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N° 4834

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

établissant un ratio minimal d’encadrement au chevet dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Caroline FIAT, JeanLuc MÉLENCHON, Mathilde PANOT, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, JeanHugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En début de quinquennat d’Emmanuel Macron, Caroline Fiat détaillait à la tribune de l’hémicycle les 14 besoins fondamentaux de Virginia Anderson non respectés en EHPAD du fait du sous‑financement chronique de ces établissements. Mais en dépit de son alerte, depuis 2017, les témoignages des soignants sur la situation catastrophique en EHPAD continuent de se succéder. Non seulement la maltraitance institutionnelle n’a pas cessé, mais elle a été aggravée par un sous‑financement continu de nos structures, à l’heure même où les premières générations du baby‑boom dépassent 70 ans et commencent, elles aussi, à perdre en autonomie.

Comme le révélait un article de Philippe Baqué paru dans le Monde diplomatique en 2019 : « Le personnel demeure peu formé et très insuffisant pour faire face à cette évolution. En 2006, le plan gouvernemental « Solidarité grand âge » prônait, en prévision du vieillissement de la population, une augmentation significative du personnel des Ehpad. Il se donnait pour objectif à court terme la présence d’un professionnel (tous types de personnel confondus) pour un résident, au lieu du ratio existant à l’époque de 0,57 (cinquantesept équivalents temps plein pour cent résidents). Treize ans plus tard, ce ratio n’est que de 0,61, dont seulement la moitié d’aidessoignants et d’infirmiers. »

Pour pallier le manque de personnel, de nombreux EHPAD ont fait appel aux contrats aidés durant le quinquennat Hollande. Des glissements de tâches ont ainsi été observés, les contrats aidés réalisant le travail des ASH, les ASH celui des aides‑soignantes et ainsi de suite. Si bien que la disparition des contrats aidés durant le quinquennat Macron a porté un coup fatal aux EHPAD, qui conjugué à la crise sanitaire, a profondément heurté les résidents, leurs proches, les soignants et le reste du personnel.

La crise sanitaire n’a fait que révéler les défaillances béantes de notre système de prise en charge de la perte d’autonomie. Les résidents d’EHPAD ont été touchés de plein fouet. Les restrictions sanitaires liées au Covid n’ont fait qu’aggraver le sentiment d’abandon et de maltraitance que subissent les résidents. « Je préfère mourir maintenant dans tes bras plutôt que de vivre plus longtemps làbas », confie ainsi Janine à son fils venu chercher sa mère à l’EHPAD pour la ramener à la maison en février 2021. De leurs côtés les soignants ont vu leur charge de travail augmenter, leurs conditions de travail se dégrader considérablement et in fine, la reconnaissance de leur travail et de leur dévouement arriver très tardivement… une prime Ségur au goût amer.

Le manque de personnel conduit inéluctablement à des accidents de travail, avec un taux plus élevé que dans le BTP !, de l’absentéisme et à des démissions. Un cercle infernal qui a des répercussions catastrophiques sur les résidents.

Voici le témoignage d’un directeur d’EHPAD recueilli par Yves‑Marie Robin : « C’était un matin tôt, aux alentours de 7 heures Les aidessoignantes avaient commencé leur travail. Comme il manquait un tiers du personnel, je suis allé dans les chambres et les couloirs comme d’habitude. Et dans un couloir désert, j’ai vu une ombre. Je me suis approché et ai aperçu une femme. Je me suis mis à courir voyant cette femme s’affaisser. Ses mains se cramponnaient à une rambarde.

Elle était nue, lucide. Elle était très âgée. Elle traînait à ses pieds sa couche souillée. Elle était consciente, ce qui rendait la chose plus insupportable. Ce qui s’est passé est très simple : elle s’est réveillée et personne n’est venu. Donc elle a essayé de se changer toute seule. Elle n’y est pas arrivée. Elle a gardé au pied sa couche. Elle s’est mise nue. Elle est allée dans le couloir pour chercher de l’aide et elle m’a trouvé. Elle avait les mains souillées de selles. Je l’ai prise dans les bras et j’ai appelé à l’aide.

C’est la première image que je garde en tête. Mais il y en a beaucoup d’autres. Cette femme, qui paie quand même 3 000 € par mois, cela pourrait être n’importe qui. Tout le monde est concerné par les Ehpad. (…) Dans un Ehpad commercial, c’est tous les jours comme ça, c’est tous les jours tendu. Le matin quand on arrive, on commence par compter les personnels présents. »

Bien que les EHPAD privés lucratifs soient les moins bien lotis en termes de ratio de personnel par résident, ce type de témoignage ne fait malheureusement pas exception non plus dans les secteurs associatif et public. Et pour cause : le sous‑financement chronique de ces structures par les pouvoirs publics.

Nos personnes âgées ont droit à la dignité. Il est plus que jamais nécessaire de réaliser un grand plan en leur faveur, qui passerait, entre autres, par l’établissement de ratio de personnel par résident, assurant une prise en charge décente de ces derniers.

L’abandon de la loi Grand âge a enterré tout espoir de voir ce plan réalisé sous ce quinquennat. Néanmoins, le groupe de la France Insoumise, par souci de planifier les années à venir, entend réaliser ce grand plan. C’est l’objet de cette proposition de loi qui propose de rendre opposable une norme minimale d’encadrement en personnel « au chevet » des résidents (aides‑soignants et infirmiers) de 0,6 (soit 60 ETP pour 100 résidents), dans un délai de quatre ans maximum, conformément au rapport d’information sur les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes, co‑écrit par Monique Iborra et Caroline Fiat et publié le 14 mars 2018.

Selon les travaux menés par la Fédération hospitalière de France et le Syndicat national de gérontologie clinique (SNGC) en 2009, il est constaté pour les soins d’hygiène qu’un ratio de personnels soignants de :

«  0,6 soignant [60 pour 100 résidents] par résident permet d’assurer une toilette adaptée chaque jour, et un bain tous les 15 jours. Il permet aussi de suivre l’état cutané et d’assurer une prévention d’escarres, des soins de nursing journaliers et un habillage soucieux de l’image corporelle du résident.

«  0,3 soignant [30 pour 100 résidents] n’autorise qu’une seule toilette, aux gestes plus rapides, prodiguée le plus souvent au lit et de manière partielle. En outre le bain n’est plus donné tous les 15 jours (shampoing non fait, soins d’ongles et soins de bouches non faits, entretien de la prothèse dentaire non régulier) et les soins de nursing restent succincts. »

Nous sommes actuellement à un ratio qui n’a pas évolué depuis quatre ans, d’environ 0,25 aide‑soignant (25 pour 100 résidents) et de 0,06 infirmier (6 pour 100 résidents), bien en‑deçà des recommandations. L’imposition d’un ratio de 0,6 revient donc à doubler le taux d’encadrement actuel. Ce ratio permettrait en outre, d’atteindre celui de 1 personnel (tous métiers confondus) pour 1 résident.

L’article L. 314‑2 du code de l’action sociale et des familles établit les règles de compétences en matière tarifaire pour les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes et les petites unités de vie. Il différencie le forfait global relatif aux soins, le forfait global relatif à la dépendance et les tarifs journaliers afférents à un ensemble de prestations relatives à l’hébergement. Ces trois forfaits financent nos EHPAD et nos petites unités de vie.

L’article 1er de cette proposition de loi complète l’article L. 314‑2 précité pour instaurer une norme minimale d’encadrement en personnel « au chevet » (aides‑soignants et infirmiers) de 0,6 (soit 60 ETP pour 100 résidents).

L’article 2 assure le financement de cette mesure par l’affectation du produit de l’impôt de solidarité sur la fortune.

 

 


proposition de loi

Article 1er

I. – L’article L. 314‑2 du code de l’action sociale et des familles est ainsi modifié :

1° La première phrase du 1° est ainsi modifiée :

a) Le mot : « et » est remplacé par le signe : « , » ;

b) Après les mots : « l’article L. 314‑9 », sont insérés les mots : « ainsi qu’un taux minimal d’encadrement des résidents » ;

2° Le 2° est ainsi modifié :

a) Après le mot : « résidents », sont insérés les mots : « et un taux minimal d’encadrement des résidents » ;

b) Après les mots : « Conseil d’État », le signe : « , » est remplacé par les mots : « . Ce forfait est ».

3° L’article L. 314‑2 est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Les taux minimaux d’encadrement mentionnés aux 1° et 2° du I sont déterminés par décret en Conseil d’État de telle manière que chaque établissement ne peut compter moins de six infirmiers ou aides‑soignants en équivalents temps plein pour dix résidents ».

II. – Le I entre en vigueur dans un délai de quatre ans à compter de la promulgation de la présente loi.

Article 2

I. – Le chapitre Ier bis du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts est rétabli dans sa rédaction en vigueur au 31 décembre 2017.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par l’attribution du produit de l’impôt de solidarité sur la fortune mentionné au chapitre I bis du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts tel qu’il résulte du I du présent article.

III. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée par l’augmentation de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par l’attribution du produit de l’impôt de solidarité sur la fortune mentionné au chapitre Ier bis du titre IV de la première partie du livre premier du code général des impôts tel qu’il résulte du I du présent article.