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N° 5068

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger l’emploi, le savoirfaire et l’outil industriel dans les secteurs stratégiques et les matériaux critiques,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Olivier MARLEIX, Vincent ROLLAND, Émilie BONNIVARD, Damien ABAD, Annie GENEVARD, Patrick HETZEL, Julien DIVE, Robin REDA, Éric DIARD, Dino CINIERI, Mansour KAMARDINE, Maxime MINOT, Frédéric REISS, Pierre VATIN, JeanMarie SERMIER, Laurence TRASTOURISNART, Geneviève LEVY, JeanPierre DOOR, Édith AUDIBERT, Isabelle VALENTIN, JeanPierre VIGIER, Bérengère POLETTI, JeanJacques GAULTIER, Marine BRENIER, Michel VIALAY, Philippe BENASSAYA, Éric PAUGET, Robert THERRY, Bernard BOULEY, Bernard BROCHAND, Fabrice BRUN, Fabien DI FILIPPO, Bernard REYNÈS, Virginie DUBYMULLER, Nathalie SERRE, David LORION, Emmanuelle ANTHOINE, Yves HEMEDINGER, Valérie BEAUVAIS, Nathalie PORTE, Bernard PERRUT, Nicolas FORISSIER, Stéphane VIRY, JeanLuc REITZER, Guy TEISSIER, Christelle PETEXLEVET, JeanLuc BOURGEAUX, MarieChristine DALLOZ, Valérie BAZINMALGRAS, Michel HERBILLON,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La défense des intérêts stratégiques de la France rend inacceptable que des investisseurs étrangers, au motif d’une rentabilité insuffisante, préfèrent fermer des sites de production pour les délocaliser.

La loi dite « Florange » de 2014 avait tenté de créer, à la charge des entreprises envisageant la fermeture d’un établissement, une obligation de céder cet établissement à un repreneur présentant « une offre de reprise sérieuse ». Cette intention du législateur avait été censurée par le Conseil Constitutionnel par sa décision n° 2014‑692 DC du 27 mars 2014. Le Conseil avait considéré que « l’obligation d’accepter une offre de reprise sérieuse en l’absence de motif légitime et la compétence confiée à la juridiction commerciale pour réprimer la violation de cette obligation font peser sur les choix économiques de l’entreprise, notamment relatifs à l’aliénation de certains biens, et sur sa gestion des contraintes qui portent tant au droit de propriété qu’à la liberté d’entreprendre une atteinte disproportionnée au regard de l’objectif poursuivi ».

La loi ainsi censurée ne pose donc plus, à la charge de l’entreprise qui souhaite fermer un établissement, qu’une obligation de moyens à rechercher un repreneur. Après sept années d’application de ces dispositions, force est de constater que les dispositions telles que censurées ne constituent le plus souvent qu’une formalité, trop rarement suivies d’une reprise quand bien même il existe des repreneurs. Ce dispositif est donc bien éloigné de l’ambition du législateur. Cet échec est facilement compréhensible : il est assez improbable qu’une entreprise souhaite céder à un concurrent un outil industriel pour lui donner les moyens d’accroître sa concurrence.

Si le dispositif imaginé dans la version initiale de la loi Florange pouvait paraître disproportionné au regard d’un objectif très général de « pérennité de l’activité et de l’emploi de l’établissement », il n’est pas possible d’ignorer que la fermeture d’un établissement peut aussi porter atteinte à d’autres intérêts, notamment ceux visées par le législateur à l’article L 151‑3 du code monétaire et financier (risque d’atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique et à la défense nationale) qui constituent ce que l’on appelle communément les secteurs stratégiques.

Pour mémoire, « Sont soumis à autorisation préalable du ministre chargé de l’économie les investissements étrangers dans une activité en France qui, même à titre occasionnel, participe à l’exercice de l’autorité publique ou relève de l’un des domaines suivants : a) Activités de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique ou aux intérêts de la défense nationale b) Activités de recherche, de production ou de commercialisation d’armes, de munitions, de poudres et substances explosives. »

La liste des secteurs stratégiques a été précisée dans un décret n° 20191590 du 31 décembre 2019 relatif aux investissements étrangers en France. Cette liste correspond à la définition qu’en donne également l’Union européenne dans un règlement du 19 mars 2019 établissant un cadre de filtrage des investissements directs étrangers dans l’Union.

Au nom de la défense des intérêts nationaux, le ministre de l’économie s’est vu doté par le législateur d’un pouvoir important puisqu’il autorise ou non ces investissements, peut s’opposer à une vente, peut en réduire le périmètre, ou prononcer le désinvestissement si l’investisseur ne respecte pas un certain nombre d’engagements. Il peut également suspendre, restreindre ou interdire temporairement la libre disposition de tout ou partie des actifs liés aux activités. Autant d’atteintes admises par le Conseil constitutionnel à la liberté d’entreprendre et au droit de propriété.

De la même façon, la Commission européenne met à jour tous les trois ans une « liste des matières premières critiques pour les technologies et secteurs stratégiques de l’Union » à risques d’approvisionnement pour l’industrie. La dernière liste établie en septembre 2020 identifie 20 produits critiques ([1]). Cette démarche s’inscrit désormais dans une vaste politique de l’Union européenne visant à protéger les capacités de production et d’approvisionnement dans les activités stratégiques ou elle souhaite préserver ou renforcer son autonomie.

Il ne paraît plus concevable que la France continue de perdre des pans entiers de son appareil productif concourant à ces activités critiques ou stratégiques du fait de décisions d’acteurs économiques faisant des choix de délocalisation exclusivement motivés par une amélioration de leur rentabilité à court terme. Le pouvoir reconnu au ministre de l’économie de protéger les intérêts nationaux dans le cadre d’un investissement dans un secteur stratégique doit a fortiori pouvoir s’exercer dans le cadre d’un projet de fermeture d’un établissement qui en menace directement la pérennité.

Le présent texte propose donc d’établir, dans le cas d’un établissement abritant une activité stratégique telle que définie à l’article L 151‑3 du Code monétaire et financier, ou concourant à la production ou à la transformation d’une matière première critique en termes d’approvisionnement pour l’industrie, une obligation de cession à un repreneur qui garantit la pérennité de la production.

 

 


proposition de loi

Article unique

Le chapitre III du titre III du livre II de la première partie du code du travail est ainsi modifié :

1° La sous‑section 4 de la section 4 est complétée par un paragraphe 4 ainsi rédigé :

« Paragraphe 4

« Intervention de l’autorité administrative concernant les entreprises intervenant dans des secteurs de nature à porter atteinte à l’ordre public, à la sécurité publique et à la défense nationale

« Art. L. 12335781 L’autorité administrative compétente désignée selon les conditions prévues à l’article L. 1233‑57‑8 informe le ministre chargé de l’économie de la décision de procéder à un licenciement collectif. Ce dernier vérifie s’il s’agit d’une entreprise relevant d’une activité stratégique telle que définie à l’article L. 151‑3 du code monétaire et financier, ou concourant à la production ou à la transformation d’une matière première critique en terme d’approvisionnement pour l’industrie.

2° La sous‑section 2 de la section 4 bis est complétée par un paragraphe 4 ainsi rédigé :

« Paragraphe 4

« Rôle du ministre chargé de l’économie au titre de ses prérogatives en matière de défense des intérêts nationaux

« Art. L. 123357211 Si l’établissement concerné relève d’une activité stratégique telle que définie à l’article L. 151‑3 du code monétaire et financier, ou participe à la production ou à la transformation d’une matière première critique en terme d’approvisionnement pour l’industrie, le ministre chargé de l’économie peut imposer l’ouverture de discussions en vue d’une cession avec un repreneur qui s’est manifesté dans le cadre de la procédure prévue à l’article L. 1233‑57‑14 du code du travail, ou avec tout autre repreneur, pour garantir la pérennité de la production.

« Si la cession n’intervient pas de façon amiable dans un délai de six mois, elle peut être décidée, ainsi que son prix, par arrêté du ministre au terme d’une procédure contradictoire. Cette décision est susceptible de recours pour excès de pouvoir.

« Tout plan de sauvegarde de l’emploi est suspendu jusqu’à la cession. »


([1]) L’Antimoine, le Hafnium, le Phosphore, le Baryte, les Terres rares lourdes, le Scandium, le Béryllium, les Terres rares légères, le Silicium métal, le Bismuth l’Indium Tantale, le Borate, le Magnésium, le Tungstène, le Cobalt Graphite naturel, le Vanadium, le Charbon à coke, le Caoutchouc naturel, la Bauxite, le Spath fluor, le Niobium, le Lithium, le Gallium, les Platinoïdes, le Titane, le Germanium, le Phosphate naturel, le Strontium