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N° 5220

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 27 avril 2022.

PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

instituant des jurés du Parlement,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.)

présentée par

Sébastien NADOT,

député.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La vie démocratique en France est à bout de souffle.

Notre démocratie est en panne, particulièrement dès lors qu’on observe la place et du rôle du Parlement.

L’affaissement du Sénat et de l’Assemblée nationale dans un régime devenu quasi‑exclusivement présidentiel a des conséquences profondes, lesquelles touchent directement le quotidien des Françaises et des Français comme leur futur.

Trois constats s’imposent dans l’exercice politique de la Vème République. Le garant juridique de la séparation des pouvoirs cher à Montesquieu n’est pas à l’œuvre. Le système politique ne permet pas un exercice vertueux du pouvoir, d’où qu’il vienne. Enfin, la relation entre représentants élus et représentés n’est pas fondée sur l’intérêt public mais sur les jeux égoïstes du clientélisme.

En France, la légitimité de notre régime de gouvernement représentatif s’érode scrutin après scrutin, quinquennat après quinquennat. Le Parlement sombre à allure régulière.

Certes, le Parlement est malmené un peu plus par chaque nouvel Exécutif.

Certes, le Parlement, infantilisé, est présenté par les médias comme une cour de récréation.

Certes, le Parlement est fait de parlementaires qui s’auto‑censurent volontiers et constamment, oubliant une fois élus que leur mission est précisément définie par la Constitution française. Pour mémoire, le Parlement vote les lois, évalue les politiques publiques et contrôle l’action du gouvernement, et donc un parlementaire se devrait de naviguer dans ce périmètre que ses prédécesseurs lui ont précieusement légué.

Mais aujourd’hui, le principal écueil de notre démocratie et de son Parlement réside certainement dans ce lien qui semble s’être défait entre gouvernants et gouvernés, entre représentants et représentés.

Comment renouer avec ce principe démocratique essentiel, qui s’est évadé de toutes les têtes, celles des élus nationaux comme celles des citoyennes et des citoyens français ? Comment les représentants élus au Parlement peuvent‑ils représenter les Françaises et les Français ? Comment les Françaises et les Français peuvent‑ils se sentir représentés ?

Notre démocratie n’est pas faite du seul jour du scrutin. Et les citoyens seraient bien avisés de ne pas considérer cette seule temporalité pour abandonner tout le reste aux élus. Notre démocratie ne peut se satisfaire de députés ou sénateurs qui n’agiraient qu’en courroie de distribution de leur parti politique, ou en agence de communication gouvernementale. Notre démocratie n’est pas non plus un jouet pour la seule main des puissants.

Notre démocratie n’existe que par sa respiration quotidienne, de mille manières et en mille lieux, simultanément, par l’appropriation de chacune et de chacun, à sa manière.

Il nous faut donc régler le problème essentiel de notre démocratie : la rupture consommée entre élus nationaux et celles et ceux qu’ils représentent.

Les nouvelles technologies permettent de nouvelles méthodes inespérées de rassemblement, de dialogue, d’échange, et bien des pistes peuvent être explorées dans leur bon usage. Mais pour recréer le lien, il faut se rencontrer. Et pour se rencontrer, il faut un motif et une motivation : le chemin démocratique de l’élaboration de la loi.

Le seul mécanisme électoral, le vote, qui permet aux citoyens de désigner leurs représentants, ne suffit plus à garantir le mécanisme de la Représentation. Le jeu démocratique requiert une participation active dans la construction du vivre ensemble, dans ce qui fait société, dans le débat et dans la décision qui s’impose au commun. Le vote n’est qu’une partie du chemin démocratique. Se limiter au vote, c’est vouloir prendre un raccourci vers une impasse.

Pour sortir de l’impasse, les parlementaires doivent faire un énorme pas vers les citoyens, mais les citoyens doivent également réduire le fossé qui les sépare de leurs représentants. Parlementaires représentants et citoyens représentés doivent avoir l’occasion de plonger ensemble dans le parcours de la loi, parce que le vivre ensemble se construit ensemble. La déconcentration des missions du Parlement vers les territoires est donc devenue une nécessité vitale pour la survie de notre démocratie.

Ce n’est qu’à la condition d’un lien nouveau entre représentants et représentés que le Parlement pourra trouver la volonté et la force d’exercer cette mission essentielle de contrôle démocratique de l’action du gouvernement. S’il est fort des gens qu’il représente vraiment, le Parlement n’a plus besoin de demander d’autorisation au pouvoir exécutif à chaque fois qu’il veut exercer ses missions constitutionnelles. Et si le Parlement est faible, c’est que son lien avec celles et ceux qu’il représente est faible.

Afin de redonner force au Parlement, clef de voûte d’un ensemble aujourd’hui très fragile, et lui permettre de jouer pleinement son rôle parmi les institutions, la désignation et la mise en place de jurés du Parlement est nécessaire, voire indispensable, selon les modalités suivantes.

Les jurés du Parlement sont pour le peuple français une garantie constitutionnelle des missions du Parlement.

Dans chaque département, en fonction de la démographie du département, de 20 à 50 citoyens tirés au sort sur les listes électorales sont nommés « jurés du Parlement » (peu ou prou selon le modèle des jurés d’assises) pour une durée d’un an, de septembre à août de l’année suivante (période qui correspond à la session parlementaire ordinaire à laquelle s’ajoutent les sessions parlementaires extraordinaires habituellement convoquées).

Les jurés du Parlement se réunissent dans une salle mise à disposition par la préfecture du département pour suivre le parcours d’une loi et en débattre.

Cet exercice s’effectue sur toute la durée et les dimensions du chemin de l’élaboration de la loi depuis la mise à l’agenda de l’Assemblée nationale ou du Sénat jusqu’au vote en dernière lecture (ou de la commission mixte paritaire lorsque celle‑ci est conclusive), en suivant toutes les étapes, de l’avis du Conseil d’État jusqu’à la décision du Conseil constitutionnel en cas de saisine de celui‑ci sur le texte de loi donné, et enfin, sa promulgation. L’aménagement d’un temps supplémentaire pour suivre les travaux préalables à la rédaction du projet de loi ou de la proposition de loi, ainsi qu’un autre pour les rares cas d’évaluation après mise en œuvre d’une loi peuvent également être prévus.

Les jurés du Parlement sont accompagnés en permanence par une ou un parlementaire élu dans une circonscription du département, avec des temps d’échanges et de confrontation aménagés sur la mécanique parlementaire et sur le fond du texte en examen.

À l’issue de la séance d’explications de vote (qui est le moment d’expression des positions de toutes les sensibilités politiques représentées sur le texte qui va être voté), un temps de deux heures au minimum est consacré au débat local entre la ou le parlementaire désigné et les jurés du Parlement.

Les jurés du Parlement de chaque département émettent un avis sur le vote du projet ou de la proposition de loi.

Les parlementaires votent ensuite, depuis la préfecture (au moyen d’un système de vote électronique à distance) ou depuis l’hémicycle de l’Assemblée nationale, en toute indépendance, en suivant ou ne suivant pas l’avis des jurés du Parlement de leur département.

Les débats et les avis des jurés du Parlement sont publiés au Journal officiel de la République française.

L’article premier insère un nouvel article au Titre IV de la Constitution visant à créer les jurés du Parlement.

Tels sont Mesdames, Messieurs, les objectifs de la présente proposition de loi constitutionnelle.

 


PROPOSITION DE LOI CONSTITUTIONNELLE

Article unique

Le titre IV de la Constitution est complété par un article 33‑1 ainsi rédigé :

« Art. 331.  Les jurés du Parlement, réunis sur les territoires où ils ont été tirés au sort, assistent aux débats parlementaires, participent aux délibérations avec un parlementaire et émettent un avis consultatif.

« Les jurés du Parlement sont institués dans chaque département. D’un nombre compris entre vingt et cinquante personnes selon la démographie du département, les jurés du Parlement sont tirés au sort parmi les citoyens inscrits sur les listes électorales pour une durée d’un an, de septembre à août de l’année suivante. Les jurés du Parlement ont pour mission de suivre le parcours législatif des projets ou propositions de loi, d’en débattre et émettre leur avis directement auprès d’un représentant de la Nation. Tout au long de leur exercice, les jurés du Parlement sont accompagnés en permanence par une ou un parlementaire du département. À l’issue de la séance d’explications de vote du projet ou de la proposition de loi, un temps de deux heures au minimum est consacré au débat entre la ou le parlementaire et les jurés du Parlement. Les jurés du Parlement de chaque département émettent un avis par vote sur le projet ou la proposition de loi. Les parlementaires votent ensuite, depuis la préfecture du département, au moyen d’un système de vote électronique à distance, ou depuis l’hémicycle de l’Assemblée nationale, en toute indépendance, en suivant ou en ne suivant pas l’avis des jurés du Parlement de leur département. Les débats et les avis des jurés du Parlement sont publiés au Journal officiel de la République française.

« Les modalités d’application du présent article sont fixées par une loi organique. »