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N° 4999

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 février 2022.

PROPOSITION DE LOI

relative à l’indépendance des médias,

(Renvoyée à la commission des affaires culturelles et de l’éducation, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Paula FORTEZA, Matthieu ORPHELIN, Régis JUANICO, Hubert JULIENLAFERRIÈRE, Delphine BAGARRY, Cédric VILLANI,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Montée du complotisme, de l’abstention électorale, de la défiance des citoyens envers les responsables publics et les médias… Année après année, les signaux d’alerte quant à l’état de notre démocratie se montrent de plus en plus nombreux et puissants. Ils nous obligent à agir pour renouer ces liens de confiance dont le délitement impacte profondément notre vivre ensemble.

Si le problème est à prendre dans sa globalité, la présente proposition de loi porte sur les médias d’information, en complément à deux précédentes propositions de loi « pour une nouvelle démocratie », déposées en novembre dernier et traitant notamment des questions de participation électorale et citoyenne.

Au cours des quarante dernières années, la diffusion de la presse papier a été divisée par deux, et le chiffre d’affaires du secteur divisé par trois. En cause, notamment, l’évolution du modèle d’affaires des médias traditionnels, fondé en grande partie sur la publicité.

Ces médias font face à une crise profonde, accélérée ces dernières années par l’essor des réseaux sociaux et des nouvelles sources d’information en ligne.

Cette crise économique s’accompagne également d’une crise de gouvernance. À ce jour, l’essentiel des médias privés français est détenu par un nombre extrêmement limité de personnes - à savoir huit à neuf industriels dont le métier d’origine n’a rien à voir avec le journalisme. Cette concentration entre les mains de quelques riches propriétaires alimente, légitimement, la crise de défiance envers les médias. Le 34e baromètre de la confiance dans les médias publié en janvier 2021 confirme cette tendance de fond : 60 % des Français considèrent que les journalistes ne sont pas indépendants aux pressions du pouvoir politique et aux intérêts économiques ; 52 % des Français ne considèrent pas les journaux de presse écrite comme des sources fiables, 58 % pour la télévision et plus de 72 % pour Internet. Les révélations de Jean‑Baptiste Rivoire dans son dernier livre, L’Elysée (et les oligarques) contre l’info, alertent d’autant plus sur le lien entre les propriétaires des grands médias et les responsables politiques.

Cette situation constitue un problème majeur, à la fois pour la perception de la qualité et de la crédibilité de l’information, tout autant qu’elle interroge sur le pluralisme démocratique et l’indépendance des rédactions.

Les médias ne sont pourtant pas des entreprises comme les autres. Cette proposition de loi se fonde ainsi sur les travaux de l’économiste Julia Cagé et de l’avocat Benoît Huet, qui préconisent dans leur ouvrage L’information est un bien public - Refonder la propriété des médias d’ériger un nouveau modèle de propriété des médias reposant sur 4 piliers :

‒ Une gouvernance plus démocratique et qui favorise l’indépendance des rédactions ;

‒ Un droit d’agrément qui permette, en cas de cession d’un média, aux journalistes et aux membres de la rédaction d’agréer le nouvel acquéreur, ou, à défaut, de proposer un acquéreur alternatif ;

‒ Une meilleure transparence sur la gouvernance et l’actionnariat ;

‒ Davantage d’investissement dans les rédactions.

En effet, pour défendre l’accès à l’information, nous nous devons de renforcer la gouvernance démocratique des médias, de limiter la possibilité de concentration dans les mains de quelques‑uns en repensant le mode de financement des médias, en particulier celui des aides publiques à la presse.

L’article 1er érige de nouvelles contreparties à l’octroi, par l’État, de nombreux avantages dont peuvent aujourd’hui bénéficier les entreprises éditrices : aides à la presse, tarifs postaux spécifiques, etc.

À l’exception des toutes petites structures (celles de moins de 10 salariés), les entreprises éditrices de presse devront se soumettre à plusieurs règles destinées à favoriser l’indépendance des journalistes et améliorer la qualité de l’information.

Tout d’abord, il leur faudra disposer d’un organe de gouvernance paritaire, composé pour moitié de salariés, parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes. Cet organe pourra s’opposer, par le biais d’un droit d’agrément, à l’arrivée de tout nouvel actionnaire de contrôle au capital.

Ensuite, afin de garantir l’indépendance des rédactions, celles‑ci devront disposer d’un droit de veto sur la nomination, proposée par l’organe de gouvernance paritaire, du directeur de la rédaction. Cette mesure est déjà appliquée par certains journaux, à l’instar du Monde et des Échos, et mérite d’être étendue.

Enfin, dans l’optique de pousser les entreprises éditrices à investir davantage dans les rédactions, 35 % de leur chiffre d’affaires annuel devra être consacré aux charges de personnel. Toujours afin d’améliorer la qualité de l’information, le versement de dividendes sera limité à 30 % des bénéfices, le reste devant être consacré à la constitution d’une réserve statutaire dédiée au maintien ou au développement de l’activité de l’entreprise éditrice de presse.

Les articles 2 et 3 complètent le dispositif précédent en imposant davantage de transparence aux entreprises éditrices de presse. Celles‑ci devront rendre publique l’identité des actionnaires détenant au moins 5 % de leur capital (contre 10 % aujourd’hui). Si l’actionnaire est une société, il faudra surtout dévoiler le nom de son bénéficiaire effectif, étant donné que l’identité de la personne physique contrôlant effectivement un média est aujourd’hui une information peu accessible au public, car souvent masquée par l’écran d’une ou plusieurs sociétés holdings. Le montant des aides à la presse perçues au titre de l’année précédente devra également être rendu public, de même que celui des financements privés (mécénat, etc.).

L’article 4 donne comme mission à l’Arcom de publier annuellement une base de données centralisée de la composition du capital des titres de presse et des services de communication audiovisuelle, de même que de l’identité des membres de leurs organes dirigeants.

L’article 5 oblige les rédactions à informer leurs lecteurs quand un article traite d’un sujet en lien avec un actionnaire détenant au moins 5 % du capital de l’entreprise éditrice.

L’article 6 prévoit que les entreprises éditrices ne respectant pas leurs obligations de transparence évoquées précédemment deviendront passibles d’une amende pouvant atteindre 5 % de leur chiffre d’affaires annuel moyen.

L’article 7 tend à remplacer une partie des aides actuelles à la presse, dont les modalités de répartition apparaissent à la fois complexes et opaques, par des « Bons pour l’indépendance des médias ». Chaque Français pourra ainsi allouer, chaque année, à partir de ses seize ans, une certaine somme à un ou plusieurs journaux de son choix.

L’article 8 décline plusieurs des mesures précédentes aux médias audiovisuels privés. Pour obtenir une fréquence audiovisuelle, les chaînes devront prévoir, dans les conventions conclues avec l’Arcom (ex‑CSA) : un droit de veto des journalistes dans la nomination de leur directeur de la rédaction ; un droit d’agrément permettant à la rédaction d’agréer le nouvel acquéreur, ou, à défaut, de proposer un acquéreur alternatif ; une meilleure transparence sur les actionnaires.

proposition de loi

Article 1er

Après l’article 2‑1 de la loi n° 86‑897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, il est inséré un article 2‑2 ainsi rédigé :

« Art. 22. ‒ Le bénéfice des aides à la presse, des allègements fiscaux et des tarifs postaux en faveur de la presse est réservé aux entreprises éditrices répondant aux conditions suivantes :

« 1° L’entreprise éditrice dispose d’un organe de gouvernance paritaire, composé pour moitié de salariés, parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes ;

« 2° Le directeur de la rédaction est nommé par l’organe de gouvernance paritaire. Pour être valide, cette nomination doit être agréée par l’ensemble des membres de la rédaction de l’entreprise éditrice, à la majorité de 60 % des votants et avec un taux de participation d’au moins 50 %.

« 3° Tout transfert ou cession de titres d’une entreprise éditrice, entraînant un changement de contrôle au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, est soumis à l’agrément de l’organe de gouvernance paritaire. En cas de refus d’agrément, l’entreprise éditrice doit, dans un délai de douze mois, soit faire racheter les titres dont la cession était envisagée, soit procéder elle‑même à ce rachat. À défaut d’accord, le prix de cession est fixé dans les conditions prévues à l’article 1843‑4 du code civil. L’agrément est considéré comme donné si le rachat n’est pas réalisé dans le délai susmentionné.

« 4° Au moins 35 % du chiffre d’affaires de l’entreprise doit être consacré aux charges de personnel, les effectifs devant être au moins à moitié être composés de journalistes.

« 5° L’entreprise éditrice doit affecter une fraction au moins égale à 70 % des bénéfices de chaque exercice à la constitution d’une réserve statutaire consacrée au maintien ou au développement de son activité. Cette réserve ne peut faire l’objet d’aucun versement sous la forme de dividendes.

« Ces conditions ne s’appliquent pas aux entreprises éditrices de moins de dix salariés. »

Article 2

L’article 5 de la loi n° 86‑897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est ainsi modifié :

1° Après le mot : « portées », la fin du premier alinéa est ainsi rédigée : « à la connaissance du public de façon visible et facilement accessible, dans chaque numéro : « ;

2° Le 2° est ainsi rédigé :

« 2° Si l’entreprise éditrice est une personne morale, sa dénomination ou sa raison sociale, son siège social, sa forme juridique, le nom de son représentant légal ainsi que l’identité et la part de capital de toute personne physique ou morale détenant une fraction supérieure ou égale à 5 % de celui‑ci, et en cas de détention par une personne morale, le nom de son bénéficiaire effectif au sens de l’article L. 561‑2‑2 du code monétaire et financier ; »

3° Après le 3°, il est inséré un 4° ainsi rédigé :

« 4° Le montant des aides publiques à la presse, ainsi que celui des financements privés perçus au cours de l’année précédente. »

Article 3

Le dernier alinéa de l’article 6 de la loi n° 86‑897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse est remplacé par deux alinéas ainsi rédigés :

« L’entreprise éditrice doit porter à la connaissance du public, de façon visible et facilement accessible, et, le cas échéant, sur le site Internet de la publication, toutes les informations relatives à l’identité des membres de ses organes dirigeants et à la composition de son capital. Elle mentionne l’identité et la part de capital de toute personne physique ou morale détenant une fraction supérieure ou égale à 5 % de celui‑ci, et, en cas de détention par une personne morale, le nom de son bénéficiaire effectif au sens de l’article L. 561‑2‑2 du code monétaire et financier. Pour chaque personne physique actionnaire et chaque bénéficiaire effectif d’une personne morale actionnaire, sont précisés l’ensemble des sociétés dont ces personnes détiennent plus de 25 % du capital ainsi que l’ensemble des sociétés et organismes à but non lucratif dans lesquels elles détiennent des mandats sociaux, et le secteur d’activité de ces sociétés et organismes à but non lucratif.

« Ces informations sont mises à jour au moins une fois par an. »

Article 4

Après l’article 20‑8 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, il est inséré un article 20‑9 ainsi rédigé :

« Art. 209. ‒ Les informations demandées aux articles 5 et 6 de la loi n° 86‑897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, et à l’alinéa 37 de l’article 28 de loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, dans leur rédaction issue de la présente loi, sont transmises à l’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique. L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique les centralise et les diffuse. »

Article 5

Après l’article 6 de la loi n° 86‑897 du 1 août 1986 portant réforme du régime juridique de la presse, est inséré un article 6‑1 ainsi rédigé :

« Art. 61.  Toute publication de presse traitant d’un sujet en lien avec une personne physique ou morale détenant au moins 5 % de son capital, le cas échéant bénéficiaire effectif au sens de l’article L. 561‑2‑2 du code monétaire et financier, doit porter cette information à la connaissance des lecteurs. »

Article 6

L’article 15 de la loi n° 86‑897 du 1 août 1986 précitée est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « de 6 000 euros d’amende » sont remplacés par les mots : « d’une amende pouvant atteindre 5 % du chiffre d’affaires annuel moyen de l’entreprise éditrice, calculé sur les trois derniers chiffres d’affaires annuels connus à la date des faits » ;

2° Au 2°, les mots : « et 6 » sont remplacés par les mots : « 6 et 6‑1 ».

Article 7

Une partie des subventions versées comme aides à la presse est répartie par les personnes physiques d’au moins seize ans, par le biais de bons pour l’indépendance des médias. Les bons pour l’indépendance des médias sont individuels, d’un montant identique, et ne peuvent être cédés à un tiers.

Aucun bénéficiaire ne peut recevoir plus de 1 % des crédits relatifs aux bons pour l’indépendance des médias.

Un décret en Conseil d’État précise le montant des bons pour l’indépendance des médias, ainsi que leurs modalités de distribution et d’utilisation. Ce décret fixe également les modalités de réattribution des bons non‑alloués, notamment sur le fondement de l’alinéa précédent. Il détermine enfin dans quelles conditions la distribution de bons pour l’indépendance des médias peut donner lieu à une réduction tarifaire.

Article 8

Après le trente‑troisième alinéa de l’article 28 de la loi n° 86‑1067 du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication, sont insérés quatre alinéas ainsi rédigés :

« La convention mentionnée au premier alinéa du présent article prévoit également que :

« a) Tout directeur de la rédaction est nommé par un organe de gouvernance paritaire, composé pour moitié de salariés, parmi lesquels au moins deux tiers de journalistes. Pour être valide, cette nomination doit être agréée par l’ensemble des membres de la rédaction, à la majorité de 60 % des votants et avec un taux de participation d’au moins 50 %.

« b) Tout transfert ou cession de titres, entraînant un changement de contrôle au sens de l’article L. 233‑3 du code de commerce, est soumis à l’agrément de l’organe de gouvernance paritaire susmentionné. En cas de refus d’agrément, l’entreprise de communication audiovisuelle doit, dans un délai de douze mois, soit faire racheter les titres dont la cession était envisagée, soit procéder lui‑même à ce rachat. À défaut d’accord, le prix de cession est fixé dans les conditions prévues à l’article 1843‑4 du code civil. L’agrément est considéré comme donné si le rachat n’est pas réalisé dans le délai susmentionné.

« c) Les informations relatives à l’identité des membres des organes dirigeants du service de communication audiovisuelle et à la composition de son capital doivent être portées à la connaissance du public, de façon visible et facilement accessible, le cas échéant sur le site Internet du service. Sont mentionnés l’identité et la part de capital de toute personne physique ou morale détenant une fraction supérieure ou égale à 5 % de celui‑ci, et, en cas de détention par une personne morale, le nom de son bénéficiaire effectif au sens de l’article L. 561‑2‑2 du code monétaire et financier. »

Article 9

La charge pour l’État résultant de l’application de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.