ils interagissent, dans la mesure révélée cidessus, avec un État criminel. ([2]) »

Le cas le plus grave de tourisme de transplantation et de pratiques de transplantation illégales est bien celui de la République Populaire de Chine, car il va de pair avec les prélèvements forcés d’organes sur les prisonniers, notamment de conscience, sans consentement « libre et éclairé » au sens du droit international et du droit français. La Chine a produit en 2007 une première loi règlementant la transplantation, et n’a officiellement interdit qu’en 2015 le prélèvement des organes des prisonniers exécutés, une mise en œuvre dont la légèreté est critiquée jusque dans la presse chinoise. Des enquêtes indépendantes ont cependant soutenu que les prélèvements d’organes sur les prisonniers d’opinion se poursuivaient et s’amplifiaient.

De ce fait, il n’est plus possible de fermer les yeux sur ce drame qui existe depuis au moins vingt ans, qui perdure et qui s’amplifie en touchant de nouvelles minorités, notamment au Xinjiang.

 Deuxième raison 

Il est souvent avancé que nous manquons de preuves alors que ces dernières s’accumulent. Il leur sera donc consacrée une partie importante de l’exposé des motifs.

Tout le monde s’accorde sur le fait que la notion de « consentement libre et éclairé » en République Populaire de Chine est très éloignée de la conception française et internationale et que cette notion s’applique aux prisonniers de conscience ou aux citoyens chinois dans leur ensemble.

Tout le monde s’accorde également pour dire qu’en République Populaire de Chine, l’opacité règne.

Certaines voix s’élèvent également pour dire qu’il n’y aurait soi‑disant progressivement plus d’étrangers bénéficiant de transplantations d’organes en République Populaire de Chine, donc plus de tourisme de transplantation, que le système mis en place serait maintenant uniquement réservé aux citoyens chinois car la demande intérieure explose.

Si tel était le cas comment expliquer les publicités sur un site comme http ://www.trankid.com, et par ailleurs en quoi cela « justifierait » le recours à des prélèvements forcés, si ce n’est au nom de la « non‑ingérence », notion répétée inlassablement par les porte‑paroles de la République Populaire de Chine pour refuser toute évaluation et tout contrôle.

Enfin pour justifier le fait que la proposition de loi n° 3316 était d’ores et déjà satisfaite et qu’elle n’avait ainsi pas lieu d’être proposée, il a été mis en avant lors de son examen en Commission des Affaires sociales le 31 mars 2021 le fait que le tourisme de transplantation n’était pas alimenté par des citoyens français.

Dans « l’enquête 2019 relative aux malades greffés d’un rein à l’étranger » réalisée par l’Agence de la biomédecine, il est bien indiqué qu’entre 2017 et 2018, les greffes de ressortissantes et ressortissants français à l’étranger ne concernaient que 6 personnes : trois patients résidants en France avaient été greffés en Turquie ou au Liban, une personne en cours de régularisation avait été greffée en Afghanistan, une personne résidant au Burkina Faso avait été greffée en Égypte, et un patient résidant en Lybie avait indiqué son intention de se faire greffer en Chine mais « n’a plus donné de nouvelles ».

Cette affirmation selon laquelle le tourisme de transplantation n’est pas alimenté à ce jour par des citoyens français est donc vraie.

Cependant, la proposition de loi n° 3316 n’avait pas pour objectif de ne viser que le tourisme de transplantation pratiqué par des ressortissants français ou en faveur de ressortissants français, car il est de notre devoir, comme d’autres pays l’ont fait, de nous soucier de ce fléau et de tout faire pour ne pas en être les complices indirects.

 Troisième raison 

Il nous faut donc ouvrir les yeux et nous doter d’outils concrets d’évaluation et de contrôle.

La France a conclu depuis 20 ans un grand nombre de conventions de coopération avec la République Populaire de Chine. Ces dernières portent directement sur l’apprentissage des techniques utilisées lors des prélèvements d’organes, sur des recherches réalisées en commun, ou portent sur des sujets étrangers à cette problématique mais conclues avec des établissements extra‑européens qui ne respectent pas les règles éthiques françaises.

La proposition de loi n° 3316 visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens ainsi que la présente proposition de loi visant à s’assurer du respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens ont donc pour objectif de cibler les conventions de coopérations scientifiques et médicales conclues entre notre pays et les pays extraeuropéens.

Elle propose de disposer d’outils concrets pour évaluer et contrôler les coopérations médicales et scientifiques officielles conclues entre des établissements français et des établissements de pays extra‑européens afin que nos médecins et chercheurs ne soient pas indirectement complices d’éventuels « crimes contre l’humanité ».

Enfin elle propose, qu’en cas d’impossibilité d’évaluer et contrôler, les conventions de coopération puissent être remises en cause.

Cela dans l’esprit du devoir de vigilance et de RSE (responsabilité sociale des entreprises) qui se doit de s’appliquer à la sphère privée comme publique.

Chapitre 1er : Le prélèvement forcé d’organes en Chine : un fléau documenté depuis 2006

Dans la mesure où il est fait régulièrement état de doutes sur l’existence d’éléments permettant de prouver que le prélèvement forcé d’organes est une pratique institutionnalisée et industrialisée par la Chine, l’exposé des motifs de cette nouvelle proposition de loi entend lever les doutes à ce sujet, et démontrer que, contrairement à ce qui a été suggéré en Commission des Affaires sociales, la proposition de loi n° 3316 visant à garantir le respect éthique du don d’organes par nos partenaires non européens n’est tout simplement pas « satisfaite ».

Preuve n° 1 : le nombre de transplantations organisées chaque année

Plusieurs enquêtes indépendantes ont été publiées depuis 2006, dont celle des deux canadiens David Kilgour, ancien secrétaire d’État pour l’Asie Pacifique, et David Matas, avocat international des droits de l’Homme. Dans leur rapport documenté de 817 pages remis à jour en 2016, ils estimaient que chaque année la Chine effectuait entre 60 000 et 100 000 transplantations clandestines ([3]). Selon la Fondation chinoise sur le Développement de la transplantation d’organes, 24 112 organes ont été donnés par les citoyens chinois après leur mort entre janvier 2015 et décembre 2019([4]).

Le journaliste d’investigation et nominé au Prix Nobel 2017 M. Ethan Gutmann, qui a co‑écrit ce rapport réactualisé, a également publié en 2014 « l’Abattoir », un livre qui est l’aboutissement de sept années de recherches et d’enquêtes sur les prélèvements d’organes en Chine sur les prisonniers de conscience[5].

Preuve n° 2 : les enquêtes sur les « camps de rééducation » dans le Xinjiang

  1. Les disparitions

En 2020, Ethan Gutmann s’est rendu au Kazakhstan dans les camps de réfugiés kazakhs dont certains avaient été détenus dans les camps du Xinjiang afin d’enquêter sur les prélèvements forcés d’organes dans ces camps de détention. Il est arrivé à la conclusion qu’il existe deux types de disparition dans ces camps ([6]) :

 Les personnes âgées de 17 à 19 ans en moyenne, auxquelles on annonce régulièrement qu’elles sont « diplômées ». Cette annonce se fait généralement à l’heure du déjeuner. Elles vont en fait être exploitées pour leur travail dans une usine à l’Est du Xinjiang.

 Les personnes âgées de 25 à 35 ans. L’âge moyen de 28/29 ans est le stade de développement physique idéal pour le prélèvement forcé d’organes sains et matures. Ces personnes disparaissent en plein milieu de la nuit. On peut observer que ces « disparitions » ont lieu de manière homéopathique et régulière. Ethan Gutmann indique en effet qu’il y aurait entre 2,5 % et 5 % de disparitions par an et par camp pour cette tranche d’âge. Cela permettrait ainsi de ne pas éveiller les soupçons.

  1. Les tests médicaux et les témoignages

Face à l’inaction de la communauté internationale qui aurait dû réagir depuis longtemps et réaliser à son tour des enquêtes, un tribunal indépendant s’est constitué à Londres, le China Tribunal, présidé par Sir Geoffrey Nice, ancien procureur du Tribunal pour l’ex‑Yougoslavie.

Parmi les nombreux documents méticuleusement examinés par le China Tribunal figuraient des témoignages sur les tests médicaux subis par les pratiquants du Falun Gong, mais aussi par les Ouïghours emprisonnés dans les camps du Xinjiang. Certains extraits de ces témoignages ont été recensés dans un document par l’association ETAC (End Transplant Abuse in China[7]). Dans ce dernier, il est possible d’y lire, par exemple, que Mme Zumuret Dawut, ouïghoure incarcérée durant 3 mois dans la prison de Beyzen, dans le Xinjiang, a dû subir des tests médicaux et en particulier des examens au rayonsX de ses organes. Une pratiquante du Falun Gong, Mme Liu Yumei, incarcérée pendant plus de 2 ans, a affirmé que la police l’avait menacée en lui disant que si elle ne lui disait pas son nom et son adresse, tous ses organes seraient récoltés et sa famille ne serait pas en mesure de retrouver son corps.

Dans son livre Condamnée à l’exil, Sayragul Sauytbay, kazakhe née au Turkestan oriental, écrit que dans les années 1990, « au Turkestan oriental, tout le monde parle de la disparition d’adeptes du Falun Gong et d’autres individus diabolisés par Jiang Zemin, à l’époque le chef du Parti. On sait que la Chine transplante bien plus d’organes que les donneurs consentants et les victimes d’exécution n’en fournissent officiellement. […] En Chine, le lucratif trafic d’organes n’est donc pas le fait de bandes organisées, mais du PCC [Parti Communiste Chinois] luimême. ([8]) »

Notons que deux associations ouïghoures – le gouvernement du Turkestan oriental en exil (ETGE) et le Mouvement d’éveil national du Turkestan oriental (ETNAM) – ont porté plainte auprès de la Cour pénale internationale (CPI) en juillet 2020 pour crimes contre l’humanité contre l’État chinois ([9]). Dans le communiqué de presse publié le 6 juillet 2020 par l’ETGE, le prélèvement d’organes fait partie des crimes qui devraient faire l’objet d’une enquête de la part de la CPI ([10]).

  1. L’organisation spatiale des camps

Ethan Gutmann a également révélé dans son rapport synthétique de décembre 2020 intitulé « 9 points sur le prélèvement d’organes au Xinjiang (Turkestan oriental) » ([11]), que l’organisation géographique de certains camps était un indice frappant de la pratique de prélèvement forcé d’organes organisée sur les minorités musulmanes de cette région autonome chinoise.

Il prend notamment l’exemple de la préfecture d’Aksu, dans laquelle il est possible de voir - grâce à des images satellites – une organisation particulièrement morbide. Sur une surface de seulement 1km2 se trouvent deux camps de détention – l’un peuplé de 16 000 prisonniers et l’autre de 33 000 prisonniers - l’hôpital pour les maladies infectieuses d’Aksu, et au nord, à 900 mètres des deux camps, se trouve un immense crématorium. Ethan Gutmann démontre également que l’hôpital pour les maladies infectieuses d’Aksu n’est qu’à 20 minutes de voiture de l’aéroport, et qu’un « canal vert » a été établi par la compagnie aérienne China Southern Airlines.

Ce « canal vert » fait référence aux autres « passages verts » (« green passages » dans le rapport de l’auteur) qui ont été construits pour faire parvenir les organes prélevés sur les prisonniers du Xinjiang vers les hôpitaux côtiers chinois. Ethan Gutmann explique que ces premiers passages ont été initiés en Chine orientale en 2016 par le chirurgien cardiaque le plus prolifique de Chine : le Dr Chen Jingsu de l’hôpital populaire de Wuxi, et par la compagnie aérienne China Southern Airlines.

Ils sont apparus dans les aéroports de Kashgar et d’Urumqi alors que commençaient à être construits des crématoriums au Xinjiang. Ces liaisons étaient ouvertement étiquetées ainsi : « Passagers Spéciaux, Lignes d’Exportation d’Organes Humains ».

Selon Ethan Gutmann, ces passages ont été construits pour résoudre deux problèmes :

 Le fait que les hôpitaux du Xinjiang n’étaient traditionnellement pas considérés comme une destination attrayante pour les riches étrangers pratiquant le tourisme de transplantation.

 Le fait que les organes humains, une fois prélevés, n’ont qu’une courte durée de viabilité avant d’être transplantés (environ 4 heures). Les progrès technologiques au cours des vingt dernières années ont permis de développer des techniques (en particulier l’utilisation de techniques d’oxygénation par membrane extracorporelle, de systèmes de perfusion d’organes et d’appareils portables associés) pouvant être utilisées à la fois pour le prélèvement d’organes vivants et pour le transport des organes sur une longue distance, augmentant ainsi considérablement la viabilité de l’organe (plus de 20 heures), suffisamment longtemps donc pour transporter les organes prélevés dans le Xinjiang vers un hôpital côtier chinois.

Alors que le premier « passage vert » était initié en 2016, Ethan Gutmann a relevé que les exportations d’appareils d’oxygénation à membrane extracorporelle arrivant de l’étranger à destination des hôpitaux de transplantation chinois avaient augmenté entre 2016 et 2019.

Preuve n° 3 : La promotion du tourisme de transplantation à destination des étrangers

Les hôpitaux chinois font publiquement de la publicité sur Internet vantant les délais de transplantation et d’obtention des organes en Chine. Si les enquêtes mentionnées plus haut ont fait état de ces publicités et que les autorités chinoises veillent tout de même à les faire disparaître quand elles attirent trop l’attention, il est toujours possible de consulter certains sites qui font la promotion du tourisme de transplantation.

C’est par exemple le cas du site http ://www.trankid.com, directement disponible en anglais mais qui peut également être traduit en arabe. Il est indiqué noir sur blanc que les transplantations de reins, de poumons et de cœurs proposées sont à destination des patients étrangers.

Preuve n° 4 : Les délais de transplantation d’organes

Les délais d’attente pour une greffe sont extrêmement courts, douze jours en moyenne. C’est d’ailleurs ce qu’avoue une infirmière sino‑coréenne travaillant dans un hôpital chinois autorisé à pratiquer la transplantation d’organes. Dans une enquête en caméra cachée tournée en 2017 pour l’émission de la télévision coréenne Chosun ([12]), elle affirmait ceci : « En Chine, les organes arrivent facilement, je ne sais pas d’où ils viennent. Cela prend juste deux heures pour eux d’amener des organes frais ici. […] Certaines opérations prennent une semaine, si vous êtes chanceux, deux jours, mais c’est aussi possible de devoir attendre un ou deux mois, ou une semaine, quelques jours, cela dépend. Le seul moyen de faire en sorte que ce soit le plus court possible est de donner de l’argent en espèce au centre. Vous payez la facture et les extras. ».

La formule « les extras » renvoyant bien sûr à une « commission » payée en espèces.

Quand on connaît les délais d’attente d’environ trois ans en Occident, liés au cadre éthique dans lequel les prélèvements doivent être réalisés, ces délais sont en soi des indices inquiétants d’une violation systémique potentielle du consentement libre et éclairé.

Preuve n° 5 : les revues scientifiques internationales retirent des articles de scientifiques et médecins chinois

Mme Wendy Rogers, une bioéthicienne de la Macquarie University à Sydney, élue par Nature.com comme l’une des 10 plus importants chercheurs de l’année 2019 pour sa défense sans faille de l’éthique médicale, a publié en février 2019 dans le BMJ Open une enquête sur 445 publications (de 2000 à 2017) portant sur la transplantation émanant d’équipes scientifiques chinoises. Elle a conclu que dans la très grande majorité des cas les organes utilisés avaient probablement été obtenus sans respect des règles internationales concernant le consentement des donneurs ([13]).

Cette enquête révélait ainsi que dans 92,5 % des cas, les articles omettaient d’indiquer l’origine des organes et dans 99 % des publications il n’est pas fait mention de l’obligation d’obtention du consentement des donneurs. Forts de ces constatations, les auteurs de l’enquête appellent au retrait d’au moins 400 études des revues où elles ont été publiées.

Les revues médicales Transplantation et Plos One ont retiré au mois d’août 2019 quinze articles publiés par des équipes chinoises, où l’utilisation d’organes prélevés chez des condamnés à mort ou des prisonniers politiques non consentants est fortement suspectée ([14]).

Preuve n° 6 : Le cas du docteur Zheng Shusen, spécialiste chinois de la transplantation hépatique

Plusieurs médecins chinois font face à des accusations suite à des enquêtes minutieuses, comme c’est le cas par exemple pour le Dr Zheng Shusen, spécialiste chinois des transplantations hépatiques au Premier Hôpital affilié à l’Université du Zhejiang.

Dans un courrier adressé en 2018 à la Société Internationale de Transplantation, un groupe composé de juristes, universitaires, éthiciens, chercheurs et professionnels de santé appartenant à l’association End Transplant Abuse in China (ETAC), a affirmé que le Dr Zheng a personnellement pratiqué des milliers de transplantations d’organes dans des conditions nonéthiques, organes qui venaient certainement de prisonniers, et plus certainement encore de prisonniers de conscience, qu’il a commis une fraude académique et a fait de fausses déclarations à la revue Liver International, et qu’il a mené des campagnes contre une minorité religieuse suspectée d’être la principale source d’organes à des fins de transplantations non‑éthiques et illégales ([15]).

Par ailleurs, certains de ses articles ont été retirés de plusieurs revues scientifiques internationales car ces dernières ont estimé qu’il n’existait aucune traçabilité de la source des organes utilisés pour les recherches et qu’aucune preuve de consentement du donneur n’avait été donnée. C’est par exemple le cas de la revue Liver International ([16]).

Cependant, le Dr Zheng est, et ce depuis 2017, membre correspondant étranger de notre Académie nationale de médecine([17]).

Dans ce contexte, la députée Frédérique Dumas a écrit un courrier le 17 mai 2021 à l’attention de M. Bernard Charpentier, Président de l’Académie Nationale de Médecine, afin de l’interpeller sur la situation du Dr Zheng. Dans sa réponse datée du 29 mai 2021, M. Bernard Charpentier a avoué que l’Académie n’avait pas eu toutes les informations sur le Dr Zheng lorsqu’il est devenu membre correspondant étranger de l’Académie en 2017. Il a également indiqué que le Bureau de l’Académie avait diligenté une ré‑instruction du dossier du Dr Zheng, qu’il avait saisi le Comité de Déontologie, et que dans l’attente du résultat de ces procédures, les relations entre l’Académie et le Dr Zheng étaient gelées.

Cela démontre bien à quel point nos institutions ne font pas preuve de vigilance et ne disposent pas d’outils leur permettant de s’assurer du respect des principes éthiques.

Preuve n° 7 : Le manque de transparence de la Chine en matière de coopération et l’absence de réciprocité

Le laboratoire P4 de Wuhan livré par la France à la République Populaire de Chine a par exemple mis en lumière les liens entre l’Armée populaire de libération et les milieux scientifiques. Les experts de la Commission interministérielle des biens à double usage (Cibdu) estiment qu’ » il y a un vrai flou sur la destination finale des équipements livrés au laboratoire de Wuhan. Par exemple le nombre de scaphandres pathogènes de classe 4 commandés était bien supérieur aux besoins réels du P4 de Wuhan ». « Il nous était impossible de savoir où ils allaient être utilisés et à quelles fins ». En clair, les experts français redoutaient qu’ils soient utilisés à des fins militaires et non civiles ([18]). Aucunes des demandes de transparence n’ont abouti.

Par ailleurs, en juin 2020, une note de l’ambassade de France en Chine intitulée « La coopération scientifique et universitaire francochinoise à l’épreuve de la nouvelle stratégie nationale d’intégration civilemilitaire » a soulevé ce problème, invitant à un « réexamen » des coopérations ([19]).

En ce qui concerne plus précisément la transplantation d’organes et la mise à exécution des évolutions prévues par la loi de 2015, des doutes profonds ont été émis. Déjà en 2016, plusieurs médecins, professeurs et chercheurs dans le domaine médical, avaient écrit un article dans l’American journal of transplantation dans lequel ils affirmaient ceci : « Cet article exprime le point de vue que, dans le contexte actuel, il n’est pas possible de vérifier la véracité des changements annoncés et il demeure prématuré d’inclure la Chine comme partenaire éthique dans la communauté internationale des transplantations. Jusqu’à ce que nous ayons des preuves indépendantes et objectives d’une complète cessation de prélèvements d’organes non‑éthiques sur les prisonniers, la communauté médicale a la responsabilité professionnelle de maintenir un embargo académique sur les professionnels de la transplantation chinois. ([20]) »

Malgré cette sérieuse mise en garde, suite à une conférence internationale sur la transplantation d’organes organisée par l’association Transplantation Society en 2016, et à la participation de médecins chinois et de représentants chinois, certains médias chinois ont conclu que les techniques de transplantation chinoises étaient acceptées par la Transplantation Society. Cependant, le président de la Transplantation Society, M. O’Connell, a démenti ces affirmations. Il a au contraire affirmé avoir déclaré aux présentateurs chinois que l’utilisation, durant plusieurs décennies, d’organes de prisonniers exécutés dans leur pays avait horrifié le reste du monde ([21]).

En mai 2018, lors du 71ème congrès mondial de la santé à Genève, l’Organisation Mondiale de la Santé (OMS) et la République Populaire de Chine ont affirmé que le système chinois de transplantation d’organes respecte l’éthique médicale et scientifique[22] alors qu’en 2019, le ministre des affaires étrangères du Royaume‑Uni a révélé aux lords anglais que l’OMS avait fait savoir qu’elle fondait son évaluation sur le système de transplantation d’organes de la Chine, à partir des informations fournies par la Chine seule, et alors que comme nous le verrons ci‑dessous, le Conseil de l’Europe dans sa résolution n° 2327 votée en 2020 recommande de faire preuve d’une grande prudence « en ce qui concerne la coopération avec le « China Organ Transplant Response System » (Système de réponse des greffes d’organes en Chine) et la Croix‑Rouge chinoise ».

Une étude scientifique de messieurs Matthew P. Robertson, Raymond L. Hinde et Jacob Lavee publiée en 2019 dans la revue BMC Medical Ethics et intitulée « L’analyse des données officielles chinoises sur les dons d’organes de personnes décédées jette par ailleurs un doute sur la crédibilité de la réforme sur la transplantation d’organes en Chine ». Elle concluait que « la seule explication plausible qu’il est possible de donner aux éléments étudiés par les auteurs est que les données officielles de transplantation d’organes sont falsifiées et manipulées systématiquement en Chine. Certains donneurs apparemment non volontaires semblent être également classés à tort comme volontaire ([23]). » De plus, en analysant les chiffres officiels chinois sur le don d’organes, les chercheurs se sont rendus compte que ces chiffres correspondaient à une fonction mathématique simple et donnaient alors une courbe mathématique parfaite. Par exemple, concernant les chiffres du China Organ Transplant Response System présentés par Huang Jiefu au Vatican en février 2017, les chercheurs indiquent que « la procédure d’analyse des données décrite dans les « Méthodes » révèle que les données présentent une adhérence extrêmement étroite à une fonction mathématique simple, en particulier une équation quadratique. Il n’y a aucune raison particulière pour que le taux de croissance d’une grande industrie complexe et géographiquement dispersée adhère si étroitement à une fonction mathématique simple (c’estàdire une fonction mathématique avec peu de paramètres). »

Le journal officiel chinois Global Times affirme que cette étude a été adressée à M. Jose Nuñez, conseiller de l’OMS sur la transplantation d’organes qui aurait donc dû alerter l’OMS. Ce dernier aurait affirmé l’avoir bien reçue, mais ne pas y avoir répondu, en notant que rien ne remettait en cause les données chinoises ([24]).

Cela pose donc bien sûr la question de l’indépendance de ces évaluations et de la fiabilité de ces informations, d’autant plus qu’en mars 2021, le directeur de l’OMS a dénoncé le manque de transparence et d’accès aux données chinoises au retour de la mission des experts envoyés en Chine pour faire la lumière sur l’origine de la Covid‑19.

L’étude menée conjointement par l’Organisation mondiale de la santé et des experts chinois privilégie l’hypothèse d’une transmission à l’homme par un animal intermédiaire.

L’origine précise de la pandémie de Covid19 demeure inconnue, aucune preuve solide ne permettant de valider les hypothèses. De nombreux scientifiques réclament une enquête indépendante, libérée des obstacles posés par les autorités chinoises. Car les négligences observées à Wuhan interrogent sur les manipulations génétiques effectuées dans ce laboratoire, comme dans ceux du même type à travers le monde.

Face à ces preuves, les conclusions du China Tribunal :

« Les prélèvements d’organes, sans consentement libre et éclairé, sont bien des prélèvements forcés qui constituent une atteinte gravissime à la dignité humaine et au droit à la vie des personnes. »

C’est notamment ce qui a été réaffirmé par le China Tribunal présidé par le magistrat Sir Geoffrey Nice, ancien procureur général du Tribunal pénal international sur l’ex‑Yougoslavie. Constitué à Londres en 2018, il a analysé tous les éléments existants et apportés comme preuves jusqu’en juin 2019. Il a conclu dans son jugement du 17 juin 2019, « à l’unanimité, et audelà de tout doute raisonnable, qu’en Chine, le prélèvement forcé d’organes sur des prisonniers d’opinion est pratiqué depuis un certain temps sur un très grand nombre de victimes ([25]). » Le Tribunal a dénoncé par ailleurs le fait que la République populaire de Chine se soit rendue coupable de crimes contre l’humanité en incitant activement « à la persécution, à l’emprisonnement, au meurtre, à la torture, et à l’humiliation des pratiquants du mouvement Falun Gong, dans le seul but d’en éliminer la pratique et la croyance ([26]). »

Lors des auditions conduites en vue de l’examen de la proposition de loi n° 3316, a été organisé un webinaire avec trois membres du China Tribunal, M. Martin Elliott, médecin et professeur de chirurgie cardiographique à l’University College London, M. Hamid Sabi, avocat basé à Londres dont les domaines d’expertise principaux sont les droits de l’homme, l’arbitrage et les contentieux, et Sir Geoffrey Nice, président du China Tribunal.

Des mots forts ont été prononcés. Sir Geoffrey Nice a rappelé : « Ne laissez personne dire « Je ne vous crois pas. » Dites : « si vous souhaitez réellement mesurer l’envergure de ce problème de taille, posez une matinée et lisez les 190 premières pages. Il n’y a pas de résumé, vous ne pouvez pas vous contenter d’un résumé si vous souhaitez vous impliquer sérieusement dans ce processus. » Il a précisé : « Nous ne sommes pas des activistes. La seule raison pour laquelle nous faisons cela est que nous avons vu que c’était une question importante à laquelle aucun procédé rationnel n’avait apporté de réponse. » « Il n’est pas possible de laisser les choses continuer sans y apporter rationalité et réponse. » Le professeur Martin Elliot a quant à lui rappelé : « mon métier est de préserver la vie, et non d’y porter atteinte. En premier lieu, de ne pas y nuire. De savoir que mes homologues avaient nui à la vie dans ces conditions, me semble socialement et moralement inacceptable. »

Sir Geoffrey Nice a également annoncé en septembre 2020 la création du Uyghur Tribunal. Tout comme le China Tribunal, il s’agit d’un tribunal populaire indépendant basé au Royaume‑Uni qui vise à examiner les preuves concernant les violations des droits de l’homme commises par la Chine contre le peuple ouïghour et à évaluer si ces abus constituent un génocide en vertu de la convention sur le génocide. Ce tribunal rendra sa décision finale le 9 décembre 2021.

Chapitre 2. L’action internationale, européenne et des autres pays

 La République Populaire de Chine

Devant les réticences de nombreuses entités et associations internationales sur le respect effectif des pratiques éthiques en matière de dons d’organes, le 1er juillet 2020, la Commission nationale de la santé chinoise a annoncé une nouvelle réforme du cadre juridique applicable à la transplantation.

Elle prétextait s’inquiéter de la chute du nombre de donneurs, notamment en raison de l’interdiction de prélèvement d’organes sur les prisonniers exécutés, adoptée officiellement en 2015, mais aussi en raison de la prégnance d’une culture chinoise populaire très réticente à la mutilation post mortem, la Commission cherche à encourager le don d’organes. Dans la version du texte qui était publiée à cette époque, le texte proposait l’interdiction du prélèvement sur les mineurs. Il prévoyait aussi la possibilité, dans son article 8, que lorsqu’un défunt n’a pas exprimé de refus du don de ses organes de son vivant, il soit possible de recourir au consentement de la famille en lieu et place du consentement de la personne décédée. Laquelle disposition interroge, notamment au regard de l’état des lieux des libertés fondamentales en Chine et de la conception de la notion de « consentement libre et éclairé ». Par ailleurs, à l’article 2, il était d’ores et déjà prévu que cette loi ne s’appliquera pas à la transplantation de cellules humaines, de cornées, de moelles osseuses et autres tissus humains ([27]).

Il paraît envisageable que ces aménagements de la loi soient proposés afin de justifier ultérieurement une augmentation spectaculaire du nombre de donneurs d’organes. Un article publié dans le journal chinois Global Times semble confirmer cette hypothèse, indiquant : « Alors que le gouvernement chinois a annoncé vendredi la modification de la réglementation sur la transplantation d’organes dans le plan législatif de 2021, le développement rapide de la transplantation d’organes en Chine connaît une nouvelle impulsion […] ([28]). »

En mars 2021, un autre article de ce même journal faisait état de la suggestion du député Chen Jingyu, expert en chirurgie cardiothoracique et vice‑président de l’hôpital populaire de Wuxi (Jiangsu), pour lutter contre le faible taux de dons d’organes : inclure le taux de dons d’organes dans les critères de détermination d’une ville civilisée, ce qui signifierait que « le taux de dons d’organes d’une ville doit dépasser le taux de dons moyen national de l’année précédente pour répondre à la norme. » ([29]) Cette « politique du chiffre » pourrait non pas pousser les Chinois à faire don de leurs organes, mais pousser les autorités locales à falsifier les données et classer des « donneurs » non volontaires parmi les donneurs volontaires.

La République Populaire de Chine a annoncé à plusieurs reprises vouloir être un des premiers pays en termes de transplantation. C’est notamment le cas d’Huang Jiefu, ancien vice‑ministre chinois de la Santé et responsable du programme de transplantation d’organes qui déclarait le 26 juillet 2017 à Pékin : « la Chine devrait être le premier pays pour les dons d’organes d’ici 2020 ([30]). »

 L’Organisation des Nations unies

Dans une déclaration datant du 14 juin 2021 ([31]), des experts des droits de l’Homme des Nations unies ont fait connaître leurs vives inquiétudes quant à la pratique du prélèvement forcé d’organes sur les minorités chinoises détenues en Chine, incluant les pratiquants du Falun Gong, les Ouïghours, les Tibétains, les musulmans et les chrétiens. Les experts ont affirmé avoir reçu des « informations crédibles » selon lesquelles des détenus appartenant à des minorités ethniques, linguistiques ou religieuses pourraient être soumis de force à des tests sanguins, des examens d’organes sans leur consentement éclairé, tandis que les autres détenus ne sont pas tenus de se soumettre à de tels examens. Ils ont précisé que les examens seraient enregistrés dans une base de données de sources d’organes vivants qui facilite l’attribution des organes.

 Le Conseil de l’Europe

  1. La Convention dite de « Saint Jacques de Compostelle »

Le Conseil de l’Europe a élaboré la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains (« Convention de Saint Jacques de Compostelle »), qui affirme dans son préambule que le trafic d’organes est considéré comme une « menace mondiale » contre laquelle les pays européens doivent lutter « de manière efficace ». Cette Convention, a été ouverte à la signature le 25 mars 2015. Elle a comme objectif de « prévenir et combattre le trafic d’organes humains en prévoyant l’incrimination de certains actes » ; de « protéger les droits des victimes des infractions » qu’elle mentionne en son sein, et de « faciliter la coopération aux niveaux national et international pour la lutte contre le trafic d’organes humains. » ([32])

La France a signé cette Convention en 2019. Refusant de modifier son droit interne, elle a cependant émis des réserves qui rendent difficile voire impossible la traduction devant la justice en France des personnes impliquées dans le tourisme de transplantation et le trafic d’organes ([33]).

La Convention prévoit en effet que « chaque partie prend les mesures législatives nécessaires pour ériger en infraction pénale la tentative intentionnelle de commettre toute infraction pénale établie conformément à la présente convention. » Or la France a émis une réserve sur ce point. Ainsi, la France n’érigera pas en infraction pénale la tentative intentionnelle de solliciter et de recruter de façon illicite des donneurs et des receveurs d’organes en vue d’un profit ou d’un avantage comparable, soit pour la personne qui sollicite ou recrute, soit pour une tierce personne. Elle n’érigera pas en infraction pénale la tentative intentionnelle de corrompre des professionnels de santé, de fonctionnaires ou de personnes travaillant pour une entité du secteur privé, dans le but de prélever ou implanter un organe humain de manière illicite. Enfin, la France n’érigera pas en infraction pénale la tentative intentionnelle de la part de professionnels de santé, de fonctionnaires ou de personnes appartenant à une entité du secteur privé de solliciter ou recevoir un avantage indu dans le but de prélever ou implanter un organe humain de manière illicite.

La France se réserve également le droit de ne pas ériger en infraction pénale la tentative intentionnelle de préparation, de préservation, de stockage, de transport, de transfert, de réception, d’importation et d’exportation d’organes humains prélevés de manière illicite.

La Convention prévoit que chaque partie prenne les mesures nécessaires pour ne pas conditionner, dans le cas où un ressortissant d’un pays commet une infraction définie par la Convention dans un autre pays, l’établissement de sa compétence à l’existence d’une plainte de la victime ou d’une dénonciation des autorités de l’État dans lequel l’infraction a lieu. La France a émis une réserve sur ce point et a déclaré qu’elle n’exercera sa compétence qu’aux conditions suivantes : l’infraction commise par un ressortissant doit également être punie par le pays dans lequel elle a eu lieu, une plainte de la victime ou de ses ayants droit doit avoir eu lieu dans ce pays ou ce pays doit avoir dénoncé officiellement l’infraction.

Comment peut‑on seulement imaginer qu’une personne détenue dans un « camp de rééducation », comme c’est le cas en République Populaire de Chine avec les minorités du Xinjiang, ou qu’un prisonnier de conscience, puisse porter plainte dans les pays où par ailleurs la notion de consentement libre et éclairé est pour le moins inexistante ?

Enfin, la France n’établira pas sa compétence lorsque l’infraction est commise par une personne ayant sa résidence habituelle sur son territoire.

Les réserves de la France limitent donc également la portée de la convention dans de nombreux pays. En effet, certains États dans lesquels il existe un trafic d’organes humains ne disposent pas, soit de la volonté ou des ressources nécessaires pour mener à bien les enquêtes, soit d’un cadre juridique approprié. Ainsi le fait que la France se dessaisisse de certaines de ses responsabilités, notamment en matière de poursuite de ses ressortissants impliqués dans des activités illicites, affaiblit la convention en tant qu’outil de lutte contre le trafic d’organes au niveau international.

  1. La Convention dite « d’Oviedo »

La France a signé la Convention dite « d’Oviedo » en 1997 et l’a ratifiée en 2011 ([34]). Cette Convention pour la protection des droits de l’Homme et de la dignité de l’être humain à l’égard des applications de la biologie et de la médecine : Convention sur les droits de l’homme et la biomédecine, a ensuite été complétée par quatre protocoles additionnels :

 Le protocole additionnel portant interdiction du clonage d’êtres humains ;

 Le protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine ;

-         Le protocole additionnel relatif aux tests génétiques à des fins médicales ;

 Le protocole additionnel relatif à la recherche biomédicale.

Sur ces quatre protocoles additionnels, la France a signé les trois premiers sans ne jamais les ratifier, et n’a pas signé celui relatif à la recherche biomédicale.

Par ailleurs, la France a émis des réserves sur certaines dispositions de la Convention d’Oviedo ([35]). Elle a en effet déclaré en 2011 qu’elle « appliquera la dérogation prévue à l’article 20.2 autorisant à titre exceptionnel le prélèvement de tissus régénérables sur les personnes n’ayant pas la capacité de consentir, aux personnes mineures non seulement lorsque le receveur est un cousin ou une cousine germaine, un oncle ou une tante, un neveu ou une nièce. » La France a également déclaré que « La législation française (loi n° 2004‑800 du 6 août 2004 complétée par la loi n° 2011‑814 du 7 juillet 2011) est aujourd’hui moins restrictive que la Convention. Elle étend la possibilité du don de cellules souches hématopoïétiques prélevées dans la moelle osseuse à d’autres niveaux de parentèle et autorise, en particulier, le prélèvement sur un mineur, au bénéfice non seulement des frères et sœurs mais également au bénéfice des cousins ou cousines, des oncles ou tantes, des neveux ou nièces. Cette extension qui ne remet pas fondamentalement en cause le principe posé à l’article 20 de la Convention est apparue justifiée au législateur français d’un point de vue médical (risque bénin pour le donneur mais bénéfice important pour le receveur) d’autant que des garanties éthiques et de protection du donneur supplémentaires sont prévues dans le dispositif. »

  1. La résolution n° 2327 sur le tourisme pour la transplantation d’organes

La résolution 2327 ([36]) proposée en 2016 et votée par l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe en janvier 2020 a recommandé aux États membres de signer et ratifier un ensemble de textes internationaux en particulier, en évoquant notamment la Convention du Conseil de l’Europe contre le trafic d’organes humains mais aussi le protocole additionnel relatif à la transplantation d’organes et de tissus d’origine humaine que la France a signé en 2011 mais pas ratifié.

En plus d’autres recommandations, l’Assemblée parlementaire estime par cette résolution « qu’il y a un besoin urgent de renforcer le rôle des parlements nationaux dans la lutte contre le tourisme pour la transplantation d’organes » et « les invite à promouvoir la sensibilisation du public, à adopter des lois pertinentes et à ratifier les instruments juridiques internationaux, et à suivre leur mise en œuvre effective. »

Enfin, cette résolution a pris en compte le rapport de 2016 de messieurs Kilgour, Gutmann et Matas puisqu’elle recommande aux États membres du Conseil de l’Europe de faire preuve d’une grande prudence « en ce qui concerne la coopération avec le « China Organ Transplant Response System » (Système de réponse des greffes d’organes en Chine) et la Croix‑Rouge chinoise ».

Le Parlement européen s’est prononcé, en 2013 ([37]) et 2016 ([38]), contre ces pratiques criminelles.

Le Parlement européen, à travers sa résolution de 2013 sur le prélèvement d’organes en Chine, avait notamment manifesté sa profonde inquiétude quant aux rapports crédibles reçus sur la pratique des prélèvements forcés d’organes sur des prisonniers d’opinion en Chine. Il recommandait notamment à l’Union européenne et ses États membres de « condamner publiquement les abus en matière de transplantation d’organes ayant lieu en Chine et d’y sensibiliser leurs citoyens voyageant dans ce pays ».

Dans la résolution de 2016, le Parlement européen, condamnait notamment « le trafic d’organes, de tissus et de cellules d’origine humaine », et soulignait que » d’après un rapport publié par Global Financial Integrity, le trafic d’organes humains figur[ait] parmi les dix premières activités économiques illégales au monde ».

Le 29 novembre 2021, la sous‑commission « droits de l’homme » du Parlement européen a organisé un échange de vue autour des allégations de prélèvements d’organes en Chine et des violations des droits de l’homme qui y sont associées. Lors de cet échange de vue, Sir Geoffrey Nice, président du China Tribunal et du Uyghur Tribunal, et Monsieur Martin Elliot, médecin et professeur de chirurgie cardiographique à l’University College London et membre du China Tribunal, ont pu faire part de leur expertise et témoigner sur ce sujet grave de façon édifiante[39].

 Les mesures nationales prises par d’autres pays

Au RoyaumeUni, le Lord Hunt of Kings Heath a déposé la proposition de loi relative au tourisme d’organes et à l’exhibition de cadavres. Cette proposition de loi est passée en deuxième lecture à la chambre des Lords le 16 juillet 2021. Elle vise à modifier le Human Tissue Act 2004 sur les points particuliers de la transplantation d’organes pratiquée à l’extérieur du Royaume‑Uni et de l’exhibition de cadavres importés au Royaume‑Uni. Pour cette proposition de loi, le Lord Hunt of Kings Heath s’est beaucoup appuyé sur les conclusions du China Tribunal ([40]). Par ailleurs, lors de l’examen du Medecines and Medical Devices Act 2021, présenté par le gouvernement britannique et adopté en février 2021, un amendement du lord Hunt of Kings Heath permettant de prévoir des dispositions concernant l’utilisation de tissus ou de cellules humains dans le cadre des médicaments à usage humain a été adopté ([41]). Il permet donc aux ministres de prendre des dispositions afin de garantir que les tissus, les organes ou cellules humaines importés de l’étranger pour la médicamentation humaine ne puissent entrer sur le territoire du Royaume‑Uni en cas de prélèvement forcé ([42]).

En mars 2021, aux ÉtatsUnis, les sénateurs Tom Cotton et Chris Coons, et les représentants Chris Smith, Tom Suozzi et Vicky Hartzler ont présenté une proposition de loi bicamérale et bipartisane ([43]) ([44]) visant à combattre la pratique du prélèvement forcé d’organes et la traite des personnes à des fins de prélèvement d’organes et à d’autres fins. Cette proposition de loi vise à :

 Autoriser le gouvernement américain à refuser ou à révoquer les passeports des acheteurs d’organes illégaux ;

 Obliger la rédaction d’un rapport annuel sur les prélèvements forcés d’organes dans les pays étrangers, permettant d’identifier les fonctionnaires étrangers et les entités responsables de prélèvements forcés d’organes ;

 Mandater un rapport annuel sur les institutions américaines qui forment des chirurgiens dans le domaine de la transplantation d’organes et qui sont affiliés à des entités étrangères impliquées dans le prélèvement forcé d’organes ;

 Interdire l’exportation de dispositifs de transplantation d’organes vers des entités responsables de prélèvements forcés d’organes ;

 Sanctionner les fonctionnaires et entités étrangers qui pratiquent ou soutiennent le prélèvement forcé d’organes.

Au Canada, la proposition de loi de la sénatrice Salma Ataullahjan modifiant le Code criminel et la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés (trafic d’organes humains) a été adoptée par le Sénat en mai 2021([45]). Cette proposition de loi vise à rendre illégal pour les Canadiens l’achat d’organes sans consentement éclairé et s’attaquer au tourisme de transplantation pour y mettre fin. Elle doit également renforcer la loi sur l’immigration et le statut de réfugié en interdisant l’entrée à une personne sur le territoire du Canada si celleci a participé à des activités liées au trafic d’organes.

En Australie, le 1er décembre 2021, le Sénat a voté à l’unanimité « l’Australian Magnitsky Act ». Il permettra au gouvernement australien de sanctionner des individus et entités responsables de violations des droits humains dans le monde.

Chapitre 3. Face au manque de cadre législatif, les hôpitaux et les scientifiques français se trouvent dans la situation de prendre leurs responsabilités seuls

La France est l’un des principaux partenaires de la Chine dans le domaine médical et scientifique depuis plus de 20 ans. Ce partenariat prend principalement la forme de formations pour les professionnels de santé chinois et la collaboration étroite entre les scientifiques français et chinois.

Dans le cadre de ces partenariats dans le domaine médical, les médecins transplanteurs français se sont rendus en Chine pour former et accompagner leurs collègues chirurgiens chinois. L’objectif de départ de la médecine française était éthique : promouvoir une médecine de meilleur niveau pour tous dans le monde.

La grande majorité des centres hospitaliers français entretiennent et développent des liens étroits avec les centres hospitaliers chinois. De nombreux chirurgiens français continuent à être invités et rémunérés par leurs homologues.

Dans les exemples de partenariats :

– Assistance Publique‑Hôpitaux de Paris avec Peking Union Medical Center et l’Université Jiaotong de Shanghai ;

– les Hôpitaux Universitaires de Strasbourg avec les facultés de médecine de Kunming, Chongqing, Wuhan et Shanghai ;

– le CHRU de Montpellier avec les hôpitaux de la ville de Chengdu et de la ville de Suzhou ;

– le CHU de Nantes avec l’hôpital franco‑chinois de Yantai ;

– le CHU de Toulouse avec l’Hôpital n° 1 et l’université de médecine de Chongqing et avec les hôpitaux de la ville de Chengdu ;

– l’AP‑HM avec le Shanghai Hospital Development Center ;

– le CHU de Bordeaux avec les hôpitaux de la ville de Wuhan ;

– les Hospices Civils de Lyon avec l’Université de médecine Jiaotong et les hôpitaux Ruijin et Renji de Shanghai ;

– le CHU de Grenoble avec les hôpitaux de la ville de Suzhou et ceux de la ville de Zhengjiang ;

– le CHU de Lille avec l’Hôpital central d’Ansha.

En mars 2021, l’association End Transplant Abuse in China (ETAC) a adressé, à l’ensemble des maires qui disposent d’établissements hospitaliers dans leur commune, un courrier dont l’objectif visait qu’en toute transparence, une relecture des niveaux actuels et passés de coopération avec la Chine, permette d’établir pour l’avenir une distance de sécurité dans les partenariats passés par la France avec le régime chinois et ainsi mieux protéger sa souveraineté éthique et déontologique, ainsi que nos médecins.

Dans un courrier envoyé à l’association End Transplant Abuse in China (ETAC) le 30 avril 2021, M. Patrick Nedellec, délégué aux Affaires Européennes et Internationales au Ministère de l’Enseignement Supérieur, de la Recherche et de l’Innovation, écrit ceci :

« D’un point de vue opérationnel, les conventions de partenariat entre un établissement français et un partenaire d’un pays tiers mentionnent explicitement l’obligation des actions de coopération d’être conformes aux lois et règlements français ainsi qu’aux règlements internationaux. Cet encadrement légal se traduit encore par la mise en place de processus d’évaluation éthique au sein des établissements d’enseignement supérieur et de recherche en France, dans lesquels l’origine et les conditions d’obtention des tissus utilisés sont des critères d’attention de premier plan. »

Cependant, cette coopération active se fait bien en l’absence de la mise en place concrète de toute méthode d’évaluation et de contrôle, malgré les engagements pris, et comme l’a révélé au monde entier le cas du laboratoire de haute sécurité biologique P4 de Wuhan, au cœur de la polémique sur l’origine de la pandémie Covid19.

Aussi, certains centres hospitaliers prennent leur responsabilité et décident de ne pas s’engager dans une coopération dans le domaine de la transplantation d’organes avec les hôpitaux chinois du fait du manque de vérification et de transparence de ces hôpitaux.

Dans un article du journal Le Monde publié le 27 novembre 2020 ([46]), Florence Veber, directrice de la délégation aux relations internationales de l’AP‑HP, a déclaré : « Dès la création de notre département international en 2013, nous avons pris la décision de ne jamais travailler sur les greffes d’organes avec les équipes chinoises. En 2015, la Chine a voté une loi interdisant les prélèvements sur les prisonniers, mais c’est resté un sujet de vigilance pour nous. »

Dans un courrier adressé à l’association End Transplant Abuse in China (ETAC) le 21 avril 2021, Mme Monique Sorrentino, directrice générale du CHU de Grenoble, a écrit ceci : « Pour votre parfaite information, la Commission de la santé du Zhejiang nous a mis en contact en 2017 avec l’hôpital n° 1 d’Hangzhou et nous avions envisagé à l’époque d’initier des échanges avec cet établissement dans le domaine de l’hépatologie et de la chirurgie hépatique, ce qui aurait pu nous amener à coopérer en matière de transplantation hépatique. A l’époque, un médecin du CHUGA nous avait transmis une publication scientifique alertant sur les risques de travailler avec la Chine dans le domaine de la transplantation d’organes. Suite à cette alerte, nous avions décidé de ne pas mener d’actions de coopération avec l’hôpital n° 1 d’Hangzhou en hépatologie et en chirurgie hépatique, y compris sur des sujets autres que la transplantation d’organes. »

Mais ces décisions reposent uniquement sur des décisions personnelles et individuelles isolées prises « en conscience » et alors qu’en 2020, la direction générale de l’offre de soins (DGOS) du ministère de la santé a estimé dans un rapport que les coopérations internationales hospitalières faisaient l’objet d’un manque de suivi et d’évaluation ([47]). La question se pose notamment s’agissant de la formation des médecins aux techniques de transplantation d’organes, techniques pouvant facilement être dévoyées.

Le docteur Alexis Génin, directeur des Applications de la recherche à l’Institut du Cerveau a rappelé que de nombreux médecins chinois avaient trahi la confiance que le système de santé français leur avait accordée en utilisant leurs compétences pour procéder aux prélèvements forcés d’organes et alimenter la filière de trafic et de vente d’organes.

En 2013, lors d’un colloque organisé à l’Assemblée nationale, plusieurs médecins français, dont Francis Navarro, Chef de service et médecin transplanteur à Montpellier, le professeur Yves Chapuis, l’un des pionniers de la transplantation d’organes en France, et le professeur Didier Sicard, ancien président du Comité Consultatif National d’Éthique, ont témoigné de la probabilité des prélèvements forcés d’organes sur les prisonniers de conscience, et averti que « les médecins français peuvent être complices des prélèvements d’organes sans le savoir en formant des médecins chinois ».

Durant l’actuelle mandature, plusieurs députés ont posé des questions écrites sur le sujet des prélèvements forcés d’organes en Chine. En 2018, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères a apporté différents éléments de réponse parmi lesquels figurait celuici : « La Chine a rendu illégal le trafic d’organes en 2007 et a officiellement mis fins aux prélèvements d’organes sur des prisonniers exécutés en 2015. La réforme a permis des avancées positives. Aujourd’hui, le système de transplantation est basé sur des dons d’organes » mais conclut : « L’enjeu pour la Chine demeure à présent la pleine mise en œuvre de la loi ([48]). » Non seulement la France ne s’est dotée d’aucun outil concret pour s’assurer d’une quelconque mise en œuvre de la loi visant à rendre illégal le prélèvement forcé d’organes mais elle avoue en 2018 que l’enjeu est toujours bien la mise en œuvre d’une loi adoptée en 2007.

CONCLUSION

Confronté à ces évidences, il est donc nécessaire de modifier le droit interne français, afin d’éviter que les établissements de santé et de recherche publics et privés français soient amenés à se rendre complices de violations des droits de l’homme en matière de transplantation d’organes.

Ce sont donc les contrats de coopération et les accords signés entre les établissements de santé et de recherche français et chinois qui doivent être ciblés.

Et s’il y a bien un moyen de rejeter l’accusation d’ingérence et de mettre en avant des valeurs non négociables pour nous, c’est bien à travers nos accords de coopération scientifiques que nous sommes libres de conclure ou non dans le respect de nos valeurs fondamentales.

Procédé juridique

En droit français, l’article 511‑2 et suivants du code pénal ([49]), sanctionnent l’achat d’un organe et le prélèvement illicite d’organes sur une personne vivante majeure ou sur une personne décédée. Lorsque l’importation d’un organe humain est envisagée, l’article R. 1235‑28 du code de la santé publique fait peser sur l’importateur d’organes l’obligation de s’assurer que les principes éthiques essentiels consacrés par la législation française ont été respectés à l’occasion du prélèvement des organes dans leur pays d’origine. Ainsi, le texte précise que l’importateur d’organes assure que ceux‑ci ont été prélevés avec le consentement préalable du donneur et sans qu’aucun paiement, quelle qu’en soit la forme, n’ait été alloué à ce dernier. Il doit pouvoir justifier qu’il s’en est assuré. Il s’agit donc ici de faire en sorte d’éviter un circuit d’approvisionnement incompatible avec la vision française de l’éthique biomédicale.

L’article L. 6134‑1 du code de la santé publique ([50]) prévoit la possibilité pour les établissements de santé publics ou privés français de signer des conventions de coopération avec des établissements étrangers. Or la signature de ces conventions n’est soumise à aucune condition de vérification du respect de l’éthique biomédicale et scientifique par les établissements étrangers. Si tous les pays avec lesquels la France signe des contrats de partenariats dans le domaine médical et scientifique respectaient les règles d’éthique, cette absence de vérification ne poserait pas problème. Mais tel n’est pas le cas, puisque dans des pays comme la Chine, le manque de transparence du système de santé et la violation des principes essentiels d’éthique médicale et scientifique sont endémiques. Ce sont des constats résultant de l’analyse des enquêtes faites sur les prélèvements d’organes sur des prisonniers de conscience, mais aussi de la gestion par la Chine de l’épidémie du covid‑19.

Au nom de l’universalité des valeurs humaines, en l’absence de toute volonté de transparence de la part de la Chine, au nom du « doute certain » et donc au nom du principe de vigilance qui doit s’appliquer de manière absolue en matière de bioéthique, la signature de conventions et accords de coopération par des établissements de santé et de recherche avec des établissements de pays non membres de l’Union européenne doit être conditionnée à la vérification du respect par les établissements de pays non membres de l’Union européenne, des principes éthiques du don d’organes que sont le consentement du donneur et la gratuité du don (article 1er).

Afin de faciliter le processus de vérification, l’Agence de la biomédecine est chargée de définir une liste de critères employables par les établissements de santé et de recherche. L’objectif est de disposer d’un dispositif opérationnel et facilement utilisable pour procéder au contrôle du respect des règles d’éthique par les établissements de pays non membres de l’Union européenne. L’Agence de la biomédecine, établissement public administratif chargé notamment d’encadrer et d’évaluer le prélèvement et la greffe d’organes et de tissus en France, est apparue comme la plus à même de définir ces critères quitte à élargir ses missions si besoin est.

Il est enfin prévu que les établissements de santé et de recherche présentent une évaluation périodique du respect de ces critères à l’Agence de la biomédecine. L’objectif est d’assurer un contrôle du respect des principes éthiques par les partenaires non européens durant toute la durée de la coopération.

Il ne s’agit en aucun cas de freiner les coopérations entre la France et ses partenaires dans le domaine scientifique et médical. Ces coopérations peuvent constituer un outil de solidarité, de valorisation de l’excellence française dans le domaine de la santé et de diffusion de nos valeurs et principes éthiques.

Il s’agit au contraire de favoriser ces coopérations, dans le respect de nos engagements internationaux.

Il ne s’agit pas non plus de s’ingérer, il s’agit de s’assurer de l’effectivité du respect des principes éthiques auxquels la France a souscrit.

Si l’on suppose, comme certaines et certains l’avancent, que ces vérifications réciproques ne seront jamais respectées, il est alors plus que permis de supposer que c’est parce que nous savons que les principes éthiques auxquels la République Populaire de Chine s’est engagée ne sont pas respectés.

Hannah Arendt a développé en son temps le concept de la « banalité du mal » celui de l’addition de petites lâchetés du quotidien qui conduisent au pire.

Nous y sommes confrontés aujourd’hui et nous ne pourrons pas dire que nous ne savions pas.

proposition de loi

Article 1er

I. ‒ L’article L. 111‑3 du code de la recherche est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« Dans le cadre de la coopération scientifique et technologique mentionnée au premier alinéa du présent article, la signature de conventions ou accords portant sur l’utilisation à des fins scientifiques d’éléments et produits du corps et de leurs dérivés est conditionnée à la vérification par les établissements et organismes de recherche du respect par les personnes de droit public ou privé non membres de l’Union européenne avec lesquels sont signés ces conventions ou accords des dispositions prévues aux articles L. 1211‑2 et L. 1211‑4 du code de la santé publique. Cette vérification s’appuie sur une liste de critères définis par l’Agence de la biomédecine. En l’absence de respect de ces critères par ces personnes, la signature de conventions ou d’accords n’est pas autorisée.

« Selon une périodicité définie par décret, les établissements et organismes de recherche doivent présenter une évaluation à l’Agence de la biomédecine attestant du respect des critères mentionnés au deuxième alinéa du présent article par les personnes de droit public et privé non membres de l’Union européenne avec lesquelles sont signés les conventions ou accords mentionnés au même alinéa. »

II. ‒ L’article L. 6134‑1 du code de la santé publique est complété par deux alinéas ainsi rédigés :

« La signature des conventions mentionnées au deuxième alinéa du présent article relatives à la transplantation d’organes est conditionnée à la vérification par les établissements de santé du respect par les personnes de droit public ou privé non membres de l’Union européenne des dispositions prévues aux articles L. 1211‑2 et L. 1211‑4 du code de la santé publique. Cette vérification s’appuie sur une liste de critères définis par l’Agence de la biomédecine. En l’absence de respect de ces critères par ces personnes, la signature de conventions n’est pas autorisée.

« Selon une périodicité définie par décret, les établissements de santé publics ou privés non lucratifs doivent présenter une évaluation à l’Agence de la biomédecine, attestant du respect des critères mentionnés à l’alinéa précédent par les personnes de droit public ou privé non membres de l’Union européenne avec lesquelles sont signées les conventions mentionnées au même alinéa. »

Article 2

La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/textes/l15b3316_proposition-loi

([2])  https://chinatribunal.com/wp-content/uploads/2019/10/CT-Summary-Final-FR.pdf

([3])  D. Kilgour, E. Gutmann, D. Matas, « Bloody Harvest / The Slaughter, An Update”, 2016, p.364 https://endtransplantabuse.org/wp-content/uploads/2017/05/Bloody_Harvest-The_Slaughter-2016-Update-V3-and-Addendum-20170430.pdf

([4])  “A total of 24,112 organs have been donated in China over the past 4 years”, Global Times, 19 décembre 2020. https://www.globaltimes.cn/content/1210387.shtml

([5])  Ethan Gutmann, The Slaughter : Mass Killings, Organ Harvedsting and China’s Secret Solution to Its Dissident Problem, ed. Prometheus, 2014.

([6])  Ethan Gutmann, The “nine points” memo : China’s forced organ harvesting in Xinjiang/East Turkestan, 2020, p.9. https://endtransplantabuse.org/wp-content/uploads/2020/12/Chinas-Forced-Organ-Harvesting-from-Uyghurs-Memo-EthanGutmann_ETAC_12Dec2020.pdf

([7]) https://endtransplantabuse.org/wp-content/uploads/2021/04/ETAC-China-Tribunal-Testimonies_Final.pdf

([8])  Sayragul Sauytbay, Alexandra Cavelius, Condamnée à l’exil, Témoignage d’une rescapée de l’enfer des camps chinois, ed. Hugo, 2021.

([9])  Marlise Simons, « Uighur Exiles Push for Court Case Accusing China of Genocide”, The New York Times, 6 juillet 2020, [article consulté le 21 juillet 2021].

([10])  https://east-turkistan.net/press-release-uyghur-genocide-and-crimes-against-humanity-credible-evidence-submitted-to-icc-for-the-first-time-asking-for-investigation-of-chinese-officials/

([11])  Ethan Gutmann, The “nine points” memo : China’s forced organ harvesting in Xinjiang/East Turkestan, 2020, p.8. https://endtransplantabuse.org/wp-content/uploads/2020/12/Chinas-Forced-Organ-Harvesting-from-Uyghurs-Memo-EthanGutmann_ETAC_12Dec2020.pdf

([12])  L’intégralité du documentaire est disponible grâce au lien https://vimeo.com/437123014

([13])  Rogers W, Robertson MP, Ballantyne A, et al., “Compliance with ethical standards in the reporting of donor sources and ethics review in peer-reviewed publications involving organ transplantation in China: a scoping review”, BMJ Open 2019;9;e024473. doi:10.1136/bmjopen-2018,024473, https://bmjopen.bmj.com/content/bmjopen/9/2/e024473.full.pdf

([14])  Dyer O. « Journals retract 15 Chinese transplantation studies over executed prisoner concerns”, BMJ, 2019; 366:l5220 doi:10.1136/bmj.l5220 https://www.bmj.com/content/366/bmj.l5220

([15])  http://gangstersout.com/Zheng.pdf

([16])  Note des éditeurs de la revue M. Mario Mondelli,M.  Zobair Younossi et  M. Francesco Negro, publiée dans Liver International, volume 37, page 768, https://doi.org/10.1111/liv.13400,

([17])  https://www.academie-medecine.fr/composition/membres/membres-etrangers/

([18])  Antoine Izambard, « Derrière le P4 de Wuhan, l’ombre des laboratoires secrets chinois », Challenges, 18.06.2020 [article consulté le 21 juillet 2021], https://www.challenges.fr/monde/asie-pacifique/derriere-le-p4-de-wuhan-l-ombre-des-laboratoires-secrets-chinois_715162

([19])  Jérémy André, “Comment Pékin profite de nos chercheurs”, Le Point, 19.03.2021 [article consulté le 21 juillet 2021], https://www.lepoint.fr/monde/comment-pekin-profite-de-nos-chercheurs-19-03-2021-2418494_24.php

([20])  T. Trey, A. Sharif, A. Schwarz, M. Fiatarone Singh, J. Lavee, “Transplant Medicine in China : Need for Transparency and International Scrutiny Remains”, American Journal of Transplantation, 2016, volume 16, p. 3115-3120. [article consulté le 21 juillet 2021], https://onlinelibrary.wiley.com/doi/epdf/10.1111/ajt.14014

([21])  Didi Kirsten Tatlow, “Chinese Claim That World Accepts Its Organ Transplant System Is Rebutted”, The New York Times, 19.08.2016 [article consulté le 21 juillet 2021]. https://www.nytimes.com/2016/08/20/world/asia/china-hong-kong-organ-transplants.html

([22])  http://www.xinhuanet.com/english/2018-07/10/c_137314418.htm

([23])  Matthew P. Robertson, Raymond L. Hinde, Jacob Lavee, “Analysis of official deceased organ donation data casts doubt on the credibility of China’s organ transplant reform”, BMC Medical Ethics, 2019, [article consulté le 21 juillet 2021], https://bmcmedethics.biomedcentral.com/track/pdf/10.1186/s12910-019-0406-6.pdf

([24])  Zhao Yusha, “Chinese officials rebuke journal organ dotation data accusation”, The Global Times, 08.12.2019, [article consulté le 21 juillet 2021].

([25])  https://chinatribunal.com/wp-content/uploads/2019/10/CT-version-courte-FR.pdf

([26])  https://chinatribunal.com/wp-content/uploads/2019/10/CT-Summary-Final-FR.pdf

([27])  http://www.nhc.gov.cn/wjw/yjzj/202007/fbcaaab5a1d94595a1c6d265ea953518.shtml

([28])  Wan Lin, “China sees fast increase in registered organ donation volunteers, govt to amend organ transplant rules”, Global Times, 13.06.21 [consulté le 02.08.21]. https://www.globaltimes.cn/page/202106/1226043.shtml

([29])  Wan Lin, “China sees fast increase in registered organ donation volunteers, govt to amend organ transplant rules”, Global Times, 13.06.21 [consulté le 02.08.21]. https://www.globaltimes.cn/page/202106/1226043.shtml

([30]) https://www.letemps.ch/opinions/transplantations-dorganes-persona-non-grata-chine-sinvite-cour-grands

([31])  https://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=27167&LangID=E

([32])  Paragraphe 1 de l’article 1 de la Convention.

https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=09000016802e7acd

([33]) https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=declarations-by-treaty&numSte=216&codeNature=0

([34])  Texte de la Convention :

https://rm.coe.int/CoERMPublicCommonSearchServices/DisplayDCTMContent?documentId=090000168007cf99 

([35]) https://www.coe.int/fr/web/conventions/full-list?module=declarations-by-treaty&numSte=164&codeNature=0

([36])  https://assembly.coe.int/nw/xml/XRef/Xref-XML2HTML-FR.asp?fileid=28600&lang=FR

([37]) Résolution du Parlement européen du 12 décembre 2013 sur le prélèvement d’organes en Chine, https://eur-lex.europa.eu/legal-content/FR/TXT/HTML/?uri=CELEX:52013IP0603&from=FR

([38])  Résolution du Parlement européen du 5 juillet 2016 sur la lutte contre la traite des êtres humains dans les relations extérieures de l’Union (2015/2340(INI)). https://www.europarl.europa.eu/doceo/document/TA-8-2016-0300_FR.pdf

([39])  https://multimedia.europarl.europa.eu/fr/subcommittee-on-human-rights_20211129-1645-COMMITTEE-DROI_vd

([40])  https://www.politicshome.com/thehouse/article/we-must-do-more-to-end-forced-organ-harvesting

([41])  https://bills.parliament.uk/bills/2700/stages/12568/amendments/72603

([42])  https://www.theyworkforyou.com/lords/?id=2021-01-12a.696.3

([43])  Proposition de loi déposée à la Chambre des Représentants :

https://www.congress.gov/117/bills/hr1592/BILLS-117hr1592ih.pdf

([44]) Proposition de loi déposée au Sénat : https://www.congress.gov/117/bills/s602/BILLS-117s602is.pdf

([45])  https://parl.ca/DocumentViewer/en/43-2/bill/S-204/third-reading

([46])  Piotr Smolar, “Des députés français s’inquiètent des risques de trafic d’organes en Chine », Le Monde, 27.11.2020 [article consulté le 21 juillet 2021], https://www.lemonde.fr/international/article/2020/11/27/des-deputes-reclament-la-transparence-dans-la-cooperation-scientifique-avec-la-chine_6061359_3210.html

([47])  Direction Générale de l’offre de soins, « Bilan de l’appel à projet Coopération hospitalière internationale », 2020.

([48])  https://cn.ambafrance.org/Prelevement-force-d-organes-en-Chine-Reponse-du-ministere

([49])  https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006070719/LEGISCTA000006165390/?anchor=LEGIARTI000006418864#LEGIARTI000006418864

([50])  https://www.legifrance.gouv.fr/codes/id/LEGIARTI000031929995/2016-01-28