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N° 5100

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 22 février 2022.

PROPOSITION DE LOI

pour une meilleure prise en charge de la fausse couche,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Mme Paula FORTEZA,

députée.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Bien qu’il s’agisse d’une expérience particulièrement traumatisante, la question de la fausse couche, définie comme l’interruption précoce de la gestation, reste aujourd’hui un véritable tabou en France.

Pourtant, la fausse couche n’est pas un événement résiduel dans le chemin vers la grossesse. On estime en effet qu’une grossesse sur quatre se solde par une fausse couche et qu’une femme sur dix environ traverse une fausse couche dans sa vie. Chaque année, 23 millions de fausses couches se produisent dans le monde, soit environ 15 % du total des grossesses. Cela représente 44 grossesses perdues chaque minute.

Pour les futurs parents, cette épreuve est souvent un choc, un drame silencieux dont les douleurs sont vécues dans l’ombre et auquel notre société ne prépare guère.

Le manque de repères pour les femmes concernées est autant dû à un manque de transmission informelle de la part de l’entourage familial et social qu’à un manque d’information publique.

Pas de préparation dans les cours d’éducation sexuelle, pas de campagne de prévention, pas d’information systématique et complète de la part de gynécologues et obstétriciens. Ce phénomène reste méconnu par la majorité des femmes qui sont confrontées à une fausse couche. Celles‑ci se retrouvent souvent démunies et apeurées pour leur prochaine grossesse.

L’impact et les conséquences des fausses couches sont encore trop souvent sous‑estimées. Le manque d’empathie, d’accompagnement psychologique et les idées reçues peuvent rendre le deuil périnatal des femmes et de leur partenaire particulièrement difficile à traverser.

Par ailleurs, que ce soit dans le système de soin ou dans la société en général, la conviction selon laquelle les fausses couches sont inévitables persiste. Par‑là, il exhorte les femmes à “juste réessayer” et minimise les conséquences physiques et mentales personnelles d’une fausse couche.

Cet état d’esprit conduit à une prise en charge médicale souvent peu adaptée.

Auscultation juste à côté des salles de naissance, avec en fond les pleurs des nouveau‑nés, attentes de plusieurs semaines entre l’annonce de l’arrêt de la grossesse et le curetage, renvoi au domicile sans explication ou même traitement antidouleur… Les témoignages sont nombreux de femmes, si ce n’est traumatisées, au moins chamboulées par une prise en charge minimaliste d’un événement extrêmement marquant de leur vie.

Plusieurs facteurs expliquent cette situation.

Le premier d’entre eux est relatif à une mauvaise orientation des femmes dans cet accompagnement. Les sages‑femmes, par exemple, sont encore invisibilisées dans le cadre de la première prise en charge de la grossesse. Pourtant, leurs compétences n’ont cessé d’évoluer, de s’élargir. Toutefois, le flou persistant sur leur statut réel induit une mauvaise connaissance de leur champ de compétences, qui s’étend pourtant de la naissance physiologique aux conditions de suivi et de surveillance de la grossesse et de la fausse couche.

Un second facteur est le manque de personnel médical. Au‑delà de la situation extrêmement tendue et alarmante de nos hôpitaux, un rapport parlementaire, présenté en octobre dernier au Sénat, pointe par exemple le manque criant de gynécologues sur notre territoire. Ainsi, 13 départements en sont dépourvus, et 77 départements sont en dessous de la moyenne de 2,6 gynécologues pour 100 000 femmes en âge de consulter.

Enfin, un dernier facteur peut expliquer ce manque d’accompagnement des femmes ; c’est celui de la formation médicale. En 2018, le Haut conseil à l’égalité entre les femmes et les hommes (HCE) a montré dans un rapport la multiplication des violences gynécologiques et le « sexisme ambiant » dans le monde médical. Le HCE recommande ainsi, dans le cadre de la formation des gynécologues, de repenser le rapport aux patientes et les pratiques obstétriques vers plus d’empathie, de consentement et de prévention des violences gynécologiques.

Il est nécessaire de consacrer de véritables moyens à la formation des soignants sur ces sujets aussi sensibles que douloureux. En effet, considérées comme courantes et naturelles, les fausses couches sont souvent banalisées par le corps médical, qui ne mesure que trop peu encore la dimension traumatique de l’événement, tant sur le plan physique que psychologique, puisqu’il entraîne un bouleversement majeur à la fois du corps et du quotidien.

Ainsi, il existe plusieurs verrous majeurs au plan de la prise en charge physique, psychologique mais aussi en termes d’information au sein de la société et autant d’adaptation du droit pour contribuer à répondre aux problématiques spécifiques rencontrées par les femmes victimes de fausse couche. À l’exemple de la Nouvelle‑Zélande, qui a adopté en mars 2021 une loi accordant un congé spécial de trois jours, tant à la personne traversant une fausse couche qu’à son conjoint.

Les sentiments de tristesse, de honte, de culpabilité, de solitude suite à une fausse couche sont fréquents, et une parole plus libre sur le sujet contribuera aussi sûrement à lever les verrous déjà cités.

À cet égard, la présente proposition de loi entend améliorer la prise en charge médicale et psychologique des fausses couches, tout en permettant une meilleure prévention et connaissance de celles‑ci.

Le premier chapitre propose de revoir la prise en charge médicale et psychologique des fausses couches.

L’article 1 prévoit la mise en place d’un parcours de soins spécifique à la prise en charge des fausses couches.

Tout d’abord, à des fins préventives, les professionnels de santé recevant une femme enceinte devront l’informer, lors de la première consultation, d’une part sur les risques associés à la grossesse, notamment en matière de fausse couche, et d’autre part sur les moyens de les prévenir. Un suivi psychologique adapté et entièrement gratuit sera également proposé aux patientes à cette occasion.

Ensuite, en cas de fausse couche, un parcours de soin commun à toutes les femmes devra être respecté. Celui‑ci comprendra notamment un entretien médical adapté, avec la possibilité de rester à l’hôpital pour les femmes qui le souhaitent.

Le temps où l’on se contentait de dire aux femmes « essayez encore » doit être dépassé. Ainsi, un entretien psychologique personnalisé sera systématiquement proposé au couple traversant une fausse couche.

Un nouvel examen médical sera enfin proposé dans les quatre semaines suivant la fausse couche. Cette consultation pourra être adaptée pour les femmes souhaitant faire un enfant, notamment pour chercher d’éventuels facteurs de risques tels que l’anémie, les anomalies thyroïdiennes ou le syndrome des antiphospholipides.

L’article 2 propose la création d’un congé spécial de trois jours pour la survenue d’une fausse couche, à destination tant de la femme que de son ou sa conjoint(e).

La fausse couche n’est pas une maladie, c’est une perte, qui s’accompagne d’un deuil. À ce titre, ce congé est un moyen de reconnaître officiellement cette perte et ses conséquences psychologiques pour les personnes la traversant. Il permettra d’offrir du temps pour s’en remettre physiquement et mentalement.

Par ailleurs, si nous voulons avancer vers une plus grande égalité au sein du couple et une déconstruction des rôles et des tâches traditionnellement assignés, nous devons aussi permettre au conjoint, quel que soit son genre ou son statut, de s’impliquer tout au long des événements liés à la grossesse, de se sentir directement concerné, dans les hauts comme dans les bas.

L’article 3 intègre la prévention des violences gynécologiques et obstétricales à la formation initiale et continue des professionnels de santé. Ces violences sont une forme de sexisme restée trop longtemps tue et sous‑estimée parce que taboue. Dans l’intimité d’une consultation ou d’un accouchement, des femmes sont pourtant victimes de pratiques violentes ou pouvant être perçues comme telles. Il s’agit d’actes non appropriés ou non consentis, tels que des épisiotomies, des touchers vaginaux, l’utilisation de l’expression abdominale, la non‑utilisation de l’anesthésie pour des interventions douloureuses, etc.

Dans le cadre d’un deuil périnatal, ces violences peuvent avoir des conséquences graves sur l’état de santé des femmes, y compris sur le plan psychologique. Ainsi, cet article entend faire évoluer positivement et rapidement les pratiques de certains professionnels de santé.

Le second chapitre vise à améliorer la connaissance de la fausse couche et des risques qui l’entourent.

L’article 4 confie à Santé Publique France et aux agences régionales de santé la mission de développer l’information la plus large possible sur les fausses couches. En effet, la question des interruptions spontanées de grossesse reste extrêmement taboue en France et les couples ou femmes seules y sont souvent peu préparés. Il est donc nécessaire d’améliorer l’information sur ce sujet, et de la transmettre à un maximum de personnes. Ainsi, la création d’un livret à destination du public, diffusé par l’entremise des professionnels de santé susceptibles de recevoir des femmes enceintes, serait une première étape.

Par ailleurs, cet article prévoit la mise en place d’un numéro vert destiné à répondre aux interrogations face aux différents symptômes, de rassurer et d’aiguiller éventuellement les femmes présentant des signes de fausse couche.

L’article 5 propose d’intégrer les sujets de la grossesse et des risques associés, notamment en matière de fausse couche, aux cours d’éducation à la santé sexuelle et reproductive. Il est en effet primordial de sensibiliser les élèves, au même titre que ces cours contribuent d’ores et déjà à l’apprentissage du respect dû au corps humain et sensibilisent aux violences sexistes ou sexuelles ainsi qu’aux mutilations sexuelles féminines.

Le troisième chapitre tend à améliorer la prévention des risques associés à la fausse couche

L’article 6 crée un « droit au télétravail » pour les femmes enceintes dont les missions peuvent être exercées à distance. Certaines salariées enceintes peuvent être désireuses de travailler depuis leur domicile, ne serait‑ce que pour s’épargner un trajet domicile‑travail et le stress lié à leur état physique. Il est avéré que l’exposition au stress peut augmenter sensiblement le risque de fausse couche. Aussi, ce nouveau droit permettra aux salariées qui le souhaitent, dès le début de leur grossesse, d’effectuer du télétravail à raison d’au moins deux jours par semaine.

L’article 7 instaure un dépistage préventif et gratuit de l’endométriose, le risque de fausse couche étant accru lorsqu’une femme présente une endométriose. Cette consultation médicale d’information, de sensibilisation et de prévention des risques liés à l’endométriose sera intégralement prise en charge par l’Assurance maladie.


proposition de loi

Chapitre IER

Améliorer la prise en charge médicale et psychologique de la fausse couche

Article 1er

Après le livre II de la deuxième partie du code de la santé publique, il est inséré un livre II bis ainsi rédigé :

« Livre II bis

« Prévention et accompagnement des interruptions spontanées de grossesse

« Titre Ier

« Prévention des interruptions spontanées de grossesse

« Art. L. 2224. – Toute personne a le droit d’être informée des risques liés à la grossesse, ainsi que des moyens de les prévenir.

« Cette information incombe à tout professionnel de santé dans le cadre de ses compétences et dans le respect des règles professionnelles qui lui sont applicables.

« Art. L. 2225. – Le médecin ou la sage‑femme sollicité par une femme enceinte doit, dès la première visite, informer celle‑ci des risques liés à la grossesse, notamment en matière de fausse couche, ainsi que des moyens de les prévenir.

« Ce professionnel l’informe également de la possibilité de bénéficier d’un accompagnement psychologique adapté, et remet à cette fin une liste de professionnels compétents à la patiente.

« Cet accompagnement psychologique est pris en charge en totalité par les régimes obligatoires de l’assurance maladie et maternité, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. »

« Titre II

« Parcours spécifique aux interruptions spontanées de grossesse

« Art. L. 2226.  Le médecin ou la sage‑femme sollicité par une femme victime d’une interruption spontanée de grossesse doit, dès la première consultation, informer celle‑ci des possibilités de traitement, ainsi que de leurs implications et effets secondaires potentiels.

« En cas de traitement médical, la patiente se voit proposer de suivre celui‑ci dans un établissement de santé adapté.

« Art. L. 2227. – Le professionnel de santé informe la patiente de la possibilité de bénéficier d’un accompagnement psychologique adapté, et lui remet à cette fin une liste de professionnels compétents.

« Cet accompagnement psychologique est pris en charge en totalité par les régimes obligatoires de l’assurance maladie et maternité, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État.

« Art. L. 2228.  La prise en charge de l’interruption spontanée de grossesse est protégée par le secret afin de pouvoir préserver, le cas échéant, l’anonymat de l’intéressée, y compris lorsque celle‑ci est mineure.

« Art. L. 2229. – Un nouvel examen médical est obligatoirement proposé dans les quatre semaines suivant la prise en charge d’une interruption spontanée de grossesse. »

Article 2

La sous‑section 1 de la section 1 du chapitre II du titre IV du livre Ier de la troisième partie du code du travail est ainsi modifié :

1° L’article L. 3142‑1 est complété par un 6° ainsi rédigé :

« 6° Pour la survenue d’une interruption spontanée de grossesse au sein de son couple. »

2° L’article L. 3142‑4 est complété par un 7° ainsi rédigé :

« 7° Trois jours pour la survenue d’une interruption spontanée de grossesse au sein de son couple. »

Article 3

I. – Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 632‑1 du code de l’éducation, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elles comprennent une formation dédiée à la prévention des violences obstétricales et gynécologiques. ».

II. – Après la première phrase de l’article L. 4021‑1 du code de la santé publique, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Il intègre une formation dédiée à la prévention des violences obstétricales et gynécologiques. ».

Chapitre II

Améliorer la connaissance de la fausse couche et des risques qui l’entourent

Article 4

Après l’article L. 1413‑1 du code de la santé publique, est inséré un article L. 1413‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 141311 L’agence prend toutes les mesures nécessaires pour développer l’information la plus large possible sur les interruptions spontanées de grossesse, notamment par la création d’un dossier‑guide, mis à jour au moins une fois par an.

« Les agences régionales de santé assurent la réalisation et la diffusion des dossiers‑guides auprès des professionnels de santé susceptibles de recevoir des femmes enceintes.

« Un service téléphonique gratuit destiné à renseigner le public sur les questions liées à la grossesse est également proposé, dans des conditions définies par décret en Conseil d’État. »

Article 5

Après la troisième phrase du premier alinéa de l’article L. 312‑16 du code de l’éducation, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Elles sensibilisent également aux risques liés à la grossesse, notamment en matière de fausse couche, ainsi qu’aux moyens de les prévenir. »

Chapitre III

Une meilleure prévention des risques associés à la fausse couche

Article 6

Après l’article L. 1225‑16 du code du travail, il est inséré un article L. 1225‑16‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 1225161 À sa demande, et sous réserve que ses missions puissent être exécutées hors des locaux de l’employeur, conformément à l’article L. 1222‑9, la salariée enceinte bénéficie du télétravail à raison d’au moins deux jours par semaine. »

Article 7

I. – Après l’article L. 2132‑4 du code de la santé publique, il est inséré un article L. 2132‑4‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 213241. – Dans les deux années qui suivent leur dix‑huitième anniversaire, les femmes sont obligatoirement soumises à une consultation médicale d’information, de sensibilisation et de prévention des risques liés à l’endométriose.

« Cette consultation est prise en charge, en totalité, dans les conditions prévues à l’article L. 162‑1‑12‑2 du code de la sécurité sociale. »

II. – Après l’article L. 162‑1‑12‑1 du code de la sécurité sociale, il est inséré un article L. 162‑1‑12‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 1621122.  La consultation médicale mentionnée à l’article L. 2132‑4‑1 du code de la santé publique est prise en charge en totalité par les régimes obligatoires de l’assurance maladie et maternité, et les bénéficiaires sont dispensés de l’avance des frais. »

Article 8

I. – La charge pour l’État résultant de l’application de la présente loi est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.