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N° 4837

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 21 décembre 2021.

PROPOSITION DE LOI

visant à redéfinir la pratique avancée infirmière,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Annie CHAPELIER, PierreYves BOURNAZEL, JeanCharles LARSONNEUR, Alexandra LOUIS, Antoine HERTH, Luc LAMIRAULT, M’jid EL GUERRAB, Maud GATEL, Frédérique TUFFNELL, Olivier DAMAISIN, Élisabeth TOUTUTPICARD, Sandrine LE FEUR, Typhanie DEGOIS, JeanLouis TOURAINE, Martine WONNER, Olivier FALORNI, Frédérique DUMAS, Jeanine DUBIÉ, Benoit SIMIAN, Bernard BOULEY, Véronique LOUWAGIE, Bernard PERRUT, Laurence TRASTOURISNART, Delphine BAGARRY, Christine PIRES BEAUNE, MarieNoëlle BATTISTEL, Christophe NAEGELEN, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Jean François MBAYE,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

S’il est un terme qui a fini par s’imposer ces dernières années dans le vocabulaire des professions de santé, c’est bien celui de pratiques avancées.

Que retrouve‑t‑on derrière cette nouvelle dénomination ?

En premier lieu, il est nécessaire de rappeler que ce nom existe depuis plus de 50 ans et qu’il a une reconnaissance désormais internationale.

L’histoire de la pratique avancée se confond avec celle de l’évolution de la médecine et donc des professions de santé. La tendance est de réduire, de plus en plus, le fossé existant entre la profession de médecin et toutes les autres professions de santé, qu’on les appelle non médicales ou paramédicales.

La France a fait le choix sémantique de les appeler auxiliaires médicaux, les subordonnant ainsi au travers de la dénomination aux médecins.

Mais si les mots ont leur importance, en aucune façon ils ne doivent être prétextes à ne pas nous pencher sur le cœur des questionnements, à savoir ceux sur la formation, les compétences, les diplômes et les statuts.

Ceux‑ci nécessitent de profondes et inexorables évolutions, concomitamment à celles des nouvelles technologies, des nouvelles structurations de l’offre de santé et à la redéfinition constante des besoins de santé des populations.

C’est pourquoi, partout dans le monde, la pratique paramédicale a progressé pour permettre à la profession la plus représentative en nombre, les infirmiers, de répondre à des besoins croissants.

En développant leur expertise, en créant des spécialités à la formation pointue, en s’ouvrant à l’exercice exclusif de certaines techniques, certains actes, certaines pratiques jusqu’alors domaine réservé aux médicaux, en élargissant leur champ de compétences, les infirmiers ont créé de nouvelles professions.

Mais bien plus que dans le champ de la spécialisation, c’est bien dans les soins primaires en développant le premier recours que les nouveaux infirmiers en pratiques avancées se sont imposés dans le monde.

Cela s’explique par deux phénomènes :

En effet, le problème de la désertification médicale est devenu mondial et plus aucun pays n’est épargné par cette difficulté. En permettant à la population d’avoir des professionnels de santé en premier recours, les autorisant lors d’une première consultation à avoir un primo diagnostic pour mieux orienter le patient, voire à lui fournir une primo prescription et une prise en charge immédiate dans des conditions parfaitement définies, l’ d’infirmier en pratique avancée (IPA) permet de faire reculer les difficultés d’accès aux soins par un maillage et une présence plus importante.

D’autre part, l’universitarisation partout dans le monde des études des professions de santé (universitarisation qui piétine en France, ce qui explique en partie l’entrée très tardive de la France dans ce champ) a emmené des évolutions et des perspectives pour les professions en leur octroyant des champs de compétences et d’exercice à la hauteur de leur formation et de leur diplôme. Ainsi, la « masterisation » de plus en plus importante de bon nombre d’infirmiers les a emmenés à occuper un champ professionnel plus vaste par une répartition plus harmonieuse dans la graduation des niveaux d’exercice.

Il est intéressant de constater que chaque pays, en fonction de ses capacités de formation et de ses besoins de santé a défini sa propre pratique avancée.

Comme expliqué ci‑dessous, deux grands champs se sont dessinés sur l’exercice de la pratique avancée, deux champs qui se sont retrouvés derrière deux dénominations, résumant autant que faire se peut leur spécificité : la filière d’Infirmière Clinicienne Spécialisée et la filière d’Infirmière Praticienne.

Certains pays se sont emparés de cette terminologie car elle leur a semblée la plus appropriée à leurs besoins. D’autres ont développé les deux, d’autres encore, n’ont pas créé de champs distincts. Les définitions officielles de ces deux entités se décrivent ainsi :

L’infirmière clinicienne spécialisée

Comme son appellation l’indique, l’infirmière clinicienne spécialisée (ICS) est centrée sur un champ bien particulier et donc spécialisé : soins aigus, santé mentale, santé de la femme, santé publique, pédiatrie, gérontologie.

Son activité clinique se déroule auprès des patients dont le diagnostic de pathologie a déjà été posé et qui présentent des situations de soins complexes.

Elle est experte en soins infirmiers, une expertise clinique qui lui donne une légitimité pour intervenir auprès des équipes soignantes : transferts de connaissances, utilisation des données probantes dans la pratique, projet d’amélioration de la qualité, introduction de l’innovation et du changement.

L’infirmière praticienne

L’infirmière praticienne est généraliste et peut donc intervenir auprès de différentes populations. La grande différence par rapport à l’infirmière clinicienne spécialisée tient au fait qu’elle aborde les patients en premier recours, ceux dont le diagnostic n’a pas encore été posé.

En plus de son diagnostic infirmier, elle pose un diagnostic de pathologies. Elle détient un double regard, ce qui favorise une approche globale du patient. L’infirmière praticienne assure la prise en charge du patient et cherche à identifier la nature de ses problèmes de santé.

Ayant accès à la prescription, elle propose ensuite un projet thérapeutique. Elle peut aussi orienter le patient lorsqu’elle estime que son état clinique nécessite d’autres compétences que les siennes. Son focus est centré sur l’activité clinique, elle n’intervient pas auprès des soignants.

Par un rapide tour d’horizon de la pratique avancée de par le monde, je souhaite vous démontrer l’importance qu’il y a à lui apporter une définition adaptée à notre société et à notre système de santé.

S’inspirer des autres oui, les imiter, non.

Exemples de pays où le développement des Infirmières cliniciennes spécialisées a été couronné de succès ([1]) :

République d’Irlande :

La fonction d’ICS est perçue comme un domaine de pointe et définie en matière de pratique infirmière, requérant l’application de connaissances et de compétences spécialisées.

La fonction d’une ICS compte un volet axé sur l’évaluation, la planification, la coordination et la prestation de soins, la promotion de la santé et la pédagogie à l’égard des patients. L’ICS communique et négocie également les décisions, en collaboration avec d’autres professionnels de santé et les prestataires de ressources communautaires. L’ICS travaille en étroite collaboration avec ses collègues médecins et des services paramédicaux et peut modifier les options cliniques prescrites, selon des directives protocolaires convenues.

Japon :

La Japanese Nursing Association (JNA) a créé le système des infirmières cliniciennes spécialisées en 1994 en vue de contribuer au développement de la santé et du bien‑être, mais aussi pour améliorer les sciences infirmières en dépêchant des infirmières cliniciennes spécialisées disposant de connaissances et de compétences approfondies dans des domaines infirmiers bien particuliers et dispensant efficacement des soins infirmiers de haut niveau à la personne, aux familles et aux populations. Selon la définition de la JNA, l’ICS est une infirmière spécialisée et agréée, ayant de grandes compétences en matière de pratique de soins infirmiers dans un domaine spécialisé. Les infirmières spécialisées assument les six fonctions suivantes :

– Assurer une excellente pratique de soins infirmiers à la personne, aux familles et à la population ;

– Conseiller les prestataires de soins, y compris les infirmières ;

– Assurer la coordination entre les professions pluridisciplinaires concernées pour dispenser les soins requis de façon fluide ;

– Résoudre les problèmes de déontologie et les conflits pour protéger les droits de la personne, des familles et de la population ;

– Former les infirmières pour améliorer les soins ;

– Mener des activités de recherche en milieu clinique pour faire progresser et développer les connaissances et les compétences professionnelles.

Il y avait 13 domaines spécialisés en 2018 : oncologie, psychiatriques et de santé mentale, santé communautaire, gérontologie, soins infirmiers infantiles, santé des femmes, maladies chroniques, soins intensifs, lutte contre les infections, santé familiale, à domicile, génétique et situation de catastrophe.

La JNA certifie les infirmières en tant qu’ICS une fois qu’elles ont mené à bien le cursus d’ICS dans le cadre d’un master et réussi l’examen organisé par la JNA.

Turquie :

La spécialisation en soins infirmiers a été définie juridiquement en 2007. Conformément à la loi sur les soins infirmiers, les infirmières ayant terminé leur formation de troisième cycle dans ce domaine sont habilitées à être infirmières spécialisées.

Bien que la formation d’infirmière clinicienne spécialisée existe depuis les années 1960, son poste officiel n’a pas été intégré dans les systèmes de santé. Jusqu’ici, le seul cadre dans lequel les infirmières peuvent utiliser leurs domaines de spécialisation est celui des universités. Récemment, le Département des services de santé du Ministère de la santé a réclamé un plan d’action pour mettre en place des critères pour l’emploi de l’infirmière clinicienne spécialisée dans le cadre d’un poste officiel. En 2019, une équipe spéciale a été chargée, sous l’égide de l’Association turque des infirmières, d’étudier cette possibilité.

ÉtatsUnis d’Amérique :

L’American Association of Colleges of Nursing (AACN) décrit les ICS comme des cliniciennes expertes en soins infirmiers et en pratique infirmière fondés sur des données probantes dans un certain nombre de domaines spécialisés, comme l’oncologie, la pédiatrie, la gériatrie, la psychiatrie/santé mentale, la santé des adultes, les soins actifs/intensifs, la santé des collectivités et autres.

Outre des soins directs aux patients, les ICS enseignent, font du mentorat, de la recherche, conseillent, gèrent et améliorent les systèmes. Capables d’adapter l’exercice de leurs fonctions dans tous les contextes, ces cliniciennes influent énormément sur les résultats en dispensant des consultations d’expert à tous les prestataires de soins et en mettant en place des améliorations dans les systèmes de prestation des soins.

Dans de nombreuses juridictions, les ICS, dispensant des soins directs, procèdent à des évaluations de santé complètes, établissent des diagnostics différentiels et peuvent rédiger des ordonnances. L’autorisation d’établir des ordonnances leur permet de fournir des traitements avec ou sans médicament et de commander des tests diagnostiques et de laboratoire pour traiter et gérer les problèmes de santé spécialisés des patients et des populations.

Exemples de pays disposant d’infirmières praticiennes :

Australie :

En Australie, le titre d’infirmière praticienne (IP) est protégé et seules les infirmières agréées par le National Nursing and Midwifery Registration Board de l’Australian Health Practitioner Regulation Agency peuvent l’utiliser. Un master propre à l’IP au minimum est requis pour exercer la profession. Depuis 2014, l’IP évalue et utilise ses capacités de diagnostic ; planifie les soins et fait participer les autres ; prescrit et applique les interventions thérapeutiques ; et évalue les résultats et améliore la pratique.

Botswana :

L’indépendance du pays, la nécessité d’une réforme des soins de santé et la pénurie de médecins, ont poussé les infirmières à accepter des responsabilités accrues en matière de soins de santé primaires au Botswana, mais en contrepartie, elles ont exigé une formation supplémentaire.

Le premier cursus d’infirmière de famille a été créé à l’Institut des sciences de la santé en 1981, puis révisé en 1991, en 2001 et en 2007. Pour postuler, les candidatures doivent disposer : du diplôme d’infirmière ; d’une expérience de deux ans au minimum comme infirmière ; de l’inscription au Nursing and Advance Diploma in Midwifery Council of Botswana ; et d’un certificat général d’études secondaires au Botswana ou son équivalent.

En outre, l’Université du Botswana propose un master d’infirmière praticienne de médecine de famille, s’efforçant actuellement d’unir les composantes des deux options de formation. Les IP dispensent des soins primaires en consultation externe, dans les cliniques, dans les secteurs industriels, dans les écoles, dans les cabinets privés et plus généralement, dans les cliniques gérées par des infirmières ou des IP. Même si la réussite est au rendez‑vous, des politiques et des systèmes de réglementation plus solides sont nécessaires pour appuyer les IP.

Région des Caraïbes :

Suivant l’exemple des IP aux États‑Unis et avec l’appui de l’Organisation panaméricaine de la santé et du Project Hope, des IP ont été formées en Jamaïque dès 1977, à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines.

À Sainte‑Lucie, à la Dominique et à Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines, les IP sont autorisées à prescrire certains médicaments et exercent principalement dans les établissements de soins de santé primaires, les prescriptions étant établies sur un formulaire spécifique. À Saint‑Vincent‑et‑les Grenadines et à Sainte‑Lucie, elles peuvent développer leurs propres programmes. En 2017, 72 IP jamaïcaines dispensaient des services de santé, essentiellement dans les zones rurales. Parfois, on leur demande de diriger seules les cliniques.

Dans la région Caraïbes, la fonction d’IP est clairement définie. Sa formation n’est proposée que dans l’École des sciences infirmières de l’Université des Indes occidentales, en Jamaïque. Le master, de deux ans, n’est pas financé par l’État. Par conséquent, certaines infirmières ne peuvent pas s’inscrire pour des questions de frais. Une fois le diplôme obtenu, elles reçoivent leur description de poste précisant leur domaine de pratique. Le calendrier de travail mensuel est fixé par le médecin‑chef, l’infirmière principale ou par les IP elles‑mêmes.

Si la Jamaïque est le leader dans la région en matière de formation et d’exercice de la profession d’IP, l’absence de législation continue de poser problème. Depuis 2018, des amendements à la Loi sur les soins infirmiers et obstétriques sont en cours de formulation en Jamaïque et aux Bahamas. La plus forte opposition vient de la communauté médicale.

Exemples de pays combinant Infirmières Cliniciennes Spécialisées et Infirmières Praticiennes :

Canada :

Les ICS ont vu le jour au Canada pour dispenser des soins hautement complexes et spécialisés, développer la pratique des soins infirmiers, soutenir les infirmières dans les points d’accès aux soins et impulser des initiatives pour améliorer la qualité et les pratiques fondées sur des données probantes, en réponse aux progrès de la recherche en matière technologique et de traitement.

Les trois domaines d’activité de l’ICS comprennent la gestion et les soins des populations complexes et vulnérables, la formation et le soutien du personnel interdisciplinaire et l’appui au changement et à l’innovation au sein du système de santé.

Le titre d’ICS au Canada n’est pas protégé et il n’y a toujours pas de programmes de formation normalisés, empêchant la pratique d’ICS de se révéler pleinement. Cette situation des ICS au Canada peut s’expliquer par le fait que certaines infirmières de pratique avancée sont titulaires d’un master et d’autres non, et toutes exercent à titre de spécialistes sans qu’il y ait clairement des possibilités d’évolution professionnelle, de formation, d’accréditation ou de méthodes pour définir quelles infirmières exercent de façon sûre à un niveau avancé. Aussi, le public, les prestataires de soins de santé et les gestionnaires ne savent pas très bien ce que les ICS peuvent offrir, créant des attentes imprécises à l’égard de leur champ de pratique. Cette absence de clarté met en péril le recrutement et la fidélisation des ICS, malgré les éléments de preuve démontrant leur rôle positif dans le pays.

Au Canada, l’IP est la seule fonction d’infirmière de pratique avancée que la réglementation et la protection du titre de la profession placent au‑dessus de l’infirmière généraliste. Les IP peuvent poser un diagnostic de façon autonome, commander et interpréter des tests diagnostiques, prescrire des produits pharmaceutiques et effectuer des interventions spécifiques dans le cadre de leur domaine de pratique prescrit par la loi.

À la suite d’une initiative financée par le gouvernement fédéral (initiative canadienne sur les IP), un cadre d’intégration et de viabilité des fonctions des IP au sein du système de santé canadien, a été élaboré. Les IP exercent désormais dans une grande variété de contextes et de modèles de soins. Le domaine de pratique de l’IP est défini, de même que la description des fonctions communes et de la couverture‑responsabilité. Le pays continue de travailler à l’élimination des obstacles fédéraux et législatifs concernant la diffusion d’échantillons médicaux, les formulaires médicaux relatifs aux dossiers d’invalidité et d’indemnisations liées aux accidents du travail.

NouvelleZélande :

En Nouvelle‑Zélande, la fonction d’ICS n’est pas formellement ou juridiquement définie, ce qui sème la confusion à leur sujet et concernant leur champ de pratique.

Pour qu’une ICS puisse exercer ses fonctions en Nouvelle‑Zélande, les qualifications requises varient d’un employeur à l’autre. Une étude menée sur place, reprenant une étude australienne, a relevé que les champs de pratique d’une IP et d’une ICS peuvent s’imbriquer, sans qu’elles soient toutefois interchangeables. Les conclusions de l’étude révèlent que le poste d’ICS en Nouvelle‑Zélande équivaut à celui d’infirmière clinicienne‑conseil en Australie. Le fait qu’il y ait plus d’ICS en Nouvelle‑Zélande est à mettre en rapport avec des pratiques de recrutement les favorisant, ce qui ouvre des possibilités aux IPA.

La première promotion d’IP en Nouvelle‑Zélande date de 2001. La protection du titre de la profession a d’abord été assurée par le biais d’une marque déposée, mais ce principe n’est plus en vigueur.

En 2015, le Nursing Council of New Zealand (NCNZ) a supprimé les limitations des IP les confinant à un domaine de pratique particulier, en instaurant un nouveau champ de pratique plus général. Désormais, les IP doivent disposer de quatre années d’expérience clinique au minimum, avant de pouvoir s’inscrire à une formation ; d’un master agréé comprenant la pratique avancée et des compétences de prescription de médicaments ; d’une évaluation de compétences d’IP approuvée par un jury agréé ; et d’une inscription auprès du NCNZ.

RoyaumeUni :

Au Royaume‑Uni, la fonction d’infirmière spécialisée a été créée dans les années 1970 et définie comme une combinaison de quatre aspects : clinique, formation, recherche et consultation.

Une étude menée en Angleterre, en Écosse et au pays de Galles a révélé que le travail clinique de l’ICS consistait en grande partie à procéder à des consultations, orienter vers les services spécialisés, soulager les symptômes et effectuer un travail de « secours ». Il a néanmoins été relevé que le travail de l’ICS passe souvent inaperçu car la prise en charge des patients se fait par des voies de soins complexes, ou simplifiées à l’extrême. Par conséquent, les ICS agissent comme des « voies de recours en cas d’échec » pour prévenir les blessures, détecter les symptômes et prévenir les séquelles, anticiper ou traiter les phénomènes iatrogènes et, la plupart du temps, traiter les problèmes avant qu’ils ne se transforment en doléances.

Au Royaume‑Uni, la plupart des ICS n’ont pas le niveau master, ce qui constitue un vrai problème, car cela crée de la confusion et des incohérences au moment où elles doivent traiter des cas compliqués et des problématiques relatives aux systèmes de santé. Le titre d’ICS n’est pas utilisé de façon uniforme dans les quatre pays formant le Royaume‑Uni car il n’y a pas de législation en la matière.

La première promotion d’IP du Royal College of Nursing (RCN), date de 1992.

Durant les premières années de formation, alors que le RCN élaborait un système d’accréditation pour les établissements de formation, les premières compétences pédagogiques ont vu le jour au Royaume‑Uni. Ces compétences étaient axées sur la consultation, le dépistage de maladie, l’examen physique, la gestion des maladies chroniques, la gestion des blessures mineures, l’éducation sanitaire et le conseil.

Après la décentralisation, les quatre États constituant le Royaume‑Uni (Angleterre, Écosse, France du Nord, pays de Galles) ont élaboré leurs propres approches en matière de soins de santé et de services sociaux, mais également en matière de politiques relatives au personnel de pratique infirmière avancée. Par conséquent, les IP ont suivi différentes voies et la formation va d’une approche générique à une tendance forte consistant à commencer la formation au niveau master.

En dépit de l’enthousiasme suscité par cette fonction, il n’y a toujours pas de réglementation relative aux IPA au Royaume‑Uni. Depuis 2017, il est question d’élargir l’horizon de la pratique clinique avancée au Royaume‑Uni. Les divers professionnels de santé non médicaux sont nombreux à s’identifier au domaine de la pratique clinique avancée dans la catégorie multiprofessionnelle plus large, allant jusqu’au personnel paramédical. Par conséquent, l’usage du terme « avancé » dans le titre de la profession varie au sein des établissements et entre ceux‑ci.

L’Angleterre est allée encore plus loin en y incluant les pharmaciens et les travailleurs sociaux. En Écosse, il existe des axes de travail infirmiers et paramédicaux distincts, la pratique commençant à s’étendre à d’autres professionnels paramédicaux. En Irlande du Nord, l’accent est actuellement mis sur les soins infirmiers, mais des débats ont lieu pour l’étendre aux professionnels paramédicaux.

Exemples de pays avec des variantes ou ayant adapté les infirmières de pratique avancée et les infirmières praticiennes :

Allemagne :

Si l’Allemagne progresse en matière d’IPA, la question reste toutefois complexe. Il existe des Conseils de soins infirmiers dans des états particuliers et le processus suit son cours depuis 2016. Les défis que doivent relever les IPA allemandes sont liés à l’enregistrement, la protection du titre de la profession et l’autonomie.

Depuis l’an 2000, il existe des projets et des concepts de modèles pour les IPA dans chaque clinique. Les possibilités d’études dans les différentes villes d’Allemagne augmentent de façon constante. Des prises de position d’associations d’infirmières plaident pour ces fonctions. Le Conseil allemand des experts économiques a appelé à ce que les soins soient mis en œuvre en se fondant sur les données probantes.

HongKong :

L’Administration hospitalière de Hong Kong a mis en place les fonctions d’infirmière spécialisée en 1994, changeant le titre de la profession en IPA en 2000. Elle a ensuite créé un poste d’infirmière‑conseil en 2009, pour aider les IPA à jouer un plus grand rôle dans les services au niveau systémique. L’Administration hospitalière est le prestataire de soins de santé du secteur public. Hong‑Kong dispose également d’un important secteur privé de soins de santé, où les infirmières s’appuient sur leurs compétences avancées, pour soigner les patients dans différentes spécialités et différents contextes.

La Hong Kong Academy of Nursing est dirigée par des infirmières leaders des secteurs public et privé. En 2018, le Gouvernement hongkongais a chargé le Nursing Council of Hong Kong de créer un groupe chargé de définir le domaine de pratique, les compétences fondamentales et les dispositifs de formation, en vue d’établir un registre de pratique avancée relevant du Nursing Council. Il s’agira dans un premier temps d’un régime volontaire, que les autorités publiques pourront ensuite transformer en un régime d’enregistrement systématique.

PaysBas :

Aux Pays‑Bas, la pratique infirmière avancée combine la fonction d’IP à travers les soins directs aux patients et celle d’ICS en étant à la pointe des soins infirmiers, par exemple en améliorant la qualité des soins de santé, en menant des recherches scientifiques et en renforçant la qualité de l’équipe professionnelle.

Le Centre médical universitaire de Groningue a initié la création de cette fonction en 1997, car il souhaitait hisser les soins infirmiers à un niveau avancé. Une nouvelle loi sur les soins de santé a remplacé celle interdisant les soins médicaux dispensés par une personne qui n’est pas médecin. Cela a donné l’occasion aux infirmières d’assurer des services de soins de santé complexes à des groupes de patients bien définis pour améliorer la continuité des soins. Le premier programme de master de l’Université Hanze des sciences appliquées a été créé fin 1997. Le développement de l’IPA, de 1997 à 2019, est en grande partie dû au soutien du Gouvernement néerlandais.

Même si la notion d’infirmière praticienne était connue aux Pays‑Bas, le titre de la profession n’était, ni traduit en néerlandais, ni protégé ; il a donc été nécessaire d’adopter une législation pour cette spécialisation ainsi qu’un processus d’enregistrement. Une définition claire de la pratique infirmière avancée, l’enregistrement officiel (protection du titre de la profession) et l’accréditation pour garantir des soins sûrs et responsables, ont permis des progrès aux Pays‑Bas. En février 2016, environ 2 750 infirmières spécialisées avaient été formées et enregistrées dans le pays. La pénurie de médecins à l’origine de la création de cette fonction aux Pays‑Bas a été résolue, mais le nombre d’infirmières spécialisées continue d’augmenter. Ces infirmières sont reconnues comme des professionnelles assurant des soins de qualité et des conseils avisés.

Singapour :

L’IPA est une profession protégée à Singapour et sa fonction est un mélange d’IPA et d’IP. L’Université nationale de Singapour (NUS), sous l’égide de la Yong Loo Lin School of Medicine, a créé le master en sciences infirmières en 2003. Depuis lors, c’est le seul cursus accrédité par le Singapore Nursing Board (SNB) pour former les IPA et obtenir une certification. Au départ, le programme assurait une formation universitaire en santé des adultes et en santé mentale ; il s’est ensuite étendu aux soins intensifs en 2009 et à la pédiatrie en 2012.

Toutes les IPA doivent exercer un minimum d’heures et obtenir les points de formation continue en soins infirmiers, indispensables pour le renouvellement annuel de leur permis d’exercer en tant qu’IPA sous l’égide du SNB.

En 2018, le Ministère singapourien de la santé, le Alice Lee Centre for Nursing Studies du NUS et le Département de pharmacie du NUS, ont co‑développé et co‑organisé le Programme national de prescription collaboratif (NCPP, National collaborative prescribing programme), d’une durée de trois mois, afin de préparer les IPA et les pharmaciens à établir des prescriptions, conformément à un Accord de pratique de collaboration avec les médecins praticiens. En avril 2019, 74 IPA et pharmaciens avaient suivi le programme et reçu ou attendaient de recevoir l’autorisation de prescrire des médicaments sans avoir à passer par un médecin.

Si cette liste n’est pas exhaustive, elle a le mérite de montrer l’extrême diversité des profils d’infirmiers en pratiques avancées de par le monde. Avec un maitre mot : la personnalisation.

En effet, chaque pays a construit son modèle en fonction de l’histoire de ses formations, de ses besoins et de ses capacités universitaires.

Certains pays ont des modèles de formation des infirmiers très longs (comme le Chili par exemple) avec un statut qui place cette profession dans une catégorie de profession du soin intermédiaire. La pratique avancée ne s’y est donc pas développée de la même façon.

Alors qu’en est‑il en France ?

Depuis de nombreuses années, la pratique avancée est un sujet récurrent au ministère des solidarités et de la santé. Bien des modèles ont été construits pour élaborer le profil de cette nouvelle profession en tenant compte des spécificités françaises.

L’une d’entre elles est la relation médicaux‑non médicaux où la frontière des compétences est très marquée, en particulier au travers de l’acte de prescription.

C’est ce marqueur qui a déterminé l’étendue de l’extension du champ de compétences des infirmiers vers la pratique avancée dans un environnement infirmier déjà très diversifié.

En effet, il existe déjà, en France, trois spécialités infirmières menant à un diplôme d’état :

 Infirmieranesthésiste (IADE) dont la formation de deux années peut être menée après au moins deux ans d’exercice et qui mène à un grade master 2. L’enseignement est conduit au sein des différentes écoles spécialisées, dépendantes des CHU.

 Infirmier de bloc opératoire (IBODE) dont la formation actuelle est de 18 mois. Une réforme est en cours d’achèvement qui devrait mener ces études à deux années avec l’obtention d’un master 2.

– Enfin, les infirmièrespuéricultrices, avec une formation d’un an pouvant être conduite comme les IBODE immédiatement après l’obtention du diplôme d’état d’infirmier, est peut‑être comme le préconise le rapport de l’IGAS de mai 2021 ([2]) la spécialisation qui nécessite le plus urgemment une réingénierie de sa formation avec un allongement à deux années.

Comme on peut le voir, l’hétéroclisme règne dans les spécialisations et leurs niveaux diplômants. Leurs niveaux d’études et leurs statuts sont à chaque fois particuliers. Même l’accès aux formations diffère.

C’est dans ce contexte complexe que le premier décret relatif à l’exercice infirmier en pratique avancée parait le 18 juillet 2018 ([3]).

Il détermine les modalités d’enseignement : à l’inverse des spécialités infirmières, les deux années qui permettent d’obtenir un master 2 en pratiques avancées sont strictement universitaires à savoir une 1ère année d’enseignement commun et une 2e année de spécialisation.

Ces deux années sur les bancs de l’université conduisent en milieu hospitalier, à un statut encore différent des spécialités. Mais l’exercice en pratique avancée n’est possible qu’après trois ans d’exercice infirmier, avant ou après les études, ce qui freine l’entrée dans ces études des jeunes diplômés.

Les débuts sont très timides et seules quelques universités proposent des places réparties entre les trois spécialités :

1° Pathologies chroniques stabilisées ; prévention et polypathologies courantes en soins primaires. La liste des pathologies chroniques stabilisées est établie par arrêté du ministre chargé de la santé ;

2° Oncologie et hémato‑oncologie ;

3° Maladie rénale chronique, dialyse, transplantation rénale.

En 2018, à la première rentrée universitaire, ce sont 65 places qui sont proposées pour plusieurs milliers de candidatures. L’objectif fixé lors du Ségur de la santé porte les effectifs à 3 000 IPA en 2022, puis 5 000 en 2024.

Le succès auprès des personnels de santé est foudroyant bien que la plupart des candidats, tous en activité, doivent prendre à leur frais la formation et l’interruption de travail sur deux années.

Cette réaction souligne, ô combien, les possibilités d’évolution et de montée en compétences sont de puissants leviers d’attractivité dans ces professions.

En 2019, une nouvelle spécialité est proposée, en santé mentale et psychiatrie, avec des validations des acquis de l’expérience (VAE) mobilisées pour les professionnels ayant exercé en milieu psychiatrique ou détenteur de l’ancien diplôme d’infirmier‑psychiatrique.

En octobre 2021, après bien des atermoiements, c’est la nouvelle formation urgentiste qui est mise en place. Celle‑ci, se superposant pour plusieurs actes avec des compétences de spécialités reçoit un accueil très mitigé par les corps infirmiers‑spécialisés tout comme par les médecins urgentistes. Mais comme le souligne Sophie Chrétien de l’ANFIPA : « Nous savons que le cheminement a été long, qu’il y a eu des freins énormes. Pourtant, l’exercice en pratique avancée aux urgences permettra de répondre aux problèmes d’engorgement que rencontrent souvent ces services et donnera l’opportunité aux IPA de démontrer la plusvalue qu’elles peuvent apporter dans la prise en charge des patients. Nous sommes dans une période de changement, et le changement bouscule, crée des résistances. Mais tout finit par s’apaiser ». 

Pour cette spécialisation comme pour les autres, la coexistence avec les autres professions spécialisées ne se fait pas sans heurt. Un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (IGAS) est attendu incessamment afin de dresser le bilan de la pratique avancée et lever les freins à l’implantation de ce mode d’exercice dans le système sanitaire français.

En effet, alors que certains, comme les IADE, ont une formation d’une durée et d’une densité égale à celle des IPA, ils restent sur un grade master 2 et leur statut se situe légèrement en dessous des nouvelles IPA.

Des revendications constantes devant ce qui est perçu comme une injustice qui finit par faire repositionner les indices et les salaires entre les deux filières, sans pour autant entamer une démarche vers une harmonisation qui résoudrait toutes ces incompréhensions.

Cette harmonisation est une des clés de la réingénierie des professions de santé.

Il est nécessaire d’évoluer vers une pratique avancée généralisée. En effet, les effets induits sont nombreux. En permettant (enfin !) aux infirmières ([4]) de s’inscrire dans le schéma licence‑master‑doctorat (LMD) issu des accords de Bologne ([5]), c’est un cadre européen qui est posé pour ces professions leur donnant flexibilité et mobilité avec reconnaissance de leurs diplômes. Elle marque également les spécificités françaises dans un paysage européen très varié, voire disparate en posant les jalons d’une reconnaissance européenne.

Ce point est essentiel tant les professions de santé sont devenues mobiles. Notre retard dans l’inscription des accords de Bologne fait que la grande majorité de nos soignants ne peuvent pas bénéficier d’une réciprocité pour exercer au sein de l’Union Européenne alors que les professionnels étrangers, qui ont suivi des cursus très différents, voire moins exigeants qu’en France, peuvent eux, s’y installer.

L’harmonisation n’est pas l’uniformisation et la France doit évoluer rapidement au niveau du statut universitaire. C’est un des enjeux majeurs de l’attractivité par la reconnaissance statutaire et diplômante.

L’enseignement français dans ces disciplines s’est construit autour d’un enseignement professionnalisant, en instituts de formation en soins infirmiers (les anciennes écoles d’infirmières) puis dans les écoles spécialisées. L’enseignement y est rigoureux, de grande qualité et la formation professionnalisante au travers de nombreux stages est saluée par tous. À l’instar des formations médicales qui alternent enseignements théoriques et stages pratiques, les professions non médicales doivent pouvoir achever leur universitarisation, puis leur intégration universitaire tout en utilisant les centres de formation déjà existants.

En effet, l’argument de la localisation des centres de formation est souvent invoqué pour justifier l’impossibilité d’achever cette universitarisation. Tout comme la société et les professions, les modes d’enseignement universitaire se doivent d’évoluer et de s’ouvrir sur le monde.

Il importe d’apporter la reconnaissance et la considération à de nombreux métiers en leur reconnaissant un diplôme universitaire. Dans un contexte d’européisation et d’internationalisation croissantes, de mobilités professionnelles accrues et d’échanges universitaires, l’universitarisation des professions de santé est une nécessité et une urgence.

Cela doit passer, entre autres, par de nouveaux modèles et maquettes de formation, avec des délocalisations de l’enseignement et des conventionnements avec les universités. Il est essentiel de tenir compte de l’existant pour notre capacité de formation et ne pas envisager l’évolution vers la pratique avancée sur le seul modèle de la création ex nihilo.

L’objectif à atteindre est celui d’une grille de formation avec une reconnaissance universitaire et des perspectives professionnelles, construites sur la structure LMD.

Dans un calendrier relatif à leur niveau actuel et leur réingénierie en cours, il importe de mener l’indispensable intégration dans le modèle de la pratique avancée des spécialités existantes.

Les IPA actuelles, au nombre de quelques centaines, sont à l’heure du bilan. Les difficultés qu’elles rencontrent dans leur installation, dans la tarification de leurs activités ou dans la prise en charge de leur formation sont autant de freins à leur déploiement.

Une autre question majeure est soulevée :

L’élargissement de leurs compétences est‑il en adéquation avec les besoins de santé de la population ? la pratique avancée apporte‑elle une réponse suffisante aux attentes ?

Le choix de ne pas introduire dans cet élargissement de compétences le premier recours est le point principal de questionnement.

En effet, les IPA ont pour objectif de mieux répondre aux besoins de prise en charge en partenariat avec les professions médicales. La délégation de tâches instituée par exemple dans les protocoles de coopération reste de l’ordre du cas par cas et n’est en aucune façon pérenne.

Alors que les besoins de couverture en santé sur nos territoires se font de plus en plus aigus, le déploiement d’IPA est un des points majeurs dans l’éventail des solutions à introduire ; mais pour que leur action sur le terrain fasse réellement la différence, la possibilité du premier recours, pour un bilan puis une prise en charge ou une orientation est primordiale.

De plus, les IPA pourraient investir ce champ complètement délaissé du système de santé français, celui de la prévention, que ce soit en œuvrant auprès des populations (générale ou alors circonscrites comme dans le milieu scolaire ou dans la santé au travail) dans des actions d’éducation à la santé ou de dépistage ou en assurant des missions d’accompagnement en termes de prévention sur le tabac, les addictions, les troubles alimentaires par exemple.

Ces différents aspects du premier recours viennent en totale complémentarité avec les champs de compétence des infirmiers et des médecins en particulier en secteur libéral.

Enfin, partant du principe que la pratique avancée doit devenir l’évolution unique professionnelle pour les infirmier diplômé d’État (IDE), après y avoir intégré les spécialités existantes et élargi leur champ de compétences, il est plus qu’opportun de se pencher vers les secteurs d’activité de santé qui sont le plus en souffrance et nécessiteraient le plus la création de ces corps d’infirmiers en pratiques avancées.

Certains secteurs, sans avoir de spécialités, ont développé des formations et des capacités.

C’est le cas assez emblématique de la santé au travail où la création d’une IPA en santé au travail fait partie des préconisations des différents rapports rendus sur le sujet et dans le projet de loi Santé au travail ([6]).

De même, dans le cadre de la santé scolaire, les conclusions du rapport de la cour des comptes entre autres, vont dans le sens de la création d’une IPA en santé scolaire ([7]).

Enfin, les infirmières hygiénistes, en première ligne lors de la crise du covid au travers des cellules d’hygiène malheureusement insuffisamment déployées sur les territoires souhaitent sur des bases solides et internationales aller vers cette montée en compétence. La création d’une IPA en prévention et contrôle de l’infection ([8]) serait un atout majeur dans la lutte contre les risques émergents et l’antibiorésistance.

Trois champs d’exercice centrés sur la prévention, l’éducation à la santé et le dépistage.

Trois spécialités qui nous permettraient enfin d’accompagner et surveiller au plus près la santé non seulement des individus mais de la population tout entière. Des professionnels de santé publique, chainons trop peu déployés dans notre système de santé.

Pour finir, je préconise depuis longtemps la création d’une IPA gériatrie soins palliatifs. La fin de vie et l’indigence de nos moyens pour accompagner dignement chacun d’entre nous est un sujet de société. Déployer des professionnels formés à cet accompagnement mais avec des compétences de prises en charge pour la prescription et la mise en œuvre de certains soins palliatifs, avec un rôle de coordination pourrait être une pierre conséquente à cet édifice.

Cette proposition de loi, dans son article 1, propose donc une réécriture du titre préliminaire du livre III du code de la santé publique.

Cette réécriture ne concerne que les auxiliaires médicaux du titre I, c’est‑à‑dire les infirmiers.

L’objectif est double, ouvrir le premier recours à la pratique avancée en soins primaires et permettre aux spécialités existantes de rejoindre au fur et à mesure de leur réingénierie la pratique avancée.

L’élargissement des champs d’exercice permettra à de nouvelles spécialités de pratiques avancées de s’inscrire dans les parcours de soins et surtout, d’exercer dans les champs prioritaires de la prévention, de l’éducation à la santé.

Enfin la possibilité de suivre un enseignement universitaire dans les écoles spécialisées déjà existantes permet de conserver la formation professionnalisante à l’instar des études médicales.

L’article 2 apporte le gage nécessaire pour compenser la charge de la montée en statut des professionnels de santé concernés.

Cette proposition de loi offre donc un support législatif pour proposer un nouveau modèle du système de santé, un modèle où les professionnels de santé sont remis au cœur du fonctionnement.

Aucun système de santé n’est viable si l’on ne tient pas compte des professionnels qui lui permettent d’exister.

Déplacer le centre de gravité actuellement médicocentré et hospitalocentré vers des professions intermédiaires, permettra :

‒ De répondre indirectement à la problématique cruciale de la désertification médicale en amenant « rapidement » des professionnels qualifiés et reconnus, garantissant la qualité de la prise en charge

‒ D’offrir de véritables perspectives aux professionnels infirmiers et ainsi de promouvoir l’attractivité du métier.

‒ De couvrir enfin le champ de la prévention par un solide maillage et une présence accrue sur les territoires et les secteurs.

Ce réajustement du référentiel de la pratique avancée ne sera qu’une étape supplémentaire vers la réactualisation constante des maquettes de formation et pourra, je l’espère, servir de base de réflexion pour l’évolution d’autres professions de santé qu’infirmier, pour les professionnels de la santé visuelle, pour les manipulateurs radios ou pour la filière auditive pour ne donner que ces exemples.

Enfin, l’émergence de ces nouvelles professions posera la question de la démographie des professionnels de santé, quels seront les besoins en nombre et en qualité de ces pratiques avancées ? Cette question devra trouver des réponses en tenant compte des capacités universitaires qui auront besoin de s’élargir pour répondre à la demande croissante d’évolution des infirmiers.

 

 

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 4301‑1 du code de la santé publique est ainsi rédigé :

« Art. L. 43011. ‒ I. ‒ Les auxiliaires médicaux relevant des titres Ier à VII du présent livre peuvent exercer en pratique avancée :

« 1° Au sein d’une équipe de soins primaires coordonnée par le médecin traitant ou d’une équipe de soins d’un centre médical du service de santé des armées coordonnée par un médecin des armées ;

« 2° Au sein d’une équipe de soins en établissements de santé, en établissements médico‑sociaux, en services de prévention santé ou en hôpitaux des armées coordonnée par un médecin ;

« 3° Au sein d’une équipe de personnels d’éducation d’établissements de l’enseignement primaire et secondaire relevant de l’éducation nationale, coordonné par un médecin de l’éducation nationale ;

« 4° Au sein d’une équipe des services de santé au travail exerçant en entreprises publiques ou privées ou au sein d’organismes spécialisés en santé au travail, et coordonnés par un médecin titulaire d’un diplôme d’études spécialisées en médecine du travail ;

« 5° En assistance d’un médecin spécialiste, hors soins primaires, en pratique ambulatoire et en établissements de santé ou en hôpitaux des armées.

« 6° Les auxiliaires médicaux exerçant en pratique avancée contribuent et participent à la recherche. Ils exercent un leadership clinique. »

« II. ‒ Les auxiliaires médicaux relevant du titre Ier du présent livre, exerçant en pratique avancée, sont les infirmiers en pratique avancée.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Académie nationale de médecine et des représentants des professionnels de santé concernés, définit :

« 1° les domaines d’intervention en pratique avancée qui peuvent comporter :

« a) En soins primaires, des actions de premier recours, primo ‑consultation, primo‑diagnostic et primo‑prescription ;

« b) Hors soins primaires, une activité d’expert clinique réalisée en exclusivité dans leur champ de spécialité et qui s’exerce dans le cadre d’une autonomie définie par décret.

« c) Des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et paraclinique.

« d) Des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire, des prescriptions d’examens complémentaires et des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales.

« e) Dans des conditions définies par décret en Conseil d’État, après l’avis du Conseil national de l’Ordre des médecins, la prescription ou la délivrance de tous les actes et produits de santé strictement nécessaires à l’exercice de leur profession et définies selon une liste par spécialité.

« f) Des activités d’évaluation, orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage ;

« g) Une activité d’intervention auprès des équipes soignantes par l’utilisation de données probantes, notamment en ce qui concerne le transfert de connaissances.

« 2° Les conditions et les règles de l’exercice en pratique avancée.

« III. ‒ Les auxiliaires médicaux relevant des titres II à VII du présent livre peuvent exercer en pratique avancée :

« 1° Au sein d’une équipe de soins primaires coordonnée par le médecin traitant ou d’une équipe de soins d’un centre médical du service de santé des armées coordonnée par un médecin des armées ;

« 2° Au sein d’une équipe de soins en établissements de santé, en établissements médico‑sociaux ou en hôpitaux des armées coordonnée par un médecin ;

« 3° En assistance d’un médecin spécialiste, hors soins primaires, en pratique ambulatoire.

« Un décret en Conseil d’État, pris après avis de l’Académie nationale de médecine et des représentants des professionnels de santé concernés, définit pour chaque profession d’auxiliaire médical :

« 1° Les domaines d’intervention en pratique avancée qui peuvent comporter :

« a) Des activités d’orientation, d’éducation, de prévention ou de dépistage ;

« b) Des actes d’évaluation et de conclusion clinique, des actes techniques et des actes de surveillance clinique et para‑clinique ;

« c) Des prescriptions de produits de santé non soumis à prescription médicale obligatoire, des prescriptions d’examens complémentaires et des renouvellements ou adaptations de prescriptions médicales.

« 2° Les conditions et les règles de l’exercice en pratique avancée.

« IV. ‒ Peuvent exercer en pratique avancée les professionnels mentionnés au I qui justifient d’une durée d’exercice minimale de leur profession et d’un diplôme de formation en pratique avancée délivré par une université habilitée à cette fin dans les conditions mentionnées au V.

« Sont tenues de se faire enregistrer auprès du service ou de l’organisme désigné à cette fin par le ministre chargé de la santé, avant un exercice professionnel, les personnes ayant obtenu un titre de formation requis pour l’exercice en pratique avancée.

« La nature du diplôme, la durée d’exercice minimale de la profession et les modalités d’obtention du diplôme et de reconnaissance des qualifications professionnelles des ressortissants européens sont définies par décret.

« V. ‒ Toute université assurant une formation conduisant à la délivrance du diplôme de formation en pratique avancée ou tout établissement de formation conduisant à la délivrance du diplôme de formation en pratique avancée associé par voie de convention avec une université doit avoir été habilité à cet effet sur le fondement d’un référentiel de formation. Ce dernier est défini par arrêté conjoint des ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur, dans le cadre de la procédure d’accréditation de son offre de formation.

« VI. ‒ Les règles professionnelles et éthiques de chaque profession, ainsi que celles communes à l’ensemble des professionnels de santé, notamment celles figurant aux articles L. 1110‑4 et L. 1111‑2, demeurent applicables sous réserve, le cas échéant, des dispositions particulières ou des mesures d’adaptation nécessaires prises par décret en Conseil d’État.

« Le professionnel agissant dans le cadre de la pratique avancée est responsable des actes qu’il réalise dans ce cadre. »

Article 2

I. ‒ La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. ‒ La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée, à due concurrence, par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1])  Cette comparaison entre pays est issue d’un rapport du conseil international des infirmières (CII), intitulé « Directives sur la pratique infirmière avancée » et datant de 2020 :  ICN_APN Report_FR_WEB.pdf

([2]) « La pédiatrie et l’organisation des soins de santé de l’enfant en France », rapport de l’Inspection générale des affaires sociales, datant de mai 2021 : https://www.igas.gouv.fr/IMG/pdf/2020-074r.pdf

([3]) Décret n° 2018-629 du 18 juillet 2018 relatif à l'exercice infirmier en pratique avancée : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000037218115

([4])  Cette proposition de loi ne modifie que le titre I du livre III du code de la santé publique et concerne donc exclusivement les infirmiers. Cependant, cette proposition de loi porte des évolutions professionnelles souhaitables pour l’ensemble des professions du livre III des titres Ier à VII. 

([5])  L'objectif principal de l'accord de Bologne est de créer un espace européen de l'enseignement supérieur en universitarisation les formations de façon harmonieuse autour du schéma Licence-Master-Doctorat. Il soutient la mobilité des étudiant-e-s, des chercheurs et des chercheuses, augmente l'attractivité des études en Europe et renforce la reconnaissance des diplômes.

https://www.hesge.ch/geneve/sites/default/files/Documents/HES_SO_Geneve/Textes_legaux/declarationbologne.pdf.

([6])  LOI n° 2021-1018 du 2 août 2021 pour renforcer la prévention en santé au travail : https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000043884445

Rapport n°3881 pour renforcer la prévention en santé au travail de Mmes les députées Charlotte Parmentier-Lecocq et Carole Grandjean, et datant de 2021 :

https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/rapports/cion-soc/l15b3881_rapport-fond.pdf

([7])  « Les médecins et les personnels de santé scolaire », rapport de la Cour des comptes, datant d’avril 2020 :

https://www.ccomptes.fr/system/files/2020-05/20200527-rapport-58-2-medecins-personnels-sante-scolaire.pdf

([8])  « Infirmier en pratique avancée et prévention et contrôle de l’infection », rapport de la SF2H, datant de 2019 : https://www.sf2h.net/wp-content/uploads/2021/06/IPA_PCI_SF2H_2019-VLdef.pdf