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N° 5212

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 5 avril 2022.

PROPOSITION DE LOI

organisant l’installation de médecins
dans les territoires prioritaires,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

M. Guillaume LARRIVÉ,

député.

 

 

 

 

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La difficulté d’accéder à des soins, à proximité du domicile et dans des délais raisonnables, est devenue une difficulté majeure pour des millions de nos compatriotes.

Cette désertification médicale est une réalité qui n’a pas été suffisamment anticipée lors des décennies passées, où l’idéologie de la maîtrise quantitative et comptable des soins a conduit à fixer un numerus clausus organisant une diminution de l’offre médicale par rapport aux besoins croissants de la population. Cette situation a déstabilisé l’hôpital comme la médecine de ville, qui doivent désormais gérer une pénurie médicale, créée à la fois par les évolutions de la démographie et les modalités d’exercice des professions de santé. Les territoires ruraux sont les premiers touchés : la figure du médecin de campagne, mobilisé toute l’année, jour et nuit, appartient à un passé de plus en plus lointain. Les efforts des collectivités locales et des professionnels de santé pour structurer une offre nouvelle, comportant une dimension collective, comme les maisons de santé, ont commencé à produire des résultats positifs. Mais chacun comprend que les collectivités territoriales se livrent dès lors, nolens volens, à une sorte de compétition qui n’est pas satisfaisante.

La médecine générale est particulièrement frappée par cette pénurie. Notre pays comptait 94 261 médecins généralistes en activité en 2010, contre seulement 86 102 en 2020 et cette situation se dégradera à court terme, puisqu’ils seront moins de 82 000 dès 2025. L’évolution du nombre de médecins spécialistes est différente à l’échelle nationale : ils étaient 105 764 en 2010, mais 111 916 en 2020 et devraient être un peu plus de 114 000 en 2025. Mais leur répartition est très inégale sur le territoire national : obtenir un rendez‑vous chez un ophtalmologue ou un dermatologue est devenu impossible avant plusieurs mois dans un département rural. Cette situation n’est pas tenable.

Le cas du département de l’Yonne démontre l’ampleur du défi démographique et la gravité des inégalités territoriales. En 2020, il n’y avait que 92 médecins généralistes pour 100 000 habitants dans l’Yonne contre 272 à Paris et 166 en moyenne en France. Dans la dernière décennie, entre 2010 et 2020, la densité de médecins généralistes a diminué de - 10 % en France, mais de - 28,6 % dans l’Yonne. Sur la même période, le nombre de médecins spécialistes pour 100 000 habitants, qui a augmenté de + 6 % en France, a diminué de - 7,60 % dans l’Yonne. Et la moyenne d’âge des médecins encore en activité, très élevée, implique de nombreux départs à la retraite dans les années qui viennent, ce qui aggravera cette situation dans une proportion intolérable pour la population.

Comment sortir de l’impasse ?

La présente proposition de loi ne traite pas de la gouvernance du système de santé, qui est un sujet en soi. A cet égard, six orientations devront être privilégiées :

 le modèle des agences régionales de santé (ARS) ayant démontré ses limites, un pilotage décentralisé doit désormais être envisagé, pour que les élus des conseils régionaux ou des conseils départementaux délibèrent et décident des choix fondamentaux au plus près des besoins de la population ;

– l’organisation de l’hôpital doit être rénovée, afin de donner aux équipes médicales plus d’autonomie, en parallèle d’un nouveau système de financement prenant mieux en compte les missions de santé publique et les nécessités de l’aménagement du territoire ;

– il apparaît nécessaire, en outre, qu’une coopération plus étroite avec les cliniques soit mise en œuvre, selon une logique de complémentarité plus que de compétition ;

– dans le même esprit, la collaboration avec les tous acteurs de secours aux personnes (notamment les sapeurs‑pompiers) doit être encouragée – notamment par la création, lorsque c’est souhaité par les acteurs de terrain, de plateformes communes de réception et de régulation des appels d’urgence ([1]) ;

– une meilleure valorisation des parcours professionnels doit être recherchée, notamment pour les infirmiers, mais aussi pour tous les autres membres de la communauté des professionnels de santé ;

– enfin, il est nécessaire de donner à la médecine de ville toute la place qui doit être la sienne, y compris en revalorisant les actes tels que la consultation chez un médecin généraliste (qui pourrait passer de 25 à 30 euros), les interventions d’urgence et celles des sage‑femmes.

Pour mieux organiser l’installation de médecins dans des territoires prioritaires, six mesures s’imposent. C’est l’objet de la présente proposition de loi.

L’article 1er confie au président du conseil départemental la responsabilité de définir, annuellement, la carte des territoires prioritaires pour l’installation de médecins et de professionnels de santé (TPIM). Ce zonage doit être effectué au plus près des réalités du terrain, en recueillant l’avis de chaque communauté de communes ou d’agglomération et en procédant à une concertation avec les professionnels de santé concernés. Le directeur général de l’agence régionale de santé sera consulté mais le pouvoir de décision qui était jusqu’alors le sien lui sera retiré (puisque, dans l’état actuel du droit, il a seul la responsabilité de définir les zones caractérisées par une offre de soins insuffisante ou par des difficultés dans l’accès au soin).

L’article 2 rationalise les dispositifs d’exonération de l’impôt sur les bénéfices en faveur de l’installation des professionnels de santé (en s’inspirant d’une proposition de loi([2]) déposée dès 2015 par l’auteur de la présente proposition de loi). Le droit actuel prévoit en effet une exonération au profit des professionnels de santé qui s’installent dans des zones de revitalisation rurale (ZRR) ou des zones franches urbaines (ZFU), mais ces zones, qui sont définies par des arrêtés des ministres chargés du budget et de l’aménagement du territoire, le sont en fonction de critères de densité de population et de revenu qui ne sont pas directement en rapport avec les problématiques de désertification médicale. Ce dispositif est donc aussi inéquitable que contre‑productif car il peut inciter des médecins à s’installer dans une commune qui, pour être classée en ZRR, n’en est pas moins déjà suffisamment dotée en médecins, alors que la commune voisine, non classée en ZRR, est sous‑dotée en médecins. Par conséquent, il est proposé que l’exonération fiscale soit désormais applicable dans les territoires prioritaires pour l’installation de médecins et de professionnels de santé (TPIM) définis par le président du conseil départemental. Cette exonération, de plus, aurait une durée de vingt ans, en deux temps : exonération totale d’impôt sur les bénéfices dans les dix années qui suivent l’installation dans un TPIM et exonération de 50 % dans les dix années suivantes, afin d’apporter une certaine stabilité.

L’article 3 préserve la liberté d’installation comme principe mais organise par exception, à titre expérimental, pour une durée de cinq ans, dans trente départements, un conventionnement sélectif des médecins : un médecin généraliste ou spécialiste ne pourrait s’installer, en bénéficiant d’un conventionnement avec l’assurance‑maladie, dans un lieu d’exercice qui n’est pas classé dans un territoire prioritaire pour l’installation de médecins et de professionnels de santé (TPIM), que si cette installation est concomitante de la cessation d’activité d’un médecin exerçant jusqu’alors à proximité de ce lieu d’activité.

L’article 4 rétablit la possibilité, pour les étudiants de première année du premier cycle de médecine, de redoubler[3].

Alors que le numerus clausus a été remplacé depuis 2019 par un système de « capacité d’accueil » défini par les universités pour les deuxième et troisième années de médecine, l’article 5 ouvre un contingent supplémentaire d’étudiants afin de réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins. Les étudiants admis au titre de ce contingent s’engageront à exercer leur profession pendant dix ans dans un territoire prioritaire. Très concrètement, alors que dans le système actuel 100 médecins seraient formés dans une université, 130 pourraient l’être demain ; ce contingent de 30 médecins supplémentaires aurait l’obligation de servir pendant dix ans dans un TPIM, tandis que les 100 autres continueraient à relever du régime d’installation de droit commun.

L’article 6 propose, enfin, de créer un statut de « docteur junior » en prolongeant d’une année le troisième cycle de médecine générale. Les « docteurs juniors », pendant cette année, exerceraient dans un territoire prioritaire, en pratique ambulatoire ou en pratique hospitalière.

Toutes ces mesures n’auront pas un effet immédiat et, c’est vrai, toutes ne sont pas consensuelles. Mais il est impératif qu’elles soient débattues, dans l’intérêt général, afin que des décisions soient prises dans les meilleurs délais, tant il y a urgence. Plus on les retardera, plus la désertification médicale s’aggravera. Un effort volontariste est absolument indispensable pour que nos compatriotes, dans l’ensemble du territoire national, puissent bénéficier à nouveau, concrètement, de l’accès aux soins auquel ils ont droit. Ne décevons pas leurs attentes.


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 1434‑4 du code de la santé publique est ainsi modifié :

1° Au début du premier alinéa, les mots : « Le directeur général de l’agence régionale de santé détermine par arrêté, après » sont remplacés par les mots : « Le président du conseil départemental détermine annuellement, après avis des établissements publics de coopération intercommunale du territoire, consultation du directeur général de l’agence régionale de santé et » ;

2° Au 1°, les mots : « zones caractérisées » sont remplacés par les mots : « territoires prioritaires pour l’installation de médecins et professionnels de santé, qui sont caractérisés » ;

3° Au dernier alinéa, les mots : « directeur général de l’agence régionale de santé » sont remplacés par les mots : « président du conseil départemental ».

Article 2

Les médecins généralistes, les médecins spécialistes et les autres professionnels de santé bénéficient d’une exonération totale d’impôt sur les bénéfices dans les dix années qui suivent leur installation dans un territoire prioritaire mentionné à l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique et d’une exonération de 50 % dans les dix années suivantes. En conséquence, les dispositions du code général des impôts relatives aux zones de revitalisation rurale et aux zones franches urbaines ne sont pas applicables à ces personnes.

Article 3

Pendant cinq ans à compter de la publication de la présente loi, un médecin généraliste ou un médecin spécialiste ne peut faire l’objet d’un conventionnement avec l’assurance‑maladie, dans un lieu d’exercice situé en dehors d’un territoire prioritaire mentionné à l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique, si ce conventionnement n’est pas concomitant de la cessation d’activité d’un médecin exerçant jusqu’alors à proximité de ce lieu. Un décret précise les conditions dans lesquelles ce dispositif est expérimenté dans trente départements.

Article 4

Après le premier alinéa de l’article L. 631‑1 du code de l’éducation, il est inséré un alinéa ainsi rédigé : « La première année du premier cycle peut faire l’objet d’un redoublement. »

Article 5

Après l’article L. 631‑1 du code de l’éducation, il est inséré un article L. 631‑2 ainsi rédigé :

« Art. L. 6312. – Les capacités d’accueil des formations mentionnées au deuxième alinéa de l’article L. 631‑1 sont complétées par un contingent défini par un arrêté des ministres chargés de la santé et de l’enseignement supérieur afin de réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins. Les étudiants admis au titre de ce contingent s’engagent à exercer leur profession pendant dix ans dans un territoire prioritaire mentionné à l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique. Un décret précise les conditions dans lesquelles ce contingent est fixé et cet engagement est organisé. »

Article 6

L’article L. 632‑2 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Après le II, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« II bis. – Le troisième cycle de médecine générale est prolongé d’une année lors de laquelle les étudiants, titulaires du doctorat, ont le statut de docteurs juniors. Les docteurs juniors exercent dans l’un des territoires prioritaires mentionnés à l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique. »

2° Il est ajouté un alinéa ainsi rédigé :

« 9° Les conditions dans lesquelles l’exercice des docteurs juniors mentionné au III est organisé, en pratique ambulatoire ou en pratique hospitalière, afin de de réduire les inégalités territoriales d’accès aux soins. »

Article 7

I. – Les charges pour l’État sont compensées, à due concurrence, par la majoration des droits prévus aux articles 302 bis ZH et 302 bis ZI du code général des impôts.

II. – La perte de recettes pour l’État est compensée, à due concurrence, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.


([1]) Proposition de loi de M. Guillaume LARRIVÉ et plusieurs de ses collègues facilitant la création d'un centre départemental unique de réception et de régulation des appels d'urgence et de secours, n° 3663, déposée le 14 décembre 2020.

([2]) Proposition de loi de MM. Guillaume LARRIVÉ et Dominique BUSSEREAU et plusieurs de leurs collègues créant des territoires prioritaires pour l'installation des médecins, n° 2846, déposée le 3 juin 2015.

([3]) Contrairement à ce qu’a prévu l’arrêté interministériel du 21 décembre 2021 publié au JORF du 30 décembre 2021, indiquant que l’année de PASS (parcours accès santé spécifique) comme celle de L.AS (licence avec option « accès santé ») est unique et que « le redoublement est effectué au sein de la mention de licence correspondante sans possibilité de suivre ni de valider les ECTS relevant du domaine de la santé ».