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N° 5087

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à faire reconnaître la dignité des personnes âgées dépendantes
« grande cause nationale »,

 (Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Bernard PERRUT, Damien ABAD, Emmanuelle ANTHOINE, Édith AUDIBERT, Thibault BAZIN, Émilie BONNIVARD, JeanYves BONY, Ian BOUCARD, Bernard BOULEY, JeanLuc BOURGEAUX, Marine BRENIER, Jacques CATTIN, Dino CINIERI, Josiane CORNELOUP, MarieChristine DALLOZ, Rémi DELATTE, Éric DIARD, Fabien DI FILIPPO, Julien DIVE, JeanPierre DOOR, JeanJacques GAULTIER, Annie GENEVARD, Victor HABERTDASSAULT, Yves HEMEDINGER, Michel HERBILLON, Marc LE FUR, Constance LE GRIP, David LORION, Véronique LOUWAGIE, Olivier MARLEIX, Éric PAUGET, Guillaume PELTIER, Bérengère POLETTI, Didier QUENTIN, Alain RAMADIER, Robin REDA, Frédéric REISS, JeanLuc REITZER, Vincent ROLLAND, Raphaël SCHELLENBERGER, Laurence TRASTOURISNART, Isabelle VALENTIN, Pierre VATIN, JeanPierre VIGIER, Stéphane VIRY,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

« Nous étions rationnés, c’était trois couches par jour maximum. Et pas une de plus. Peu importe que le résident soit malade, qu’il ait une gastro, qu’il y ait une épidémie. Personne ne voulait rien savoir. », tel est l’un des témoignages accablants tiré du livre Les Fossoyeurs dans lequel est décrite, à la suite d’une enquête menée durant trois ans, la maltraitance organisée dans les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD) privés lucratifs du groupe français Orpea, leader mondial sur le marché. Et ce ne sont pas que les couches qui sont rationnées mais aussi bien les repas que les soins prodigués aux patients, toujours plus nombreux par soignant.

De tels actes, qui sont facilités voire rendus possibles par la vulnérabilité liée à la perte d’autonomie des personnes accueillies en EHPAD, sont constitutifs de maltraitance ; maltraitance allant jusqu’à provoquer la mort prématurée de certains patients.

Si ce livre est un électrochoc, et les établissements cités dans cet ouvrage ne sont pas des cas isolés, il ne faut pas pour autant considérer que tous les établissements ont de tels comportements, et nous connaissons tous des EHPAD privés à but lucratif, privés à but non lucratif, et établissements publics, qui mettent tout en œuvre pour bien accueillir, accompagner et prendre soin de leurs résidents. Mais tous s’accordent à reconnaître les difficultés structurelles que rencontre le secteur : sous‑effectif constant, moyens insuffisants, et en conséquence souffrance au travail du personnel soignant et accompagnant, qui se répercute sur les personnes âgées comme sur les familles.

La souffrance est présente à tous les étages.

Ces témoignages intolérables viennent malheureusement corroborer un phénomène de maltraitance qui tend à s’institutionnaliser comme l’illustre l’instruction par le Défenseur des droits de plus de 900 réclamations de personnes contestant les modalités de leur accompagnement médico‑social ou celui de leurs proches ces six dernières années. 80 % de ces dossiers mettent en cause un EHPAD.

La France est l’un des pays européens qui compte la proportion la plus élevée de personnes âgées en EHPAD (8,8 % des 75 ans et plus). Près de 7 600 EHPAD accueillent plus de 600 000 personnes âgées en perte d’autonomie ou handicapées qui sont majoritairement des personnes en situation de vulnérabilité : 80 % sont classées en GIR 1 à 4, 260 000 souffrent d’une maladie neurodégénérative et 28 % sont sous régime de protection juridique des majeurs. Les besoins en soins et les niveaux de dépendance des résidents continuent à progresser. Selon les projections de la DREES, en 2050, les plus de 60 ans seront 25 millions, dont 4 millions en situation de perte d’autonomie ou de handicap.

Le défi des EHPAD consiste dès lors à garantir un juste équilibre entre, d’une part, la sécurité et la protection de leurs résidents, notamment ceux en situation de particulière vulnérabilité et, d’autre part, le respect de leurs droits, de leurs libertés et de leur dignité.

Toutes les personnes accueillies en EHPAD ont le droit au respect de leur dignité et à la protection contre toute forme de maltraitance. Le respect de la dignité de la personne humaine constitue la base même des droits fondamentaux. Ce principe implique de ne pas réduire l’être humain à son corps en le traitant comme un objet. Il exige également que les besoins vitaux de la personne soient assurés.

Prendre conscience de la dignité de la personne âgée, c’est prendre conscience qu’elle reste un être humain à part entière.

Pourtant, les faits récents, ainsi que la gestion de la crise covid‑19 où, pour la première fois de notre histoire, nous avons en conscience « sacrifié » les personnes âgées résidentes en EHPAD dans l’accès aux soins, montrent que la réalité n’est pas toujours conforme à ce principe.

Les soignants ont été les premiers à faire des signalements et, pendant la première vague de l’épidémie de covid, nombreux ont été les professionnels à dénoncer le traitement de nos aînés en établissement : « on ne donnait aucune chance aux personnes âgées de s’en sortir. Quand une personne âgée n’est pas hospitalisée [par manque de lits] et qu’ensuite, ce qu’on lui propose, c’est une sédation dès l’instant qu’elle va présenter une détresse respiratoire… ma première réaction, ça a été : on nous demande de faire une euthanasie passive auprès de nos résidents. »([1])

En dépit de la reconnaissance juridique du droit de toute personne humaine au respect de sa dignité et de son intégrité, force est de constater, qu’il arrive que les comportements adoptés pendant l’accompagnement quotidien du résident, sans volonté délibérée, négligent ces droits fondamentaux et sa dignité, en particulier lorsque les considérations d’ordre organisationnel et budgétaire deviennent prédominantes.

La grande majorité des professionnels font de leur mieux, avec un engagement qui doit être salué, mais nous connaissons aussi la détresse de ces femmes et ces hommes qui sont confrontés à des dilemmes éthiques inhumains : rester dans un secteur en manque de moyens constants pour prodiguer des soins décents ; ou bien le quitter alors même qu’il y a un manque de professionnels dans ces métiers…

La lumière crue braquée par Les Fossoyeurs sur ce secteur et les dérives d’un filon lucratif qu’il faut dénoncer nous impose aujourd’hui de réagir.

Une société se juge à manière dont elle traite ses personnes âgées et notre pacte social nous impose de prendre nos responsabilités face à ce défi d’humanité.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi qui vise à faire reconnaitre la dignité des personnes âgées vulnérables, car dépendantes, « Grande cause nationale », répondant ainsi à l’impérative nécessité d’un sursaut collectif pour lutter contre toutes les formes de maltraitance commises envers nos aînés.

 

 


proposition de loi

Article 1er

La dignité des personnes âgées dépendantes est déclarée « grande cause nationale ».

Article 2

Les pouvoirs publics s’engagent à promouvoir par tous moyens cette disposition.

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) Sandra Rotureau, cadre de santé, https://www.francetvinfo.fr/sante/maladie/
coronavirus/video
-covid-19-on-aabrege-les-souffrances-des-gens-j-appelle-ca-l-euthanasie-s-indigne-une-medecin-d-ehpad-public_4183593.html