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N° 5092

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2022.

PROPOSITION DE LOI

portant diverses mesures en faveur de l’amélioration
des conditions de vie à Mayotte,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Ramlati ALI, Maud PETIT, Carole BUREAUBONNARD, Manuéla KÉCLARD–MONDÉSIR, Maina SAGE, Laurianne ROSSI, David LORION, Annie CHAPELIER, Olivier SERVA, Mansour KAMARDINE, Fabienne COLBOC, Jean François MBAYE, Claire GUION‑FIRMIN, Josette MANIN, Mireille ROBERT, Lénaïck ADAM, Sophie PANONACLE, JeanPhilippe NILOR,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Dix ans après la départementalisation de Mayotte, le 101ème département français aspire désormais à saisir l’opportunité d’un développement endogène accéléré et d’une convergence des droits sociaux conforme au principe de l’identité législative qui le caractérise.

Forte de l’idée selon laquelle il ne saurait exister de graduation dans le fait d’être français et de détenir dans son patrimoine juridique des droits et des devoirs identiques, Mayotte et ses habitants ont accepté de renoncer à des pans de traditions pour embrasser pleinement l’identité et les valeurs républicaines.

Aujourd’hui, au sein de cette France, une, indivisible, se dresse pourtant un mur d’inégalités qui peine à faire reculer la pauvreté, l’isolement, l’insécurité, l’immigration irrégulière, la délinquance juvénile, l’échec scolaire, l’illettrisme. Structurelles, juridiques, sociétales, ces inégalités sont décuplées à mesure que la démographie galopante progresse dans des conditions qui font craindre un manque de préparation pour l’avenir des populations futures.

Pour acter de la convergence des droits, l’article 19 de la loi n° 2017‑256 du 28 février 2017 dite de programmation relative à l’égalité réelle outre‑mer, avait posé le principe selon lequel, dans le Département de Mayotte, le processus de l’égalité réelle incluant la réalisation de l’égalité sociale, serait mis en œuvre sur la base des orientations du document stratégique « Mayotte 2025 ». Ledit document porte une ambition pour 2025, soit dans trois ans, sur les six thématiques retenues : la performance du cadre institutionnel, la mise en place d’une éducation de qualité, de formations et d’une politique d’insertion adaptée aux besoins du territoire, mais aussi sur le développement du tissu économique, le développement du secteur sanitaire et social en misant également sur une politique de l’habitat et de la ville adaptée. Enfin, la gestion durable des richesses naturelles du Département est un enjeu à part entière. Force est de constater que le décompte actuel ne permet pas d’atteindre l’objectif annoncé d’ici 2025. 

Il est par suite urgent de poursuivre le développement de Mayotte. Ainsi, l’avant‑projet de loi pour le développement accéléré de Mayotte, contient un certain nombre de mesures proposées par le Gouvernement et propices à l’épanouissement du territoire, pour en faire un point géostratégique de la France en océan Indien et aux portes de l’Afrique. 

Il n’en demeure pas moins que les clauses de revoyure et calendriers prospectifs entourant la mise en œuvre des ambitions pour Mayotte, repoussent d’années en années la perspective de l’amélioration des conditions de vie des mahorais. Mayotte reste le territoire au sein duquel 77 % des habitants vivent sous le seuil de pauvreté. L’espérance de vie est inférieure de huit ans, à celle de la moyenne nationale. Par ailleurs, une enquête de l’INSEE révèle qu’un habitant de Mayotte sur neuf s’estime en mauvaise ou en très mauvaise santé en 2019. Les personnes âgées, les femmes et les personnes en situation de pauvreté estiment leur santé altérée. 

Le texte ainsi présenté vient y répondre et porte la volonté ferme d’un changement à court terme.

La première partie du texte vient poser les jalons en faveur d’une égalité sociale et économique plus marquée au sein du territoire ultramarin le plus pauvre de France. Les mesures proposées sont immédiatement applicables ou sont commandées pour servir d’appui aux législations à venir. Il est urgent de fournir les données techniques et chiffrées utiles à l’élaboration de la loi.

Afin d’accélérer la convergence des droits sociaux, il est nécessaire de redonner à l’initiative parlementaire une place plus affirmée, en ratifiant les ordonnances du Gouvernement non ratifiées. En effet, cette initiative a longtemps été ralentie par l’absence de ratification de ces dernières. L’article 1er ratifie l’ordonnance n° 2015‑682 du 18 juin 2015 relative à la simplification des déclarations sociales des employeurs. C’est ainsi permettre aux règles applicables à l’utilisation du Titre emploi service entreprise (TESE) d’être modifiées à l’avenir pour mieux répondre aux besoins des petites entreprises locales. Il en va de même des règles relatives aux guichets uniques de déclaration des cotisations et contributions sociales pourront encore être modifiées par l’initiative parlementaire après consultation des acteurs socio‑économiques locaux.

Le prérequis pour le développement économique du territoire passe bien évidemment par l’alignement des droits les plus élémentaires comme celui d’être soigné et de bénéficier d’une complémentaire santé solidaire, d’être rémunéré en fonction d’un salaire minimum aligné sur celui des autres DROM, de bénéficier d’un RSA supérieur à la somme de 279,87 euros, ainsi qu’un minimum vieillesse permettant de vivre dans des conditions dignes. Ces mesures réglementaires tant attendues, ont été partiellement réceptionnées dans l’ordre juridique par une ordonnance n° 2021‑1553 du 1er décembre 2021 relative à l’extension, à l’amélioration et à l’adaptation de certaines prestations de sécurité sociale à Mayotte. Ladite ordonnance vise à améliorer les droits à la retraite en mettant en place un dispositif exceptionnel de validation gratuite de périodes d’assurance vieillesse pour les personnes affiliées à la caisse de sécurité sociale de Mayotte ayant exercé une activité salariée entre 1987 et 2002 pendant une durée minimale. Le texte étend par ailleurs à Mayotte des prestations sociales jusqu’ici inapplicables ou partiellement applicables selon des modalités adaptées aux spécificités du territoire. L’ordonnance développe la branche autonomie du régime général de sécurité sociale et élargit le bénéfice des prestations existantes et les bénéficiaires d’indemnités journalières en cas de paternité et d’accueil de l’enfant notamment. Elle étend le bénéfice de l’allocation journalière de présence parentale pour faciliter l’accompagnement des enfants en situation de handicap, de l’allocation réservée pour l’accompagnement d’un proche en fin de vie. Les chômeurs voient également leurs droits améliorés. Des dispositions sont en outre prévues à destination des professionnels de santé libéraux lesquels bénéficient désormais de la garantie de paiement de l’assurance maladie en cas de recours au tiers payant. Le dispositif Pajemploi sera prochainement applicable avec les garanties associées. Ces mesures sociales relevant toutes du domaine réglementaire, étaient espérées.

Il reste que certaines autres, relevant du domaine de la loi, peuvent être adoptées afin d’améliorer les conditions de travail et d’insertion professionnelle pour l’ensemble de la population. Les propositions faites sont le fruit d’un travail de dialogue avec les acteurs économiques, sociaux, institutionnels. Elles portent les besoins des mahorais.

A cet effet l’article 2 vient faciliter la ratification des conventions collectives non ratifiées avant 2018. Il est impératif que tous les salariés de France jouissent des mêmes droits et des dispositions protectrices de leurs branches. Les grèves successives et crises sociales survenues sur le territoire, portent de manière systématique ces revendications. Ainsi, l’article L. 2622‑2 du code du travail est complété par un alinéa nouveau prévoyant qu’à l’entrée en vigueur de la loi n°           du°          , les partenaires sociaux de chaque branche engagent des négociations en vue de prévoir l’application, à Mayotte, des conventions et accords collectifs nationaux.

Si le décret n° 2021‑1741 du 22 décembre 2021 portant relèvement du salaire minimum de croissance a revalorisé la valeur du SMIC brut horaire de 0,9 %, le portant à 7,98 euros à Mayotte, il reste néanmoins inférieur à celui de la métropole, de la Guadeloupe, Guyane, Martinique, mais aussi de La Réunion, Saint‑Barthélemy, Saint‑Martin et Saint‑Pierre‑et‑Miquelon, qui bénéficient d’un taux brut horaire à 10,57 euros. Une différence qui ne semble plus se justifier dès lors que le niveau des cotisations patronales est quasiment équivalent à celui observé au sein de ces territoires.

Par suite, l’article 3 commande un rapport du Gouvernement à remettre au parlement dans un délai de six mois afin qu’il précise les conditions de l’applicabilité en N+2 d’un taux de smic horaire net à Mayotte aligné sur celui des autres collectivités régies par les dispositions de l’article 73 de la Constitution. Il est utile pour le législateur ainsi que l’ensemble des partenaires socio‑professionnels, de connaître les critères qui permettront à leur territoire de rejoindre les rangs, en offrant à leur personnel des conditions de rémunération dignes.

L’article 4 demande au Gouvernement de clarifier par voie de rapport les dispositions du code de la sécurité sociale et du travail applicables à Mayotte et celles qui ne le sont pas. En effet, il est assez hasardeux tant pour le particulier que pour les agents gestionnaires de ces services publics, d’accéder aux dispositions qui sont applicables à leur territoire. La mesure commandée vient favoriser l’intelligibilité des normes juridiques applicables à Mayotte.

Hormis la question de la rémunération, se pose également celle de l’accès des entreprises au foncier, afin de disposer de moyens logistiques pour développer leur activité et l’économie de demain. Le manque de foncier à Mayotte et d’organisme destiné à générer un foncier à vocation économique, ralentit le développement de l’île. Dans ces conditions, l’article 5 permet à titre dérogatoire à l’organisme de foncier solidaire visé par l’article L. 329‑1 du code de l’urbanisme, d’assurer à titre complémentaire de ses missions actuelles, le développement et la gestion du foncier à vocation économique.

Au‑delà de ces femmes et de ces hommes qui aspirent à travailler dans de meilleures conditions, s’observe une jeunesse en mal d’intégration et confrontée à l’échec scolaire, ainsi qu’à l’oisiveté. La délinquance juvénile est devenue une donnée incontrôlable, qui plonge de manière journalière les collégiens et lycéens, dans la terreur. Le caillassage de nuit rend des portions de route entières impraticables. L’ordre doit y être maintenu en luttant contre la délinquance juvénile et en instaurant des sanctions adaptées et proportionnées au contexte local. 

Afin de lutter contre l’oisiveté juvénile, l’article 6 modifie à titre expérimental et pour une durée de 3 ans le code du travail, en permettant aux mineurs de plus de quatorze ans, de travailler une demi‑journée par semaine et durant les vacances scolaires. La rédaction actuelle du texte permet déjà aux mineurs de plus de quatorze ans de travailler pendant les vacances scolaires. Il s’agit donc de permettre aux jeunes désireux d’accéder à une gratification, de travailler sur leur temps libre non‑ouvré, à hauteur d’une demi‑journée par semaine. C’est prendre le pari selon lequel l’accès à un revenu minimal peut réduire la commission d’infractions tels que les braquages et les vols auprès de cette jeune population. C’est aussi sensibiliser au sens des responsabilités et transmettre le goût de l’effort. 

La deuxième partie du texte a pour objectif de porter des mesures en faveur de l’amélioration des conditions et du cadre de vie des populations. L’article 7 abroge le 1° de l’article L. 371‑4 du code de la construction et de l’habitation et rend applicable à Mayotte le dispositif du droit au logement opposable. Le rythme de 500 constructions par an est jugé satisfaisant par Action Logement et la Société Immobilière de Mayotte (SIM). Ainsi, le dispositif du Droit Au Logement Opposable (DALO) remplira sa fonction pour un meilleur développement du parc locatif social et privé et permettra de renforcer l’accès au logement social et très social pour l’ensemble des demandeurs.

Conscient de ce que l’accès au foncier pour tous se traduit par la nécessité de traiter urgemment la problématique de la régularisation foncière et du titrement des actes sous‑seing privés antérieurs à 2008, l’article 8 instaure à Mayotte, une juridiction spécialisée dans la résolution du désordre foncier.

Enfin, l’article 9 appelle une mesure visant à garantir et sécuriser la continuité territoriale entre Mayotte et l’Hexagone. Transversale, elle vise à rompre l’isolement des jeunes, des adultes et des professionnels vis‑à‑vis du continent. L’éloignement géographique et l’isolement sont un fléau qui privent l’accès des mahorais à la culture, aux loisirs, aux expériences professionnelles de courte durée, au rapprochement familial et à l’identité de la France. Les conditions tarifaires pratiquées par les transporteurs par avion, créent une rupture d’égalité saisissante entre citoyens. Un vol direct entre Dzaoudzi et Paris Charles de Gaulle au mois de décembre 2021, était facturé en moyenne 2 395 euros en classe économique et pour une personne voyageant seule avec un bagage. L’asphyxie et le mécontentement des mahorais est légitime et il convient d’amorcer un travail de régulation. Aussi, l’article 9 vient amorcer un travail d’investigation et invite le Gouvernement à remettre au Parlement au plus tard le 1er décembre 2022, un rapport sur la structure des prix pratiqués par les différentes compagnies desservant le département de Mayotte depuis un autre département ou une autre collectivité d’outre‑mer, ainsi que depuis la France hexagonale. Ce rapport doit analyser en particulier le niveau des différents prélèvements et taxes applicables aux liaisons aériennes et au fret aérien.

Une telle commande avait été passée pour les territoires de Guadeloupe, la Martinique, la Guyane et la Réunion, lors de l’adoption de la loi n° 2012‑1270 du 20 novembre 2012 relative à la régulation économique Outre‑mer et portant diverses dispositions relatives aux Outre‑mer. Mayotte n’avait pas été intégrée dans le champ dudit rapport, de sorte que les pratiques tarifaires actuelles appellent légitimement interrogation. 

Sont ainsi déclinés les 10 articles ayant vocation à améliorer à titre complémentaire les conditions de vie des mahoraises et des mahorais.

 

 


proposition de loi

PREMIÈRE PARTIE

MESURES DIVERSES TENDANT À L’ACCÉLÉRATION DE LA CONVERGENCE DES

DROITS SOCIAUX À MAYOTTE

Article 1er

L’ordonnance n° 2015‑682 du 18 juin 2015 relative à la simplification des déclarations sociales des employeurs est ratifiée.

Article 2

L’article L. 2622‑2 du code du travail est complété par un alinéa ainsi rédigé : 

« À compter de la promulgation de la loi n°     du      portant diverses mesures en faveur de l’amélioration des conditions de vie à Mayotte, les partenaires sociaux de chaque branche engagent des négociations en vue de prévoir l’application, à Mayotte, des conventions et accords collectifs nationaux. »

Article 3

Le Gouvernement remet au Parlement, dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport précisant les conditions de l’applicabilité en N+2 d’un taux de salaire minimum de croissance horaire net à Mayotte, aligné sur celui des autres collectivités régies par l’article 73 de la Constitution.

Article 4

Dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport portant sur l’applicabilité du code du travail et du code de la sécurité sociale dans le département de Mayotte. Ce rapport fait notamment apparaître clairement les dispositions de ces codes telles qu’elles s’appliquent à Mayotte. 

Article 5

Avant le dernier alinéa de l’article L. 329‑1 du code de l’urbanisme, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« En complément des activités mentionnées au premier alinéa du présent article, à Mayotte, l’organisme de foncier solidaire assure à titre complémentaire, le développement et la gestion du foncier à vocation économique. »

Article 6

À Mayotte, à titre expérimental et pour une durée de trois ans, les mineurs de plus de quatorze ans peuvent exercer des travaux adaptés à leur âge, pendant une demi‑journée par semaine.

Ces dispositions s’appliquent sans préjudice de l’article L. 4153‑3 du code du travail.

Les modalités d’application du présent article, notamment son articulation avec les dispositions de l’article L. 4153‑3 du code du travail et les règles relatives à la rémunération des mineurs concernés, sont déterminées par décret.

SECONDE PARTIE

MESURES EN FAVEUR DE L’AMÉLIORATION DES CONDITIONS ET DU CADRE DE VIE DES POPULATIONS

Article 7

Le 1° de l’article L. 371‑4 du code de la construction et de l’habitation est abrogé.

Article 8

Après l’article 35‑2 de la loi n° 2009‑594 du 27 mai 2009 pour le développement économique des outre‑mer, il est inséré un article 35‑3 ainsi rédigé :

« Art. 353.  Dans le département de Mayotte, il est institué une juridiction spécialisée dans la résolution du désordre foncier, chargée de :

« 1° D’ordonner la publication des actes sous seing privés antérieurs à 2008 ayant opéré transfert de propriété ;

« 2° De statuer sur les cas de prescription décennale fondés sur des actes antérieurs au 1er janvier 2008 ;

« 3° De statuer sur les refus d’actes de notoriété rendus par la commission d’urgence foncière ;

« 4° Fournir un titre de propriété aux titulaires d’actes de notoriété trentenaire.

 « Elle statue, selon les cas, par ordonnance ou par procédure accélérée, selon les règles fixées par décret. »

Article 9

Dans un délai de six mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport sur la structure des prix pratiqués par les différentes compagnies aériennes desservant le département de Mayotte depuis un autre département ou une autre collectivité d’outre‑mer, ainsi que depuis la France hexagonale. Ce rapport analyse en particulier le niveau des différents prélèvements et taxes applicables aux liaisons aériennes et au fret aérien.

Article 10

I. – La charge pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.