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N° 5167

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 15 mars 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à protéger les forces de l’ordre par une systématisation de leur anonymat dans les actes de procédure judiciaire,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

JeanLouis THIÉRIOT, Véronique LOUWAGIE, Éric PAUGET, Brigitte KUSTER, Pierre VATIN, Patrick HETZEL, Victor HABERTDASSAULT, Fabien DI FILIPPO, MarieChristine DALLOZ, Robert THERRY, Michel HERBILLON, JeanJacques GAULTIER, Charles de la VERPILLIÈRE, Didier QUENTIN, Annie GENEVARD, Michel VIALAY, Frédérique MEUNIER, Rémi DELATTE, Claude de GANAY, Bernard PERRUT, Valérie BEAUVAIS,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Par principe, toute personne a le droit « de connaitre le prénom, le nom, la qualité et l’adresse administrative de l’agent chargé d’instruire sa demande ou de traiter l’affaire qui la concerne » selon l’article L. 111‑2 du code des relations entre le public et l’administration. Ce dernier pose toutefois une exception à cette exigence de transparence : « Si des motifs intéressant la sécurité publique ou la sécurité des personnes le justifient, l’anonymat de l’agent est respecté ».

La demande d’anonymisation des procédures s’est accrue suite aux assassinats en 2016 d’un couple de policiers à leur domicile dans les Yvelines, puis lors d’un mouvement de contestation inédit des policiers issu d’une attaque au cocktail Molotov à Viry‑Châtillon. Face à la dégradation globale du contexte sécuritaire, certains agents de police demandent que le référentiel des identités et de l’organisation (RIO) soit utilisé en lieu et place de leur état civil sur les procès‑verbaux, afin de les protéger des mesures de vengeance ou des actes terroristes.

Le RIO correspond à l’ensemble des matricules de sept chiffres qui identifient individuellement les agents sous l’autorité du ministère de l’intérieur (agents au ministère, corps préfectoral, agents administratifs et techniques en préfecture, police nationale française, gendarmerie nationale). D’après l’arrêté du 30 mars 2018 relatif au numéro d’immatriculation administrative des agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale, « le numéro d’immatriculation administrative correspond au numéro référentiel des identités et de l’organisation « RIO » ». Ainsi pour les agents de la police nationale, à l’exclusion des agents affectés à la Direction générale de la sécurité intérieure (DGSI) et pour les agents de la gendarmerie nationale, le numéro d’immatriculation administrative est identique au RIO ou au numéro qui leur est nouvellement attribué, selon les dispositions de l’article R. 2‑20 du code de procédure pénale. Dans le cas des agents de la DGSI, leur numéro est attribué par leur chef de service.

Le RIO a été mis en place le 1er janvier 2014 en vue d’être porté de manière apparente par les policiers en tenue sur leur uniforme et les agents en civil sur leur brassard. Les conditions et modalités de port du RIO sont fixées par l’arrêté du 24 décembre 2013 relatif aux conditions et modalités de port du numéro d’identification individuel par les fonctionnaires de la police nationale, les adjoints de sécurité et les réservistes de la police nationale.

Une exception au principe de transparence de l’article L. 111‑2 du code des relations entre le public et l’administration a d’abord été posée en 2006 pour offrir une protection aux services spécialisés en matière de lutte contre le terrorisme : « Les officiers et agents de police judiciaire, affectés dans les services de police judiciaire spécialement chargés de la lutte contre le terrorisme, peuvent être nominativement autorisés par le procureur général près la cour d’appel de Paris à procéder aux investigations relatives aux infractions entrant dans le champ d’application de l’article 706‑16, en s’identifiant par leur numéro d’immatriculation administrative » (article 706‑24 du code de procédure pénale).

Cette exception au principe de transparence a ensuite été étendue par la loi n° 2017‑258 du 28 février 2017 relative à la sécurité publique. L’article 15‑4 du code de procédure pénale dispose que les agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale peuvent être autorisés à ne pas être identifiées par leurs nom et prénom lorsque la révélation de leur identité est susceptible de mettre en danger leur vie ou leur intégrité physique, ou celles de leurs proches dans les actes de procédure judiciaire :

– portant sur un crime ou un délit puni d’au moins trois ans d’emprisonnement compte‑tenu des conditions d’exercice de sa mission ou de la nature des faits qu’ils sont habituellement amenés à constater ;

– portant sur un délit puni de moins de trois ans d’emprisonnement, en raison de circonstances particulières dans la commission des faits ou de la personnalité des personnes mises en cause.

L’autorisation de recours à l’identification par un numéro, plutôt que par l’état civil s’applique également en cas de déposition comme témoin.

L’anonymat d’un fonctionnaire de police, de gendarmerie ou des douanes dans des actes de procédure judiciaire est donc possible si les conditions d’exercice de sa mission sont susceptibles de rendre son identification dangereuse pour sa vie ou son intégrité physique, sur autorisation de sa hiérarchie nominative, écrite et motivée.

Dans le cas des agents des douanes, l’article 55 bis du code des douanes autorise l’identification dans les actes de procédure par le numéro de la commission d’emploi, leur qualité et leur service ou unité d’affectation, sur autorisation du responsable hiérarchique et dans les mêmes conditions que celle posées par l’article 15‑4 du code de procédure pénale.

L’anonymisation des forces de l’ordre dans les actes de procédure judiciaire est donc loin d’être systématique. Elle demeure en effet une mesure d’exception strictement encadrée qui dépend de l’appréciation du supérieur hiérarchique à partir d’éléments tangibles dès lors qu’une menace a été identifiée. En d’autres termes, entre le moment où l’identification de l’agent constitue une menace et le moment où cette menace est connue, puisque le principe est celui de la transparence, l’identité de l’agent aura été divulguée le mettant en danger lui et ses proches. La procédure d’anonymisation au coup par coup porte en elle le risque que l’anonymisation arrive trop tard dans la procédure pour réellement protéger l’agent.

Face à la multiplication des actes de menace et violence à l’encontre des forces de l’ordre et considérant la crainte viscérale de mesures de rétorsion avec laquelle vivent policiers et gendarmes en amenant chaque année un nombre considérable à se donner la mort, il est urgent et nécessaire de systématiser l’anonymisation des officiers et agents de police nationale, gendarmerie nationale et des douanes.

Une telle évolution permettrait une meilleure protection des officiers et agents sans empêcher leur identification par les autorités intéressées. En effet, si le recours au numéro d’immatriculation administrative protège l’état civil de l’agent concerné, il assure toujours son identification par l’autorité judiciaire via l’interface de levée de l’anonymat des agents de la police et de la gendarmerie nationales et des douanes dans les actes de procédure (IDPV) mise en place par l’arrêté du 30 mars 2018 portant création d’un traitement de données à caractère personnel dénommé IDPV.

La présente proposition de loi vise ainsi à systématiser l’anonymisation des officiers et agents de la police, de la gendarmerie nationale et des douanes, sur l’ensemble des actes de procédure judiciaire dont ils ont la charge, ce quelle que soit la sanction encourue par l’infraction en cause, en vue d’assurer leur protection contre d’éventuels actes de vengeance ou représailles rendus possibles par leur identification nominative sur les actes de procédure.


proposition de loi

Article unique

L’article 15‑4 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :

« I. – Dans l’exercice de leurs fonctions, les officiers et agents de la police nationale et de la gendarmerie nationale sont identifiés par leur numéro d’immatriculation administrative, leur qualité et leur service ou unité d’affectation dans tous les actes de procédure judiciaire.

« Ils sont également autorisés à déposer ou à comparaître comme témoin au cours de l’enquête ou devant les juridictions d’instruction ou de jugement et à se constituer partie civile en utilisant ces mêmes éléments d’identification, qui sont seuls mentionnés dans les procès‑verbaux, citations, convocations, ordonnances, jugements ou arrêts. Il ne peut être fait état de leurs nom et prénom au cours des audiences publiques.

« Le présent I n’est pas applicable lorsque, en raison d’un acte commis dans l’exercice de ses fonctions, l’agent est entendu en application des articles 61‑1 ou 62‑2 ou qu’il fait l’objet de poursuites pénales.

« II. – Le I du présent article est applicable aux agents mentionnés aux articles 28‑1 et 28‑2.

« III. – Les juridictions d’instruction ou de jugement saisies des faits ont accès aux nom et prénom de la personne identifiée par un numéro d’immatriculation administrative dans un acte de procédure.

« Saisi par une partie à la procédure d’une requête écrite et motivée tendant à la communication des nom et prénom d’une personne visée au I, le juge d’instruction ou le président de la juridiction de jugement décide des suites à donner à cette requête, après avis du ministère public et en tenant compte, d’une part, de la menace que la révélation de l’identité de cette personne ferait peser sur sa vie ou son intégrité physique ou celles de ses proches et, d’autre part, de la nécessité de communiquer cette identité pour l’exercice des droits de la défense de l’auteur de la demande. Le procureur de la République se prononce dans les mêmes conditions lorsqu’il est fait application de l’article 77‑2.

« En cas de demande d’annulation d’un acte de procédure fondée sur la violation des formes prescrites par la loi à peine de nullité ou sur l’inobservation des formalités substantielles dont l’appréciation nécessite la révélation des nom et prénom d’un agent visé au I, le juge d’instruction, le président de la chambre de l’instruction ou le président de la juridiction de jugement statue sans verser ces éléments au débat contradictoire ni indiquer les nom et prénom de cet agent.

« IV. – Hors les cas prévus au deuxième alinéa du III, la révélation des nom et prénom d’un agent ou de tout élément permettant son identification personnelle ou sa localisation est punie de cinq ans d’emprisonnement et de 75 000 € d’amende.

« Lorsque cette révélation a entraîné des violences à l’encontre de cet officier ou agent ou de son conjoint, de ses enfants ou de ses ascendants directs, les peines sont portées à sept ans d’emprisonnement et à 100 000 € d’amende.

« Lorsque cette révélation a entraîné la mort des personnes mentionnées au deuxième alinéa du présent IV, les peines sont portées à dix ans d’emprisonnement et à 150 000 € d’amende, sans préjudice, le cas échéant, de l’application du chapitre Ier du titre II du livre II du code pénal.

« V. – Un décret en Conseil d’État précise les modalités d’application du présent article. »