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N° 5166

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mars 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à accélérer le développement de la construction
et de la rénovation en boisterrepaille,

(Renvoyée à la commission affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par Mesdames et Messieurs

Mathilde PANOT, Jean‑Luc MÉLENCHON, Clémentine AUTAIN, Ugo BERNALICIS, Éric COQUEREL, Alexis CORBIÈRE, Caroline FIAT, Bastien LACHAUD, Michel LARIVE, Danièle OBONO, Loïc PRUD’HOMME, Adrien QUATENNENS, Jean‑Hugues RATENON, Muriel RESSIGUIER, Sabine RUBIN, François RUFFIN, Bénédicte TAURINE,

Député.es.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’urgence écologique est indéniable. La première partie du sixième rapport du GIEC portant sur les bases physiques du changement climatique, publiée le 9 août 2021, a dressé des constats alarmants. Les scientifiques du GIEC ont constaté que l’ampleur des changements récents dans l’ensemble du système climatique sont « sans précédent depuis plusieurs siècles à plusieurs millénaires ». Dans la première partie de ce rapport, les scientifiques du GIEC ont également affirmé, pour la première fois, que les activités humaines sont « sans équivoque », à l’origine du réchauffement climatique.

Le Haut Conseil pour le Climat (HCC) dans son rapport « renforcer l’atténuation, engager l’adaptation » de juin 2021, constate que la France est en retard sur ses objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre, à savoir la baisse de 40 % des émissions de gaz à effet de serre en 2030 par rapport au niveau de 1990. Le Haut Conseil pour le Climat précise qu’ « en raison du retard accumulé par la France, le rythme actuel de réduction annuelle devra pratiquement doubler, pour atteindre au moins 3,0 % dès 2021 ( 13 Mt éqCO2) et 3,3 % en moyenne sur la période du troisième budget carbone (20242028) »([1]).

Il est donc nécessaire de renforcer drastiquement nos efforts pour atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre et la neutralité carbone en 2050. En effet, les effets du changement climatique sont déjà perceptibles pour les Français et Françaises comme nous l’indique le rapport du Haut Conseil pour le Climat cité précédemment, puisque que « les deuxtiers de la population française sont déjà fortement ou très fortement exposés aux risques climatiques », alors que « la hausse des températures moyennes en France atteint 1,7° C depuis 1900 »([2]).

Afin de faire face à cette urgence, nous devons donc planifier la bifurcation écologique. Des changements doivent être mis en œuvre dans tous les secteurs de la société. Le secteur du bâtiment est bien évidemment concerné. Il est en effet nécessaire, pour atténuer le changement climatique et s’adapter aux effets de ce changement, de faire bifurquer le secteur de la construction, vers des matériaux biosourcés et géosourcés, alors que ce secteur est aujourd’hui basé sur le recours aux énergies fossiles et aux matériaux polluants.

En effet, le secteur du BTP (Bâtiment et Travaux Publics) représente 33 % des émissions nationales, en comptabilisant les émissions liées à la consommation de l’énergie et celles liées au cycle de vie des produits de construction et de rénovation, ainsi que des équipements utilisés([3]). De plus, la tendance n’est pas à l’optimisme : le secteur du BTP a vu ses émissions augmenter de 8 % entre 2014 et 2017, d’après Carbone 4([4]). Rien que le ciment représente plus de 6 % de toutes les émissions de gaz à effet de serre causées par les activités humaines à l’échelle internationale.

Afin de faire face à l’urgence écologique, il est nécessaire de repenser la manière dont sont conçus les bâtiments, et de changer les matériaux qui sont utilisés. Pour cela, nous devons sortir des systèmes de construction actuels, qui sont fondés sur des ressources nonrenouvelables et utilisant des procédés dommageables pour la planète. C’est notamment le cas du pétrole – utilisé pour la fabrication d’isolants, la combustion ou encore le transport – ou du sable, extrait des fonds marins, pour pouvoir former du béton.

En outre, le secteur du BTP est l’un des principaux producteurs de déchets. D’après le Ministère de la transition écologique, en 2014, les entreprises du BTP ont produit 227,5 millions de tonnes de déchets, dont 42,2 millions de tonnes pour le bâtiment. Trouver des alternatives à l’usage massif du béton constitue donc une priorité pour le secteur du bâtiment, puisque le béton, constitué de ressources non‑renouvelables (sable) et hautement polluantes (ciment), est non‑réutilisable.

De plus, le modèle de construction actuellement majoritaire provoque également des conséquences sanitaires. Par exemple, le ciment est produit en cimenterie par chauffage à haute température (1500° C) en utilisant des combustibles fossiles et/ou des combustibles issus de déchets (matelas, meubles, pneus…), ce qui engendre des émissions nocives pour la santé.

Des alternatives à ce mode de construction dans le BTP existent et elles doivent être soutenues et développées.

La bifurcation du secteur du bâtiment passe par le déploiement et le recours à des matériaux tels que le bois, la terre crue et la paille. La Stratégie nationale bas‑carbone (SNBC) indique en effet que pour atteindre la neutralité carbone dans le secteur du bâtiment d’ici 2050, des mesures doivent être prises et notamment « avoir davantage recours aux produits de construction et équipements les moins carbonés et ayant de bonnes performances énergétiques et environnementales, comme dans certains cas ceux issus de l’économie circulaire ou biosourcée, via des objectifs de performance sur l’empreinte carbone des bâtiments sur leur cycle de vie, à la fois pour la rénovation et la construction »[5].

Les matériaux biosourcés tels que le bois, la terre crue et la paille ont en effet des bénéfices environnementaux importants. Le bois, la terre et la paille sont des ressources renouvelables et disponibles en France, réduisant donc le transport nécessaire à leur acheminement sur les chantiers. De plus, ce sont des matériaux crus : ils ne nécessitent donc pas une combustion qui génère des émissions de gaz à effet de serre. En outre, le bois et la paille stockent du CO2 et sont donc des puits de carbone, tant qu’ils ne rentrent pas en décomposition. Dès lors, l’analyse en cycle de vie de ces matériaux est donc bien meilleure que celle du secteur du bâtiment actuellement majoritaire !

Par ailleurs, le recours à ces matériaux permet de réduire les déchets produits dans le secteur du bâtiment puisque le bois, la terre ou la paille sont compostables et recyclables. Ces matériaux peuvent même être réutilisés à proximité du chantier, dans une autre construction pour le bois ou dans un jardin, pour la paille.

Par ailleurs, les matériaux biosourcés et notamment la combinaison de la terre et de la paille, comportent de fortes capacités isolantes, aussi bien en été qu’en hiver. La terre crue est un matériau doté d’une forte inertie thermique, et est donc un moyen de résister aux variations thermiques extérieures. Dans la mesure où les événements extrêmes se multiplient avec le réchauffement climatique, et notamment les vagues de chaleur, la terre crue permettra donc d’éviter des températures très élevées dans les foyers. C’est pourquoi ces matériaux biosourcés doivent être massivement utilisés pour lutter contre la précarité énergétique, ce qui permettra de réduire la facture d’énergie des ménages, aussi bien pour le chauffage que pour la climatisation. Les député.es du groupe parlementaire de la France insoumise réaffirment la nécessité d’accélérer le rythme de rénovation thermique des bâtiments grâce à un plan de rénovation énergétique de 700 000 logements par an, en isolant en priorité les passoires thermiques et en réalisant des rénovations globales.

Des exemples montrent que la construction en bois, terre et paille fonctionne et comporte de nombreux avantages. C’est le cas notamment du HLM de huit étages en bois et en paille, construit en 2014 dans les Vosges. Comme l’indique un article du journal Le Monde du 19 mai 2014([6]), « le bilan carbone d’une telle construction est positif de 1 100 tonnes de CO2. A titre de comparaison, un édifice classique bétonpolystyrènePVC dégage lors de sa construction l’équivalent de 600 tonnes de CO2 ». Enjeux écologiques et enjeux sociaux vont de pair, grâce à une isolation très performante : « les charges pour le chauffage, l’eau chaude, la ventilation et l’entretien s’élèvent à seulement 11 euros par mois, soit 132 euros par an, là où celles dans un logement social construit de façon traditionnelle montent jusqu’à 150 euros par mois… au moins »([7]).

Par ailleurs, il convient de souligner que la construction en bois, terre, paille a des effets sanitaires positifs car les matériaux utilisés sont organiques et ont des vertus notamment en termes d’isolation phonique. Cela concourt à une amélioration de la qualité de vie et du sommeil, et a donc un impact important sur la santé.

De plus, le développement du bois, de la terre et de la paille dans le secteur du bâtiment généra davantage de création d’emplois non‑délocalisables, que les autres techniques de construction. Ces matériaux biosourcés sont en effet à forte intensité sociale, c’est‑à‑dire qu’il y a un besoin important de main‑d’œuvre pour construire ou pour rénover un bâtiment à partir de ces matériaux. Dans l’ouvrage B comme BTP : Bois Terre Paille([8]), l’intensité sociale([9]) de différentes techniques de construction comme la terre‑paille, et parpaing‑laine de verre est comparée. Il est indiqué dans cet ouvrage que « 1 Mégawattheure (MWh) investi dans le terrepaille ouvre la possibilité de 552 h de travail alors que la parpainglaine de verre n’ouvre la possibilité qu’à seulement 27 h de travail ».

Le développement du recours au boisterrepaille nécessite de former de nombreuses personnes aux techniques et aux savoirfaire pour construire et rénover à l’aide de ces matériaux. S’appuyant sur la réponse du Ministre de l’Education nationale et de la Jeunesse et des sports JeanMichel Blanquer, en date du 13 octobre 2020, à la question écrite n° 30954 de Madame Panot, les député.es de la France insoumise réaffirment qu’il est urgent de renforcer l’enseignement des techniques de construction et de rénovation à partir de matières biosourcés et géosourcés, et développer la formation des professeurs pour répondre au renouvellement du programme. Il est également nécessaire de prévoir des plans d’accompagnement et de reconversion pour les salarié.es touché.es par la bifurcation du secteur du bâtiment, notamment celles et ceux qui travaillent dans les cimenteries. C’est ce que nous proposons dans cette proposition de loi avec la mise en place d’un plan de formation aux pratiques et théories de la construction en boisterrepaille.

Cette proposition de loi vise donc à accélérer le développement de la construction et de la rénovation en bois‑terre‑paille. Les député.e.s du groupe parlementaire de la France insoumise tiennent à remercier tout particulièrement les personnes qui ont contribué au travail collectif, comprenant plus de 100 auditions et 700 contributions, qui a mené à cette proposition de loi.

L’article 1er vise à modifier les règles de la commande publique en matière de construction et de rénovation thermique. D’une part, cet article 1 précise que la commande publique veille également à l’emploi de matériaux géosourcés. Actuellement, seuls les matériaux biosourcés sont cités alors que la combinaison entre du bois, de la terre crue et de la paille est indispensable. D’autre part, cet article prévoit que dès 2025, et non 2030 comme c’est actuellement prévu, l’usage des matériaux biosourcés ou géosourcés intervient dans au moins 25 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique. A partir de 2030, l’objectif est de 50 %.

L’article 2 vise à ce que soient fixés, par décret en Conseil d’État, des objectifs annuels d’incorporation de matériaux tels que le bois, la terre crue et la paille, pour la construction et la rénovation de bâtiments.

L’article 3 prévoit qu’un plan de formation aux pratiques de construction et de rénovation des bâtiments à partir de matériaux en bois, terre crue et paille soit mis en place. Les modalités d’application de cet article sont définies par décret.


proposition de loi

Article 1er

Le troisième alinéa de l’article L. 228‑4 du code de l’environnement est ainsi modifié :

1° La première phrase est ainsi modifiée :

a) L’année : « 2030 » est remplacée par l’année : « 2025 » ;

b) Après le mot : « ou », sont insérés les mots : « géosourcés, tels que le bois, la terre crue et la paille, » ;

c) Les mots : « bas‑carbone » sont supprimés.

I2° Après la première phrase, il est ajouté une phrase ainsi rédigée : « À compter du 1er janvier 2030, l’usage des matériaux biosourcés ou géosourcés, tels que le bois, la terre crue et la paille, intervient dans au moins 50 % des rénovations lourdes et des constructions relevant de la commande publique ».

Article 2

L’article L. 171‑1 du code de la construction et de l’habitation est ainsi modifié :

1° Au 3°, après le mot : « renouvelables », sont insérés les mots : « , notamment de matériaux biosourcés et géosourcés tels que le bois, la terre crue ou la paille, ».

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« Ces résultats minimaux comprennent, pour toute catégorie de bâtiments construits et tout type de travaux, des objectifs annuels d’incorporation de matériaux biosourcés et géosourcés tels que le bois, la terre crue ou la paille ».

Article 3

I. – Afin de mettre en œuvre la bifurcation écologique et sociale dans le secteur du bâtiment, un plan de formation est élaboré. Ce plan de formation, initiale et continue, comprend notamment la transmission de connaissances théoriques et pratiques sur la construction et la rénovation en bois‑terre‑paille, ainsi que leurs bienfaits écologiques, sociaux et sanitaires.

Ce plan de formation comprend un volet dédié à la reconversion des salariés et salariées concernés et concernées par la bifurcation du secteur du bâtiment, vers des constructions et rénovations en bois‑terre‑paille, notamment celles et ceux travaillant dans des cimenteries.

Les modalités de déploiement de ce plan sont définies par un décret.

II. – La charge pour l’État résultant du I est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) Haut Conseil pour le Climat, Rapport annuel 2021, “Renforcer l’atténuation, engager l’adaptation”, 30 juin 2021. https://www.hautconseilclimat.fr/publications/rapport-annuel-2021-renforcer-lattenuation-engager-ladaptation/

([2]) Ibid.

([3]) Ademe, Carbone 4. “Neutralité & Bâtiment. Comment les acteurs du secteur peuvent s’inscrire dans une démarche zéro émission nette”, juin 2019. https://www.carbone4.com/publication-neutralite-batiment

([4]) Carbone 4, “Le bâtiment, un secteur en première ligne des objectifs de neutralité carbone de la France en 2050”, janvier 2019. https://www.carbone4.com/article-batiment-snbc

([5]) Stratégie nationale bas-carbone, Ministère de la transition écologique. Mars 2020. p.89. https://www.ecologie.gouv.fr/sites/default/files/2020-03-25_MTES_SNBC2.pdf

([6]) Le Monde par Laetitia Van Eeckhout, “Dans les Vosges, un HLM de huit étages en paille”, 19 mai 2014. https://www.lemonde.fr/planete/article/2014/05/19/dans-les-vosges-un-hlm-de-huit-etages-en-paille_4421393_3244.html

([7]) Ibid.

([8]) Marie Dano et Michel Philippo, B comme BTP : Bois-Terre-Paille. Manuel éthique et pratique pour construire sans les multinationales, novembre 2018

([9]) Dans l'ouvrage mentionné, il est précisé que l’intensité sociale se calcule en faisant le ratio entre le nombre d’heures travaillées nécessaires pour fabriquer, transporter et construire un bâtiment sur les ressources énergétiques consommées et calculées en Mégawattheure.