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N° 4884

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 11 janvier 2022.

PROPOSITION DE LOI

pour une éthique responsable des affaires,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Philippe LATOMBE,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Préambule

La création d’un nouveau cas de responsabilité civile a pour but de prévenir mais aussi de sanctionner efficacement les entreprises qui ne respectent pas concrètement les règles induites par nos lois et l’éthique des affaires.

Pour atteindre cet objectif, deux éléments techniques doivent être combinés. D’une part, consacrer la notion économique d’entreprise. Et, d’autre part, garantir un véritable droit à réparation aux victimes.

Consacrer la notion d’entreprise permettrait d’appréhender l’activité globale des groupes internationaux et, ainsi, de contrer les stratégies consistant à s’abriter derrière un siège social ou une activité exercée à l’étranger.

Tandis qu’une option de compétence au profit des juridictions françaises garantirait un recours aux victimes.

***

L’actualité met en évidence une recherche croissante de responsabilisation des grandes entreprises[1]. Ce constat appelle une prise de conscience : les réformes réalisées ces vingt dernières années au nom de la responsabilité sociale des entreprises (RSE) ont certes la volonté d’accompagner l’émergence de nouveaux comportements positifs, mais répondentelles suffisamment aux attentes de notre société ? Cette insatisfaction latente ne manifeste‑t‑elle pas un problème de méthode visant à transposer des mécanismes anglo‑saxons dans une culture légaliste qui n’est pas la leur[2] ?

Les nombreux doutes entourant la juridicité de la RSE ont fait naître un mouvement appelant la création de dispositifs plus contraignants afin de réduire l’impunité des acteurs internationaux et de mieux anticiper les effets de ce corpus de textes. Paradoxalement, ces demandes ne proviennent pas seulement des organisations défendant les valeurs de la RSE. Les entreprises vertueuses souhaitent aussi que leurs efforts soient mieux reconnus et qu’elles ne soient pas confondues avec celles qui, de façon opportuniste, développent des discours cosmétiques sur la citoyenneté. Les institutions européennes se sont aussi exprimées en ce sens[3]. Il nous appartient donc d’anticiper cette évolution en améliorant l’articulation entre le droit souple issu de la RSE et les textes visant à la conforter. À cette fin, il est nécessaire de poursuivre et d’aller au bout de cette logique de soutien des valeurs de la RSE par la loi, en sanctionnant leur violation au titre de l’intérêt général. L’affirmation de leur protection implique dès lors nécessairement la création d’un nouveau principe de responsabilité civile, applicable à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. Ce principe les obligerait, préventivement, de façon souple et proportionnée à leurs moyens, à anticiper les atteintes à ces valeurs. Mais il les engagerait également, plus fermement, à rendre compte d’un comportement contraire à l’intérêt général, conformément à une logique mettant en phase les responsabilités et les pouvoirs de chacun.

Sans remettre en cause les réformes réalisées, la consécration de cette nouvelle responsabilité viendrait les soutenir, en renforçant leur effectivité grâce aux vertus préventives et sanctionnatrices de cette technique juridique.

Des outils législatifs perfectibles

Ces outils sont perfectibles, car ils ont un domaine limité et une portée incertaine. La France dispose en effet de plusieurs techniques légales afin d’encourager, voire, d’imposer aux entreprises, une prise de conscience de l’impact de leurs activités sur la société. Or, ces mécanismes ont en commun de s’imposer majoritairement aux grandes sociétés. Cette restriction s’exprime également à l’égard des modifications réalisées par la loi Pacte : pour la croissance et la transformation des entreprises, dans le code civil. L’occasion a sans doute été manquée de consacrer plus largement la notion d’entreprise. Cela aurait permis d’éviter de troubler la cohérence du droit des sociétés par l’insertion de nouveaux concepts dont la portée est indéterminée, sinon incertaine, à l’instar des sanctions accompagnant l’ensemble de ces dispositifs légaux. Les doutes ainsi suscités sont tels qu’ils remettent en cause la qualité de la loi et l’habileté du législateur à édicter des principes clairs et intelligibles, conformément aux exigences constitutionnelles. Afin de conférer toute sa vigueur à la responsabilisation des entreprises, un remède consisterait à redonner son sens au mot « responsabilité », lequel implique une reddition de comptes effective, lorsqu’une personne ou une organisation porte atteinte, par son comportement, aux valeurs garanties par la loi.

La création d’un nouveau cas de responsabilité civile des entreprises

Cette consécration est justifiée par la convergence des textes du droit positif vers l’application de la responsabilité civile et la nécessaire recherche d’une plus grande attractivité de nos règles de droit.

En effet, qu’elles soient explicitement posées ou implicitement suggérées, les sanctions de la méconnaissance des textes ayant trait à la RSE tendent à engager la responsabilité civile du fautif. Puisqu’il existe une telle convergence vers l’application de cette technique juridique, le droit gagnerait en clarté en édictant un nouveau principe général visant spécifiquement les entreprises. Car notre société n’a pas seulement le souhait d’enjoindre aux entreprises ne respectant pas nos valeurs de mieux les considérer. Elle souhaite aussi que la loi assure son rôle et ait un effet coercitif à l’égard de celles qui se jouent, par d’habiles stratagèmes, de l’intérêt général. Ce nouveau cas de responsabilité n’a pas vocation à s’immiscer dans la gestion des entreprises. Il s’agit de rappeler un impératif général : celui de respecter nos lois et nos valeurs. Les entreprises les plus susceptibles d’être concernées seront alors libres de choisir leur méthode afin de se conformer à cet impératif.

Afin de l’affirmer, ce nouveau texte pourrait être inséré à la suite des cas de responsabilité généraux présents dans le code civil.

Tel est l’objet de cette proposition de loi à travers un article unique qui prévoit que :

« Toute entreprise dont l’activité économique méconnaît les lois et l’éthique des affaires est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

Ce principe s’applique quelle que soit l’organisation juridique de l’entreprise, dès lors que celleci exerce une activité économique sur le territoire national.

Lorsque le fait générateur du dommage s’est produit en France, la victime peut choisir d’en saisir les juridictions. »

La présente proposition permettrait à la loi de reconnaître, pour la première fois, l’entreprise en tant que structure économique. La grande flexibilité de ce concept a pour avantage d’englober de nombreuses organisations, allant de l’entreprise individuelle aux groupes internationaux, sans que la loi ait à définir précisément les relations de droit ou de fait unissant les différentes entités. Dans ce contexte international, le second alinéa offrirait aux victimes le choix d’exercer leur action auprès de nos juridictions nationales dès lors que serait prouvée l’existence d’une faute commise par l’entreprise incriminée, cette faute se définissant comme une atteinte aux lois ou à l’éthique des affaires consécutive à l’exercice de l’activité économique en cause. La nécessité de prouver cette contrariété peut sembler inutile mais elle présente toutefois deux vertus essentielles. D’une part, elle constitue une injonction comportementale visant à faire respecter l’intérêt général tel qu’incarné par notre corpus juridique. L’ajout dans le texte de la référence à l’éthique des affaires est également utile afin de servir de support à l’appréciation des magistrats. Celle‑ci peut se comprendre comme une composante contemporaine de la notion de bonnes mœurs, lesquelles incarnent les règles de la morale sociale considérées comme fondamentales pour l’ordre même de la société. Cette référence aux lois et à l’éthique des affaires a aussi vocation, d’autre part, à ce que la responsabilité des entreprises ne puisse être recherchée que pour l’existence d’une faute caractérisée afin de ne pas décourager les innovations et initiatives entrepreneuriales. Le rôle de la loi est en effet d’établir un équilibre entre l’évolution de la société et le droit des entreprises d’exercer librement leur commerce et industrie sur notre territoire.

Audelà de ces éléments novateurs, la technique classique d’engagement de la responsabilité civile demeurera applicable, à savoir, la démonstration d’un lien de causalité entre cette faute caractérisée et ses conséquences dommageables. Ces dernières devront s’interpréter souplement de façon à inclure les dommages futurs, mais dont la réalisation est certaine.

Le texte proposé permettrait ainsi de donner un fondement à une action préventive de responsabilité.

 

ÉTUDE D’IMPACT

SOMMAIRE

PARTIE I. DES OUTILS LÉGISLATIFS PERFECTIBLES

Section I. Des outils au domaine limité

§ 1. La déclaration de performance extrafinancière[4] et l’établissement d’un plan anticorruption

§ 2. Le plan de vigilance

§ 3. L’article 1833 du Code civil

Section II. Des outils à la portée incertaine

§ 1. Des définitions incertaines

§ 2. Des sanctions incertaines

A. La déclaration de performance extrafinancière

B. Les articles 1833 et 1835 du Code civil

C. Le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre

D. La société à mission

PARTIE II. LA CRÉATION D’UN NOUVEAU CAS DE RESPONSABILITÉ CIVILE DES ENTREPRISES

Section I. Les fondements de la consécration d’un nouveau cas de responsabilité civile

§ 1. Les fondements juridiques de la responsabilité civile des entreprises

A. Une convergence du droit positif vers cette consécration

B. Un principe renforçant l’attractivité du droit français

C. La légitimité du choix de la responsabilité civile

1. La légitimité fonctionnelle de la responsabilité civile

2. La légitimité inspirée du droit comparé

a. En Chine

α. Le contexte de la consécration

β. L’objectivation de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises

γ. La judiciarisation de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises

b. En Inde

§ 2. Les fondements pratiques de la responsabilité civile des entreprises

Section II. Le régime du nouveau cas de responsabilité civile

§ 1. Le champ d’application du nouveau cas de responsabilité civile

A. Une responsabilité applicable à « toute entreprise »

B. Une responsabilité civile extraterritoriale

1. La finalité de l’extraterritorialité du nouveau principe

2. La transposition d’une règle de conflit dérogatoire en matière environnementale

a. Le champ d’application de la règle dérogatoire

b. Les facteurs de rattachement à la règle dérogatoire

§ 2. Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité

A. La faute : une atteinte aux lois et à l’éthique des affaires résultant d’une activité économique

B. Le lien de causalité entre la faute et le dommage

C. Des conséquences dommageables

Section III. La compétence juridictionnelle


  1. Un plébiscite des comportements éthiques. La France est viscéralement attachée au respect de ses libertés fondamentales. La crise sanitaire liée à la Covid 19 a souligné la nécessité pour chacun de nos citoyens de les exercer librement. La défense de la liberté du commerce et de l’industrie s’est, à cet égard, singulièrement illustrée en mettant en exergue une opposition latente entre les entreprises locales, souvent modestes, et celles de dimension nationale, voire internationale, dont la puissance économique dépasse celle de certains États. Pour cette raison, le respect d’une éthique des affaires s’est progressivement imposé à ces dernières[5], d’abord par l’influence de l’activisme actionnarial[6] puis, plus généralement, par la défiance de l’opinion publique mondiale.
  2. La notion de RSE. Dorénavant bien connue sous le nom de responsabilité sociale des entreprises (RSE), cette dynamique vise à ce que ces entreprises prennent en considération l’impact de leurs activités sur l’environnement, leurs salariés et, plus largement, leurs parties prenantes (fournisseurs, soustraitants, consommateurs, citoyens, collectivités, etc.). Elle fait plus généralement partie d’un mouvement sociétal plus vaste dénommé sous les termes de gouvernance d’entreprise. Ce concept issu de l’environnement juridique anglosaxon a pour but de moraliser l’organisation et l’activité de l’entreprise. La « corporate governance » obéit à un système d’organisation à la fois flexible et rigoureux par émancipation du régulateur et des normes juridiques strictes. La conception de l’entreprise est ainsi renouvelée et conçue comme une entité insérée dans un tissu social dont la prise en compte participe à une relation vertueuse, car réciproque. Ses bénéfices seront d’autant plus grands si les consommateurs approuvent son éthique. De la sorte, les entreprises sont invitées à intégrer dans leur gestion l’amélioration de leur performance sociale, tant interne (conditions de travail de leurs salariés notamment) qu’externe (sociétale). Marginales à la fin des années 1990, ces pratiques de gestion se sont institutionnalisées très rapidement en France depuis le début du siècle, au point que toutes les entreprises du CAC 40 comportent désormais un responsable du développement durable ou de la RSE.
  3. Historique de la RSE. Contrairement à une idée reçue, la RSE n’est pas un nouveau paradigme ou une mode managériale, elle est relativement ancienne et trouve ses fondements dans des pratiques d’entreprise vieilles de plus d’un siècle outreAtlantique. Durant la seconde révolution industrielle, la responsabilité sociale s’est constituée en doctrine des hommes d’affaires américains. Elle s’inscrit dans une tradition de philanthropie corporative qui répond tout autant à une inspiration religieuse protestante (sauver son âme dans l’audelà) qu’à des enjeux pratiques (fixer une maind’œuvre compétente). D’après l’idée protestante du stewardship, la prospérité de l’homme d’affaires ne se trouve justifiée que si elle contribue aussi au bienêtre de la communauté au sein de laquelle ses affaires ont pu prospérer selon l’expression « giving back ». D’après l’historien américain Morrell Heald, « ce dont le XIXème siècle manquait, et que le XXème siècle va fournir, c’est une une conceptualisation de la relation entre l’entreprise et la communauté suivant laquelle la responsabilité sociale est considérée non seulement comme une charge pesant sur la conscience et l’intérêt individuel, mais aussi sur les ressources des entreprises »[7]. Plus précisément, entre les années 1900 et 1920, dans un contexte de réforme sociale où dominent les idées des progressistes, cette nouvelle approche des relations entre l’entreprise et la société s’élabore aux ÉtatsUnis. Durant cette période où les premières lois antitrusts sont mises en place, l’idée d’une nécessité pour les entreprises de maintenir de bonnes relations publiques s’impose auprès des dirigeants des grandes entreprises qui feront évoluer en conséquence leur politique. Le terreau idéologique sur lequel se construit la notion de responsabilité sociale s’enrichit alors des notions d’intérêt et de service public, une meilleure prise en compte de l’opinion dans la conduite de l’entreprise s’impose désormais. Ce développement de l’idée de responsabilité sociale répond alors à des enjeux de légitimation, car les entreprises américaines, dont certaines ont vu leur taille augmenter dans des proportions jusqu’alors inégalées, sont parfois perçues comme une menace directe pour le bon fonctionnement des marchés et de la démocratie.

Pendant les années 1920, la doctrine de la responsabilité sociale s’est consolidée avec la notion de trusteeship. Celle‑ci impose aux personnes mandatées pour gérer le bien d’autrui d’exercer cette fonction comme s’il s’agissait de leur propre bien. Cette idée prolonge et complète la notion antérieure de stewardship. De nombreux dirigeants prennent publiquement position en sa faveur et affirment une vision partenariale de leur rôle, cherchant à concilier les intérêts des détenteurs du capital et ceux de la force de travail. Cependant, l’idée que l’entreprise exerce des responsabilités envers le grand public est parfois contestée. Ainsi, Henry Ford oppose à cet objectif qu’il estime trop flou une stricte focalisation sur la production, mieux à même selon lui de servir la société à long terme. Cette période voit l’émergence et la formalisation des premiers codes de conduite des industries et peut s’interpréter comme une tentative d’autorégulation visant à éviter le développement de régulations contraignantes.

Puis l’effondrement économique lié à la crise de 1929 et la perte de prestige social des entreprises auront pour conséquence une mise en berne des discours relatifs à la responsabilité sociale. Si les politiques du New Deal ont conduit au développement de mesures sociales, ce n’est qu’après la Seconde Guerre mondiale que se réaffirme à nouveau la doctrine de la RSE. D’après Morrell Heald, le principal apport de cette période sera précisément la qualification de ces pratiques au travers de l’acronyme « RSE », l’ensemble des idées et des représentations nécessaires à son développement étant déjà en place depuis les années 1920. Puis, les pratiques de RSE se développeront progressivement au sein des entreprises américaines en s’appuyant sur des mouvements sociaux : le mouvement pour les droits civiques et les luttes contre la discrimination dans les années 1960, les mouvements écologistes et les mouvements étudiants contre la guerre du Vietnam qui cibleront les entreprises polluantes ou productrices d’armes dans les années 1970, la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980. Au‑delà d’une consolidation des pratiques de RSE autour de problèmes sociaux et environnementaux spécifiques, la Seconde Guerre mondiale marque aussi le passage de la RSE du monde des affaires au monde académique : pendant les années 1950 et 1960, les ouvrages, articles académiques et de prises de positions relatives à la RSE se multiplient. L’ouvrage d’Howard R. Bowen est sans doute celui qui illustre le mieux le passage de la responsabilité sociale du statut de doctrine formée dans le monde des affaires à celui de concept académique, enjeu de débats théoriques.

En ce sens, de nombreux auteurs s’accordent pour attribuer à Howard R. Bowen la paternité du concept « moderne » de RSE, du fait de la publication de son livre en 1953, intitulé Social Responsibilities of the Businessman[8]. En 1916, l’économiste John Maurice Clark avait déjà évoqué un glissement progressif des responsabilités des dirigeants de la sphère économique vers la sphère sociale dans un article du Journal of Political Economy, et Bowen s’appuie sur les débats des institutionnalistes tels que Merrick Dodd, Adolfe Berle et Gardiner Means relatifs à la séparation entre propriété et contrôle ou encore à la définition des objectifs de l’entreprise comme entité juridique. Son ouvrage constitue ainsi une remarquable synthèse des enjeux économiques et institutionnels relatifs à la notion de responsabilité sociale. Selon lui, la responsabilité sociale de l’entreprise renvoie à l’obligation pour les hommes d’affaires de réaliser les politiques, de prendre les décisions et de suivre les lignes de conduite répondant aux objectifs et aux valeurs qui sont considérés comme désirables dans notre société. Bowen positionne donc son analyse de la doctrine de la responsabilité sociale à un niveau macroéconomique et l’évalue en fonction de sa capacité à créer un niveau de bien‑être plus élevé dans la société. Il appréhende cette notion comme une troisième voie, située à mi‑chemin entre la régulation étatique et le pur libre arbitre. La responsabilité sociale apparaît en effet à cette époque comme un mode d’autorégulation des entreprises particulièrement séduisant, permettant d’éviter simultanément les écueils d’une régulation trop importante – laquelle constitue un véritable danger pour la démocratie aux yeux des Américains dans un contexte de guerre froide – et les désastres sociaux auxquels ont parfois conduit les marchés laissés à eux‑mêmes et dont les effets se sont fait sentir à la fin du XIXème et après la crise de 1929. Ainsi, pour Bowen, la responsabilité sociale s’analyse comme un moyen de réaliser les grands objectifs de l’économie américaine – objectifs qu’il présente et définit de manière large, incluant, au‑delà du progrès économique, des buts de justice, de liberté et de développement des personnes. C’est la raison pour laquelle il analyse les discours managériaux et religieux relatifs à la responsabilité sociale, les facteurs explicatifs de son institutionnalisation aux États‑Unis pendant la première moitié du XXème siècle, les arguments critiques légaux et économiques qui ont été opposés à l’idée de RSE et, finalement, les moyens de renforcer le potentiel de ces comportements d’entreprises, tels que les techniques d’audit social. Concernant l’institutionnalisation de cette doctrine, Bowen la relie très directement à des facteurs tels que l’évolution des valeurs de la société américaine, avec l’affirmation d’idéaux démocratiques plus marqués, et des tendances telles que le développement du syndicalisme ouvrier. Les dirigeants d’entreprises sont certes soumis à ces forces sociales, mais ils sont également sensibles à certains de ces changements. Cependant, si ces tendances témoignent de l’émergence d’attentes plus élevées en matière de responsabilité sociale de la part de la société américaine, elles ne suffisent pas à expliquer pourquoi les dirigeants ont pu y répondre. Le développement de la RSE est en effet concomitant avec la division entre propriété et contrôle de l’entreprise qui, en séparant les actionnaires de la nouvelle classe de « managers professionnels », a aussi renforcé la sensibilité des dirigeants à la société qui les entoure – en diversifiant leurs origines sociales et en augmentant leur latitude de prise en compte des pressions externes dans les processus de prise de décision organisationnels. Ce mouvement de professionnalisation progressive explique aussi le succès d’une doctrine qui permet aux nouveaux « managers » d’affirmer leur respectabilité sociale. Dans son ouvrage, Bowen réalise aussi une synthèse de la représentation que les dirigeants d’entreprises américaines se faisaient de leurs responsabilités sociales. Il s’appuie à cette fin sur un corpus de textes produits par plus d’une centaine de dirigeants pour caractériser leur vision de leurs responsabilités. Son analyse montre que les dirigeants de cette période définissaient cette responsabilité en référence à l’idée que leur pouvoir économique était corrélé à leur devoir de gérer leurs affaires de manière à bénéficier à la communauté. Cependant, en dépit de cette logique partenariale et non plus uniquement fondée sur un objectif de maximisation du profit pour l’actionnaire, ils considèrent qu’ils doivent rester les ultimes arbitres de la gestion des demandes de ces groupes externes. Ainsi, ils ne sont pas prêts à partager leur pouvoir décisionnel, ce dont témoigne leur défiance envers les mouvements syndicaux. Ces hommes d’affaires des années 1950 voyaient aussi dans la responsabilité sociale un moyen de « vendre » le capitalisme au citoyen américain et, ce faisant, d’endiguer la diffusion des idées communistes et socialistes. Ils confondaient aussi parfois l’intérêt général avec l’intérêt de leur entreprise. Les conditions de production de l’ouvrage de Bowen illustrent à cet égard les soubassements religieux des discours académiques sur cette notion. Les discours managériaux et les travaux académiques nord‑américains sur la RSE restent aujourd’hui encore très fortement marqués par cette orientation religieuse. Outre‑Atlantique, de nombreux dirigeants présentent leur décision d’investir dans des programmes de responsabilité sociale sur le mode de la conversion religieuse. La notion de RSE constitue donc une illustration frappante de la thèse de Max Weber selon laquelle l’éthique protestante et l’esprit du capitalisme partagent de nombreuses affinités électives[9]. Le développement des travaux sur la RSE dans les années 1950 et 1960 est marqué par une série de débats qui opposent, dans un contexte de guerre froide, les défenseurs de l’idée selon laquelle l’entreprise a des responsabilités élargies envers la société, à ses détracteurs, pour lesquels l’objectif de l’entreprise doit se limiter à rechercher un profit maximal. Tandis que les premiers voient dans la RSE un argument de vente du système capitaliste au peuple américain, les seconds considèrent au contraire que la RSE est un véritable « cheval de Troie » de l’idéologie communiste. En 1958, Theodore Levitt publie dans la Harvard Business Review une première critique des débordements politiques susceptibles d’être engendrés par la RSE avec un article intitulé « The Dangers of Corporate Social Responsibility   »[10]. Levitt voit dans la RSE une ingérence du monde des affaires dans la sphère politique menaçant le bon fonctionnement d’une société démocratique pluraliste. Selon lui, la RSE s’inscrit dans un mouvement de centralisation des fonctions économiques, sociales, politiques et spirituelles qui pourrait conduire à la construction d’une société monolithique, qu’il compare successivement à l’Église médiévale, un nouveau féodalisme, un Léviathan ou même du fascisme. La concentration de la gestion du bien‑être dans les mains d’un petit nombre d’acteurs, qu’il s’agisse de l’État, des syndicats ou des entreprises, est à proscrire, et tout mouvement renforçant cette tendance doit être combattu. L’accroissement du pouvoir des entreprises sur la société qui résulterait d’une diffusion de la RSE signerait donc bel et bien la mort du capitalisme, qui serait alors victime de ses propres bonnes intentions. C’est la raison pour laquelle Levitt exhorte les hommes d’affaires de son temps à s’écarter de la doctrine de la responsabilité sociale et à se focaliser sur la recherche du profit afin de maintenir séparées les fonctions de régulation sociale. Ce faisant, il ne nie pas que les entreprises doivent répondre aux attaques qui leur sont faites et contribuer à résoudre certains problèmes sociaux. Mais il suggère qu’une réponse plus appropriée de leur part consisterait tout simplement à accepter l’existence tant de l’action gouvernementale que syndicale et à en reconnaître les bénéfices potentiels. Aux discours lénifiants sur la vertu, les bonnes œuvres et l’altruisme, Levitt oppose donc un credo de capitaliste dur : « Au lieu de lutter pour sa survie en se déguisant en industrie de service public, le monde des affaires devrait lutter comme s’il était en guerre. Et comme dans toute bonne guerre, il doit lutter galamment et audacieusement, mais surtout pas moralement »[11]. Milton Friedman critique lui aussi la doctrine de la RSE. Son article du New York Times Magazine, publié en 1970, qui synthétise et reprend dans ses grandes lignes les arguments développés à l’encontre de la RSE dans un ouvrage antérieur, Capitalism and Freedom (1962), est paradoxalement l’une des références le plus souvent citées tout à la fois par les défenseurs tout comme les détracteurs de la RSE[12] . L’analyse de Friedman recoupe en partie des arguments de critiques politiques déjà développés par Bowen et Levitt, mais il en généralise et en étend la portée en inscrivant son argumentation dans la perspective économique d’une relation d’agence qui lie un manager (l’agent) à ses actionnaires (le principal). Dans le contexte de cette relation principal/agent, Friedman postule que la responsabilité ne peut être qu’individuelle, la responsabilité sociale ne peut donc être que celle du manager (l’agent) ou de l’actionnaire (principal). En outre, il exclut les actions de RSE qui seraient profitables, car elles ne correspondent, selon lui, qu’à une labellisation hypocrite de la recherche de profit. En s’appuyant sur ces hypothèses, et après avoir évacué la situation où les actionnaires souhaitent utiliser pour des raisons personnelles leur argent à des fins sociales par le biais des entreprises qu’ils possèdent, Friedman démontre que la décision d’investir l’argent de l’entreprise dans des programmes de RSE contrarie les obligations fiduciaires des dirigeants envers les actionnaires (en diminuant le profit), ce qui équivaut à faire supporter par les consommateurs ou par les employés le coût des actions sociales et environnementales de l’entreprise. Quel que soit le cas de figure, ceci revient pour le manager à se substituer au gouvernement en imposant, arbitrairement, un impôt à certains acteurs économiques pour gérer un problème environnemental ou social. La question qui se pose alors est celle de la capacité et de la légitimité d’un manager pour définir ainsi les problèmes sociaux prioritaires et pour les gérer. Pour Friedman, les hommes d’affaires ne disposent ni des compétences nécessaires à la gestion d’un service public, ni de la légitimité politique pour administrer le bien commun, car ils ne sont pas élus démocratiquement. Dès lors, la RSE constitue une menace pour la démocratie et la société américaine – surtout dans un contexte de guerre froide –, et elle peut être comparée à du socialisme rampant et finalement assimilée à une « doctrine fondamentalement subversive ». Si les citoyens américains souhaitent voir les entreprises adopter des techniques de production moins polluantes, Friedman leur conseille de voter et d’utiliser le processus démocratique pour élire un gouvernement qui pourra légiférer en ce sens. Les fonctions sociales peuvent ainsi être clairement séparées : d’une part, la gestion du bien public incombe à l’État et, d’autre part, « il n’existe qu’une seule responsabilité sociale de l’entreprise, celle d’utiliser ses ressources et de s’engager dans les activités qui vont accroître ses profits dans le respect des règles du jeu, à savoir une compétition libre et ouverte, sans tromperie ni fraude ». Selon cette perspective, la RSE est donc définie de manière minimaliste comme la recherche d’un profit maximum dans le respect du cadre légal. Face à ces controverses, les auteurs défendant la notion de RSE vont toujours chercher à justifier l’existence et la pertinence d’une responsabilité sociale qui s’étend au‑delà de l’approche défendue par Friedman, ouvrant des débats sur les limites et les frontières de la responsabilité sociale qui resurgissent à périodes régulières[13]. Cependant, la remise en question de l’argumentation de Friedman s’est surtout affirmée au travers de travaux empiriques s’efforçant de démontrer la compatibilité entre la poursuite du profit et l’adoption de comportements socialement responsables, lesquels trouvent un certain écho dans les pratiques managériales actuelles[14]. En effet, si la RSE possède aux États‑Unis des racines qui remontent loin dans l’histoire contemporaine, elle n’est devenue que récemment une préoccupation permanente et, parfois, une priorité des entreprises. Les explications sont nombreuses, elles proviennent à la fois de l’initiative d’institutions internationales, de l’apparition de nouveaux acteurs proposant des services innovants relatifs à la RSE et d’un travail de normalisation important, notamment en France et en Europe.

  1. Une intégration législative contemporaine. Après le retentissement dans les années 2000 de scandales financiers, sociaux, et écologiques, les plus importantes entreprises ont été nombreuses à adopter une gestion éthique et un management des risques s’inscrivant dans une politique globale de compliance et d’affirmation de leur responsabilité sociétale. En 2001, la Commission européenne soulignait l’absence de caractère contraignant du concept de responsabilité sociale des entreprises en le définissant comme » l’intégration volontaire par les entreprises de préoccupations sociales et environnementales à leurs activités commerciales et à leurs relations avec les parties prenantes »[15]. Dans le même temps, des organisations internationales ont contribué à l’émergence de codes de conduite internes aux entreprises, en rédigeant des textes orientant leur comportement afin « d’unir la force des marchés à l’autorité des idéaux individuels »[16]. Cette recherche d’adhésion trouve son avènement avec la création de la norme internationale ISO 26000[17]. Celleci propose une liste des procédés afin de bâtir une éthique d’entreprise autour de plusieurs thématiques[18]. Parallèlement à ce mouvement volontariste, l’intégration progressive de la RSE dans le droit écrit a aussi contribué à sa montée en puissance. Il a d’abord été mis en valeur par des rapports parlementaires. Le rapport AFEPMEDEF édité en 2003 reprenait des éléments de « corporate governance » évoqués par la Commission européenne. Cette dernière exige que chaque État membre dispose d’un code de référence auquel les entreprises devront se conformer ou, à défaut, devront expliquer les raisons de leur absence de volonté de s’y conformer. Ce code, qui deviendra ensuite le code AFEPMEDEF, contient des définitions claires de notions jusquelà restées trop floues telles que la notion d’administrateur indépendant, le statut et le rôle des administrateurs, la transparence sur leur rémunération, le rôle précis du conseil d’administration, la séparation souhaitable des fonctions de directeur général et de président du conseil d’administration, ainsi que des règles relatives à la rémunération des dirigeants sociaux. L’autorité des marchés financiers a également joué un rôle majeur dans le développement de la gouvernance d’entreprise des sociétés cotées. Depuis 2008, ce rapport a fait l’objet de plusieurs révisions et a été consacré en tant que « code privé ». Puis, à la suite de ces rapports, de nouvelles obligations légales ont été définies à l’égard des entreprises afin de les inciter à s’autoréguler conformément à certaines valeurs universelles.
  2. Le droit positif. À cet égard, la France a fait figure de précurseur en Europe alors que les ÉtatsUnis n’adoptaient le SarbanesOxley Act qu’en 2002. Dès 2001[19], elle a imposé aux sociétés cotées de publier des informations sur les conséquences sociales et environnementales de leurs activités, dans leur rapport de gestion, désormais remplacé par une déclaration de performance extrafinancière[20]. La loi dite Sapin II, du 9 décembre 2016, a permis de franchir un cap en consacrant le principe de compliance et un contrôle des dispositifs d’alerte afin de prévenir et de détecter la commission, en France ou à l’étranger, de faits de corruption ou de trafic d’influence. Les entreprises deviennent ainsi un relais de répression et de régulation. Le régime de l’alerte est aussi sécurisé par la définition du lanceur d’alerte, la détermination des conditions de signalement, ainsi que la création d’une protection efficace. Cette promotion de la conformité trouve un point d’orgue avec l’adoption de la loi n° 2017399 du 27 mars 2017, relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre. S’inscrivant dans une conjonction internationale des réglementations, ce mouvement a pu être qualifié de « Lex publica », en ce sens que les États font peser sur les sociétés mères le contrôle de leurs activités délocalisées, en se réservant, le cas échéant, le droit d’user « avec la plus grande rigueur de leur pouvoir souverain de sanction, civile et pénale, pour le cas où une politique efficace de conformité aux valeurs ainsi défendues n’aurait pas été instaurée ou respectée »[21]. Enfin, la réforme adoptée par la loi PACTE fait définitivement entrer la France parmi les pionniers en la matière. À la suite des réflexions menées par le rapport SenardNotat sur « la relation entre entreprise et intérêt général »[22], le législateur a entrepris d’instituer un dispositif en trois étapes, permettant aux entreprises désireuses d’affirmer leur engagement sociétal. Ainsi l’article 1833 du Code civil disposetil désormais que la société est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de leur activité. Ensuite, l’article 1835 permet aux sociétés qui le souhaitent d’affirmer leur « raison d’être », tandis que les plus impliquées adopteront, enfin, le statut de « société à mission » tel que défini aux articles L. 21010 et suivants du Code de commerce.
  3. Des critiques récurrentes. Or les outils juridiques dégagés par ces réformes, et plus particulièrement ceux de la loi PACTE, ont fait l’objet de nombreuses réserves. Certains se sont interrogés sur le fait de savoir s’ils constituaient « des mesures réellement innovantes, ou simplement incantatoires, symboliques, voire cosmétiques ? »[23]. D’autres regrettent la modestie de la réforme[24] quand elle n’est pas jugée plus radicalement non - « indispensable »[25], « parfaitement inutile »[26], voire « inopportune »[27], car « ne [modifiant] en rien le droit existant, ce que l’étude d’impact juridique [reconnaît] avec une touchante naïveté ». Cette étude invite en effet à la retenue en reconnaissant une incidence « limitée » de « l’obligation de moyens » qu’est « l’invitation à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société »[28]. Or ces critiques trouvent un écho particulier dans l’actualité, laquelle met en évidence une recherche croissante de responsabilisation des grandes entreprises[29]. Les auditions réalisées dans le cadre du rapport Bris Rocher ont également mis en avant les faiblesses des dispositions législatives actuelles et leur modeste application en pratique laquelle a, en outre, été freinée par les échos de l’affaire Danone[30].
  4. Un constat d’inadaptation au système juridique continental. Ces différents constats appellent une prise de conscience : les réformes réalisées ces vingt dernières années au nom de la RSE ont certes la volonté d’accompagner l’émergence de nouveaux comportements positifs, mais répondentelles pour autant suffisamment aux attentes de notre société ? Cette insatisfaction latente ne manifestetelle pas un problème de méthode visant à transposer des mécanismes dans une culture légaliste qui n’est pas la leur[31] ? Ces questions sont corrélées par les observations du Conseil d’État selon lesquelles « la loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner. Elle n’est pas faite pour bavarder, créer des illusions, nourrir des ambiguïtés et des déceptions »[32]. Force est de constater que les dispositifs insérés jusqu’à présent dans notre droit sont d’inspiration anglosaxonne et rompent, de ce fait, avec la tradition romanogermanique dont l’une des caractéristiques est précisément de distinguer la règle morale de la règle juridique en lui conférant un caractère coercitif[33]. Or la responsabilité sociale des entreprises repose sur le double postulat du volontariat et de l’absence de contraintes. Dès lors, ces pratiques perdent en crédibilité en s’analysant comme des « engagements qui n’engagent pas »[34], sauf à trouver le soutien d’un mécanisme juridique pour les transformer en obligations contraignantes. Notre droit n’est en effet pas rétif à l’intégration de valeurs morales ou sociales sous la forme de normes qualitatives et de concepts flexibles[35], dont la méconnaissance entraîne l’application d’une sanction. Les droits de l’Homme ont ainsi intégré la Constitution. Des avis sur l’éthique dans certains secteurs sont repris dans les lois. Ces dernières les imposent, en outre, lors de l’exécution de certains contrats[36], pour le bien des parties mais aussi, dans l’intérêt de tous, lorsque les cocontractants ne les intègrent pas spontanément. La juridicité des normes issues de la responsabilité sociale des entreprises et, notamment, la sanction attachée à cellesci, font donc l’objet de discussions.
  5. Discussion sur la valeur juridique des engagements volontaires des entreprises. Fautil considérer ces engagements éthiques comme purement internes à l’entreprise ? Ou ontils mué en obligations juridiques[37] ? La Cour de cassation admet qu’un code de bonne conduite soit un acte juridique au sens du droit privé, et dont la validité peut être remise en cause par le juge. La qualité des personnes pouvant s’en prévaloir demeure toutefois incertaine[38]. Des interrogations similaires valent à l’égard des dispositions désormais contenues aux articles 1833 et 1835 du Code civil. Fautil considérer que cellesci créent de nouvelles obligations à l’égard des sociétés ? Dans l’affirmative, leur violation engagetelle la responsabilité de leur auteur, et à quel titre ? Plus difficile encore est de savoir quelle est la sanction attachée au volet sociétal de la RSE, lorsque l’irrespect est invoqué par les parties prenantes, personnes extérieures ou sans lien contractuel mais qui sont intéressées par l’activité économique de l’entreprise.
  6. La demande croissante d’un cadre législatif plus contraignant. Les nombreux doutes entourant la juridicité de la RSE ont fait naître un mouvement appelant la création de dispositifs plus contraignants afin de réduire l’impunité des acteurs internationaux et de mieux anticiper les effets de ce corpus de textes. Paradoxalement, ces demandes ne proviennent pas seulement des organisations défendant les valeurs de la RSE. Les entreprises vertueuses souhaitent aussi que leurs efforts soient mieux reconnus et qu’elles ne soient pas confondues avec celles qui, de façon opportuniste, développent des discours cosmétiques sur la citoyenneté. Ces entreprises sont en effet « enclines à demander une intervention publique afin de ne pas subir une concurrence déloyale de la part des passagers clandestins »[39]. Les institutions européennes se sont aussi exprimées en ce sens[40]. Il nous appartient donc d’anticiper cette évolution en améliorant l’articulation entre le droit souple issu de la RSE et les textes visant à la conforter. À cette fin, il est nécessaire de poursuivre et d’aller au bout de cette logique de soutien des valeurs de la RSE par la loi, en sanctionnant leur violation au titre de l’intérêt général. L’affirmation de leur protection implique dès lors nécessairement la création d’un nouveau principe de responsabilité civile, applicable à toutes les entreprises, quels que soient leur taille et leur secteur d’activité. Ce principe les obligerait, préventivement, de façon souple et proportionnée à leurs moyens, à anticiper les atteintes à ces valeurs. Mais il les engagerait également, plus fermement, à rendre compte d’un comportement contraire à l’intérêt général, conformément à une logique mettant en phase les responsabilités et les pouvoirs de chacun[41]. Lors de son discours préliminaire, Portalis promouvait une telle méthode en distinguant le rôle du législateur de celui du magistrat : « La science du législateur consiste à trouver les principes les plus favorables au bien commun et celle du magistrat […] est de mettre ces principes en action, de les ramifier, de les étendre par une application sage et raisonnée »[42]. Or les textes en la matière démontrent une inversion des rôles en imposant des formalismes jugés parfois trop lourds par leurs destinataires. La RSE n’est pas réductible à un concept juridique : « [elle] est avant tout une théorie du comportement [appliquée non pas aux individus mais aux organisations], et donc une terre d’élection des managers »[43]. En outre, l’introduction de nouvelles notions visant à modifier les principes fondamentaux du droit des sociétés suscite une redoutable insécurité juridique (I). Sans remettre en cause les réformes réalisées, la consécration de cette nouvelle responsabilité viendrait les soutenir en renforçant leur effectivité grâce aux vertus préventives et sanctionnatrices de cette technique juridique (II).

PARTIE I. DES OUTILS LÉGISLATIFS PERFECTIBLES

Ces outils sont perfectibles car ils ont un domaine limité (section I) et une portée incertaine (section II).

Section I. Des outils au domaine limité

  1.                  La France dispose de plusieurs techniques instituées par la loi afin d’encourager, voire, d’imposer aux entreprises, une prise de conscience de l’impact de leurs activités sur la société : la déclaration de performance extrafinancière, anciennement dénommée « devoir de reporting »[44], le programme de conformité anticorruption et le dispositif du lanceur d’alertes consacrés par la loi dite Sapin II, le devoir de vigilance des sociétés mères à l’égard de leurs filiales[45] et, dernièrement, les modifications apportées au droit des sociétés [46]. Or, ces mécanismes ont en commun d’avoir un champ d’application limité puisqu’ils s’imposent majoritairement aux grandes sociétés.

§ 1. La déclaration de performance extrafinancière[47] et l’établissement d’un plan anticorruption[48]

  1.                  L’article L.2251021 du Code de commerce impose aux sociétés de grande dimension l’obligation de rendre des comptes sur leur gestion sociale et environnementale dans un rapport annuel, ainsi que sur les engagements sociétaux pris en faveur du développement durable. Ces dispositifs s’appliquent aux sociétés cotées de plus de 500 salariés, avec un total de bilan dépassant 20 millions d’euros ou un chiffre d’affaires supérieur à 40 millions d’euros, ainsi qu’aux sociétés non cotées (sociétés anonymes, sociétés à responsabilité limitée (SARL), sociétés en commandite par actions) ayant plus de 500 salariés avec un total de bilan ou de chiffre d’affaires supérieur à 100 millions d’euros. Sont en revanche exclues les filiales françaises dont la société mère a déjà produit les informations de manière consolidée, ainsi que les petites et moyennes entreprises (PME) cotées, les établissements publics à caractère industriel et commercial (EPIC) et les sociétés par actions simplifiées (SAS), hormis celles du secteur financier et de l’assurance. Ces dernières sont toutefois tenues d’appliquer le plan de vigilance.

§ 2. Le plan de vigilance

  1.                  Les seuils applicables à ce dispositif ne sont pas les mêmes que les précédents, créant une regrettable discordance à l’égard des sociétés concernées par les instruments légaux au service de la RSE. En effet, les sociétés devant établir et mettre en œuvre un plan de vigilance emploient, à la clôture de deux exercices consécutifs, soit plus de 5000 salariés en leur sein ou dans leurs filiales directes ou indirectes dont le siège social est situé en France, soit plus de 10 000 salariés en leur sein ou dans leurs filiales directes ou indirectes dont le siège social est situé en France ou à l’étranger[49]. En sont toutefois exemptées les sociétés contrôlées au sens de l’article L. 2333 du Code de commerce dépassant l’un des seuils précédents, dès lors que leur société mère française a établi et mis en œuvre un plan les couvrant.

§ 3. L’article 1833 du Code civil

  1.                  Outre cette divergence inopportune entre les précédents dispositifs, l’article 1833 du Code civil dispose dorénavant que la société « est gérée dans son intérêt social, en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux de son activité ». Cette disposition a certes vocation à s’appliquer à toutes les sociétés, qu’elles soient grandes ou petites, commerciales ou non, qu’elles aient pour objet l’exercice d’une activité économique ou la gestion d’un patrimoine : il ne s’agit pourtant là que d’une partie des acteurs économiques laissant ainsi de côté de nombreuses entreprises exploitées par des personnes physiques. L’occasion a sans doute été manquée de consacrer plus largement la notion d’entreprise[50]. Cela aurait permis d’éviter de troubler la cohérence du droit des sociétés[51] par l’insertion de nouveaux concepts dont la portée est indéterminée, sinon incertaine, à l’instar des sanctions accompagnant l’ensemble de ces dispositifs légaux.

Section II. Des outils à la portée incertaine

  1.                  Deux facteurs favorisent potentiellement l’ineffectivité des lois adoptées en matière de RSE. D’un point de vue pratique, certaines des 150 à 200 entreprises concernées les appliquent peu[52] ou mal[53]. Ces dispositifs pourraient se révéler très coûteux à mettre en œuvre et les contraintes procédurales qu’ils impliquent très bureaucratiques. Ils ne feraient même que « doublonner avec ce que les grandes entreprises pratiquent déjà en matière de chartes et d’expertises éthiques, d’audit (financiers, commerciaux, sociaux) ou de formation des personnels »[54], tandis que d’un point de vue juridique, les notions consacrées sont sujettes à interprétation, tant en matière de définition (§1) que de sanction (§2).

§ 1. Des définitions incertaines

  1.                  En l’absence de précision légale, il appartiendra au juge de déterminer les contours de l’obligation de vigilance, le contenu du standard de « vigilance raisonnable » et celui d’ » atteintes graves »[55]. Les incertitudes résultant de la réforme du Code civil sont encore plus problématiques. Comme le souligne le professeur Lucas, « n’apportant aucune précision sur ce qu’il y a lieu d’entendre par cette notion d’intérêt social qu’elle se contente de faire accéder au nirvana de la codification, la réforme laisse à chaque juge le soin de la définir. Là réside d’ailleurs tout le danger du bavardage auquel se ramène ce projet de loi peu convaincant, qui, en permettant au juge de remettre en cause les choix des dirigeants et des associés au nom de sa conception de l’intérêt social, le transforme en censeur de la gestion des sociétés, perspective inquiétante dans un pays comme le nôtre où – si l’on excepte les tribunaux de commerce – bien des magistrats ont une médiocre connaissance de l’entreprise »[56].
  2.                  La définition de la notion d’intérêt social est en effet l’objet de controverses doctrinales[57] la rendant malléable aux convictions économiques de chacun : la société, conçue comme la structure juridique organisant l’entreprise, peut être gérée sous différents prismes : soit celui de l’intérêt exclusif des associés, elle aurait alors pour seul objectif une maximisation à court terme des profits à leur égard ; soit celui des associés auquel s’ajoute la considération des parties prenantes, et cela, afin de garantir la pérennité de l’activité à plus long terme. Si la jurisprudence a fait le choix, sage, d’adopter une conception neutre de l’intérêt social en tant qu’intérêt autonome de la personne morale[58], il ne faut pas se méprendre sur les intentions du législateur en 1804. La mention à l’alinéa 1er de l’article 1833 du Code civil selon laquelle « la société doit avoir un objet licite et être constituée dans l’intérêt commun des associés » n’a rien de politique. Elle vise à caractériser le contrat de société par rapport aux autres contrats, lesquels sont marqués par l’antagonisme de l’intérêt des parties à travers l’échange de leur prestation[59]. Au contraire, la conclusion d’un contrat de société se caractérise par la convergence de la volonté des parties vers la réalisation d’un même but et l’organisation de leurs relations afin de l’atteindre[60], en l’occurrence, la création d’une richesse, de bénéfices. Une finalité partisane ne devrait donc pas être assignée à cette disposition qui ne fait que poser les conditions de validité de la conclusion du contrat de société par rapport aux autres contrats spéciaux, que la société ait vocation à abriter l’organisation de l’activité d’un commerce de proximité, d’une multinationale ou encore de la gestion d’un patrimoine. Dès lors, sous prétexte d’une simple consécration de la solution jurisprudentielle[61], la mention dans un même article de l’intérêt social, en sus de l’intérêt commun, prête à confusion sur l’intention éventuelle du législateur d’opposer ces deux notions. En outre, la rédaction est malheureuse car « l’adjectif social renvoie à la société de telle manière que la proposition selon laquelle “la société est gérée dans son intérêt social“ est redondante »[62].
  3.                  Des interrogations similaires pèsent sur les notions « d’enjeux sociaux et environnementaux », lesquelles doivent être intégrées à la gestion de la société.

Quelle est la substance de ces enjeux ? Si le législateur a jugé utile de les mentionner au sein du Code civil, cela signifietil que ces enjeux se différencient des obligations déjà contenues dans les Codes du travail, de l’environnement, ou encore de l’urbanisme ? Une réponse positive implique un dépassement par la société du contenu de ces textes. Mais cette méthode d’injonction comportementale a pour inconvénient de rabaisser la valeur de la loi en lui conférant le rôle d’une simple recommandation. Pour connaître plus précisément le contenu de cette nouvelle obligation, une lecture complémentaire de l’étude d’impact est nécessaire. Celleci indique qu’il s’agit d’une « obligation de moyens » qui « ne présage pas de l’orientation ou du contenu de la décision de gestion » ; elle n’est qu’une « étape impérative de la réflexion menée »[63]. La question se pose dès lors de savoir quelle est l’articulation de cette prise en considération avec la notion d’intérêt social ? Si l’article 1833 du Code civil est rédigé de façon à inclure ces enjeux comme une composante de l’intérêt social[64], ils en constituent, de toute évidence, une limite, ces derniers étant susceptibles de s’opposer à la profitabilité de l’activité[65]. De ce fait, l’absence de hiérarchie entre ces notions n’est pas aussi claire que le laisse supposer l’étude d’impact[66]. L’imprécision du texte ouvre la porte à une interprétation subjective par les tribunaux et, par conséquent, à la faculté de remettre en cause un choix de gestion, ce que la jurisprudence a toujours refusé en droit des sociétés[67]. Une autre source d’imprécision concerne le champ d’application du nouveau texte lorsqu’il évoque la gestion de la société. Celleci appartient en principe aux dirigeants sociaux, mais il ne semble toutefois pas falloir interpréter trop strictement le verbe « gérer ». L’étude d’impact mentionne en effet plusieurs exemples de cas où les associés seront amenés à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux[68]. En outre, l’intégration de ces enjeux dans le droit des sociétés anonymes ne contribue pas à identifier clairement le débiteur de cette nouvelle obligation. En l’attribuant au conseil d’administration, la loi brouille les frontières entre les pouvoirs de ce dernier et ceux du directeur général, alors même que cette problématique est récurrente s’agissant de la direction des sociétés anonymes[69]. L’ensemble de ces doutes a pu faire dire que la formule employée était « pour le moins énigmatique »[70], sans substance, « sauf à admettre que [ces enjeux sociaux et environnementaux] sont parfaitement inutiles et qu’ils ne sont en réalité qu’un effet d’annonce »[71].

  1.                  Des critiques tout aussi sévères ont été adressées à l’égard de la faculté pour les sociétés de se munir d’une « raison d’être ». Consacrée à l’article 1835 du Code civil, celleci a vocation à désigner les « principes dont la société se dote et pour le respect desquels elle entend affecter des moyens dans la réalisation de son activité ».

Qualifié « d’un peu fumeux »[72], ce concept inédit a suscité des réserves sur son utilité. La liberté contractuelle permettait en effet déjà aux sociétés qui le souhaitaient de mettre en avant, dans leurs statuts, les valeurs auxquelles elles adhèrent. En outre, ce concept se distingue difficilement d’autres notions tel que l’objet social[73] et tend, in fine, à remettre en cause la définition même de la société mentionnée à l’article 1832 du Code civil[74], en opposant une « raison d’être » à une « raison d’avoir », c’estàdire, la recherche d’un profit ou d’une économie[75]. Le professeur Tadros s’est ainsi demandé « s’il n’aurait pas été plus constructif de remettre la définition de la société sur le métier plutôt que de procéder à une modification de l’article 1835 du Code civil et de l’expliquer par des formules ésotériques qui laissent le lecteur sur sa faim et donnent l’impression que les rédacteurs du projet n’ont fait qu’instrumentaliser les groupements sociétaires à des fins politiques, sans véritablement fournir un contenu juridique »[76]. Une suppression de la possibilité de s’enrichir au titre du contrat de société serait en effet un choix extrême ayant pour conséquence de transformer toutes les sociétés en associations. Or, il n’est pas raisonnable de faire peser sur ce corpus de textes l’ensemble des maux dénoncés au titre des pratiques d’une « poignée de sociétés par actions qui, étant soumises aux contraintes des marchés et à l’obsession de la création actionnariale, sont concernées par les excès d’une financiarisation qui, dans sa version débridée, heurte le sens commun »[77].

  1.                  Par conséquent, la conclusion de ces observations n’est guère positive à l’instar de celles ayant été faites pour les notions précédentes : l’insécurité juridique semble malheureusement dominée ces nouveaux concepts, lesquels perturbent en outre la stabilité des textes fondamentaux du droit des sociétés. Or, plus qu’un autre domaine, ce corpus a besoin de clarté et de stabilité puisqu’il sert de support juridique à l’activité économique. Il appartiendra alors à la pratique et à la jurisprudence de préciser non seulement le contenu de ces notions, mais aussi leur portée. Une telle délégation ne peut être acceptable qu’en présence de principes dont le contenu est clair, ce qui n’a pas été démontré en l’occurrence, et ne le sera pas davantage à l’égard des sanctions accompagnant leur violation.

§ 2. Des sanctions incertaines

  1.                  À l’instar des notions consacrées au nom de la RSE, les sanctions frappant leur irrespect font l’objet de discussions, tantôt quant à leur effectivité, tantôt quant à leur détermination. Ces failles ont néanmoins un point commun : celui de trouver leur source dans l’inadéquation de la transposition du droit souple au droit dur.

A. La déclaration de performance extrafinancière

  1.                  L’absence de sanction de cette déclaration a pu être regrettée au titre d’une « confusion du législateur entre soft law et hard law »[78], le dispositif créé dépendant in fine de la seule volonté des entreprises. La seule possibilité pour les personnes intéressées à faire respecter cette obligation consiste à saisir en référé le président du tribunal en vue d’enjoindre, sous astreinte, au conseil d’administration ou au directoire, selon les cas, de communiquer ces informations manquantes[79]. En outre, il s’avère que le bilan de leur application par les entreprises du CAC 40 est faible. Leur respect n’est rien de plus qu’une mise en conformité avec les exigences légales, et cette absence de volontarisme s’explique principalement par l’absence de sanction de ces obligations de reporting, et notamment pénale.

B. Les articles 1833 et 1835 du Code civil

  1.                  Une critique semblable a été adressée aux modifications du Code civil réalisées par la loi PACTE, lesquelles entendent « encourager la prise en compte de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises »[80]. Cette affirmation illustre le paradoxe de la consécration du droit souple par le droit dur, le législateur ne se satisfaisant pas du caractère volontaire de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises, mais se refusant « à édicter de véritables obligations en la matière, créant ainsi une forme d’hybride (…), dont on peine à anticiper ce qu’il sera concrètement »[81]. L’apport normatif d’une prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux n’est en effet pas neutre. La lecture combinée de l’étude d’impact et l’avis du Conseil d’État sur le projet de loi permet de qualifier cette injonction d’obligation de réflexion ce qui, dans le cadre d’une démarche RSE, implique que la société soit en mesure de justifier de celleci conformément au mécanisme anglosaxon du « comply or explain ». Il est ainsi suggéré à la société d’élaborer une politique en fonction de la nature de son activité, et les dirigeants justifieront ensuite pourquoi leurs décisions se conforment aux exigences induites par les enjeux sociaux et environnementaux ou, au contraire, y dérogent. Or aucun texte ne précise quelle est la sanction applicable en cas d’inobservation de cette « obligation de moyens qui ne présage pas de l’orientation ou du contenu de la décision de gestion »[82].
  2.                  En ce sens, le Conseil d’État a affirmé que ce « principe de gestion diligente et raisonnable [n’est] assorti d’aucune sanction, et il faut dire que tout semble avoir été fait pour circonscrire les risques juridiques encourus, dans le but de rassurer les milieux d’affaires et pour ne pas ouvrir une “boîte à Pandore“ avec un risque de multiplication des contentieux »[83]. Ainsi, la méconnaissance du nouvel intérêt social élargi ne saurait être sanctionnée par la nullité de la société sur le fondement de l’article 184410, al. 1er du Code civil, pas plus que sur celui de son alinéa 3, lequel prévoit l’annulation des actes ou délibérations des organes sociaux[84]. La seule possibilité demeure donc l’engagement de la responsabilité du fautif à laquelle fait référence l’étude d’impact. Selon elle, « les nouvelles dispositions ne créent pas de nouveau régime de responsabilité délictuelle. Toute responsabilité, de la société comme des dirigeants, qui serait recherchée sur le fondement de l’absence de prise en considération des enjeux sociaux et environnementaux, devrait s’inscrire dans l’une des hypothèses reconnues par le droit commun des sociétés (existence d’une faute, d’un préjudice et d’un lien de causalité) »[85]. Dès lors, lorsqu’une raison d’être a été adoptée, la violation de ces dispositions légales ou stipulations statutaires, est susceptible d’engager la responsabilité des dirigeants et celle de la société. Les observateurs sont néanmoins unanimes pour reconnaître les doutes entourant la mise en œuvre de ces actions[86].
  3.                  Quant à la caractérisation de la commission d’une faute par les dirigeants, sa qualification ne sera pas aisée au regard du potentiel antagonisme entre l’intérêt social et les enjeux sociaux et environnementaux. Un dirigeant pourrait de la sorte être révoqué pour avoir privilégié l’intérêt social au détriment de ces enjeux. Or force est d’admettre qu’une révocation fondée sur ce motif serait paradoxale puisque ce dernier doit, précisément, être conforme à l’intérêt social. Et, inversement, la question se pose de savoir si un dirigeant pourrait « faire valoir qu’il a accompli un acte contraire à l’intérêt social, mais afin de donner toute sa mesure à l’obligation qui est la sienne de prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux ? En d’autres termes, […] l’article 1833 du Code civil contiendraitil un nouveau fait justificatif, une nouvelle cause d’exonération potentielle pour les dirigeants sociaux »[87] ? Le dirigeant pourrait aussi voir sa responsabilité engagée par le biais de l’exercice de l’action ut singuli si sa faute engendre un préjudice à l’égard de la société. Cette action a néanmoins peu de succès en pratique car « l’associé agissant supporte les frais de procédure sans en retirer le moindre bénéfice direct puisque les dommages et intérêts obtenus seront versés à la seule société »[88]. Quant aux tiers, ils devront respecter les conditions classiques d’engagement de la responsabilité des dirigeants sociaux, à savoir, une faute intentionnelle d’une particulière gravité se détachant de leurs fonctions[89]. Au contraire, si la faute se rattache aux fonctions, alors la société devra en répondre. Toutefois, conformément à la volonté du législateur, les risques pesant sur elle seront faibles.
  4.                  D’abord, lorsque la violation invoquée concerne la raison d’être, la capacité des tiers à invoquer les statuts n’est pas certaine. Sur ce point, la jurisprudence semble évolutive[90] et, en outre, la société peut inclure des clauses interdisant aux tiers de s’en prévaloir[91]. Ensuite, même si l’action était jugée recevable, les conséquences de celleci seraient relativement faibles. Le préjudice, ici, consiste uniquement en une perte de chance d’éviter un dommage. Le demandeur doit dès lors démontrer que si l’obligation avait été respectée, le dommage aurait été évité. En raison de la difficulté à apporter une telle preuve, les condamnations devraient être peu nombreuses[92].

C. Le devoir de vigilance des sociétés mères et donneuses d’ordre

  1.                  Ce reproche avait déjà été exprimé à l’égard de la loi instituant un devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre[93], alors même que ce texte institue le cadre le plus rigoureux de leur responsabilisation. Outre la possibilité d’être mises en demeure de respecter leurs obligations[94], le texte envisage surtout un possible engagement de leur responsabilité civile par renvoi au droit commun des articles 1240 et 1241 du Code civil. Toutefois, ses effets seront limités à la réparation du préjudice qui aurait pu être évité si la société avait respecté ses obligations de vigilance[95]. Le lien de causalité entre la faute et le dommage est donc particulièrement distendu, ce que la doctrine a unanimement regretté. Audelà de cette critique, d’autres incertitudes éloignent l’effectivité du régime institué de l’intention initiale du législateur. Comme le souligne le professeur Desbarats, « l’existence d’une faute pourra être constatée en présence d’une cartographie manifestement insuffisante des risques ou bien de violation des procédures internes de contrôle instaurées par la société ellemême dans le cadre du plan. En revanche, comment sera abordé le débat sur le caractère “raisonnable“ ou “déraisonnable“ des mesures de vigilance requises et mises en œuvre par la société ? Quelles sont les normes qui devront être respectées dans les domaines environnementaux, des risques corporels ou sanitaires, des droits humains, des libertés fondamentales et de la corruption ? En outre, comment pourra être établi un lien de causalité entre le dommage et le fait générateur ? Et comment apprécier les dommages réparables : “en fonction des standards du droit français ou en tenant compte des circonstances locales“ »[96] ? Le champ d’application de cette responsabilité est donc pour le moins limité. De plus, le Conseil constitutionnel a souligné qu’il était à craindre que « la prise en compte d’éléments touchant à l’international donnera lieu à des questionnements juridiques et probatoires particulièrement épineux, notamment en matière d’expertises […] »[97]. En effet, la loi compétente est en principe celle du lieu de la survenance du dommage, sauf si son application est écartée au profit de la loi du for par une loi de police. Or, il ne semble pas que cette qualification soit applicable à la loi du 27 mars 2017, créant ainsi « un doute sérieux quant à la portée réelle de la réforme »[98].

D. La société à mission

  1.                  Enfin, le statut de société à mission[99] n’est pas épargné par le flou entourant les sanctions de l’irrespect de la mission. Or, cette imprécision « crée un danger pour les candidats [à ce] statut, car toutes ses conséquences ne sont pas claires »[100]. Comme pour la violation de l’intérêt social élargi et la raison d’être, se posent des questions relatives à la nullité de l’acte méconnaissant la mission et à l’engagement de la responsabilité civile délictuelle des dirigeants ou de la société.
  2.                  En premier lieu, dans les rapports externes, la possibilité pour un tiers d’invoquer la nullité de l’acte méconnaissant les statuts n’est pas fixée[101]. Elle ne l’est pas davantage au titre de la responsabilité civile délictuelle. Les conséquences de la violation de la mission sont donc difficiles à cerner à l’égard des tiers. Le seul recours viable dont ils disposent est celui mentionné à l’article L. 21011 du Code de commerce, lequel indique que « (…) le ministère public ou toute personne intéressée peut saisir le président du tribunal statuant en référé aux fins d’enjoindre, le cas échéant sous astreinte, au représentant légal de la société de supprimer la mention “ société à mission ” de tous les actes, documents ou supports électroniques émanant de la société ». Il ne s’agit donc pas d’une sanction juridique stricto sensu mais d’une sanction médiatique à l’instar du mécanisme anglosaxon du « Name and Shame », laquelle sanctionne « le trop plein en paroles et le trop peu en actes [en jetant] le discrédit sur les entreprises qui embellissent la réalité à l’aide de logiques cosmétiques. Il vise, en érodant leur capital réputationnel, à les contraindre de modifier leur politique »[102]. Le procédé peut donc être d’une redoutable efficacité dans une société de l’information où la défiance des consommateurs et des investisseurs coûte plus cher qu’une condamnation financière. Seulement, un État de droit sauraitil se satisfaire de déléguer son pouvoir de coercition à la vindicte populaire, témoignant de la sorte d’un étiolement de la démocratie représentative ? Si un juste équilibre entre régulation publique et régulation privée se conçoit à l’aune d’un contrôle objectif tel que réalisé par un « organisme indépendant »[103], cette démarche ouvre néanmoins la porte à la promotion d’une justice privée, laquelle peut être excessive, arbitraire, spécialement à l’heure où « les réseaux sociaux deviennent parfois des défouloirs malsains »[104].
  3.                  En second lieu, dans les rapports internes, des questions se posent également en matière de nullité de l’acte, mais ce sont surtout les dirigeants qui risquent d’être sanctionnés, car, pour que la société puisse invoquer cette nullité, il faudrait que « la mission prévue par les statuts soit considérée comme une clause aménageant une disposition impérative au sens de l’article L. 2351 du Code de commerce, […], à moins que l’adoption du statut constitue véritablement une nouvelle limite légale aux pouvoirs de tous les organes sociaux »[105]. Les dirigeants sociaux sont donc les premiers exposés par la menace d’être révoqués ou de voir leur responsabilité engagée pour avoir méconnu les statuts et commis une faute de gestion. Audelà de ces conséquences strictement juridiques, cette faute de gestion contraire à l’intérêt social élargi, à la raison d’être, ou à la mission de la société, pourraitelle être qualifiée d’acte anormal de gestion d’un point de vue fiscal[106] ?
  4.                  Force est de constater que les implications engendrées par ces nouveaux concepts sont nombreuses et semblent se démultiplier à l’infini. Les incertitudes prévalent, à défaut d’applications concrètes, et il appartiendra, là encore, à la pratique et aux juges, de préciser les ramifications de ces textes. Toutefois, cette délégation n’est guère satisfaisante. Les doutes suscités sont tels qu’ils remettent en cause la qualité de la loi et l’habilité du législateur à édicter des principes clairs et intelligibles, conformément aux exigences constitutionnelles. Afin de conférer toute sa vigueur à la responsabilisation des entreprises, un remède consisterait à redonner son sens au mot « responsabilité », lequel implique une reddition de comptes effective, lorsqu’une personne ou une organisation porte atteinte, par son comportement, aux valeurs garanties par la loi.

PARTIE II. LA CRÉATION D’UN NOUVEAU CAS DE RESPONSABILITÉ CIVILE DES ENTREPRISES

L’état des lieux réalisé démontre que si la transposition de la démarche RSE dans la loi est louable, mais elle engendre de trop nombreuses incertitudes[107]. Celles‑ci peuvent toutefois être résorbées par la consécration d’un nouveau cas de responsabilité civile, lequel est non seulement fondé juridiquement (section I) mais aussi, parfaitement viable, grâce au soutien d’un régime à la fois classique et novateur (section II).

Section I. Les fondements de la consécration d’un nouveau cas de responsabilité civile

Cette consécration est juridiquement fondée par la convergence des textes du droit positif vers l’application de la responsabilité civile et la nécessaire recherche d’une plus grande attractivité de nos lois. En outre, la légitimité du choix de la responsabilité civile repose sur ses fonctions (§1). Ce nouveau principe permettrait d’apporter une réponse pratique à de nombreux problèmes contemporains, spécialement ceux suscités par l’activité des géants du net (§2).

§1. Les fondements juridiques de la responsabilité civile des entreprises

La consécration d’un principe de responsabilité civile des entreprises constitue l’innovation majeure de cette proposition de loi. Elle s’inscrit dans la continuité du droit positif, tout en allant plus loin. En effet, les solutions du droit positif tendent toutes vers l’application de la responsabilité civile mais son absence de consécration créée une insécurité juridique (A). À l’instar du cap déjà franchi par certains modèles étrangers (C), il serait donc légitime de la consacrer afin d’accroître l’attractivité du droit français (B).

A. Une convergence du droit positif vers cette consécration

  1.                  Qu’elles soient explicitement posées ou implicitement suggérées, les sanctions de la méconnaissance des textes ayant trait à la RSE tendent à engager la responsabilité civile du fautif : le dirigeant ou la société. Le flou entourant leurs conditions de mise en œuvre ne garantit cependant pas l’effectivité de l’action[108]. Néanmoins, puisqu’il existe une telle convergence vers l’application de la responsabilité civile, le droit gagnerait en clarté en édictant un nouveau principe général ayant pour champ d’application les entreprises.
  2.                  Loin de faire valoir uniquement la fonction curative de la responsabilité civile, l’édiction de ce principe aurait aussi vocation à mettre en avant sa fonction préventive. Celleci mériterait en effet d’être davantage usitée, car elle constitue une alternative à la transposition de mécanismes inspirés du « soft law ». Leur intégration, plus ou moins heureuse, nuit à la cohérence de notre système juridique, dont la structure et l’esprit sont différents. Mais en dépit de ces différences, celuici contient aussi des instruments aptes à atteindre les objectifs préconisés dans le cadre d’une démarche dite « RSE ». À cet égard, la technique de la responsabilité civile semble particulièrement appropriée. Elle accorde une place centrale à l’idée d’obligation, en permettant la transformation d’un devoir éthique en une véritable obligation juridique. En outre, elle est suffisamment souple pour répondre à « la pression des faits sur le droit [laquelle] consiste en l’apparition de dommages nouveaux ignorés dans la période précédente : apparition des accidents liés à l’évolution technique, à la fin du XIXème siècle, apparition de nouveaux risques liés à l’évolution technologique, à la fin du XXème siècle » [109]. Comme le souligne le professeur Thibierge, « ces risques nouveaux amènent le droit positif à ses limites et viennent souligner son insuffisance. […] Cette insuffisance constitue alors le terreau d’idées nouvelles : proposition de la théorie du risque, puis de la garantie qui permettent au droit de s’affranchir de l’exigence d’une faute prouvée et de créer ainsi une responsabilité sans faute ; développement philosophique du principe de responsabilité et de l’idée d’une responsabilité orientée vers l’avenir, qui permettrait au droit de s’affranchir de la nécessité d’un préjudice consommé et de créer une responsabilité pour simple menace de dommage, à la condition que celuici soit suffisamment grave »[110].
  3.                  C’est vers cette dernière orientation que se dirige la présente proposition. Il ne s’agira pas de consacrer une responsabilité sans faute à l’égard des entreprises, car elles risqueraient de voir leur liberté d’entreprendre freinée par l’éventualité d’une interprétation subjective des juges[111]. Cette nouvelle responsabilité sera à la fois préventive et curative. Préventive en premier lieu, car, outre la crainte légitime de la sanction pécuniaire qu’elle engendrera, cette action permettra aussi d’obtenir des mesures de suspension, de conservation, et de créer des obligations de recherches complémentaires. Elle sera une responsabilité conservatoire en ce sens qu’elle pourra empêcher la réalisation future d’un dommage certain, dont l’existence se manifeste par des menaces. Mais cette responsabilité sera aussi curative, en second lieu, car elle a un rôle de rétribution[112], lequel est attendu de la société civile et même, paradoxalement, de la plupart des acteurs économiques[113]. À l’heure où notre droit s’évertue à poser des règles non coercitives pour se conformer à des standards anglosaxons, un renforcement de cet aspect est plébiscité afin qu’une véritable crédibilité soit accordée aux entreprises les plus vertueuses[114]. En ce sens, un traité onusien contraignant les entreprises multinationales à respecter les droits humains est en débat[115], tandis que la commission nationale consultative des droits de l’Homme a également souligné la nécessité de davantage expliciter les responsabilités civiles, administratives et pénales, ainsi que leur articulation[116].
  4.                  La présente proposition s’inscrit donc dans la lignée d’un renforcement de l’effectivité du droit en permettant de faire cesser l’illicite à un double niveau : avant la réalisation du dommage, en agissant sur sa source dans un but préventif, et une fois celuici réalisé, en vue d’atténuer le trouble subi, par la condamnation de son auteur afin, non seulement de réparer sa faute auprès de la victime, mais aussi, selon une fonction plus contemporaine, de dénoncer publiquement son comportement antisocial à l’instar des effets recherchés par la technique du « Name and Shame ». Au regard de ces éléments novateurs, le droit français garderait son rôle de précurseur en la matière, et la cohérence ainsi retrouvée lui conférerait une réelle attractivité.

B. Un principe renforçant l’attractivité du droit français

  1.                  L’insertion de la notion de RSE dans le Code civil devait constituer le sommet d’une évolution tendant à incorporer le droit souple au droit dur afin de rendre les entreprises comptables d’une fraction de l’intérêt général. En rendant autonome cette notion par rapport aux obligations de conformité, la loi imposait aux entreprises non plus de déclarer mais d’agir. Il n’est pourtant pas certain que ces objectifs soient atteints à l’aune des impératifs d’accessibilité du droit et de sécurité juridique.
  2.                  L’accessibilité du droit résultant de la modification du Code civil est de toute évidence discutable puisqu’il faut sans cesse se référer à l’étude d’impact et à l’avis du Conseil d’État pour en saisir la substance[117]. En outre, la modification du Code civil a certes une valeur symbolique forte mais sa portée, selon l’aveu même de l’étude d’impact, devrait être « nul[le], s’agissant de l’introduction de la référence à l’intérêt social (une simple intégration de solutions jurisprudentielles) et limité[e] pour ce qui concerne l’invitation à prendre en considération les enjeux sociaux et environnementaux de l’activité de la société (une simple obligation de moyens »[118]. À l’heure où la crédibilité de la représentation nationale est remise en cause, il appartient au législateur de rectifier la voie choisie en respectant la fonction de la loi : celle d’exprimer la volonté générale. Or, notre société n’a pas seulement le souhait d’enjoindre aux entreprises ne respectant pas nos valeurs de mieux les considérer. Elle souhaite aussi que la loi assure son rôle et ait un effet coercitif à l’égard de celles qui se jouent, par d’habiles stratagèmes, de l’intérêt général[119].
  3.                  L’absence de précision des sanctions attachées à ces injonctions légales conforte, malheureusement, ces comportements, tout en créant une insécurité juridique latente puisque la détermination des sanctions accompagnant leur méconnaissance est désormais déléguée à la pratique et aux juges[120]. Or les injonctions de communication ne résolvent pas les difficultés liées à une information erronée, tandis que l’éventualité d’un engagement d’une responsabilité des dirigeants, sur un plan purement interne, n’est guère satisfaisante au regard des enjeux collectifs auxquels ont trait ces réformes. En pratique, cellesci ont également entraîné des lourdeurs procédurales et un surcoût pour les entreprises qui respectaient déjà volontairement, au titre du droit souple, les normes issues de la RSE[121].
  4.                  La présente proposition de loi suggère un retour aux finalités respectives de la loi et de la gestion, car la RSE est avant tout une méthode de gestion. Elle se révèle difficilement transposable en tant que norme juridique, spécialement sous l’influence de techniques anglosaxonnes, lesquelles engendrent, dans notre système juridique, de nombreuses incohérences. La loi, quant à elle, a vocation à édicter des principes généraux applicables au plus grand nombre. L’édiction d’un principe général applicable à l’ensemble des entreprises redonnerait une attractivité certaine à notre droit, lequel a perdu son unité, en légiférant sous le prisme de l’activité des plus grandes sociétés[122]. La démarche proposée est ainsi inversée par rapport à celle usitée pour transposer les normes de soft law. Il ne s’agit pas de s’immiscer dans la gestion des entreprises en leur enjoignant un comportement. Il s’agit de rappeler un impératif général : celui de respecter nos lois et nos valeurs. Les entreprises les plus susceptibles d’être concernées seront alors libres de choisir leur méthode afin de se conformer à cet impératif.

C. La légitimité du choix de la responsabilité civile

Ce choix est légitime d’un point de vue fonctionnel (1) et au regard de son adoption par d’autres modèles étrangers (2).

  1.                     La légitimité fonctionnelle
  1.                  À la fin du XIXème siècle, c’est le juge qui, face à la montée des risques industriels, avait le premier découvert les principes fondateurs du fait de la responsabilité du fait des choses. Aujourd’hui encore, il pourrait trouver dans le droit de la responsabilité civile des réponses aux questions nouvelles suscitées par la RSE. Les réflexions suscitées par le thème de la responsabilité solidaire sont à même d’y répondre.
  2.                  Dans le sens technique précis que lui donne le Code civil, la responsabilité solidaire ou in solidum est un mécanisme autorisant la victime d’un dommage à en demander réparation intégrale à l’un quelconque des coresponsables, lequel peut alors exercer une action récursoire contre les autres, ainsi appelés à contribuer chacun au prorata de sa responsabilité. C’est audelà de cette définition précise qu’apparaissent aujourd’hui d’autres formes de solidarité entre débiteurs. Ces formes nouvelles sont généralement moins avantageuses pour la victime que la responsabilité in solidum. Ainsi en matière de responsabilité du fait des produits défectueux, la Cour de justice de l’Union européenne fait prévaloir la responsabilité du producteur (autrement dit, celui qui a mis en circulation le produit) en sorte que la victime ne peut obtenir réparation de son fournisseur qu’à défaut de désignation par celuici de son propre fournisseur ou du producteur. Il n’en reste pas moins qu’une forme atténuée de solidarité existe entre les professionnels impliqués dans la chaîne de distribution. Il en va de même des dispositions aujourd’hui applicables aux chaînes de soustraitance en droit européen, le contractant dont l’employeur est un soustraitant direct pouvant, en sus ou en lieu et place de l’employeur, être tenu responsable du respect de ses droits par le travailleur détaché.
  3.                  Ainsi entendue au sens large de la possible mise en cause de la responsabilité d’une entité juridique exerçant un contrôle sur l’activité d’une autre, la responsabilité solidaire a émergé ces dernières années dans les domaines les plus divers : travail illégal[123], licenciements économiques[124], infraction aux règles de santé et de sécurité[125], infraction aux règles de la concurrence[126], corruption ou fraude fiscale[127], pollution marine[128], remise en état écologique des sites industriels[129]
  4.                  L’idée avait été avancée dès 2005, dans le projet Catala de réforme du droit des obligations, de ne pas s’en tenir à ce type de dispositions ponctuelles. Ce projet prévoyait en effet que « celui qui encadre ou organise l’activité professionnelle d’une autre personne et en tire un avantage économique est responsable des dommages causés par celleci dans l’exercice de cette activité ». Une règle semblable était prévue pour « celui qui contrôle l’activité économique ou patrimoniale d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle »[130]. L’adoption de cette proposition audacieuse aurait donné pour base légale à cette responsabilité solidaire l’adage ubi emolumentum ibi onus (où est le profit doit être la charge[131]. Ce principe aurait été de nature à prévenir par exemple l’implication d’entreprises françaises dans le drame du Rana Plaza. Le Parlement avait reculé à l’époque face aux menaces de délocalisation[132]. Enterrée par le Sénat, cette dernière proposition n’avait pas été reprise dans le dernier projet de réforme du droit de la responsabilité civile qui tendait, au contraire, à restreindre autant que possible le champ de la responsabilité du fait d’autrui. L’article 1242, al. 1er, aux termes duquel » On est responsable non seulement du dommage que l’on cause par son propre fait, mais encore de celui qui est causé par le fait des personnes dont on doit répondre […] ». Or le projet avait vocation à tuer dans l’œuf le principe général de responsabilité du fait d’autrui découvert par la jurisprudence, en substituant aux termes de l’actuel alinéa 1 de l’article 1384 une formulation tout à fait restrictive, propre à interdire toute nouvelle extension du champ de cette responsabilité : « On est responsable du dommage causé par autrui dans les cas et aux conditions posées par les articles 1246 à 1249 »[133]. Ces restrictions ne sont pas reprises par la proposition de loi déposée par le Sénat visant également à réformer le droit de la responsabilité civile. Cependant, cette dernière ne consacre pas davantage la dynamique de la solidarité en matière de responsabilité des grandes entreprises. Selon le professeur Alain Supiot[134], il existe une volonté d’endiguer cette dynamique laquelle est particulièrement manifeste à la lecture des décisions du Conseil constitutionnel. Celuici, sous le prisme d’une analyse économique du droit s’emploie à écarter ou à limiter autant qu’il le peut la portée de l’idée de solidarité. Au nom de la liberté contractuelle (des seuls employeurs), il a ainsi neutralisé en 2013, à l’occasion de la généralisation de l’assurance complémentaire santé, les clauses de désignation qui permettaient d’établir « un degré élevé de solidarité » entre entreprises relevant d’une même branche d’activité[135]. Plus récemment, dans deux décisions répondant à des questions prioritaires de constitutionnalité, il a usé du principe de proportionnalité pour pouvoir limiter à l’avenir la responsabilité des donneurs d’ordres dans les réseaux de production[136]. Ce principe permet en effet de subordonner la mise en œuvre de n’importe quelle règle à un calcul d’utilité et de purger ainsi l’ordre juridique de toute espèce de principe ou de règle intangible[137]. Dès lors, tant la responsabilité solidaire que la responsabilité pour autrui sont ainsi déclarées suspectes d’atteinte potentielle au principe constitutionnel de responsabilité et soumises à un strict contrôle de justification et de proportionnalité.
  5.                  Cette position française ne correspond pourtant pas à l’orientation mondiale. Une résurgence de la solidarité est partout visible comme remède à l’irresponsabilité. Ce mouvement n’est guère surprenant si l’on se réfère au nécessaire fondement solidaire de l’établissement du lien contractuel. Il ne se limite pas aux sociétés commerciales. Le Parlement européen a entrepris de lutter contre le « dumping social ». À cette fin, il a adopté le 14 septembre 2016 une résolution contenant deux dispositions relatives à la responsabilité des donneurs d’ordre[138]. Les organisations financières internationales et les États sont également susceptibles d’être touchés. En témoigne la mise en cause récente de la responsabilité du FMI dans l’épidémie d’Ebola, laquelle a révélé les conséquences mortifères du démantèlement des infrastructures sanitaires promu par cette organisation dans le cadre des plans d’ajustement structurel. Ou bien les poursuites engagées en Inde contre l’instrument financier de la Banque mondiale (International Finance Corporation, IFC), pour son soutien financier à la construction d’une centrale électrique réalisée en violation des droits fondamentaux des populations environnantes (notamment leur accès en eau[139]).
  6.                  À l’autre bout de la chaîne de responsabilité, ce sont les personnes physiques que l’idée de solidarité permet d’atteindre, audelà de la seule mise en cause des personnes morales qu’ils dirigent ou contrôlent. Dans le domaine financier, diverses dispositions de droit américain visent ainsi à rendre les personnes physiques responsables des conséquences des fautes commises par les sociétés commerciales qu’elles dirigent. Ainsi la loi SarbanesOxley, adoptée par les ÉtatsUnis en 2002 à la suite de l’affaire Enron, a réactivé le fondement religieux de la vérité des comptes, en imposant leur certification sous serment, par les présidents de sociétés cotées et leurs directeurs financiers. Les dirigeants des sociétés étrangères cotées aux ÉtatsUnis sont eux aussi soumis à cette obligation, qui est assortie de lourdes sanctions pénales[140]. Le contexte de cette réforme invite à rapprocher l’essor de la solidarité en droit de la responsabilité de celui de techniques différentes qui, tels les produits dérivés, permettent de transmettre un risque associé à la valeur d’une chose sans transmettre la chose ellemême[141]. Ces techniques ontelles aussi pour effet de permettre à des opérateurs économiques, notamment dans le domaine financier, de se décharger sur d’autres des risques engendrés par leur activité. L’ambition affichée par le Parlement européen dans sa résolution du 10 mars 2021 s’inspire de la loi française relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre[142]. Le devoir de vigilance s’enracine progressivement dans le débat juridique. Il s’agit d’imposer à certaines sociétés la vigilance sur l’activité de leur sphère d’influence (soustraitants, fournisseurs, filiales, etc.) concernant le respect de certains droits essentiels. Les sociétés concernées sont qualifiées de « sociétés dominantes » en raison du pouvoir qu’elles détiennent sur d’autres acteurs économiques. Sa montée en puissance s’effectue d’abord à travers des mesures volontaires, lesquelles sont ensuite devenues des obligations, que le législateur recherche à rendre plus effective. L’adoption d’une directive européenne pourrait en constituer l’aboutissement dans le cadre continental.
  7.                  Ainsi, dans un premier temps, de nombreuses sociétés dominantes ont adopté une démarche volontaire de vigilance. Une caractéristique commune émerge : la valeur juridique incertaine de ces engagements. Accompagnés par plusieurs organisations internationales[143], ils constituent du « droit mou » dont l’effectivité est questionnée. Leur dépassement est rapidement apparu comme une nécessité.
  8.                  Puis, l’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013 a constitué un point de rupture. L’intervention du « droit dur », apparaissant alors comme un impératif, il a pris forme dans les lois françaises (loi n° 2017399 du 27 mars 2017 relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre) et néerlandaise (Wet van 24 oktober 2019 n. 401 loi relative à l’introduction d’un devoir de diligence pour empêcher la fourniture de biens et de services provenant du travail d’enfant[144]). Au niveau international, l’ONU entame des démarches pour la mise en place d’un « instrument international juridiquement contraignant ». Toujours en cours, elles ne semblent pas en mesure d’aboutir à court terme. L’Union européenne (UE) montre également sa détermination à s’engager, tout d’abord au moyen d’une démarche sectorielle[145].
  9.                  Aujourd’hui, après ces premières étapes, des voix s’élèvent afin d’aller plus loin. Elles ont été entendues par le Parlement européen qui se saisit désormais du sujet avec une ambition renouvelée. La résolution adoptée le 10 mars 2021 le démontre. Celleci est complétée d’un projet de directive clé en main qui pourrait servir de base de réflexion à la Commission. La directive s’inspirerait largement de la loi vigilance française. Sa philosophie serait identique et la méthode retenue similaire. Il s’agirait d’imposer à la société dominante d’identifier au sein de sa sphère d’influence les activités à risque concernant « les droits de l’homme, l’environnement et la bonne gouvernance » ; de mettre en place une « stratégie de vigilance » en y associant les « parties prenantes » ; d’assurer la publicité de cette stratégie. La société dominante serait tenue de prendre « toutes les mesures de précaution requises […] pour éviter le préjudice » subi en raison de manquements aux droits humains/environnementaux, soit une obligation de moyens. Le lien avec le droit français est évident. Celuici impose aux « sociétés mères et entreprises donneuses d’ordre » d’établir, publier et mettre en œuvre un plan de vigilance comprenant « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement »[146].
  10.                  De la sorte, une forme de consécration européenne de l’initiative du législateur français pourrait aboutir. Une nuance s’impose néanmoins. Ses failles et difficultés de mise en œuvre, mises en lumière par de nombreux commentateurs, semblent avoir été prises en compte par le projet de directive. Celleci apporterait de sensibles améliorations en faveur de la dimension contraignante du devoir de vigilance. Il s’agirait notamment :

-    De définir plus rigoureusement certaines notions : l’article 3 du projet de directive est consacré aux « définitions » : parties prenantes, fournisseurs, sous‑traitants, etc. Il est ainsi donné des contours précis aux termes utilisés. Cette démarche est essentielle en raison de l’utilisation d’expressions non juridiques issues de la RSE. La loi vigilance est apparue comme défaillante et largement perfectible sur ce point[147].

-    D’associer obligatoirement les parties prenantes au fonctionnement de l’entreprise : l’article 5 du projet de directive garantirait « le droit pour les syndicats […] et pour les représentants des travailleurs, d’être associés de bonne foi à l’élaboration et à la mise en œuvre de la stratégie de vigilance de leur entreprise ». Plus généralement, l’association des parties prenantes ne serait pas une option pour la société dominante mais une obligation. Cela n’est pas le cas dans la loi vigilance : « les dispositions selon lesquelles le plan de vigilance « a vocation » à être élaboré avec les « parties prenantes de la société » ont une portée incitative »[148].

-    De créer une autorité indépendante chargée de veiller au respect du devoir de vigilance : l’article 12 du projet de directive imposerait la désignation « d’une ou plusieurs autorités nationales compétentes chargées de surveiller l’application de la directive, une fois transposée en droit national […] ». Cette autorité de surveillance devrait être indépendante et disposer de ressources, d’une infrastructure, de l’expertise et de locaux adéquats. Il lui serait accordé un large pouvoir d’enquête et de sanction (art. 13). Dans le cadre de la loi vigilance, cette autorité n’existe pas malgré l’habitude du droit français à recourir à un tel mécanisme[149]. Il s’agit de l’une de ses principales failles, utilement corrigée par le projet de directive.

-    De créer des sanctions administratives : l’article 18 du projet de directive imposerait, en cas de manquement au devoir de vigilance commis par la société dominante, des sanctions « effectives, proportionnées et dissuasives ». Il est précisé que « les autorités compétentes nationales peuvent en particulier infliger des amendes calculées sur la base du chiffre d’affaires d’une entreprise […] ». Le mécanisme de l’amende s’inspire de la loi vigilance adoptée définitivement par l’Assemblée nationale. Il y était prévu que « le juge [puisse] condamner la société au paiement d’une amende civile d’un montant qui ne peut être supérieur à 10 millions d’euros ». Cette amende civile a été censurée par le Conseil constitutionnel en raison de l’imprécision des termes retenus par le législateur[150]. En cas de transposition de la directive, il devra se montrer plus exigeant. L’amende permettrait de suppléer les difficultés de mise en œuvre de la responsabilité civile dans le cadre du devoir de vigilance. En parallèle des sanctions, l’article 13 du projet de directive imposerait un sévère pouvoir administratif de suspension temporaire de l’activité de la société dominante en cas de manquement grave au devoir de vigilance. La loi vigilance permet simplement au juge d’ordonner sous astreinte un respect des obligations[151].

-    D’instituer une présomption de responsabilité en cas de préjudice : en raison de l’obligation « de moyens » que constitue le devoir de vigilance, la responsabilité civile associée est nécessairement du fait personnel. Il s’agit de déterminer si le manquement de la société dominante à son devoir de vigilance est en causalité avec le préjudice subi par un tiers. La loi vigilance opère une référence directe aux articles 1240 et 1241 du code civil[152]. Si le projet de directive confirme le recours à la responsabilité civile du fait personnel, il envisage un mécanisme innovant de présomption réfragable de responsabilité (art. 19). Il ne s’agirait plus pour le tiers de prouver la causalité d’une faute avec le préjudice subi, mais à la société dominante de démontrer avoir « pris toutes les mesures de précaution requises […] pour éviter le préjudice, ou que le préjudice se serait produit même si toutes les précautions nécessaires avaient été prises », soit une obligation de moyens renforcée.

-    De qualifier les nouvelles dispositions en tant que loi de police : selon l’article 20 du projet de directive, « les États membres veillent à ce que [s]es dispositions […] soient considérées comme des dispositions impératives dérogatoires au sens de l’article 16 du règlement (CE) n° 864/2007 », dit « Rome II ». Il s’agirait d’imposer de manière heureuse la qualification de loi de police (et de sûreté) au devoir de vigilance afin de garantir son déploiement au‑delà des frontières européennes. Cette précision, sollicitée par de nombreux acteurs, a été écartée sans véritable explication par le législateur français dans le cadre de la « loi vigilance ».

  1.                  Par conséquent, le chemin vers un devoir de vigilance européen de la société dominante sera sans doute long. Mais la résolution adoptée par le Parlement le 10 mars 2021 démontre une volonté politique. Les prochains mois permettront de savoir si celleci se traduira en actes. Dans cette lignée d’un renforcement des obligations des entreprises à l’égard de la société, il semble donc urgent de consacrer la combinaison des principes de responsabilité et de solidarité afin de surmonter les obstacles exposés. La reconnaissance de la responsabilité objective à la fin du XIXème a dû, elle aussi, surmonter bien des résistances avant d’ouvrir une nouvelle ère, qui a été celle de l’État social. Il est permis de penser qu’il en sera de même à l’égard d’une responsabilité liée aux dommages économiques.
  1. La légitimité inspirée du droit comparé

Un principe de responsabilité dite obligatoire en matière de RSE a été consacré dans le droit « dur » chinois (a) et indien (b).

a. En Chine

α. Le contexte de consécration

  1.                  À l’instar de la loi Vigilance adoptée consécutivement au scandale du Rana Plaza, la Chine a dû faire évoluer son droit face à la montée du mécontentement dans l’opinion publique. En février 2018, un documentaire intitulé Sous le dôme[153] a été visionné plus de 200 millions de fois en seulement 48 heures. En déclarant sa guerre en tant que citoyenne contre la pollution atmosphérique, la réalisatrice de ce documentaire, Chai Jing, est devenue la porteparole d’une population indignée et inquiète. La préoccupation n’est pas moins présente au plus haut sommet de l’État chinois. Dans le rapport d’activité au gouvernement présenté la même année devant le Congrès national, le Premier ministre Li Keqiang a affirmé qu’il faudra traiter la question environnementale avec « une main de fer » et a confirmé les objectifs issus de l’accord sinoaméricain conclu en novembre 2014. Cela s’ajoute à d’autres scandales précédents comme le travail forcé d’enfants enlevés dans des mines de charbon en 2007, le lait frelaté en 2008 qui avait détruit la confiance des consommateurs envers les producteurs, ou encore en 2013, ou encore l’épisode de brouillard qui a duré pendant presqu’une semaine dans plusieurs provinces de Chine de l’est… Afin de comprendre la réaction du gouvernement chinois à ces problématiques, une présentation du contexte juridique du pays est nécessaire. En effet, en sortant de la Révolution culturelle, la Chine continentale a dû reconstruire son système politique, juridique et économique. Elle est toujours en période transitoire. Les relations privées se libèrent progressivement du joug de l’économie soviétique et retrouvent une économie de marché dite « socialiste ». Toutefois, ces relations ne sont pas encadrées par le droit. On constate une coexistence entre l’effervescence des idées et le retard persistant de l’œuvre législatrice. Les lacunes du droit ont pendant longtemps laissé libre cours aux activités économiques, sous réserve des limites définies par l’administration et souvent en accord avec cette dernière. Il n’est donc pas surprenant de voir que les moins « responsables » ont cherché à maximiser leurs profits, quitte à nuire à la société et à corrompre l’administration. Les catastrophes sociales, sanitaires et environnementales étaient alors sousjacentes.
  2.                  En raison de cette configuration, la réaction juridique chinoise est différente de celle des pays industrialisés. Alors que ces derniers connaissent une succession temporelle entre la responsabilité de droit commun et la responsabilité en matière sociale et environnementale, la Chine continentale réfléchit à ces deux questions en même temps. Tandis que la préparation de la loi relative à la responsabilité civile délictuelle était en cours dans les années 2000, la responsabilité sociale et environnementale avait déjà été présentée en Chine grâce à l’ouvrage novateur de Liu Junhai[154]. Les juristes chinois se sont avant tout approprié la conception occidentale de cette responsabilité (la « RSE »). Son domaine d’application est communément défini comme les relations de l’entreprise avec des « parties prenantes » (stakeholders), dont notamment les salariés, les consommateurs et l’environnement. Par ailleurs, de même qu’en Occident, sa nature juridique se trouve au cœur des controverses, à savoir s’il s’agit simplement de « soft law ». En réalité, on constate l’existence d’une autonomie croissante de cette responsabilité qui se dissocie de la bonne volonté des entreprises.

β. L’objectivation de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises

L’emprise de la volonté des entreprises s’amenuise sur deux plans : le fondement juridique de la RSE et les conditions d’engagement de la responsabilité, autrement dit, son régime.

  1.                  L’objectivation du fondement juridique. L’évolution du droit positif chinois s’inscrit dans le schéma proposé par le Professeur Catherine Thibierge au sujet de la « densification normative »[155]. Concrètement, la maturation des idées débouche progressivement sur la création de normes « déclaratoires », puis « obligatoires », soit une objectivation de leur fondement juridique. Certains auteurs chinois se sont intéressés à la meilleure modalité pour légiférer en cette matière : estil nécessaire de consacrer un principe général de RSE ? Il était évident pour eux que l’avantage de son adoption réside dans sa puissance de systématisation et d’impulsion. Pour autant, son imprécision est telle que les juges peuvent refuser de le mettre en œuvre. Le législateur semble avoir légiféré aussi bien in abstracto qu’in concreto, sans toutefois avoir procédé utilement à une des deux voies.
  2.                  Concernant la voie générale, la réforme de la loi des sociétés du 27 octobre 2005 a créé un nouvel article 5, lequel dispose que » [les] sociétés, dans leurs activités professionnelles, doivent se conformer aux lois et aux règlements, respecter les bonnes mœurs et l’éthique des affaires, agir de bonne foi, accepter le contrôle du gouvernement et du grand public, et porter la responsabilité sociale ». Pour certains, ce principe est critiqué en raison d’une trop grande abstraction. Pour d’autres, il faut le combiner avec des règles spéciales. Ainsi lu avec l’article 152 de cette même loi des sociétés, certains associés ou actionnaires peuvent intenter une action judiciaire contre les membres de la direction ou les hauts responsables lorsque ces derniers causent un préjudice à la société. Avec la nouvelle loi, si la direction néglige la RSE, des associés devraient pouvoir faire respecter cet article 152, sur le fondement de l’article 5. D’autres auteurs avancent encore son influence sur la participation des salariés dans la gestion de l’entreprise, notamment au travers de l’article 118 qui exige qu’au moins un tiers des membres du conseil de surveillance d’une société anonyme soit constitué de représentant des travailleurs. Enfin, l’article 20, alinéa 3 de ladite loi permet également de lever le voile de la personnalité morale dans les groupes de sociétés sous certaines conditions[156] et, donc, de voir leur responsabilité engagée au titre de la RSE[157]. La loi chinoise est, par conséquent, plus audacieuse que la loi française à de nombreux égards.
  3.                  En outre, en dehors du droit des sociétés, il existe des affirmations de principe en la matière : en matière sociale, la loi relative à la sécurité de la production du 29 juin 2002 (modifiée en 2014) retient une responsabilité de principe de l’entreprise pour assurer la sécurité au travail (art. 3) ; la loi de la protection de l’environnement mentionne spécifiquement la responsabilité des entreprises dans le nouvel art. 6. À la différence du droit des sociétés chinois, les dispositions précitées comportent des éléments de régime plus concrets.
  4.                  L’objectivation du régime juridique. Le passage de la société industrialisée, laquelle génère des risques, a permis un aménagement du principe de responsabilité en matière sociale. Engagé dans ce processus de modernisation, le droit chinois réagit de manière similaire en s’efforçant de socialiser les préjudices survenus et d’éviter des dommages éventuels en matière sociale et environnementale. La RSE est ainsi devenue une responsabilité sans faute pour le passé, et une obligation de précaution pour le futur. La part de la faute intentionnelle des entreprises devient moins importante et c’est le préjudice, avéré ou potentiel, qui occupe désormais le devant de la scène.
  5.                  En effet, s’agissant de l’indemnisation du préjudice avéré, la loi relative aux principes généraux en matière civile, laquelle servait seule pendant longtemps de corpus juris civilis en Chine, a prévu en 1986 à son article 106, al. 3, la possibilité d’une responsabilité sans faute. Tout comme dans le célèbre arrêt Teffaine, les juristes chinois justifient leur qualification par l’absence d’exigence textuelle d’une faute et la réalisation du dommage qui tient plus au risque qu’à la faute. Un autre argument partagé par les droits français et chinois est l’existence de rapports inégaux entre les intéressés, par exemple, entre un commerçant et un consommateur, entre entreprises et individus. Le corollaire de cette responsabilité objective est l’aménagement, voire le renversement, de la charge de la preuve. La personne victime doit démontrer le fait du producteur ou de l’entreprise polluante qui provoque le préjudice subi. Toutefois, si l’évolution législative semble suivre cette orientation, ce sont les juges qui en déterminent les applications réelles. Ces derniers peuvent interpréter strictement le dommage subi ou l’acte générateur de dommage et exiger du demandeur un commencement de preuve.
  6.                  Concernant l’encadrement procédural, deux éléments méritent d’être mentionnés. D’abord, des rapports d’impact sont généralement exigés lorsqu’une activité de l’entreprise pourrait porter atteinte à l’environnement ou à la sécurité au travail. Le législateur a également prévu une responsabilité solidaire des agences d’évaluation en cas de fraude de leur part[158]. Ensuite, une particularité du droit chinois est d’exiger des entreprises d’établir un système dit de « responsabilité interne ». Par cette obligation, il s’agit de désigner des personnes spécifiquement en charge de la prévention à l’instar des fonctions d’un compliance officer mais extérieur à l’entreprise. À propos de la standardisation de ces obligations, les pouvoirs publics établissent les critères et leurs pouvoirs corrélatifs de contrôle. En matière sociale, l’article 10 de la loi relative à la sécurité de la production donne au gouvernement l’obligation d’établir des standards étatiques ou sectoriels. Ils doivent être « adéquats par rapport au progrès technologique et au développement économique » du pays. Le nonrespect de ces standards entraîne l’interdiction de la poursuite des activités de production (art. 17). Le contrôle administratif est effectué selon un programme annuel établi par l’autorité locale (art. 59). On peut noter que les inspecteurs ayant constaté la violation d’un standard ont le pouvoir de prononcer une saisie des équipements ou de mettre sous scellés l’atelier de production (art. 62, §4). Ce processus d’objectivation est certes en cours en Chine mais l’effectivité de ses règles reste largement liée à leur degré de judiciarisation.

γ. La judiciarisation de la responsabilité sociale et environnementale des entreprises

Influencés par la pensée confucéenne, les Chinois ont tendance à éviter tout contentieux judiciaire. En matière sociale et environnementale, la faiblesse du recours est en plus aggravée par l’inégalité des rapports de force. Pour renforcer ce contrôle, le droit chinois a assoupli certaines conditions du droit d’agir. Néanmoins, la force régulatrice de ces décisions est encore mise à mal au regard de leurs conséquences réelles.

  1.                  L’assouplissement des conditions du droit d’agir. L’adage « nul ne plaide par procureur » est également valable en droit chinois, du moins en procédure civile de droit commun[159]. À la suite de nombreux débats, le législateur a choisi d’assouplir cette condition pour deux types d’action : outre le cas de la pollution, il est notamment prévu au nouvel article 55 de la loi relative à la procédure civile qu’en matière « d’atteintes aux intérêts de plusieurs consommateurs, ou d’autres agissements portant atteinte à l’intérêt général de la société, les institutions prévues par la loi et les organisations concernées peuvent agir devant les juridictions compétentes ». L’intérêt général évoqué ici devrait inclure « l’intérêt commun » de plusieurs personnes privées. On pourrait alors traduire cette action comme étant une « action d’utilité publique ». Les juges semblent en revanche assez hésitants face à cette nouvelle action. Une première série de contentieux est née à propos de la suffisance ou non de l’article 55, précité, pour déterminer les organisations qualifiées. Le législateur n’ayant établi aucun critère concret, certains juges considèrent qu’une prévision claire et précise doit être apportée ultérieurement dans des lois spéciales. C’est ainsi que la Cour supérieure de la province de Hainan a pu affirmer que cet article n’énonçait qu’un principe général qui restait à concrétiser[160]. Cette position a conduit à une situation déconcertante : un taux de recevabilité très faible des actions en matière environnementale.
  2.                  S’agissant des consommateurs, la loi relative à leur protection du 25 octobre 2013 reconnaît exclusivement la qualité pour agir à l’Association des consommateurs de Chine (China consumers’ Association) qui est statutairement subordonnée au Bureau national de l’industrie et du commerce, soit trentetrois organismes représentatifs sur tout le territoire chinois pour plus d’un milliard de consommateur. L’insuffisance est manifeste.
  3.                  L’insuffisance de l’effectivité de l’action est aussi patente en matière sociale. Les syndicats, bien que qualifiés d’organisation de défense des intérêts des salariés, ne connaissent qu’un droit à agir très limité. C’est seulement en cas de litiges relatifs à l’application des conventions collectives ou d’atteinte à l’intérêt du syndicat luimême que ce dernier peut agir en justice[161]. À l’insuffisance de ces dispositifs s’ajoutent les difficultés pour faire exécuter les décisions de justice en Chine.
  4.                  La force des décisions de justice ou l’écart entre le fait et le droit. Pour renforcer les moyens du juge, les juristes chinois ont réclamé la création de dommagesintérêts punitifs en matière de RSE, à la fois pour leurs conséquences pécuniaires et leur portée symbolique de punition[162]. En dépit de ces progrès, le mécanisme est peu efficace car cantonné à un champ d’application très restreint, lequel concerne les produits défectueux et la protection des consommateurs. Ni la loi relative au contrat de travail, ni celle relative à l’environnement n’en prévaut. Par ailleurs, un dol civil est très souvent requis pour une telle condamnation : les professionnels doivent avoir agi en connaissance de cause. Seuls les producteurs de denrées alimentaires se voient soumis à une responsabilité objective. D’ailleurs, la pratique judiciaire ne montre pas encore une application enthousiaste de la part des juges. C’est surtout la responsabilité contractuelle à l’égard du consommateur qui aboutit à des condamnations.
  5.                  Par conséquent, la législation chinoise relative à la RSE nécessite d’être perfectionnée afin d’être réellement effective, tant dans son champ d’application qu’au regard de la faiblesse du pouvoir judiciaire. En outre, les résultats escomptés sont compromis par un contexte national où le contrôle administratif est compromis par les renvois de responsabilité et le problème récurrent de la corruption. Dans son documentaire sur la pollution atmosphérique, Chai Jing a enquêté sur l’application de deux législations spéciales permettant à l’administration de retirer du marché les véhicules qui ne respectent pas les critères environnementaux. Or aucune d’elles n’avait encore été appliquée à l’heure de la diffusion du documentaire. Les réformes législatives réalisées par l’empire du Milieu ne sont sans doute pas des modèles à suivre mais elles sont audacieuses à certains égards, notamment en expérimentant les conséquences de la modernisation dans un contexte global. Il existe un autre pays où la RSE est consacrée en tant que source d’obligations légales : l’Inde.

b. En Inde

L’Inde est le premier pays à imposer aux sociétés cotées en bourse une contribution à la RSE. La section 135 du Companies Act de 2013 prévoit que les sociétés d’une certaine importance[163] doivent allouer pour chaque année fiscale au moins deux pour cent de leurs bénéfices nets moyens à la poursuite des finalités de la RSE telles que l’éradication de la faim et de la pauvreté, la promotion de l’éducation, l’émancipation des femmes, l’amélioration de la santé maternelle, le contrôle de la mortalité infantile, la recherche médicale, la promotion du développement durable, la promotion des compétences professionnelles et des entreprises de social business ainsi que la contribution à des fonds de solidarité gouvernementaux.

  1.                  Le contexte entourant la consécration progressive de la RSE. La loi indienne impose que des initiatives en matière de RSE soient menées tout en précisant qu’elles devraient avant tout concerner les localités dans lesquelles les sociétés exercent leurs activités. Ceci s’ajoute aux initiatives prises par les entreprises dans le cadre de leurs activités habituelles, ce qui signifie que les obligations résultant d’une relation contractuelle, entre les travailleurs et l’entreprise par exemple, sont exclues du champ d’application du régime de la responsabilité sociale obligatoire[164].
  2.                  En ce sens, la loi de 2013, qui abroge le Companies Act de 1956, est l’aboutissement d’un processus de refonte du droit des sociétés indien[165]. Alors que le projet de loi ayant abouti à la loi de 2013 était principalement destiné à attirer les investissements étrangers, l’orientation inconditionnelle en faveur des entreprises du projet initial de 2009 a été atténuée par l’introduction des dispositions obligatoires sur la RSE. Un changement de principe concernant la responsabilité des entreprises a eu lieu durant cette refonte car sa portée est élargie d’une simple responsabilité envers les actionnaires à une responsabilité envers les parties prenantes, y compris la population locale et l’environnement.
  3.                  En 2009, le ministère des affaires entrepreneuriales a proposé de consacrer des lignes directrices sur la RSE volontaire. Ces lignes appelaient toutes les parties prenantes, y compris les entreprises, à assumer une responsabilité envers les initiatives visant à renforcer la Nation. Les entreprises en particulier étaient appelées à « contribuer aux intérêts des parties prenantes et de la société ». Ces dernières comprenaient les actionnaires, les employés, les clients, les fournisseurs, les personnes affectées par le projet et la société dans son ensemble. Les notions de parties prenantes et celles de responsabilités sociale, environnementale et économique des entreprises ont ensuite été renforcées avec les lignes directrices de 2011 sur le même sujet, mais selon une « approche “indienne“ distinctive »[166]. Dans une telle approche, les orientations politiques sont marquées par le concept gandhien de tutelle (trusteeship) entre les entreprises et la société, en vertu desquelles les entreprises doivent travailler pour le bienêtre général de la société plutôt que dans le seul intérêt des parties prenantes. Cette approche se révèle distinctive puisque les entreprises sont considérées comme des agents sociaux responsables et fiduciaires de la société, plutôt que comme des entreprises à but exclusivement lucratif. Par la suite, le Securities and Exchange Board of India (SEBI), lequel régule le fonctionnement des marchés boursiers en Inde, a émis une circulaire imposant aux sociétés la divulgation d’un rapport sur la responsabilité des entreprises sur tous les marchés boursiers. La circulaire du SEBI souligne que les entreprises font partie intégrante du système social et, par conséquent, leur responsabilité ne peut pas être limitée à l’égard des seuls actionnaires en termes de chiffre d’affaires et de rentabilité. La société dans son ensemble est également une partie prenante au fonctionnement de l’entreprise, ce qui implique une responsabilité des entreprises envers elle.
  4.                  Cette orientation de la RSE vers la société dans son ensemble met en lumière un changement du droit des sociétés indien qui percevait la responsabilité des entreprises sous l’ancien régime comme un engagement envers les seuls actionnaires. En vertu du Companies Act de 1956, la responsabilité des entreprises, et plus particulièrement des dirigeants, était exclusivement tournée vers les actionnaires. En ce sens, les Cours suprêmes des différents États de l’Inde soulignaient classiquement que les dirigeants étaient des agents des entreprises et poursuivaient les intérêts des actionnaires. Cependant, la Cour suprême indienne a, dès 1987, demandé au législateur de protéger les intérêts de la société dans son ensemble en régulant le fonctionnement des entreprises frauduleuses menant leurs activités sans en tenir compte[167]. Ainsi, alors que la loi de 1956 concevait les entreprises comme des unités isolées à but exclusivement lucratif, la loi de 2013, qui abrogea celle de 1956, semble prendre en considération les implications sociales du fonctionnement des entreprises. Toutefois, ce changement d’orientation n’a pas été bien reçu par les entreprises en Inde. La majorité des industriels ont vu la RSE obligatoire comme une intervention gouvernementale injustifiée dans leur fonctionnement. Ils soulignent que les grandes entreprises sont déjà conscientes de leur responsabilité sociale et que des exigences législatives ne peuvent pas permettre de promouvoir la RSE. Les dépenses sociales imposées par le gouvernement constituent un impôt supplémentaire et, à long terme, découragent les entreprises nationales et étrangères d’investir en Inde. Selon eux, la RSE devrait donc rester volontaire. Dans cette perspective, certains commentateurs affirment que le cadre indien de la responsabilité sociale et environnementale obligatoire est peu orthodoxe, radical et novateur.
  5.                  Le particularisme de la responsabilité sociale obligatoire indienne. Le comité permanent des finances (Standing Committee on Finance) a recommandé l’introduction de la RSE dans le projet de loi sur les sociétés de 2009 en vertu de l’idée suivante :

« Nous ne souscrivons pas à l’idée que les entreprises cherchant un accès aux capitaux aient besoin d’être libérées des responsabilités découlant de toutes les autres lois du pays et du contrôle de l’État, pour être soumises au contrôle et à la supervision exclusifs d’un régulateur spécial. Les entreprises doivent fonctionner comme des personnes économiques au sein de l’Union de l’Inde d’une manière telle qu’elles contribuent au bien‑être social et économique du pays dans son ensemble et pour cette raison, elles doivent être soumises aux lois prononcées par le Parlement visant le bien‑être de ses citoyens. »

  1.                  Toutefois, afin d’attirer les investisseurs étrangers, les réformes du droit des sociétés indien ont consisté à opérer des transpositions de règles juridiques provenant des ÉtatsUnis et du RoyaumeUni, sans doute sous la pression des institutions financières internationales. Ces récents changements en faveur d’une uniformité juridique ignorent malheureusement les spécificités des systèmes industriels et commerciaux indiens ainsi que l’influence sur les affaires des facteurs locaux, sociaux, économiques et politiques. Comme l’indiquait le Comité permanent, l’introduction de la RSE obligatoire constitue dès lors une tentative d’harmoniser la transposition juridique occidentale avec l’éthique indienne exprimée dans les lois du pays, lesquelles doivent se conformer aux principes fondateurs de l’État définis par le droit constitutionnel. En effet, l’idée de responsabilité occupe une place centrale dans ces principes constitutionnels indiens, auxquels tous les autres droits – y compris le droit des sociétés – doivent se conformer. Étant une République démocratique socialiste cherchant à promouvoir la justice, l’État indien n’est pas uniquement fondé sur le principe de responsabilité de l’État envers son peuple ; il repose essentiellement sur la responsabilité des citoyens[168]. Le contrat social indien exige en effet expressément de l’État qu’il assume certaines obligations spécifiées. L’État doit réduire les inégalités, promouvoir les moyens de subsistance, améliorer les conditions des travailleurs, promouvoir les intérêts des catégories les plus faibles, protéger et améliorer l’environnement, et promouvoir la paix internationale. L’engagement de responsabilité ne se limite cependant pas à l’État ; les citoyens ont eux aussi des responsabilités. La Constitution de l’Inde précise que chaque citoyen est tenu de respecter les idéaux constitutionnels, de préserver le patrimoine du pays, de protéger et d’améliorer l’environnement, y compris de sauvegarder la vie sauvage, de développer l’humanisme, de préserver les biens publics et de protéger les enfants[169]. Les obligations spécifiques en matière de RSE susmentionnées sont tirées de ces devoirs constitutionnels.
  2.                  Ces responsabilités spéciales, qui concernent aussi bien les citoyens que l’État, ne sont pas des responsabilités résultant des dommages causés. L’idée de responsabilité dans la Constitution indienne est indissociable de la fondation de la société et provient des interactions sociales. Chaque individu est responsable envers les autres individus et envers la société dans son ensemble. La société, représentée par l’État, a aussi une responsabilité envers les citoyens et l’environnement. De plus, même si la Constitution impose des responsabilités aux citoyens, sa lecture attentive suggère que chaque personne, et non pas nécessairement un citoyen, doit assumer certaines responsabilités. Dans ce contexte, le terme de personne fait référence aussi bien aux personnes physiques qu’aux personnes morales. Ce concept inclut donc des personnes juridiques comme les sociétés, lesquelles ne sont pas des citoyens. Il est impossible de concevoir que des responsabilités telles que la protection et l’amélioration de l’environnement, la sauvegarde de la propriété publique et la lutte contre la violence soient des prérogatives dévolues aux seuls citoyens. Chaque personne – physique ou morale – membre de la société, à titre temporaire ou permanent, doit être responsable envers elle. Par conséquent, outre les citoyens, les personnes étrangères et les entreprises ayant un lien avec la société indienne doivent adhérer à ces obligations constitutionnelles.
  3.                  L’idée de responsabilité dans la Constitution indienne est atypique car elle ne peut être réduite à une indemnisation du dommage causé à autrui. L’idée de responsabilité est fondée sur la conduite habituelle et les interactions entre les individus et celles entre l’État et les individus. Bien que cette responsabilité ne puisse être précisément identifiée en répondant à une question telle que qui doit combien à qui, cette responsabilité existe de manière abstraite comme une obligation déterminant l’action de chacun dans une société. La Constitution indienne propose donc une vision obligatoire de la responsabilité. Elle n’est pas une option dépendante des caprices et souhaits de la personne (physique ou morale) responsable. Il s’agit d’une obligation en ce sens que chaque entité doit – en vertu d’une obligation de résultat – assumer sa responsabilité. Si celle de l’État est fondamentale dans la gouvernance du pays, la responsabilité individuelle est semblable à celle d’une relation parentenfant que chaque individu doit assumer[170]. Il s’agit d’une responsabilité obligatoire car, légalement, elle est reliée à d’autres textes de responsabilité individuelle dans la Constitution indienne. Cela marque son caractère obligatoire par rapport à de simples injonctions comportementales. Il s’ensuit que la responsabilité des entreprises en Inde est obligatoire et ne saurait être limitée à une responsabilité fondée sur la compensation des dommages causés. Elle est en effet davantage fondée sur le lien social.
  4.                  Un auteur, Iris Young, a proposé de conceptualiser ce type de responsabilité en soulignant que « les obligations de justice surgissent entre les personnes en raison des processus sociaux qui les relient ; les institutions politiques sont la réponse à ces obligations plutôt que leur fondement »[171]. L’auteur fait valoir que la responsabilité en matière de justice, fondée sur le lien social, couvre toute la chaîne de production et, par conséquent, s’étend audelà des frontières de l’Étatnation. Elle souligne également qu’en raison de certains liens inhérents – directs ou indirects – dans un système structurellement injuste qui « limite le choix de nombreux acteurs », les individus ont une responsabilité les uns envers les autres[172]. Dans ce système, une seule personne (ou groupe) ne saurait être tenue responsable de l’injustice causée à autrui. Toutes les personnes dans le système ont une responsabilité partagée et non collective visàvis des résultats injustes[173]. Par conséquent, à la différence de la responsabilité fondée sur le préjudice causé, le modèle du lien social est une responsabilité a priori et non a posteriori. En présence d’un préjudice causé, la responsabilité est attribuée après qu’un individu ou qu’une entité ait causé le préjudice. Bien qu’une responsabilité spécifiquement identifiable pourrait être attribuée, son engagement ne sera réel qu’une fois le préjudice commis. La responsabilité est dès lors déterminée, quantifiable et proportionnée au préjudice causé. Dans les sociétés caractérisées par une injustice sociale structurelle, ce modèle de responsabilité ne fonctionne que de manière limitée. Au contraire, dans une société construite autour d’échanges sociaux étroitement liés, l’idée de responsabilité est inhérente aux liens entre les personnes. Chacun est responsable envers les autres, parce que chacun participe et contribue aux structures sociales. La contribution de la population à ce système social n’étant pas consciente ou méticuleusement planifiée, l’étendue de la responsabilité n’est pas précise et ne peut donc être fondée sur la notion de préjudice causé.
  5.                  En outre, Iris Young propose cinq caractéristiques essentielles de ce modèle. Premièrement, au lieu de singulariser un acteur à qui attribuer la responsabilité, le modèle de lien social distribue la responsabilité, quoique de manière inégale, à tous les participants des processus sociaux. Deuxièmement, alors que les conditions sociales existantes sont jugées normales et que toute déviance est sanctionnée dans le modèle de responsabilité résultant du préjudice causé (liability), le contexte social existant est luimême remis en question dans le modèle de lien social. Troisièmement, le modèle de lien social implique une idée de prospective, qui vise à minimiser les injustices dans la société. Quatrièmement, la responsabilité en vertu de ce modèle est partagée et distribuée entre les participants des processus sociaux. Du fait de cette responsabilité, Iris Young affirme que les entreprises sont responsables envers la société dans son ensemble. Cinquièmement, en vertu de ce modèle, la responsabilité ne peut être acquittée que collectivement en travaillant, non pas individuellement mais aux côtés des autres. En conclusion, cette idée de responsabilité fondée sur le lien social n’implique pas une conception volontaire des relations sociales ; il s’agit plutôt d’une caractéristique fondamentale et obligatoire d’une organisation sociale qui est basée sur les concepts d’interdépendance et de division du travail. Les institutions politiques doivent reconnaître ces devoirs de justice entre les personnes participant aux processus sociaux qui les lient.
  6.                  Ce courant de pensée irrigue la Constitution de l’Inde puisqu’elle reconnaît que les obligations de responsabilité sont la base de la société. Ces responsabilités pèsent à la fois sur l’État et sur les membres de la société. Cette responsabilité constitutionnelle n’est pas fondée sur le principe de réparation (liability), même s’il n’est pas complètement absent. Elle est fondée sur l’idée que, pour parvenir à une société dynamique, fonctionnelle, démocratique et progressive, chaque acteur social doit être responsable. Il s’agit d’une obligation collective pesant sur les composantes sociales.
  7.                  Cette conception s’oppose à celle défendue par Milton Friedman selon laquelle la seule responsabilité des entreprises est d’accroître leurs profits. Toute autre responsabilité ne pourrait être que volontaire, tout en soulignant luimême qu’elle pourrait être « une façade hypocrite »[174]. Il n’apparaît donc pas exagéré de dire que la responsabilité volontaire n’est pas une responsabilité – elle relève de la charité ou du bénévolat. La philanthropie dépend des souhaits et des dispositions du philanthrope, alors que la responsabilité n’est pas une volonté subjective. La responsabilité n’est pas discrétionnaire au sens où une personne responsable peut faire tout ce qu’elle souhaite, elle signifie que l’individu, ou l’entité collective, doit agir comme il est censé le faire. Ainsi, la Constitution indienne exige des participants aux interactions sociales qu’ils agissent de manière responsable, cette exigence s’étendant aux entreprises. Cette idée de responsabilité obligatoire est fondamentale car elle constitue le fondement la société indienne.
  8.                  L’argument selon lequel les entreprises, puisqu’elles ne sont pas des personnes physiques mais des entités juridiques fictives, ne peuvent être responsables envers quiconque, ne saurait être pris au sérieux[175]. Lorsque les entreprises agissent, leurs activités sont menées par des personnes physiques qui doivent répondre de leurs actes auprès des promoteurs et des actionnaires. Ainsi, les personnes physiques conduisent les affaires et ratifient les décisions des entreprises, qui sont toutes tenues de se conformer aux valeurs et aux règles fondamentales de la société dans laquelle ils opèrent. Dans une société où il est attendu que l’État comme le peuple adhèrent à la valeur fondatrice de la responsabilité, les entreprises ne peuvent pas, légalement ou moralement, réclamer une exonération de cette obligation. Vue sous cet angle, la responsabilité obligatoire n’est que l’expression juridique d’une valeur sociale profondément et concrètement ancrée dans la société indienne. Elles le sont de plus en plus dans la société occidentale.
  9.                  Ce nouveau cas de responsabilité civile, par sa généralité, serait susceptible d’embrasser de nombreuses situations, lesquelles ne sont pas ou difficilement appréhendées par notre système juridique en raison de leur absence de consécration en droit positif, c’est le cas des notions d’entreprises ou des groupes de sociétés, ou en raison du lien de ses situations avec les nouvelles technologies. Cette responsabilité extraterritoriale permettrait ainsi de rendre comptable de leurs actions, sur le territoire national, des entreprises qui y exercent une activité économique mais sans y être implantées. Développées dans une logique d’efficacité économique à vocation mondiale, ces entreprises ne s’embarrassent pas du respect des lois qu’elles peuvent juger coûteuses et inutiles. Ainsi ces entreprises multinationales pourraientelles être redevables devant nos juridictions de la vente de produits illégaux et dangereux, du contenus haineux diffusés sur leur plateforme, de l’utilisation des données personnelles et de leur respect du R.G.P.D., de la diffusion de fake news, de cybercriminalité, du contournement des fiscalités internationales, des conditions de travail et leurs employés etc. Les juges disposeraient ainsi des moyens juridiques afin de prononcer des condamnations exemplaires de telle sorte que ces entreprises ne puissent pas les répercuter sur le consommateur final. À cet égard, la réaction d’Amazon France à la mise en place de la taxe sur les services numériques adoptée en juillet 2019 est pour le moins significative d’un mépris envers nos institutions. Amazon a en effet décidé, ipso facto, d’augmenter de 3 % la commission prélevée sur les commerçants présents sur sa place de marché. Quant aux commerçants, ils ont absorbé le coût de celleci sur les produits vendus par Amazon, laquelle qualifie ce surcoût de « barèmes de frais de gestion ».
  10.                  En outre, ce texte a vocation a donné une arme tant aux cocontractants de ces entreprises qu’aux pouvoirs publics afin de ne pas rester démunis face à leur hyperpuissance. Car les laisser faire serait accepter que les lois de leur écosystème prennent le pas sur la loi démocratique. En ce sens, Facebook a franchi un nouveau pas en s’attaquant à des attributs propres au pouvoir régalien : la création d’une monnaie numérique mondiale et d’une « Cour suprême » destinée à arbitrer les litiges en matière de modération. Selon les termes mêmes de Marc Zuckenberg, « à bien des égards, Facebook ressemble davantage à un gouvernement qu’à une entreprise traditionnelle. Nous avons cette grande communauté de personnes, et plus que d’autres entreprises technologiques, nous définissons réellement des politiques ». Le commerce électronique développe luiaussi ses propres règles telles que déterminées par les plateformes. L’exemple d’Amazon est emblématique mais toutes les plateformes privées organisent, réglementent, incitent et sanctionnent leurs participants. La rentabilité à plus ou moins court terme est naturellement l’objectif, mais ces plateformes créent aussi une forme de dépendance à l’égard de leurs participants par l’exercice d’une certaine violence économique. Dans ce contexte, les entreprises de l’écosystème craignent de contester ce pouvoir. Ces acteurs dépendants ont beaucoup de difficultés à apporter la preuve des dommages subis du fait des visées anticoncurrentielles des plateformes. Un des problèmes majeurs auxquels font face les institutions est celui des modalités de mise en place de la régulation privée des géants du numérique. Qu’il s’agisse d’Amazon, Google, Youtube, Facebook ou de l’Apple Store, ce sont des algorithmes qui organisent non seulement la visibilité des participants de l’écosystème et, d’une certaine façon, leur bonne fortune, mais aussi, leur invisibilité soudaine, ou même, leur exclusion, après un changement d’algorithme ou de politique commerciale. Cette opacité génère une crainte chez les participants des écosystèmes, qui les conduit à adopter des comportements conformes aux intérêts des plateformes les hébergeant, en contradiction avec leurs intérêts et celui des consommateurs. Il est donc absolument nécessaire de pouvoir contrôler la transparence et la neutralité des algorithmes, sinon les dénoncer par le biais de l’exercice d’une action en responsabilité civile.

Section II. Le régime du nouveau cas de responsabilité civile

La proposition de loi est la suivante :

« Toute entreprise dont l’activité économique méconnaît les lois et l’éthique des affaires est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

Ce principe s’applique quelle que soit l’organisation juridique de l’entreprise, dès lors que celleci exerce une activité économique sur le territoire national.

Lorsque le fait générateur du dommage s’est produit en France, la victime peut choisir d’en saisir les juridictions. »

Si le champ d’application de la proposition comporte des éléments novateurs (§ 1), sa mise en œuvre sera plus classique (§ 2).

§ 1. Le champ d’application du nouveau cas de responsabilité civile

Ce nouveau cas viserait toutes les entreprises (A), quand bien même le fait générateur de responsabilité ou son dommage se situeraient en dehors de nos frontières (B).

A. Une responsabilité applicable à « toute entreprise »

  1.                  Aujourd’hui, des solutions jurisprudentielles et légales[176] tendent à contrer ponctuellement l’écran de la personnalité morale, afin que le véritable titulaire d’un pouvoir réponde de ses choix, lorsque ces derniers portent atteinte à autrui. Cette recherche de justice est prégnante à l’égard des groupes internationaux qui, par l’exercice d’un habile « forum shopping », contournent les contraintes légales et fiscales imposées par les États, tout en usant, à leur profit, des notions de personnalité morale, d’autonomie patrimoniale et de relativité des conventions. Or, les attentes de la société civile[177] et les critiques formulées à l’encontre du pointillisme du droit positif laissent penser que le moment est venu de dépasser ces solutions ponctuelles[178].
  2.                  Pour la première fois, la présente proposition permettrait au droit de reconnaître l’entreprise, laquelle est traditionnellement définie selon une approche économique comme étant « une unité organisationnelle de production de biens et de services jouissant d’une certaine autonomie de décision, notamment pour l’affectation de ses ressources courantes »[179]. Ce concept dépassant les limites de la personnalité juridique, il serait dès lors inutile d’enrichir le Code civil d’un nouveau cas de responsabilité du fait d’autrui, que cette responsabilité soit qualifiée d’objective[180] ou de subjective[181].
  3.                  La grande flexibilité du concept d’entreprise a en effet pour avantage d’englober de nombreuses organisations, allant de l’entreprise individuelle aux groupes internationaux, sans que la loi ait à définir précisément les relations de droit[182] ou de fait[183] unissant les différentes entités. Cellesci devront néanmoins être prouvées par le demandeur à l’instance, car il lui appartiendra de déterminer quelle personne juridique, physique ou morale, incarne l’entreprise responsable du dommage. Dans cette perspective, si le litige comporte un élément d’extranéité, un choix devra lui être offert afin que son action ne soit pas entachée d’irrecevabilité.

B. Une responsabilité civile extraterritoriale

Cette originalité trouve ses racines dans le règlement Rome II (2), afin de répondre à un objectif que ne permet pas d’atteindre le droit positif (1).

1. La finalité de l’extraterritorialité du nouveau principe

  1.                  La principale caractéristique de la loi de 2017 consacrant un devoir de vigilance a été de créer une obligation légale de garantie générale, à l’égard des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre, pour les conséquences de leur activité, alors même que celleci serait exercée par d’autres organisations, y compris à l’étranger. Si l’intention du législateur a été saluée en tant qu’ » avancée majeure vers une plus grande responsabilisation des entreprises, audelà de leurs frontières juridiques classiques », certaines lacunes techniques lui confèrent une valeur surtout symbolique[184]. Outre la superficialité du lien de causalité entre le dommage causé par la filiale et la méconnaissance de son devoir de vigilance par la société mère[185], la mise en œuvre du droit international privé aboutit à neutraliser le texte en présence d’un élément d’extranéité, alors même qu’un des objectifs de la loi était précisément de prendre en compte les dommages survenus à l’étranger[186]. L’hypothèse est classique et bien connue de la doctrine : « un demandeur domicilié dans un État nonmembre de l’Union européenne et ayant subi un dommage grave dans ce pays intente une action contre une filiale non européenne d’une société mère européenne (en l’occurrence, française) et contre cette dernière. Les juridictions européennes (en l’occurrence, françaises) sontelles compétentes pour une telle action ? Quelle est la loi applicable ? »[187]. Faute pour la loi de 2017 de répondre à ces questions, il convient d’appliquer le droit international privé. Or, son inefficacité a souvent été dénoncée car il ne permet pas aux victimes d’obtenir réparation de leur préjudice, les privant ainsi d’un véritable accès à la justice[188]. Si l’action en responsabilité délictuelle est dirigée contre la société mère française, l’application du règlement 864/2004/CE dit « Rome II » ne garantit pas l’application de la loi française. Tout dépendra du type d’action intentée : atteinte aux droits fondamentaux, risques sanitaires ou encore dommages corporels ou environnementaux graves. La règle de conflit ne sera dès lors pas nécessairement la même. L’article 7 relatif aux atteintes à l’environnement est la plus protectrice de la victime, en lui permettant de choisir entre la loi du dommage, en principe applicable, et la loi du lieu du fait générateur. Pour les autres types de dommages, l’article 4 faisant figure de droit commun est applicable. Or, celuici donne en principe compétence à la loi du lieu de survenance du dommage. Par conséquent, la loi française sera seulement applicable si la société mère, française, doit répondre d’un dommage causé à l’environnement. Si l’action est dirigée contre la filiale à l’étranger, le résultat de l’application de la règle de conflit ne sera guère plus favorable à la victime puisqu’elle désignera, le plus souvent, la loi étrangère du lieu de survenance du dommage. Le règlement prévoit néanmoins quelques exceptions qui permettraient de fonder l’applicabilité du droit français, mais leur mise en œuvre demeure incertaine[189].
  2.                  C’est pourquoi, afin de garantir l’accès des victimes à la justice, un second alinéa sera ajouté à la présente proposition. Sa rédaction s’inspire de la solution posée à l’article 7 du règlement dit Rome II, lequel est plus favorable aux victimes. Cellesci auront dès lors le choix d’exercer leur action auprès des juridictions où est survenu le dommage ou son fait générateur, ce dernier se comprenant comme une atteinte faite aux lois ou à l’éthique des affaires du fait d’une activité économique exercée de l’entreprise.

2. La transposition d’une règle de conflit dérogatoire en matière environnementale

Figurant à l’article 7, la règle de conflit relative aux atteintes à l’environnement occupe une place particulière au sein du Règlement[190]. Son champ d’application (1) comme ses facteurs de rattachement (2) s’expliquent par la fonction de régulation dont est investie cette règle de conflit. En d’autres termes, la règle de conflit est ici au service de l’intérêt général. Son étude permet de mieux comprendre les raisons de sa transposition.

a. Le champ d’application de la règle dérogatoire

  1.                  La nécessité d’une règle de conflit propre aux atteintes à l’environnement est une idée qui a eu du mal à s’imposer. Jusqu’au Règlement Rome II, aucune règle spécifique n’était consacrée aux problèmes de conflits de lois ou de conflits de juridictions en cette matière au niveau national pas plus qu’au niveau communautaire. Ce n’est d’ailleurs pas sans controverse qu’une telle règle a été insérée dans la proposition de Règlement Rome II. Deux approches différentes de la question avaient pour point commun leur hostilité envers une règle de conflit spécifique aux atteintes à l’environnement. D’une part, on pouvait considérer que la règle de conflit générale pouvait saisir cette problématique de façon satisfaisante et que rien ne justifiait un rattachement particulier. Cette approche s’expliquait en grande partie par la difficulté de définir la notion même d’atteinte à l’environnement. En effet, cette expression faitelle référence au dommage écologique pur, à savoir l’atteinte au milieu naturel luimême, ou bien aux dommages dits traditionnels découlant d’une telle atteinte ? On pouvait soutenir que seul le dommage écologique pur présentait une spécificité suffisante pour justifier une règle de conflit différente, tout en étant celui qui cristallise le plus d’hésitations quant à sa réparation et donc quant à la loi compétente. Dans une vision traditionnelle et purement privatiste du conflit de lois, il n’aurait pas été exclu de soumettre les dommages traditionnels découlant d’une atteinte à l’environnement à la règle générale compétente en matière délictuelle, à savoir, d’après le Règlement Rome II, la loi du lieu du dommage. Or, il est évident que si ce rattachement est satisfaisant du point de vue de l’équilibre entre les droits et les obligations des parties, il ne peut pas en luimême œuvrer dans le sens d’une amélioration de la protection de l’environnement dans l’Union européenne. Le nouveau rôle de régulation imparti à la règle de conflit imposait non seulement l’adoption d’une règle de conflit spécifique capable de promouvoir les objectifs du droit de l’environnement mais, en outre, une application très large de cette règle à tous les dommages découlant d’une atteinte à l’environnement afin d’obtenir une efficacité maximale. D’autre part, il était loisible de penser que cette question devait être appréhendée en termes de lois de police. Compte tenu de l’importance acquise par la protection de l’environnement et la promotion du droit à un environnement sain au rang de quasidroit de l’homme, des auteurs ont pu se demander si « de proche en proche, toute la matière de la responsabilité environnementale n’a pas vocation à être soustraite à la méthode conflictuelle au profit de celle des lois de police », qu’il s’agisse de textes nationaux ou européens.
  2.                  Aucune de ces approches n’a néanmoins convaincu le législateur européen. Mû par un objectif bien précis, ce dernier a choisi la voie de la règle de conflit spécifique. Le préambule montre clairement que cette règle se justifie par la volonté de promouvoir les intérêts des pays de l’Union et de protéger l’environnement. Il y est affirmé que l’article 174 du Traité dont il découle la nécessité d’un niveau de protection élevé fondé sur les principes de précaution et d’action préventive et le principe pollueurpayeur justifie l’utilisation du principe de faveur pour la victime. Tous les commentateurs ont relevé cette connotation publiciste de la règle de conflit. On a même pu parler « d’intérêts gouvernementaux ». Or, cette perspective explique naturellement le champ d’application de la règle.
  3.                  En effet, l’article 7 du règlement est applicable à la fois aux dommages traditionnels, aux personnes et aux biens, découlant d’une atteinte à l’environnement et au dommage écologique pur, désormais appelé dommage environnemental. À la demande du Parlement européen, ce dernier a été défini dans le préambule. Le considérant no 24 y voit « une modification négative d’une ressource naturelle telle que l’eau, les sols ou l’air, une détérioration d’une fonction assurée par cette ressource au bénéfice d’une autre ressource naturelle ou du public, ou une détérioration de la diversité biologique ». L’inclusion du dommage environnemental dans le champ d’application de la règle avait pour but d’appuyer l’opportunité d’une règle de conflit spécifique, les dommages traditionnels consécutifs à une atteinte à l’environnement pouvant plus facilement être assimilés aux autres hypothèses de responsabilité délictuelle. Mais surtout, ce champ d’application large s’explique d’évidence par la fonction de régulation de la règle de conflit laquelle, audelà des intérêts privés, doit, en cette matière, servir l’intérêt général. L’élévation du niveau de protection de l’environnement exige la définition la plus large de l’atteinte à l’environnement, sans laisser à la loi applicable la possibilité d’exclure cette question. Cette volonté d’application large se reflète également en cas de conflit entre deux règles de conflit spécifiques. Des commentateurs ont pu craindre un risque de chevauchement avec la règle relative à la responsabilité du fait des produits défectueux, un produit pouvant être à l’origine d’un dommage écologique. Il semble néanmoins que, dans une telle hypothèse, l’article 7 doive prévaloir. Les dommages écologiques doivent être traités de la même manière, quelle que soit leur cause, sauf évidemment l’hypothèse d’une catastrophe naturelle, laquelle, faute de défendeur, ne peut donner lieu à une action en responsabilité. En sens inverse, il faut néanmoins signaler que la responsabilité de l’État pour les actes iure imperii (pris en vertu d’une prérogative de puissance publique) étant exclue du champ d’application du Règlement, elle ne pourra pas être recherchée non plus dans le cadre des atteintes à l’environnement. Cela réduira, à n’en pas douter, l’impact de la règle[191]. De plus, la règle de conflit ne jouera pas dans tous les cas où des règles matérielles uniformes existent, ce qui est le cas non seulement en matière nucléaire, mais également en matière de pollution causée par des hydrocarbures ou encore en matière de mouvements transfrontières de déchets dangereux (cette solution s’impose même si le règlement garde le silence sur sa relation avec les conventions internationales de droit matériel). En dehors de ces quelques limites, le champ d’application de l’article 7 est large. Il a été dit que cela s’explique par la volonté de promouvoir la protection de l’environnement. Il en est de même des facteurs de rattachement.

b. Les facteurs de rattachement induits par la règle dérogatoire

Les rattachements spécifiques que l’on trouve à l’article 7 doivent être combinés avec l’autonomie de la volonté de l’article 14, laquelle n’a pas été exclue en matière d’atteinte à l’environnement.

  1.                  Rattachements de l’article 7. Cet article 14 confère une compétence de principe à la loi du lieu de survenance du dommage. Il reprend donc en partie la règle générale de l’article 4 et se trouve justifié par les mêmes raisons. La loi du lieu de survenance du dommage présente des liens extrêmement étroits avec la situation. Du reste, dans l’hypothèse de dommages situés dans plusieurs pays, il faudra procéder, comme dans le cadre de la règle de conflit générale, à une application distributive des lois en présence. Dans la mesure où l’activité pouvant donner lieu à un préjudice écologique est souvent planifiée, un argument supplémentaire milite ici contre la loi du lieu du fait générateur. En effet, une application systématique de cette dernière loi pourrait être vue comme une incitation pour les entreprises à concentrer leurs actions dans les pays dans lesquels les normes de protection de l’environnement sont les plus faibles. Quant à l’exclusion des exceptions de l’article 4, paragraphes 2 et 3 (résidence habituelle commune des parties et clause d’exception), inapplicables en matière d’atteintes à l’environnement, elle s’explique, encore une fois, par l’orientation publiciste de la règle. Les points de rattachement personnels sont dès lors dépourvus de pertinence. Cela étant dit, la compétence de la loi du lieu de survenance du dommage n’empêche pas la prise en considération de la loi du lieu du fait générateur au titre de l’article 17 relatif aux règles de sécurité et de comportement. Toute la question sera évidemment de connaître l’ampleur de son emprise.
  2.                  La loi du lieu du fait générateur peut, plus radicalement, être appliquée si la victime exerce l’option que lui reconnaît l’article 7. En effet, le texte lui permet, sans condition, de choisir la loi du lieu du fait générateur. La règle est destinée à dissuader les calculs des opérateurs qui auraient pu, à défaut, être tentés de s’établir dans des pays à faible niveau de protection environnementale, en sachant que les conséquences de leur activité seraient ressenties ailleurs[192]. Elle est clairement motivée par le souci d’élever le niveau général de protection de l’environnement. Cette option est très utile lorsqu’une activité exercée dans un pays produit des conséquences dans un autre pays, lequel a des normes de protection de l’environnement moins élevées. Pourtant, dans le cadre d’une analyse purement conflictuelle, une telle solution aurait pu susciter des réticences. On aurait pu estimer que seule la loi de l’environnement lésé, donc la loi du lieu du dommage, a des titres sérieux à s’appliquer[193], et ce pour toute une série de raisons : on sait que le dommage écologique pur est en général défini comme étant un préjudice collectif, causé au milieu naturel luimême et, on pourrait dire, aux générations futures ; la pollution zéro étant impossible, la réparation du dommage écologique pur est la résultante d’un équilibre difficile entre opportunité économique et considérations écologiques ; sa réparation n’est d’ailleurs pas assurée par de nombreux systèmes juridiques ; dans ces conditions, on peut penser qu’il appartient à la collectivité dont le patrimoine est endommagé de décider si ce préjudice est réparable ; de plus, la préservation des ressources naturelles et les moyens employés par les États dans la réparation d’un préjudice écologique pur présentent une forte connotation publiciste. Tous ces arguments auraient pu être invoqués en faveur d’une compétence exclusive de la loi du lieu du dommage. Mais la perspective communautaire et, plus généralement, l’évolution contemporaine du droit de l’environnement changent la donne. L’exigence d’un niveau élevé de protection et la nouvelle fonction de régulation de la règle de conflit justifient la solution qui consiste à donner une option à la victime[194]. L’option présente, en outre, l’avantage de permettre l’application d’une seule loi, la loi du fait générateur, dans les hypothèses où le dommage s’est produit dans plusieurs pays. Néanmoins, sa mise en œuvre suscite un certain nombre de problèmes. Une première difficulté, mineure, concerne le moment où la victime peut exercer ce choix. La question est abordée dans le considérant no 25 qui indique clairement que cette question est déterminée par la loi du for. Une autre difficulté, beaucoup plus complexe, n’est en revanche pas abordée par le Règlement. Il s’agit de la question de la définition du fait générateur au sens de l’article 7. S’il est vrai qu’elle n’est pas spécifique aux atteintes à l’environnement, elle peut dans ce contexte provoquer de grandes difficultés. On peut en particulier se demander si le fait générateur d’une atteinte à l’environnement réside nécessairement dans les actes matériels qui sont directement à l’origine du dommage ou s’il peut résider dans des décisions qui ont été ou n’ont pas été prises et plus largement dans la gestion environnementale menée depuis le siège. On peut raisonner sur la très médiatique affaire Liluya c/ RWE[195] dans laquelle un fermier péruvien a intenté devant le juge allemand une action contre l’énergéticien allemand RWE lui reprochant d’être responsable d’une partie du préjudice qu’il subissait du fait du réchauffement climatique. Dans ce cas, le dommage est très clairement survenu au Pérou. En revanche, on peut hésiter sur le fait générateur. S’agitil des émissions de gaz à effet de serre ellesmêmes, ce qui obligerait à s’interroger sur la localisation précise des activités concernées ? Ou bien s’agitil du lieu de prise de décision qui peut être situé au siège social ? La juridiction allemande ne s’est pas prononcée sur ce point. Elle a raisonné par application du droit allemand qui avait d’ailleurs été seul invoqué par le demandeur. Il n’en reste pas moins vrai qu’il s’agit d’une vraie question. Dans un but d’efficacité maximale et pour donner effet utile à cette disposition, il n’est pas exclu que la CJUE interprète le lieu du fait générateur comme désignant également le lieu de prise de décisions lorsque celuici se trouve dans un pays, alors que le lieu de l’activité dommageable et de ses conséquences se trouve dans un autre pays. Dans un cas comme celui de l’affaire Liluya c/ RWE, cette solution aurait également pour avantage de permettre l’application d’une seule loi dans une hypothèse de pluralité de faits matériels ayant causé le dommage.

§ 2. Les conditions de mise en œuvre de la responsabilité

Ces conditions requièrent classiquement la preuve d’une faute (§1), d’un préjudice (§3) et d’un lien de causalité entre ces deux éléments (§2).

A. Une atteinte aux lois et à l’éthique des affaires résultant de l’exercice d’une activité économique

  1.                  Pour obtenir réparation d’un dommage subi, il appartient à la victime de prouver la faute de l’auteur du dommage. Aujourd’hui, la domination quasi exclusive de la faute en tant que fondement de la responsabilité civile a pris fin. Cependant, le nouveau régime proposé ne s’inscrira pas dans cette tendance contemporaine. Comme pour la loi sur le devoir de vigilance, l’idée d’une responsabilité objective et de plein droit doit être exclue. Une caractérisation de la faute sera en effet nécessaire afin que la responsabilité des entreprises ne soit pas engagée à la légère. Comme le souligne le professeur Bénabent, « toute faute est une défaillance de conduite. Mais cette définition souvent avancée n’est pas suffisante : défaillance par rapport à quoi ? Pour apprécier s’il y a défaillance, il faut une norme de référence, qui définit la conduite normale qu’il aurait fallu tenir en pareilles circonstances. Définir la faute contractuelle était relativement aisé par la référence aux obligations nées du contrat. La difficulté est plus grande en matière délictuelle : on se retrouve en effet en présence de personnes (l’auteur et la victime du dommage) qui ne sont unies par aucun lien juridique, sinon de vivre dans la même société, qui n’ont donc l’une envers l’autre aucune obligation, sinon celle de respecter mutuellement leurs droits et intérêts au sein d’une même société. La faute délictuelle est donc une atteinte à l’attitude que l’on peut attendre entre concitoyens normalement conscients et respectueux de l’équilibre qu’exige toute vie en société »[196]. Or, c’est précisément cette absence de sentiments d’appartenance à notre société qui est dénoncée à l’égard de certaines multinationales, lesquelles exercent une activité économique conséquente sur notre territoire, sans pour autant respecter l’ensemble de nos lois grâce à leur implantation à l’étranger. L’exemple le plus criant est celui des entreprises désignées sous l’acronyme « GAFAM »[197] qui, en dépit de la réalisation d’un chiffre d’affaires important, échappent à notre fiscalité. La jurisprudence administrative a récemment évolué afin de corriger cette injustice. Grâce à une reconsidération de la notion d’établissement stable, les bénéfices réalisés dans l’hexagone sont désormais assujettis en France selon le juge administratif[198]. Il appartient donc au législateur de donner aux justiciables et à nos institutions, notamment fiscales, des armes afin de saisir à son tour le juge judiciaire, et de condamner ce comportement portant atteinte à notre démocratie.
  2.                  Toutefois, la mention explicite de cette contrariété dans le texte peut sembler redondante avec le fondement de la responsabilité délictuelle, laquelle suppose l’accomplissement d’un délit ou quasidélit de la part de son auteur, c’estàdire d’un acte illicite. Mais, outre le fait de rejoindre la notion de faute telle qu’envisagée par la proposition de loi portant réforme de la responsabilité civile[199], ce rappel présente deux vertus essentielles.

D’une part, il permet de concevoir un cadre de référence par rapport à un comportement normalement attendu. Autrement dit, il s’agit d’une injonction comportementale visant à faire respecter l’intérêt général tel qu’incarné par notre corpus juridique. Les lois doivent ainsi s’entendre au sens large, qu’elles soient d’ordre public ou non, désignant l’ensemble des niveaux de la pyramide des normes : de la constitution à la coutume, jusqu’aux règles dégagées par nos juridictions. Une référence textuelle à l’éthique des affaires serait également fondamentale afin que celleci serve de support subjectif et évolutif à l’appréciation des magistrats. Cette mention novatrice ferait écho, en matière délictuelle, au contenu de l’article 6 du Code civil enjoignant le respect de l’intérêt général par les parties à un contrat. Celuici dispose en effet qu’on ne peut déroger, par des conventions particulières, aux lois qui intéressent l’ordre public et les bonnes mœurs. Or, plus précisément, dans le cadre de la RSE, il est possible de comprendre l’éthique des affaires comme une composante contemporaine de ces bonnes mœurs. Cette notion n’a pas été définie en 1804 et ne le sera pas davantage à l’occasion de la présente proposition, car il s’agit d’une « norme cadre, (…) se concrétis[ant] par le canal du juge »[200]. En pratique, elle est une sorte de compromis entre « une éthique transcendantale » et « le fait de la majorité de la population »[201]. Les bonnes mœurs ne se confondent toutefois pas avec la morale : « alors que la morale poursuit le perfectionnement intérieur des individus, les bonnes mœurs visent seulement un conformisme extérieur. Mais cette morale sociale ne saurait ellemême s’identifier aux pratiques de la majorité de la population. La loi a donné délégation aux bonnes mœurs et non aux mœurs. Ce n’est pas parce qu’une étude révèlerait que la majorité des couples mariés est infidèle ou que la moitié des hommes politiques est corrompue, qu’adultère et corruption deviendraient des composantes des bonnes mœurs. En définitive, il semble qu’on puisse définir les bonnes mœurs comme les règles de la morale sociale considérées comme fondamentales pour l’ordre même de la société »[202]. C’est précisément la place qu’occupe actuellement la RSE dans notre société. Par conséquent, englobées dans la notion cadre d’éthique des affaires, « les normes RSE, et plus généralement [leurs objectifs], constituent des données extrajuridiques que le juge est susceptible d’intégrer dans son appréciation de la faute »[203]. Déjà en son temps, Ripert, dans « Les forces créatrices du droit » publié en 1955, avait montré que la morale se distille dans de nombreuses notions juridiques : la bonne foi, la loyauté, l’abus de droit… Et force est de constater leur emprise grandissante dans la vie des affaires dominée par le respect de la bonne foi et des engagements contractuels. La jurisprudence n’est pas en reste car les décisions visant implicitement la morale des affaires sont de plus en plus nombreuses[204]. La doctrine s’est fait l’écho de ce mouvement de fond[205]. À travers cette incarnation de la RSE, le nouvel article proposé a ainsi vocation à rester souple et réceptive aux évolutions de la société.

  1.                  Cette référence aux lois et à l’éthique des affaires a aussi vocation, d’autre part, à ce que la responsabilité des entreprises ne puisse être recherchée qu’en présence d’une faute caractérisée. Il s’agit ici de ne pas décourager les innovations et initiatives entrepreneuriales. Le rôle de la loi est en effet d’établir un équilibre entre l’évolution de la société et le droit des entreprises d’exercer librement leur commerce et industrie sur notre territoire. À cet égard, il convient de souligner que « (…) pareilles craintes avaient déjà été émises lors de l’apparition de la théorie du risque, source d’une responsabilité sans faute, au début du XXème siècle. Cette dernière s’est pourtant développée, répondant au besoin impérieux d’indemnisation de certains dommages, grâce à l’impulsion de la doctrine et l’encadrement de la jurisprudence et de la loi »[206]. Il en sera de même pour la présente proposition de loi qui, en dépit de son caractère novateur, renvoie à l’application de la technique classique d’engagement de la responsabilité civile, à savoir, la démonstration d’un dommage, d’une faute, et d’un lien de causalité entre le premier et la seconde.

B. Le lien de causalité entre la faute et le dommage

  1.                  La notion de lien de causalité sera celle usitée par le droit positif. Il appartiendra à la victime de prouver non seulement la faute du défendeur, mais encore le lien de causalité unissant cette faute à son dommage. Puisqu’une responsabilité pour faute est instituée, la charge de prouver cette causalité pèsera toujours sur le demandeur, qu’il s’agisse d’une causalité dite « adéquate » ou par « équivalence des conditions »[207]. Le dommage sera conçu un peu moins classiquement puisqu’admettant la possibilité d’une action préventive.

C. Des conséquences dommageables

  1.                  Une absence de définition volontaire. Selon les rédacteurs du Code civil, « pour que [le dommage] soit sujet à réparation, [il] doit être l’effet d’une faute ou d’une imprudence de la part de quelqu’un »[208]. Comme pour les précédents cas de responsabilité, il n’appartient pas à la loi de définir les variétés de dommage, lequel peut être matériel ou moral.
  2.                  Lorsque le dommage présentera une certaine nature relevant d’un cas spécial de responsabilité, tel un dommage causé à l’environnement, alors le dispositif spécial sera applicable en vertu de l’adage selon lequel « specialia generalibus derogant », le nouveau cas de responsabilité des entreprises ayant une vocation générale.
  3.                  De même, les caractères traditionnels du dommage devront être respectés. Le dommage sera ainsi direct, certain et légitime. La mention des « conséquences dommageables » doit être interprétée souplement de façon à inclure les dommages futurs, dont la réalisation est certaine. Le texte proposé permet ainsi de donner un fondement à une action préventive de responsabilité civile.

Section III. La compétence juridictionnelle

  1.                  La compétence d’attribution. Lors de la mise en œuvre du nouveau cas de responsabilité, les règles processuelles seraient très classiquement applicables. La détermination de la compétence d’attribution dépendra de savoir si le défendeur a une activité civile ou commerciale. Dans cette dernière hypothèse, si le demandeur n’est pas commerçant, il pourra choisir entre le tribunal judiciaire et le tribunal de commerce, à condition qu’un acte juridique soit remis en cause. Un parallèle peut être fait avec le choix du tribunal compétent pour accueillir une demande relative au respect du devoir de vigilance.
  2.                  Les enseignements à tirer de la mise en œuvre de la responsabilité issue du devoir de vigilance. Dans une affaire récente, plusieurs associations avaient reproché à Total un manque de vigilance au sujet de deux projets pétroliers gérés par une jointventure dont l’un des actionnaires était une filiale à 100 %. Selon elles, la mise en œuvre des projets visant à extraire du pétrole en Ouganda avait provoqué des atteintes aux droits humains et environnementaux. Conformément à la procédure prévue par l’article L. 2251024, II, du Code de commerce, les associations ont mis en demeure la société Total « aux fins de satisfaire à ses obligations en matière de vigilance eu égard tant aux insuffisances de son plan que de sa mise en œuvre effective ainsi que sa publication ». Faute d’avoir obtenu satisfaction auprès de Total, les associations l’ont alors assignée devant le tribunal judiciaire de Nanterre dans le cadre d’une procédure de référé. Le groupe français lui avait demandé en défense de se déclarer incompétent au profit du tribunal de commerce, contestant également l’intérêt à agir des associations. Reprenant l’argumentation du groupe Total, le tribunal judiciaire de Nanterre s’est déclaré incompétent pour connaître d’une action en cessation de l’illicite engagée sur le fondement de l’article L. 2251024, II, du Code de commerce[209]. Les juges ont relevé en premier lieu que « les dispositions de l’article L. 2251024, sur lesquelles les associations fondent leur action, sont inscrites dans le Code de commerce, dans son titre II portant dispositions particulières aux diverses sociétés commerciales, dans le chapitre V concernant les sociétés anonymes et plus particulièrement la section 3 relative aux assemblées d’actionnaires ». Le président du tribunal judiciaire a ensuite affirmé que le plan de vigilance « est au cœur de la vie sociale, avec une éventuelle incidence sur le pacte social dès lors que ces informations sont soumises à ses organes décisionnels » et que « la mise en œuvre du plan de vigilance implique l’organisation [d’actions d’atténuation, de prévention et d’alerte] et le fonctionnement de la société [suivi des mesures et évaluation de leur efficacité] soit par un contrôle de ses filiales, soit par l’influence exercée sur ses soustraitants », avant de décider que « le plan de vigilance et son compte rendu de mise en œuvre font ainsi partie intégrante de la gestion de la société ». Le tribunal judiciaire en a conclu qu’ » au regard des obligations incombant aux sociétés commerciales au titre du devoir de vigilance, l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance participent donc directement du fonctionnement de ces sociétés ». Les associations ont dès lors interjeté appel de ce jugement. Toutefois, la cour d’appel de Versailles a confirmé les ordonnances rendues par le président du tribunal judiciaire de Nanterre statuant en référé, lequel avait jugé que la mise en cause d’une entreprise pour manquement à son devoir de vigilance relève de la compétence du tribunal de commerce[210]. Selon elle, « le principe selon lequel la juridiction commerciale est une juridiction d’exception n’est pas discuté. Par conséquent, seule l’application d’une règle spéciale peut justifier une dérogation à la compétence de droit commun du tribunal judiciaire. L’article L. 2251024, II du Code de commerce qui donne à "la juridiction compétente" le pouvoir d’injonction litigieux, n’édicte aucune règle spéciale permettant de résoudre le litige et de déterminer qui du tribunal judiciaire ou du tribunal commercial est compétent. Il ne précise pas quelle juridiction peut enjoindre à une société de respecter son obligation de vigilance ». Ils poursuivent leur raisonnement en affirmant alors que « selon le 2° de l’article L. 7213 du Code de commerce : "les tribunaux de commerce connaissent [des contestations] relatives aux sociétés commerciales" et selon le 3° du même article : "de celles relatives aux actes de commerce entre toutes personnes" ». Les juges du fond en tirent alors la conclusion, en dernier lieu, de la compétence des juges consulaires pour connaître de l’action en cessation de l’illicite engagée sur le fondement de l’article L. 2251024, II, du Code de commerce.
  3.                  Plus précisément, leur raisonnement repose sur un enchaînement entre deux démonstrations : l’existence d’un lien direct entre le plan de vigilance de Total et la gestion de la société commerciale, d’une part, et la qualification en acte de gestion du plan de vigilance pour exclure toute option de compétence prévue à l’article L. 7213, 3°, du code de commerce au profit du tribunal judiciaire, d’autre part.
  4.                  Cette motivation doit être approuvée. L’essence même du plan de vigilance, qui repose sur une cartographie des risques que l’activité de l’entreprise fait courir à ses parties prenantes (salariés, partenaires commerciaux…), des procédures d’évaluation régulières de la situation des filiales, des mécanismes d’alerte et de réaction aux atteintes consommées, tient ainsi dans la mise en œuvre, sous contrôle, des grandes orientations de la société. Il est donc parfaitement logique de considérer que l’établissement et le contrôle de la mise en œuvre de ce plan ont un lien direct avec le fonctionnement de la société. La mise en place du plan de vigilance - la cartographie des risques - relève nécessairement des organes de direction, les mieux à même de définir la politique de la société, soit le conseil d’administration investi d’un pouvoir général d’orientation stratégique et de surveillance de la société[211], ou le directoire investi de pouvoirs similaires[212]. Ce sont également ces mêmes organes qui sont les plus à même d’installer des procédures de contrôles internes et des mécanismes d’alerte. Les conséquences d’un plan de vigilance ne concernent donc pas uniquement le fonctionnement de la société mère ; elles irriguent toutes les sociétés qu’elle contrôle ou tous les soustraitants avec lesquels elle est en relation d’affaires. Le raisonnement tenu par les juges versaillais est encore plus cohérent depuis la réécriture des articles 1833 du Code civil, L. 22535 et L. 22564 du Code de commerce, laquelle impose aux organes de direction de gérer la société en prenant en considération les enjeux sociaux et environnementaux des activités de la société. En plaçant la « gestion » au centre du dispositif, la mécanique globale du plan de vigilance ressort clairement du pouvoir des organes de direction, qu’il s’agisse de l’établir, de mettre en place le processus de contrôle ou des mesures préventives ou curatives. Il s’agit de dispositifs qui impactent directement le fonctionnement de la société puisqu’ils en modifient la perspective en y intégrant des problématiques nouvelles tenant au respect des droits de l’homme et de l’environnement. C’est ce que soulignent les juges du fond lorsqu’ils indiquent que, « à ce stade de la procédure, la cour n’a pas à apprécier le caractère satisfaisant ou pas, et même nouveau ou pas, du fonctionnement de la société Total laquelle évoque notamment en page 22 de ses conclusions, les mesures prises dans la gestion des ressources humaines ou dans la gouvernance de l’entreprise. Il reste que les exemples donnés, guides de bonne conduite et évolution des critères de rémunération tenant compte des objectifs "de responsabilité sociétale", renforcent l’idée que l’élaboration et la mise en œuvre du plan de vigilance relèvent bien du fonctionnement de la société et donc de sa gestion ». C’est ainsi que les juges du fond ont pu caractériser l’existence d’un lien direct entre le plan de vigilance et la gestion de la société commerciale dans son fonctionnement, critère suffisant pour que la compétence du juge consulaire puisse être retenue.
  5.                  Enfin, les associations invoquaient également le droit d’option dont jouissent habituellement, selon une jurisprudence établie, les noncommerçants demandeurs lorsqu’ils sont aux prises avec un défendeur ayant la qualité de commerçant en présence d’un acte mixte[213]. Ce droit leur permet en effet de porter leurs prétentions devant le tribunal judiciaire plutôt que devant le tribunal consulaire. Cependant, cette option n’est ouverte qu’à la condition qu’un acte juridique soit en jeu, qui puisse recevoir une double qualification, civile et commerciale.
  6.              Or, dans l’espèce rapportée, cette qualification devait être écartée. Les juges du fond le relèvent parfaitement : le plan de vigilance a certes vocation à être élaboré en association avec les parties prenantes de la société mais, au premier chef, c’est bien la société ellemême qui l’établit. C’est bien elle encore qui le met en action et qui devra, le cas échéant, en répondre de sorte qu’une qualification civile de l’acte apparaît inappropriée ici. Il s’agit d’un acte de gestion d’une société commerciale qui ne souffre pas davantage une qualification en acte mixte. Faute d’établir l’existence d’un tel acte, la possibilité pour les associations d’opter pour le tribunal judiciaire est donc logiquement rejetée. La question pouvait légitimement se poser dans la mesure où, d’une part, les actes de gestion de la société n’ont jamais fait l’objet d’une tentative de qualification spécifique (acte de commerce ?, acte sui generis ?) et, d’autre part, où la loi ellemême est très imprécise puisqu’elle se contente de faire référence à l’article L. 2251024, II, du Code de commerce à la « juridiction compétente », sans autre précision. Ce flou législatif avait pu être interprété par les associations demanderesses comme le signe d’une option tacite ouverte par le législateur. Le tribunal de Nanterre a rejeté l’argument comme les juges versaillais euxmêmes, à juste titre. La formule est classique ; nombreux sont en effet les textes à renvoyer à la juridiction ou au tribunal compétent, notamment dans le droit des entreprises en difficulté, sans qu’une option n’ait été concrètement ou tacitement ouverte par le législateur.
  7.              En réalité, il s’agit là de renvoyer aux règles de compétence traditionnelles en usant d’une formule générale qui évite de préciser, au cas par cas, dès lors que cette compétence est dictée par la nature juridique de tel acte, du débiteur… lesquels sont susceptibles de changer selon les hypothèses. Elle offre également à la loi d’être toujours en phase avec les évolutions de la jurisprudence en matière de compétence juridictionnelle, sans que les textes aient besoin d’être amendés. Le raisonnement serait donc tout à fait similaire dans le cadre du nouveau cas de responsabilité proposé.
  8.              La compétence territoriale. S’agissant ensuite de la compétence territoriale, si le dommage avait lieu en France, alors la juridiction compétente serait déterminée en fonction du lieu de sa survenance. Au contraire, si le dommage se réalisait à l’étranger, et uniquement si la victime décidait d’exercer l’option de compétence offerte, alors les règles processuelles seraient dépendantes des caractéristiques du fait générateur, à savoir, la qualité de l’entreprise décisionnaire et son lieu d’implantation.

 


proposition de loi

Article unique

Le chapitre Ier du sous‑titre II du titre III du livre III du code civil est complété par un article 1244‑1 ainsi rédigé :

« Art. 12441. – Toute entreprise dont l’activité économique méconnaît les lois et l’éthique des affaires est tenue d’en réparer les conséquences dommageables.

« Ce principe s’applique quelle que soit l’organisation juridique de l’entreprise, dès lors que celle‑ci exerce une activité économique sur le territoire national.

« Lorsque le fait générateur du dommage s’est produit en France, la victime peut choisir d’en saisir les juridictions. »

 


[1] Citons les réflexions en matière pénale sur la création d’un délit d’écocide. En matière fiscale sur une taxation des GAFAM eu égard à une optimisation fiscale dénoncée comme un moyen pour ces multinationales de s’exempter de leur obligation de contribuer à l’effort collectif. Mais également sur l’éventualité d’un contrôle des contenus diffusés sur les réseaux sociaux (v. notamment (Ch.) WOITIER, (A.) DEBOUTÉ, « Facebook fait face à la bronca grandissante de ses annonceurs – Plus de 800 marques boycottent le réseau pour qu’il agisse davantage contre la haine en ligne » Le Figaro, 4-5 juillet 2020).

[2] Ces questions sont confortées par les observations du Conseil d’État selon lesquelles « la loi est faite pour prescrire, interdire, sanctionner. Elle n’est pas faite pour bavarder, créer des illusions, nourrir des ambiguïtés et des déceptions » (CE, Sécurité juridique et complexité du droit, Doc. Française, 2006, p. 282).

[3] « Un rapport d’initiative, adopté [début mars 2021] par 504 voix pour, 79 contre et 112 abstentions, appelle à l’adoption urgente d’une législation européenne contraignante afin de veiller à ce que les entreprises soient tenues responsables lorsqu’elles portent préjudice – ou contribuent à porter préjudice – aux droits de l’homme, à l’environnement et à la bonne gouvernance. Cette législation doit également garantir l’accès des victimes aux recours juridiques. La commission européenne a annoncé qu’elle présenterait sa proposition législative à ce sujet dans le courant de l’année. » (Communiqué de presse du Parlement européen, « Les entreprises ne pourront plus causer de préjudice aux citoyens et à la planète en toute impunité », 10 mars 2021)

[4]  C. com., art. L. 225-102-1.

[5]  Le mouvement de la RSE est relativement ancien et né aux Etats-Unis. Le débat a été lancé par Howard Rothmann Bowen en 1953 (« The social responsabilities of the businessman », New York, Harper and Brothers, 1953) à la suite de Wallace Brett Donham (« The social significance of business », HBR, July 1927).

Pour un exposé historique, v. notamment : (S.) SWATON, « La responsabilité sociale des entreprises : un sursaut éthique pour combler un vide juridique ? », Revue de Philosophie économique, vol. 16, n° 2, p. 6

[6]  (B.) AMANN, (J.) CABY, (J.) JAUSSAUD, (T.) PINIERO, « Activisme des actionnaires et responsabilité sociale des entreprises – Une comparaison Espagne – France – États-Unis – Japon », Revue de l’organisation responsable 2007, vol. 2, p. 37.

[7]  (M.) HEALD, The Social Responsibilities of Business. Company and Community, 1900-1960, Cleveland, Press of Case Western Reserve University, 1970.

[8]  (H.R.) BOWEN, Social Responsibilities of the Businessmen, New York, Harper & Brothers, 1953.

[9]  (M.) WEBER, L’Éthique protestante et l’Esprit du capitalisme [1904-1905], Paris, Plon, 1964.

[10]  (T.) LEVITT, « The Dangers of Social Responsibility », Harvard Business Review, vol. 36, 1958, p. 41-50.

[11]  (T.) LEVITT, op. cit., p. 50.

[12]  (M.) FRIEDMAN, « The Responsibility of Business Is to Increase Its Profits », New York Times Magazine, vol. 33, 1970, p. 122-126.

[13]  « The Good Company », The Economist, 22 janvier 2005.

[14]  (J.D.) MARGOLIS, (J.P.) WALSH, « Misery Loves Company : Whither Social Initiatives by Business? », Administrative Science Quarterly, vol. 48, no 2, 2003, p. 268-305.

[15]  Commission européenne, « Promouvoir un cadre européen pour la responsabilité sociale des entreprises », Livre vert, juillet 2001.

[16]  ONU, Global compact.

[17]  Organisation internationale de normalisation (ISO), « Lignes directrices relatives à la responsabilité sociétale », 2010.

V. à ce propos : (I.) CADET, « La norme ISO 26000 relative à la responsabilité sociétale : une nouvelle source d’usages internationaux », Revue internationale de Droit Économique 2010, p. 401, spéc. p. 408 : « ce sont plus de 500 experts représentant plus de 90 pays et une quarantaine d’organisations internationales qui ont participé à l’élaboration de cette nouvelle norme ».

[18]  La gouvernance, les droits de l’homme, les conditions et les relations de travail, l’environnement, les bonnes pratiques des affaires et la protection des consommateurs ainsi que la contribution au développement local.

[19]  L. n° 2001-420, 15 mai 2001 sur les Nouvelles Régulations Économiques (NRE).

[20]  Ord. n° 2017-1180, 19 juill. 2017 transposant la directive n° 2014/95/UE du 22 octobre 2014.

[21]  (X.) BOUCOBZA, (Y.-M.) SERINET, « Loi “Sapin 2“ et devoir de vigilance : l’entreprise face aux nouveaux défis de la compliance », D. 2017, p. 1619, n° 3.

[22]  L’entreprise, objet d’intérêt collectif, rapport, 9 mars 2018 ; v. également (J.) PAILLUSSEAU, « Entreprise et société. Quels rapports ? Quelle réforme ? », D. 2018, p. 1395.

[23]  (I.) DESBARATS, « De l’entrée de la RSE dans le code civil », Dr. Social 2019, p. 47.

[24]  (S.) VERNAC, « L’entreprise et sa raison d’être », Semaine sociale Lamy, 19 mars 2018 : « l’absence de toute référence expresse à l’entreprise, entendue comme cadre d’action […] non-réductible à la société, [étant particulièrement] regrettable ».

[25]  (P.-H.) CONAC, « L’article 1833 et l’intégration de l’intérêt social et de la responsabilité sociale d’entreprise », Rev. Sociétés 2019, p. 570, n° 24 : « Il n’est donc pas certain que cette réforme était indispensable ».

[26]  (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765.

[27]  (F.-X.) LUCAS, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », BJS 2018, p. 477.

[28]  Ass. Nat., Étude d’impact du projet de loi PACTE, p. 545.

[29]  Citons les réflexions en matière pénale sur la création d’un délit d’écocide. En matière fiscale sur une taxation des GAFAM eu égard à une optimisation fiscale dénoncée comme un moyen pour ces multinationales de s’exempter de leur obligation de contribuer à l’effort collectif. Mais également sur l’éventualité d’un contrôle des contenus diffusés sur les réseaux sociaux (v. notamment (Ch.) WOITIER, (A.) DEBOUTÉ, « Facebook fait face à la bronca grandissante de ses annonceurs – Plus de 800 marques boycottent le réseau pour qu’il agisse davantage contre la haine en ligne » Le Figaro, 4-5 juillet 2020).

[30]  https://www.economie.gouv.fr/files/files/2021/RAPPORT_ROCHER_EXE_PL.pdf

[31]  V. notamment en ce sens : (P.) BERLIOZ, « Droit souple ou droit dur, un (non) choix lourd de conséquences », Rev. Sociétés 2018, p. 644, n° 26 : « C’est pourquoi, même si l’objectif du texte paraît louable, on peut se demander si l’instrument choisi est le plus adéquat. N’aurait-il pas été préférable de s’en tenir à des mécanismes purement incitatifs, voire si l’on souhaitait rendre une démarche RSE obligatoire à imposer une déclaration de performances extra-financières à d’autres sociétés qu’à celles qui y sont aujourd’hui tenues, le cas échéant, en prévoyant une déclaration allégée pour ces plus petites sociétés ? »

[32]  CE, Sécurité juridique et complexité du droit, Doc. Française, 2006, p. 282.

[33]  Selon une doctrine majoritaire, la sanction étatique est considérée comme le critère de la règle de droit (v. notamment à ce sujet : (P.) DEUMIER, Le droit spontané, Économica, 2002, § 259).

[34]  (F.-G.) TREBULLE, « Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale », Rép. Soc. Dalloz.

[35]  V. en ce sens : (J.-L.) BERGEL, « Droit et déontologies professionnelles », Lib. Univ. Aix-en-Provence, 1997, p. 16.

[36]  On pense au droit du travail, de la consommation ou encore de l’environnement (v. à ce propos : (M.) BOUTONNET, « Des obligations environnementales spéciales à l’obligation environnementale générale en droit des contrats », D. 2012, p. 377 : « À la multiplication des obligations d’information environnementale créées par le législateur s’ajoutent des obligations issues du contrat destinées à encadrer écologiquement la prestation principale. L’engouement législatif et pratique est devenu tel que se pose la question de savoir si, à l’avenir, ces obligations environnementales ne deviendront pas “ spéciales “, donnant ainsi naissance à une obligation environnementale “générale“. »).

[37]  Via le truchement d’une obligation naturelle, v. en ce sens : (F.-G.) TRÉBULLE, « Responsabilité sociale des entreprises : entreprise et éthique environnementale », Rép. Soc. Dalloz, n° 48.

[38]  Cass. soc., 8 décembre 2009, n° 08-17.191.

[39]  (N.) CUZACQ, « Le cadre normatif de la RSE, entre soft law et hard law », 2012, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00881860/document

[40]  « Un rapport d’initiative, adopté [début mars 2021] par 504 voix pour, 79 contre et 112 abstentions, appelle à l’adoption urgente d’une législation européenne contraignante afin de veiller à ce que les entreprises soient tenues responsables lorsqu’elles portent préjudice – ou contribuent à porter préjudice – aux droits de l’homme, à l’environnement et à la bonne gouvernance. Cette législation doit également garantir l’accès des victimes aux recours juridiques. La commission européenne a annoncé qu’elle présenterait sa proposition législative à ce sujet dans le courant de l’année. » (Communiqué de presse du Parlement européen, « Les entreprises ne pourront plus causer de préjudice aux citoyens et à la planète en toute impunité », 10 mars 2021).

[41]  V. en ce sens notamment : (P.) ROUBIER, « L’arrêt des chambres réunies du 2 décembre 1941 et la théorie de la responsabilité civile », JCP 1942, I, 257 ; (D.) SCHMIDT, « La responsabilité civile des relations de groupes de sociétés », Rev. Sociétés 1981, p. 725, spéc. p. 738.

[42]  PORTALIS, Discours préliminaire sur le projet de Code civil

[43]  (P.) ABADIE, « Le juge et la responsabilité sociale de l’entreprise », D. 2018, p. 302.

[44]  Ce devoir vise à garantir la transparence au sein de l’entreprise. Il consiste en une déclaration de performance extra-financière, laquelle a été étendue au domaine environnemental. Dans leur rapport de gestion, les sociétés concernées doivent fournir des informations « sur la manière dont [elles prennent] en compte les conséquences sociales et environnementales de [leur] activité, ainsi que, [pour une partie d’entre elles], les effets de cette activité quant au respect des droits de l’homme et à la lutte contre la corruption. La déclaration comprend des informations relatives aux conséquences sur le changement climatique de l’activité de la société et de l’usage des biens et services qu’elle produit, à ses engagements sociétaux en faveur du développement durable, de l’économie circulaire et de la lutte contre le gaspillage alimentaire, aux accords collectifs conclus dans l’entreprise et à leurs impacts sur la performance économique de l’entreprise ainsi que sur les conditions de travail des salariés, aux actions visant à lutter contre les discriminations et promouvoir les diversités et aux mesures prises en faveur des personnes handicapées ». Ces informations sont obligatoires et leur déclaration repose sur un mécanisme anglo-saxon consistant à s’appuyer sur des indicateurs ou, à défaut, sur des explications pertinentes : « comply or explain ». Leur véracité est garantie par l’avis d’un organisme tiers, lequel est transmis à l’assemblée des actionnaires ou des associés, en même temps que le rapport du conseil d’administration ou du directoire (C. com., art. L. 225-102-1, al. 6).

[45]  Le Code de commerce impose à la société mère ou donneuse d’ordre un devoir de vigilance à l’égard des activités de ses filiales et sous-traitants en France et à l’étranger. Consacré en réponse à l’effondrement du Rana Plaza le 24 avril 2013 et à la mort consécutive de plus d’un millier de travailleurs bangladais travaillant pour des marques internationales de vêtements, ce devoir se traduit par une obligation de mettre en place un plan de vigilance afin de prévenir les risques environnementaux, sociaux et de gouvernance sur l’ensemble de la chaîne entrepreneuriale. Ce plan doit ainsi comporter « les mesures de vigilance raisonnable propres à identifier les risques et à prévenir les atteintes graves envers les droits humains et les libertés fondamentales, la santé et la sécurité des personnes ainsi que l’environnement, résultant des activités de la société et de celles des sociétés qu’elle contrôle ». Le plan de vigilance et le compte-rendu de sa mise en œuvre effective sont rendus publics et inclus dans le rapport de gestion de performance extra-financière (C. com., art. L. 225-102-4, I, al. 5).

[46]  Notamment C. civ., art. 1833 et 1835.

[47]  C. com., art. L. 225-102-1.

[48]  L. n° 2016-1691, 9 décembre 2016, art. 17.

[49]  C. com., art. L. 225-102-4, al. 1er.

[50]  V. néanmoins la proposition faite en ce sens : infra n° 38.

[51]  V. en ce sens très critique : (F.-X.) LUCAS, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », BJS sept. 2018, p. 477.

[52]  (J.) RENAUD et ali., « Loi sur le devoir de vigilance, année 1 : les entreprises doivent mieux faire », fév. 2019.

https://www.amnesty.fr/responsabilite-des-entreprises/actualites/les-entreprises-dans-le-viseur-des-ong

Et déjà ce constat avait été réalisé dès 2008 par le Sénat à propos du devoir de reporting (Rapport Sénat n° 552 – 2008-2009).

[53]  V . notamment : (J.) CAMY, (C.) OBERKAMPF, « Devoir de vigilance des banques : quels constats à l’aune des premiers plans ? », Dr. Social 2020, p. 239 : « Le recours à des mécanismes et à des méthodes existantes, qui prenaient jusqu’ici la forme d’engagements volontaires et non contraignants, s’inscrit au cœur de la démarche de vigilance. Cependant, force est de constater l’insuffisance de ces pratiques et leur hétérogénéité. »

[54]  (X.) BOUCOBZA, (Y.-M.) SERINET, « Loi “Sapin 2“ et devoir de vigilance : l’entreprise face aux nouveaux défis de la compliance », D. 2017, p. 1619, n° 27.

[55]  (J.) CAMY, (C.) OBERKAMPF, op. cit., Dr. Social 2020, p. 239.

[56]  F.-X.) LUCAS, op. cit., BJS sept. 2018, p. 477

[57]  V. notamment : (A.) CONSTANTIN, « L’intérêt social : quel intérêt ? », in Etudes offertes au Pr. B. Mercadal, Editions Francis Lefebvre 2002, p. 317 et s ; (P.-H.) CONAC, « La société et l’intérêt collectif : la France seule au monde ? », Rev. Sociétés 2018, p. 558.

[58]  La notion d’intérêt social est souvent comparée à une boussole pour un juge afin de déterminer lorsque les dirigeants ou associés ont outrepassé leurs pouvoirs et porté atteinte à l’autonomie de la personne morale (abus de droit de vote, juste motif de révocation, responsabilité d’un dirigeant social).

[59]  Par exemple, dans le cadre d’une vente, une même chose est l’objet de deux intérêts contraires : un achat et une vente.

[60]  V. à propos de cette catégorie de contrats : (P.) DIDIER, « Brèves notes sur le contrat-organisation », in L'avenir du droit. Mélanges en l'honneur de François Terré, Dalloz, PUF, Éditions du Juris-Classeur, 1999, pp.635-642.

[61]  Exposé des motifs projet de loi PACTE, art. 61 : « Afin de conserver cette souplesse, essentielle à son application, le projet d’article ne propose pas de définition rigide, mais plutôt d’en consacrer la notion. L’obligation proposée d’une gestion des sociétés « dans l’intérêt social, en considération des enjeux sociaux et environnementaux » consiste ainsi à entériner, dans le Code civil, l’application qui en est faite en jurisprudence. Cette consécration entérinerait ainsi pour la première fois au niveau législatif un aspect fondamental de la gestion des sociétés : le fait que celles-ci ne sont pas gérées dans l’intérêt de personnes particulières, mais dans leur intérêt autonome et dans la poursuite des fins qui lui sont propres. »

[62]  (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765.

[63]  Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, n° 3.1 ss art. 61.

[64]  V. à ce propos : (M.) TIREL, « La réforme de l’intérêt social et la “ponctuation signifiante“ », D. 2019, p. 2317.

[65]  (P.-H.) CONAC, « L’article 1833 et l’intégration de l’intérêt social et de la responsabilité sociale d’entreprise », Rev. Sociétés 2019, p. 570, n° 18 : « Une situation difficile serait celle où une société devrait promouvoir un projet qui respecterait les normes environnementales mais qui pourrait néanmoins affecter l’environnement, comme une exploration pétrolière dans un écosystème fragile ».

[66]  Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, n° 3.1 ss art. 61 : « il importe de souligner […] que la rédaction de l’article 1833 est à même de résoudre une difficulté résultant d’une éventuelle contradiction entre l’intérêt social et certains enjeux environnementaux et sociaux. Pour tout acte de gestion, elle affirme en effet la primauté du respect de l’intérêt social ; les enjeux sociaux et environnementaux doivent quant à eux “être pris en considération“. L’article 1833 dans sa nouvelle rédaction ne devrait pas être lu comme autorisant le dirigeant à se fonder sur des considérations d’ordre social ou environnemental pour prendre une décision contraire à l’intérêt social ».

[67]  V. en ce sens, (P.-H.) CONAC, op. cit., loc. cit. : « En réalité, les juges sont réticents, sauf exception notamment en cas de faillite, à porter un jugement sur les opérations de gestion ».

[68]  Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, n° 1.1.2 ss art. 61.

[69]  (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765, n° 4.

[70]  (A.) TADROS, op. cit., n° 10.

[71]  (A.) TADROS, op. cit., n° 11.

[72]  (D.) FASQUELLE, AN, commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, compte rendu n° 21, 14 sept. 2018, p. 55.

[73]  Un effort de clarification est tenté par l’étude d’impact selon laquelle l’objet social définit « la nature de l’activité que la société déploie pour partager un bénéfice ou profiter d’une économie », la raison d’être devrait plutôt s’appréhender comme « l’ambition que les fondateurs de la société proposent de poursuivre ». La raison d’être s’oppose aussi à l’intérêt social, celui-ci étant une composante « essentielle » et « principale » de la société ; « la raison d’être en [étant] l’intérêt accessoire, éventuellement non patrimonial, qui ne contredit par [cet] intérêt social, mais que l’activité de la société doit contribuer à satisfaire » (p. 543).

[74]  L’alinéa 1er de ce texte dispose que : « La société est instituée par deux ou plusieurs personnes qui conviennent par un contrat d'affecter à une entreprise commune des biens ou leur industrie en vue de partager le bénéfice ou de profiter de l'économie qui pourra en résulter. »

[75]  Selon l’exposé des motifs de la loi PACTE, cette modification de l’article 1835, alinéa 2, devrait inciter, « sous la forme d’un effet d’entraînement, les sociétés à ne plus être guidées par une seule “raison d’avoir“, mais également par une raison d’être, forme de doute existentiel fécond permettant de l’orienter vers la recherche du long terme ».

[76]  (A.) TADROS, op. cit., n° 25.

[77]  (F.-X.) LUCAS, « L’inopportune réforme du Code civil par la loi PACTE », BJS sept. 2018, p. 477, ajoutant : « Au-delà, il faut signaler que le contrat de société n’est pas la cause des maux dénoncés car, s’il vise à enrichir les associés, c’est au même titre que d’autres contrats permettant l’exercice d’une activité économique. La location procure au bailleur des revenus, la vente vise à enrichir le vendeur et le crédit le banquier, sans que personne n’ait jamais prétendu imposer à ces parties de modifier l’économie du contrat au nom d’enjeux sociaux et environnementaux ».

[78]  (N.) CUZACQ, « Le cadre normatif de la RSE, entre soft law et hard law », 2012, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00881860/document

[79]  C. com., art. L. 225-102, al. 3.

[80]  (C.) DUBOST, AN, commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises.

[81]  (P.) BERLIOZ, « Droit souple ou droit dur, un (non) choix lourd de conséquences », Rev. Soc. 2018, p. 644, n° 2.

[82]  Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, p. 546.

[83]  CE, avis sur le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, 14 juin 2018.

[84]  Cette exclusion résulte d’un amendement justifié par le souci « d’éviter que le juge ne s’immisce trop dans la gestion et les orientations des sociétés » (amendement CS 1479, rapporteur (C.) DUBOST, AN, commission spéciale chargée d’examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises, 14 septembre 2018, compte rendu n° 21, p. 46).

[85]  Ibid.

[86]  (P.) BERLIOZ, op. cit. ; (I.) DESBARATS, « De l’entrée de la RSE dans le code civil – Une évolution majeure ou symbolique ? (article 61 du projet de loi PACTE) », Dr. Social 2019, p. 47 ; (A.) TADROS, « Regard critique sur l’intérêt social et la raison d’être de la société dans le projet de loi PACTE », D. 2018, p. 1765.

[87]  (A.) TADROS, op. cit., n° 16.

[88]  (R.) VATINET, « La réparation du préjudice causé par la faute des dirigeants sociaux, devant les juridictions civiles », Rev. Sociétés 2003, p. 247.

[89]  Cass. com., 20 mai 2003, Seusse c/ SATI, n° 99-17092, D. 2003, p. 2623, note (B.) DONDERO.

[90]  Comp. défav. Cass. com., 18 janvier 2017, n° 14-16.442, D. 2017, p. 1036, note (D.) MAZEAUD ; fav. 3ème civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, RTD com. 2018, p. 701, obs. (A.) LECOURT.

[91]  Cass. com., 13 novembre 2013, n° 12-25.675, D. 2014, p. 183, note (B.) DONDERO.

[92]  Également en ce sens : (A.) LECOURT, « Statuts et actes annexes – Statuts proprement dits », Rép. Sociétés Dalloz, 2020, n° 18 : « Théoriquement, une réponse positive nous semble pouvoir être apportée mais, pratiquement, la mise en œuvre de cette action semble bien vouée à l’échec ».

[93]  La loi n° 2017-399 du 27 mars 2017 vise à prévenir les atteintes graves aux droits humains et aux libertés fondamentales, à la santé et à la sécurité des personnes et à l’environnement, ainsi qu’à responsabiliser les grandes entreprises en cas de dommages causés par leurs sous-traitants ou fournisseurs, notamment à l’étranger.

[94]  À défaut de respecter ses obligations dans un délai de trois mois à compter d’une mise en demeure, la juridiction compétente ou le président du tribunal statuant en référé peut, à la demande de toute personne intéressée, enjoindre à la société, le cas échéant sous astreinte, de les respecter (C. com., art. L. 225-102-4).

[95]  C. com., art. L. 225-102-5.

[96]  (I.) DESBARATS, « La RSE “à la française“ : où en est-on ? », Dr. Social 2018, p. 525.

[97]  Cons. consti., 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, D. 2017, p. 2501, obs. (G.) ROUJOU De BOUBÉE, (T.) GARÉ, (C.) GINESTET, (M.-H.) GOZZI, (S.) MIRABAIL et (E.) TRICOIRE.

[98]  (A.) DANIS-FATÔME, (G.) VINEY, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », D. 2017, p. 1610.

[99]  D. n° 2020-1, 2 janv. 2020 relatif aux sociétés de mission. Il s’agit de l’avant-dernier dispositif entré en vigueur dans le cadre du mouvement de légalisation de la RSE. Le dernier dispositif étant celui des fonds de pérennité.

[100]  (R.) DALMAU, « Les sociétés à mission : quelle nature et quelles sanctions ? », JCP E 2020, 1136, n° 3.

[101]  Cass. 3ème civ., 14 juin 2018, n° 16-28.672, P+B, JCP N 2018, n° 26, act. 585 ; contra Cass. com., 23 oct. 2019, n° 18-11.425, JCP N 2020, n° 17, 1090, note (M.) STORCK.

[102]  V. à ce propos : (N.) CUZACQ, « Le mécanisme du Name and Shame ou la sanction médiatique comme mode de régulation des entreprises », RTD com. 2017, p. 473.

[103]  C. com., art. R. 210-21, II, al. 1er.

[104]  (N.) CUZACQ, op. cit.

[105]  (R.) DALMAU, op. cit., n° 7.

[106]  Ce dernier se définissant comme un acte « accompli dans l’intérêt d’un tiers par rapport à l’entreprise ou qui n’apporte à cette dernière qu’un intérêt minime hors de proportion avec l’avantage que le tiers peut en retirer » (A.) LECOURT, « Statuts et actes annexes – Statuts proprement dits », Rép. Sociétés Dalloz, 2020, n° 20.

[107]  V. supra n° 12 et s.

[108]  V. supra n° 21 et s.

Pour une illustration concrète de ces difficultés, v. (N.) CUZACQ, « Premier contentieux relatif à la loi « vigilance » du 27 mars 2017, une illustration de l’importance du droit judiciaire privé », D. 2020, p. 970 ; (M.) HAUTEREAU-BOUTONNET, « Première assignation d’une entreprise pour non-respect de son devoir de vigilance en matière climatique : quel rôle préventif pour le juge ? », D. 2020, p. 609.

[109]  (C.) THIBIERGE, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p. 577.

[110]  Ibid.

[111]  V. infra (faute)

[112]  (Ph.) LE TOURNEAU, « Responsabilité – généralités », Rép. dr. civil, Dalloz, n° 7.

[113]  (N.) CUZACQ, « Le cadre normatif de la RSE, entre soft law et hard law », 2012, https://hal.archives-ouvertes.fr/hal-00881860/document: « Il est intéressant de noter que les entreprises vertueuses en matière de RSE souhaitent la création de dispositifs plus contraignants afin que leurs efforts soient reconnus par leurs parties prenantes. Également, le GRI (Global Reporting Initiative) a récemment admis les limites des démarches purement volontaires en matière de reporting, car il a proposé une avancée à l’échelle de l’Union européenne ».

V. également la proposition faite par Amnesty international France de créer un délit spécifique (cité par l’Orse, « La certification des informations sociales et environnementales », Étude Orse 2004, p. 28).

[114]  « L’absence d’un cadre légal engendre un phénomène de sélection adverse puisque les entreprises peu vertueuses obtiennent un avantage comparatif, en embellissant la réalité auprès de leurs parties prenantes. Les entreprises vertueuses sont alors enclines à demander une intervention publique afin de ne pas subir une concurrence déloyale de la part des passagers clandestins » ( (N.) CUZACQ, op. cit.).

[115]  Communiqué du Conseil des Droits de l’Homme de l’ONU, 8 mars 2018 : https://www.ldh-france.org/dossier-presse-traite-onu-les-multinationales-les-droits-humains/ (vu le 07/01/2021)

[116]  Avis de l’Assemblée plénière du 15 octobre 2020 sur le suivi du projet d’instrument juridiquement contraignant sur les sociétés transnationales et autres entreprises et les droits de l’Homme, recommandation n° 12.

[117]  V. les nombreux développements attestant des doutes sur le contenu et la portée des notions ainsi introduites : supra n° 13 et s.

[118]  Étude d’impact du projet de loi PACTE joint au dossier législatif, p. 545.

[119]  V. supra n° 5.

[120]  V. supra n° 18 et s.

[121]  V. par exemple : (J.) CAMY, (C.) OBERKAMPF, « Devoir de vigilance des banques : quels constats à l’aune des premiers plans ? », Dr. Social 2020, p. 239.

[122]  (P.-H.) CONAC, « L’article 1833 et l’intégration de l’intérêt social et de la responsabilité sociale d’entreprise », Rev. Sociétés 2019, p. 570, n° 25 : « La réforme illustre un défaut récurrent du législateur français qui légifère pour toutes les sociétés alors qu’il ne vise que les sociétés cotées ou les grandes sociétés. »

[123]  C. trav., art. L. 8222-5

[124]  Cass. soc., 28 sept. 2011, Metaleurop.

[125]  Au Royaume-Uni, la décision rendue en 2012 par la Court of Appel (Civil division), Revue critique de droit international privé, 2013, p. 632, obs. (H.) Muir-Watt.

[126]  CJUE, 10 septembre 2009, aff. C-97/08P, Akzo Nobel.

[127]  Aux Etats-Unis, le « Foreign Corrupt Practices Act » (FPCA) tel que révisé en 1998 et au Royaume-Uni, le « UK Bribery Act » (2010).

[128]  Cass. crim., 25 septembre 2012, aff. n° 10-82.938, Erika ; v. (Ph.) DELEBECQUE, « L’arrêt Erika : un grand arrêt de droit pénal, de droit maritime ou de droit civil ? », D. 2012, p. 2771.

[129]  C. envir., art. L. 512-17.

[130]  Avant-projet de réforme du droit des obligations, Rapport au garde des Sceaux, 22 septembre 2002, projet d’article 1360, p. 158.

[131]  . à ce sujet la thèse de (C.) DEL CONT, Propriété économique, dépendance et responsabilité, préf. F. Collart Dutilleul et G. Martin, Paris, L’Harmattan, 1997.

[132]  Cf sur ces menaces de délocalisation d’entreprises implantées en France : rapport d’information n° 558 d’Alain Anziani et Laurent Béteille, Travaux parlementaires, Sénat, 2008-2009, p0 64 sq.

[133]  Projet de réforme de la responsabilité civile présenté par M. le Garde des Sceaux Jean-Jacques URVOAS, mars 2017.

[134]  (A.) SUPIOT et alii, Face à l’irresponsabilité : la dynamique de la solidarité, in Conférences du Collège de France, 2018, p. 16

[135]  C. const., Décision n° 2013-672 DC du 13 juin 2013 (loi n° 2013-504 du 14 juin 2013 relative à la sécurisation de l’emploi).

[136]  V. à ce propos : (B.) GIRARD, « Le retournement du principe constitutionnel de responsabilité en faveur des auteurs de dommages », D. 2016, p. 1346.

[137]  La première de ces décisions visait les dispositions du Code du travail prévoyant la mise en cause de la responsabilité d’un donneur d’ordre en cas de recours au travail clandestin par ses sous-traitants directs ou indirects (C. const., 31 juillet 2015, n° 2015-479, QPC, D. 2015, p. 1709). Aux termes de cette décision, « la loi peut instituer une solidarité de paiement dès lors que les conditions d’engagement de cette solidarité sont proportionnées à son étendue et en rapport avec l’objectif poursuivi par le législateur ». Pour introduire d’office ce contrôle de proportionnalité, le Conseil invente, selon le Pr. Supiot, « un envers du principe de responsabilité ». Celui-ci pourra être invoqué, non pour obtenir réparation, mais au contraire pour contester toute loi imposant une responsabilité solidaire. Il suffira d’arguer que cette responsabilité est « injustifiée » ou que ses effets sont « disproportionnés » pour obtenir du juge constitutionnel qu’il fasse prévaloir son appréciation sur celle du Parlement.

La seconde décision visait les dispositions de l’article L. 4231-1 du Code du travail, lesquelles obligent sous certaines conditions le maître d’ouvrage ou le donneur d’ordre à répondre de l’hébergement des travailleurs employés par des sous-traitants directs ou indirects, lorsque ces travailleurs sont logés dans des conditions incompatibles avec la dignité humaine. Ici encore, le Conseil a relevé d’office le principe constitutionnel de responsabilité pour affirmer qu’« il résulte de l’article 4 de la Déclaration de 1789 que la loi peut prévoir l’engagement de la responsabilité d’une personne autre que celle par la faute de laquelle un dommage est arrivé à la condition que l’obligation qu’elle crée soit en rapport avec un motif d’intérêt général ou de valeur constitutionnelle et proportionnée à cet objectif ».

[138]  Résolution du Parlement européen du 14 septembre 2016 sur le dumping social dans l’Union européenne (2015/2255[INI]).

[139]  V. le rapport de l’Ombudsman de l’IFC du 27 octobre 2015.

[140]  V. (P.) LANOIS, L’effet extraterritorial de la loi Sarbanes-Oxley, Paris, Éditions Revue Banque, 2008.

[141]  (A.) GAUDEMET, Les dérivés, Paris, Économica, 2010.

[142]  Loi n° 2017-399 du 27 mars 2017.

[143]  V. notamment OCDE [« Principes directeurs de l'OCDE à l'intention des entreprises multinationales », 25 mai 2011] et l'ONU [« Principes directeurs relatifs aux entreprises et aux droits de l'homme », Haut-Commissariat aux droits de l'homme, 2011]

[144]  houdende de invoering van een zorgplicht ter voorkoming van de levering van goederen en diensten die met behulp van kinderarbeid tot stand zijn gekomen

[145]  Règl. [UE] n° 995/2010 du Parlement européen et du Conseil « établissant les obligations des opérateurs qui mettent du bois et des produits dérivés sur le marché », 20 oct. 2010 ; Règl. [UE] 2017/821 du Parlement européen et du Conseil « fixant des obligations liées au devoir de diligence à l'égard de la chaîne d'approvisionnement pour les importateurs de l'Union qui importent de l'étain, du tantale et du tungstène, leurs minerais et de l'or provenant de zones de conflit ou à haut risque », 17 mai 2017), complétée par de strictes obligations de reporting non financier (Dir. 2014/95/UE du Parlement européen et du Conseil, 22 oct. 2014, modifiant la dir. 2013/34/UE).

[146]  C. com., art. L. 225-102-4

[147]  V. not., Cons. const. 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, D. 2017. 2501, obs. (G.) ROUJOU De BOUBÉE, (T.) GARÉ, (C.) GINESTET, (M.-H.) GOZZI, (S.) MIRABAIL et (E.) TRICOIRE ; Constitutions 2017, p. 234, chron. (P.) BACHSCHMIDT ; ibid. 291, chron. (B.) MATHIEU.

[148]  Cons. const. 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, préc.

[149]  V. l'agence française anticorruption (AFA) de la loi Sapin II (loi n° 2016-1691 du 9 déc. 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique).

[150]  Cons. const. 23 mars 2017, n° 2017-750 DC, préc.

[151]  C. com., art. L. 225-102-4

[152]  C. com., art. L. 225-102-4

[153]  Disponible sur Youtube.

[154]  (J.) LIU, La responsabilité sociale des entreprises, 1999, Pékin, Presses du droit.

Adde pour une approche volontariste : (J.) ZHAO, Corporate Social Responsability in Contemporary China, Cheltenham, Northampton, E. Elgar Publishing Limited, 2014.

[155]  (C.) THIBIERGE et alii, La densification normative : découverte d’un processus, Paris, Mare et Martin, 2013, p. 1107.

[156]  Ces conditions sont similaires à celles de l’action paulienne en droit français.

[157]  Un jugement du tribunal de Shanghai a invoqué la RSE pour légitimer un manquement contractuel d’une société de télécommunication. Une personne n’ayant pas pu envoyer des SMS assigna son fournisseur de téléphonie mobile (en l’occurrence China Mobile) en justice pour l’inexécution du contrat et demanda des dommages-intérêts d’un montant symbolique. La partie défenderesse fit valoir que le dysfonctionnement résultait des manœuvres de contrôle du réseau, nécessaires pour garantir l’ordre du marché de la téléphonie mobile et conformes à sa responsabilité sociale, si bien qu’elle ne pouvait être tenue pour responsable de l’inexécution du contrat. Les juges acceptèrent les moyens de défense en se fondant également sur l’impériosité de la responsabilité sociale de l’entreprise (Jugement n° 226, année 2010 du Tribunal de Huangpu District).

[158]  Art. 65 de la loi relative à la protection de l’environnement ; art. 89 de la loi relative à la sécurité de la production.

[159]  L’article 119 de la loi relative à la procédure civile exige un intérêt direct à agir comme l’une des conditions de l’action en justice.

[160]  Par exemple, arrêt n° 155 du 26 décembre 2013.

[161]  L. 3 avril 1992, relative au syndicat, art. 20 et 49.

[162]  Ces derniers ont été consacrés par plusieurs lois : celle relative à la protection des consommateurs, ainsi que les lois relatives à la sécurité des denrées et à la responsabilité civile délictuelle.

[163]  Ayant une valeur nette d’au moins cent roupies de crore (environ 80 millions de dollars US) ou au moins un chiffre d’affaires de mille roupies de crore (environ 160 millions de dollars US), ou au moins un bénéfice net de cinq crores roupies (800 000 dollars US) au cours d’un exercice annuel.

[164]  Companies (Corporate Social Responsibility Policy) Rules, 2014, section 4.

[165]  V. en ce sens : (C.) VAN ZILE, « India’s Mandatory Corporate Social Responsibility Proposal : Creative Capitalism Meets Creative Regulation in the Global Market », Asian-Pacific Law and Policy Journal 2012, 13 :2, p. 291.

[166]  V. Ministry of Corporate Affairs, Government of India, National Voluntary Guidelines on Social, Environmental and Economic Responsibilities of Business, 2011.

[167]  Par exemple : Amarjit Singh v. Punjab National Bank and Others, 1987, CompCas 153 (Delhi).

[168]  Constitution de l’Inde, Préambule, Parties IV et IV A.

[169]  Constitution de l’Inde, Préambule, Article 51 A.

[170]  Idem.

[171]  (I.) YOUNG, « Responsability and Global Justice : A Social Connection Model », Social Philosophy and Policy 2006, 23 , p. 102.

Adde - , « Responsability and Global Labor Justice », The Journal of Political Philosophy 2004, 12 :4.

[172]  (I.) YOUNG, « Responsability and Global Justice : A Social Connection Model », Social Philosophy and Policy 2006, 23 , p. 101.

[173]  Op. cit., p. 111-115.

[174]  (M.) FRIEDMAN, « The Social Responsibility of Business Is to Increase Its Profits », New-York Times, 13 septembre 1970.

[175]  V. en ce sens également : (A.) SUPIOT, « Introduction », in La solidarité : Enquête sur un principe juridique, dir. par A. Supiot, éd. Odile Jacob, avril 2015, p. 30-32.

[176]  V. notamment : en droit des procédures collectives : C. com., art. L. 621-2, (B.) GRELON et (C.) DESSUS-LARRIVÉ, « La confusion des patrimoines au sein d’un groupe », Rev. sociétés 2006, p. 281 ; C. com., art. L. 651-2 et s. (action en comblement pour insuffisance d’actif) ; en droit de la concurrence (E.) CLAUDEL, « La responsabilité au sein des groupes de sociétés en droit de la concurrence : un exemple à suivre ?, in Actes du colloque de l’Université de Paris Nanterre, Indépendance juridique de la personne morale versus dépendance économique, dir. L. Sinopoli et A. Danis-Fatôme, JCP E 2017 ; en droit du travail (E.) PESKINE, « Réseaux d’entreprise et droit du travail », LGDJ 2008, spéc. n°215 ; (G.) AUZERO, « Les co-employeurs », in Les concepts émergents en droit des affaires, LGDJ, 2011, p. 43 ; en droit de l’environnement (M.) PRIEUR, Droit de l’environnement, Dalloz, 7ème éd., 2016, n° 1334 ; (C.) HANNOUN, « La responsabilité environnementale des sociétés mères », Envir. 2009, n° 7, p. 33 et s.

[177]  V. supra n° 1.

[178]  V. notamment les critiques adressées à la mise en œuvre de la responsabilité civile dans le cadre de la violation du devoir de vigilance (supra n° 24).

[179]  Définition de l’INSEE au 18/01/2021 : https://www.insee.fr/fr/metadonnees/definition/c1496

[180]  (P.) CATALA, Avant-projet de réforme du droit des obligations et de la prescription, Doc. fr., 2006, art. 1360, al. 2 : « De même, est responsable celui qui contrôle l’activité économique ou patrimonial d’un professionnel en situation de dépendance, bien qu’agissant pour son propre compte, lorsque la victime établit que le fait dommageable est en relation avec l’exercice du contrôle. Il en est ainsi notamment des sociétés mères pour les dommages causés par leurs filiales ou des concédants pour les dommages causés par leurs concessionnaires ». V. également (F.) TERRÉ, Pour une réforme de la responsabilité civile, 2011, art. 7 :

« La faute de la personne morale résulte de l’acte fautif de ses organes ou d’un défaut d’organisation ou de fonctionnement.

Une société ne répond du dommage causé par la société qu’elle contrôle ou sur laquelle elle exerce une influence notable que si, par une participation à un organe de cette société, une instruction, une immixtion ou une abstention dans sa gestion, elle a contribué de manière significative à la réalisation du dommage. Il en va de même lorsqu’une société crée ou utilise une autre société dans son seul intérêt et au détriment d’autrui. »

[181]  Mission Lepage, rapport final, proposition n° 68 :

« Toute société répond du dommage environnemental ou sanitaire causé par la faute de ses filiales ou des sociétés qu’elle contrôle au sens de l’article L. 233-3 du Code de commerce, en cas de défaillance de ces dernières. Celui qui consent en connaissance de cause un concours destiné à financer une activité violant manifestement les dispositions du Code de la santé publique ou du Code de l’environnement engage sa responsabilité en raison des préjudices subis du fait des concours consentis. La connaissance ne se présume pas.

Les responsabilités ci-dessus ont lieu à moins que les personnes désignées ne prouvent qu’elles n’ont pu empêcher le fait qui donne lieu à cette responsabilité. »

[182]  C. com., art. L. 233-3.

[183]  Fictivité, confusion de patrimoine (C. com., art. L. 621-2), direction de fait, apparence (v. notamment : Cass. ass. Plén., 9 oct. 2006, n° 06-11.056, Tapie, D. 2006, p. 2933, note (D.) HOUTCIEFF ; RTD com. 2007, p. 207, obs. (D.) LEGEAIS).

[184]  (A.) DANIS-FATÔME, (G.) VINEY, « La responsabilité civile dans la loi relative au devoir de vigilance des sociétés mères et des entreprises donneuses d’ordre », D. 2017, p. 1610 ; (K.) HAERI, « Une loi partiellement mais sévèrement censurée qui conserve une portée symbolique forte », JCP 2017, p. 545 ; (P.-L.) PERIN, « Devoir de vigilance et responsabilité illimitée des entreprises : qui trop embrasse mal étreint », RTD com. 2015, p. 215 ; (H.) DELANNOT, « Devoir de vigilance des entreprises à l’égard de leurs fournisseurs étrangers : quels enjeux ? », D. 2015, p. 1088 ; (A.) PIETRANCOSTA, (E.) BOURSICAN, « Vigilance : un devoir à surveiller ! », JCP 2015, p. 553.

[185]  V. supra n° 24.

[186]  V. en ce sens : (E.) PATAUT, « Le devoir de vigilance. Aspects de droit international privé », Dr. soc. 2017, p. 833 ; (O.) BOSKOVIC, « Brèves remarques sur le devoir de vigilance et le droit international privé », D. 2016, p. 385.

[187]  BOSKOVIC, op. cit., D. 2016, p. 385, n° 2.

[188]  (D.) BUREAU et (H.) MUIR WATT, Droit international privé, PUF, 2014, n° 1024-1.

[189]  BOSKOVIC, op. cit., D. 2016, p. 385, n° 6 : « On pense à la clause d’exception, à l’exception d’ordre public, aux règles de sécurité et de comportement ou encore à la technique des lois de police ».

[190]  V. (O.) BOSKOVIC, J.-Cl. Environnement et Développement durable, Vo Droit international privé et environnement, 2014

[191]  Sur toutes les difficultés liées à la présence de personnes publiques dans le contentieux environnemental, V. (O.) BOSKOVIC, L'efficacité du droit international privé en matière environnementale, in (O.) BOSKOVIC [ss. la dir. de] L'efficacité du droit de l'environnement, Mise en œuvre et sanctions, 2010, Dalloz

[192]  V. sur ce point l'exposé des motifs de la Commission.

[193]  V. déjà dans le même sens, (C.) VON BAR, Environmental Damage in Private international law, RCADI 1997, vol. 268, p. 303.

[194]  Sur cette perspective d'une manière générale, v. (O.) BOSKOVIC, Les atteintes à l'environnement, in (M.) AUDIT, (H.) MUIR WATT et (E.) PATAUT [ss. la dir. de], Conflits de lois et régulation économique, 2008, LGDJ. – Sur une proposition consistant à élargir l'option pour y inclure la loi du domicile du défendeur v.(E.) ALVAREZ ARMAS, Private International Environmental Litigation before EU Courts : Choice of law as a Tool of Environmental Global Governance, thèse, Louvain-la-Neuve, 2017.

[195]  Essen Regional Court, 16 déc. 2016, AZ. 2 O 285/15.

[196]  A.) BÉNABENT, Droit civil – Les obligations, Domat, 11ème édition, 2007, p. 383, n° 540.

[197]  Google, Apple, Facebook, Amazon, Microsoft

Pour plus de développements à leur propos, v. infra III.

[198]  CE, 11 décembre 2020, n° 420174, Conversant International Ltd.

[199]  Proposition nouvel art. 1241 du Code civil : « Constituent une faute la violation d’une proposition légale ou réglementaire, ainsi que le manquement au devoir général de prudence ou de diligence. »

[200]  (F.) TERRÉ, (Ph.) SIMLER, (Y.) LEQUETTE, Droit civil – Les obligations, Dalloz, Précis, 10ème éd., 2009, n° 387, p. 402.

[201]  Ibid.

[202]  Ibid.

[203]  (P.) ABADIE, « Le juge et la responsabilité sociale de l’entreprise », D. 2018, p. 302.

[204]  Le Juge des référés (TGI Paris, ord., 9 juin 1998) a considéré que: « Le fournisseur d'hébergement a l'obligation de veiller à la bonne moralité de ceux qu'il héberge, au respect par ceux‑ci des règles déontologiques régissant le web [la "netiquette" ?] et au respect par eux des lois et des règlements et des droits des tiers » (Voir CA Paris, 14ème ch. A, 10 février 1999 : www.legalis.net ; V. chron. de M. Vivant et Ch. Le Stanc, in JCP E, 1999, p. 953).

[205]  Les colloques sur ce thème ont été nombreux (voir en particulier La morale et le droit des affaires, colloque du centre de droit des affaires de l’université de sciences sociales de Toulouse I, Monchrestien, 1996). De très bons articles ont été écrits (voir par exemple B. Oppetit, Ethique et droit des affaires, Mélanges A. Colomer, 1993, p. 319). Ce thème n’est pas épuisé puisque le professeur P. Le Tourneau a lui consacré un ouvrage (L’éthique des affaires et du management au 21ème siècle, Dalloz, Dunod, sept. 2000).

[206]  (C.) THIBIERGE, « Avenir de la responsabilité, responsabilité de l’avenir », D. 2004, p. 577.

[207]  (A.) BÉNABENT, Droit civil – Les obligations, Domat, 11ème édition, 2007, p. 396, n° 557.

[208]  Discours au Corps législatif, LOCRÉ, t. XIII, p. 57.

[209] TJ Nanterre, ord. réf., 30 janv. 2020, n° 19/02833, D. 2020. 970, note (N.) CUZACQ.

[210]  CA Versailles 10 déc. 2020, nos 20/01692 et 20/01693, RTD com. 2021, p. 135, obs. (A.) LECOURT.

[211]  C. com., art. L. 225-35.

[212]  C. com., art. L. 225-64.

[213]  Civ. 8 mai 1907, DP 1911. 1. 222 ; Com. 20 juill. 1965, D. 1965. 581.