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N° 5161

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mars 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à interdire l’usage des labels financiers excluant les entreprises du secteur de la défense,

(Renvoyée à la commission de la défense nationale et des forces armées, à défaut de constitution
d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Mansour KAMARDINE, JeanMarie SERMIER, Constance LE GRIP, Philippe BENASSAYA, Patrick HETZEL, Olivier MARLEIX, Jacques CATTIN, Véronique LOUWAGIE, JeanJacques GAULTIER, Bernard REYNÈS, Nicolas FORISSIER, Claude de GANAY, Nathalie SERRE, Stéphane VIRY, Laurence TRASTOURISNART,

députés.

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’existence d’une industrie de défense sur notre sol nous confère l’opportunité unique de ne pas dépendre de puissances étrangères pour assurer notre sécurité et de peser sur la scène internationale. La vigueur de notre BITD (base industrielle et technologique de défense) constitue ainsi une condition sine qua non de notre autonomie stratégique, et in fine de notre souveraineté, préalable indispensable à la protection de la population.

La capacité de financement des entreprises de la BITD joue à cet égard un rôle déterminant : un affaiblissement de ce dernier conduirait à leur disparition progressive et à la prise de contrôle par des acteurs étrangers de nos actifs et compétences stratégiques, menaçant directement notre souveraineté.

En outre, la BITD française compte, au sens large, près de 4 000 entreprises et 200 000 emplois répartis sur l’ensemble du territoire. Il s’agit donc d’un secteur conséquent de notre économie qui fait vivre de nombreux foyers et mérite également pour cette raison d’être préservé.

Or, les entreprises de la BITD française connaissent aujourd’hui des difficultés croissantes pour financer leurs activités. La mission flash sur le financement de la BITD ([1]) a mis en lumière l’existence de plusieurs phénomènes expliquant une actuelle plus grande frilosité des banques à financer l’industrie de défense :

– tout d’abord, le durcissement des règles de compliance, notamment du fait de la loi SAPIN 2, qui a poussé les banques à renforcer à l’excès leurs mécanismes internes de prévention de la corruption, afin de s’assurer de la conformité de leurs procédures et des projets qu’ils financent,

– ensuite, après l’attaque d’importantes institutions financières visant à atteindre leur réputation, le risque lié à l’image qui tend également à décourager banques et investisseurs de soutenir les projets financiers des entreprises de la BITD afin de limiter leur exposition,

– et enfin, les attentes des actionnaires et des clients qui incitent les institutions financières à introduire des critères environnementaux, sociaux et de gouvernance (ESG) dans leurs propositions d’investissement au détriment, notamment, du financement de l’industrie de défense.

C’est sur ce dernier point que la présente proposition de loi entend agir pour préserver notre industrie de défense d’une désertion des investissements qui lui serait fatale.

En effet, le risque majeur qui plane sur le financement de l’industrie de l’armement tient à la popularité des fonds d’investissement se prévalant de critères ESG. Pour lutter contre le greenwhashing (marketing vert trompeur/éco‑blanchiment) et plus largement contre les affirmations trompeuses sur la composition des fonds d’investissement, de nombreux labels publics ou privés ont vu le jour afin d’apporter au consommateur une garantie quant à la réalité de la politique RSE (responsabilité sociale des entreprises) menée par les entreprises dont les titres sont proposés par le gérant du fonds.

Or certains de ces labels doublent leur approche ESG d’une stratégie d’exclusions sectorielles, notamment des entreprises de l’industrie de défense. Le président de l’Autorité des marchés financiers, M. Robert Ophèle relève en effet qu’ « on observe le développement croissant de la labélisation de produits financiers excluant l’armement sur base de considérations éthiques – avec des seuils d’exclusion en pourcentage du chiffre d’affaires qui peuvent varier selon les gérants – à côté d’autres valeurs, parfois qualifiées de « sin stocks » (tabac, jeu, pornographie, alcool…), ou jugées nocives à l’environnement (OGM, nucléaire, charbon, autres énergies fossiles…) » (Cf. rapport mission flash précité).

Il en est déjà ainsi du label Towards Sustainability lancé en 2019 par Febelfin - la fédération belge du secteur financier - lequel s’impose comme l’un des trois principaux labels européens et qui exclut les entreprises dont plus de 10 % du chiffre d’affaires est issu de la production d’armes ou de composants liés.

Dans un avenir proche, il est à craindre que le label français ISR (Investissement Socialement Responsable) créé par le ministère des finances en 2016, principal concurrent du label belge avec le label luxembourgeois LuxFlag, et plus marginalement le label Greenfin lancé par le ministère de l’écologie fin 2015 puissent s’inspirer de cette approche d’exclusions sectorielles, plus facilement comprise par les épargnants.

Il appartient dès lors au législateur national d’intervenir afin de prévenir les méfaits de telles pratiques sur le financement de tout un secteur de notre économie dont dépend notre souveraineté.

Cette intervention est d’autant plus urgente et nécessaire que le rapport technique du Centre de recherche commun (JRC) de l’Union sur le développement d’un écolabel européen pour les produits financiers de détail projette explicitement d’exclure de la taxonomie européenne les entreprises si la part de leurs activités de production et de vente d’armes conventionnelles et d’équipements militaires « utilisés pour le combat » dépasse les 5 % de leur chiffre d’affaires. Dans ce contexte, une évolution des labels français vers une approche d’exclusion sectorielle ôterait à la France toute crédibilité de négociation au niveau européen.

Le législateur national peut aujourd’hui opérer sur deux plans.

Premièrement, rien n’interdit au législateur, s’agissant de labels publics créés par l’État français, de modifier le cadre législatif qui régit l’évolution des cahiers des charges de ces labels en interdisant l’ajout d’un critère d’exclusion du secteur de la défense dans la définition du label (article premier).

Secondement, s’agissant de labels privés ou étrangers dont l’État n’est par définition pas le propriétaire, le législateur national demeure compétent pour réglementer leur usage appliqué à des produits financiers distribués sur le marché national (article 2).

Force est de constater que les exclusions sectorielles pratiquées par certains labels sont de nature à créer une distorsion de concurrence sur les marchés financiers entre les entreprises des différents secteurs quant à leur capacité à attirer des investissements.

Or le conseil constitutionnel a reconnu qu’une atteinte à la liberté d’entreprendre peut être justifiée par les objectifs de l’ordre public économique (DC, 20133, Loi du pays relative à la concurrence en nouvelle Calédonie, considérant 5).

Au nom de l’ordre public économique, lequel s’attache à la prévalence du fonctionnement concurrentiel du marché sur la volonté des parties mais plus encore au « bon fonctionnement du marché » ([2]), le législateur peut charger une autorité indépendante sectorielle de prévenir et sanctionner des pratiques qui affectent le bon fonctionnement du marché du secteur en cause.

La présente proposition de loi souhaite ainsi attribuer à l’Autorité des Marchés Financiers (AMF) laquelle veille, en vertu de l’article L. 621‑1 du code monétaire et financier, « au bon fonctionnement des marchés financiers », la mission d’interdire la distribution sur le marché financier français de produits financiers bénéficiant de labels excluant les entreprises du secteur de la défense.

En outre, il va de soi qu’il existe un intérêt général au financement de la base industrielle et technologique de défense en tant qu’elle assure une sécurité à la population nationale et européenne qui justifierait que soit limitée la liberté des distributeurs de produits financiers de faire appel à certains labels pour attirer les consommateurs.

À noter qu’une telle mesure s’appliquerait indifféremment à la nationalité des labels, des gérants et distributeurs des fonds d’investissement ainsi que des entreprises dont les titres sont proposés à l’achat et ne serait donc pas contraire au droit européen de la concurrence.


proposition de loi

Article 1er

Les labels financiers créés par l’État ne peuvent comporter dans leurs cahiers des charges des exclusions, même partielles, des entreprises du secteur de la défense.

Article 2

Est interdite la distribution sur le marché national de produits financiers bénéficiant de labels excluant même partiellement les entreprises du secteur de la défense.

L’Autorité des marchés financiers veille au respect de cette interdiction et sanctionne les violations de cette interdiction dans des conditions fixées par décret.


([1]) Rapport sur la mission flash sur le financement de l’industrie de défense des députés Françoise Ballet‑Blu et Jean‑Louis Thiériot, 17 février 2021.

([2]) « L’ordre public économique », Thomas PEZ, Nouveaux cahiers du Conseil constitutionnel n° 49, octobre 2015, P. 44 à 57.