Description : LOGO

N° 5251

_____

ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2022.

PROPOSITION DE LOI

mettant fin aux établissements d’hébergement
pour personnes âgées dépendantes privés lucratifs,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Caroline FIAT, Loïc PRUD’HOMME, Michel LARIVE, Sabine RUBIN, Clémentine AUTAIN, Bastien LACHAUD, Adrien QUATENNENS, Mathilde PANOT, JeanLuc MÉLENCHON, Ugo BERNALICIS, Alexis CORBIÈRE, Danièle OBONO,

Député-e-s.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Depuis son annonce par M. Emmanuel Macron le 13 juin 2018, les promesses sont allées bon train au sujet d’une hypothétique loi Grand âge autonomie avant que cette dernière ne soit honteusement enterrée. Ce n’est pourtant pas faute d’alertes lancées aux politiques durant toutes ces années.

Le 14 mars 2018, les Députées Monique Iborra et Caroline Fiat remettaient leur rapport sur la situation des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (Ehpad). Y était décrit « la maltraitance institutionnelle » qui plonge dans la souffrance résidents, familles et soignants : résidents baignant des heures dans leurs excréments par faute de temps ou de moyens, toilettes en moins de 6 minutes sur des corps souvent meurtris, malnutrition, soins dentaires quasi‑inexistants, personnes alitées 24 h / 24 sans même changer de positions, escarres non soignés, troubles musculosquelettiques chez les soignants, accidents de travail à répétition, épuisement professionnel, démissions…

L’année 2018 a également connu une mobilisation historique du personnel des EHPAD, à bout. La même année le reportage de la journaliste Elise Richard, tourné pour M6 et Zone interdite, puis son livre, y dénonçaient la même maltraitance. En 2019, l’article de Philippe Baqué dans le Monde diplomatique décrivait en détail ses causes politiques.

La réalité des EHPAD a été observée, analysée, décortiquée en long et en large. Notamment celle des grands groupes d’Ehpad lucratifs qui grattent sur tous les coûts pour réaliser des bénéfices. Dans les Ehpad privés commerciaux, le taux d’encadrement est d’environ 50 professionnels dont 20 à 25 soignants (équivalent temps plein) pour 100 résidents contre environ 65 professionnels dont 30 soignants (ETP) dans les Ehpad publics. La rémunération du personnel y est plus basse et les conditions de travail totalement dégradées. Les velléités syndicales sont annihilées, les employés intimidés et les lanceurs d’alerte licenciés comme en témoigne le reportage d’Envoyé spécial réalisé par Julie Pichot et Vincent Liger en septembre 2018 « Maisons de retraite : derrière la façade ». On y voyait notamment Hella Kheriel, aide‑soignante licenciée par Korian suite à ses révélations.

Pourtant, le prix mensuel médian du séjour en établissement privés lucratifs est de 2 460 euros contre 1 630 euros dans les établissements publics et 1 800 euros dans les établissements privés associatifs. Par ailleurs, alors que les personnes éligibles à l’aide sociale à l’hébergement ont droit à une place à moindre coût, de nombreux établissements privés lucratifs se déshabilitent de l’aide sociale pour augmenter leurs marges. Seulement 12 % des places dans les établissements privés lucratifs sont éligibles à l’aide sociale contre 98 % dans les Ehpad publics.

Ces économies faites sur le dos des résidents sont abjectes lorsqu’on sait que ces Ehpad lucratifs sont loin d’être en difficulté. Bien au contraire, le secteur est florissant. Le groupe Korian qui gère des Ehpad privés connaît un taux d’encadrement des résidents parmi les plus faibles de France alors que le coût du séjour y est parmi les plus élevés. On se souvient que Korian, qui en pleine première vague de Covid, voulait verser 54 millions d’euros de dividendes à ses actionnaires. Le rendement financier est leur seule boussole ! Ne pas remplacer un infirmier, embaucher des « faisant fonction » d’aide‑soignante non diplômé, rationner les protections… ce sont autant de dividendes pour les actionnaires. « Il faut que ça crache » dit‑on à Orpéa en parlant des résidents et de leurs familles. Les actionnaires, contrairement aux résidents, sont donc soigneusement dorlotés.

Récemment, c’est le journaliste Victor Castanet qui faisait état de la situation de maltraitance systémique au sein du groupe Orpéa. Loin d’en tirer des leçons sur le modèle des EHPAD privés lucratifs, le Gouvernement s’est contenté d’en faire un épiphénomène en portant l’affaire devant la justice. Le mépris pour les gens de terrain, qui alertent depuis des années, atteint des sommets.

La Ministre Brigitte Bourguignon a beau jeu d’affirmer sur Twitter : On ne doit pas faire de business sur le grand âge » le 26 janvier dernier. Quelle mesure a‑t‑elle engagée durant toutes ces années pour y mettre fin ? Aucune. Les chiffres de l’INSEE en attestent : les établissements publics disparaissent au profit du privé. Avec un prix médian par résident de 2 460 euros par mois, une maison de retraite est plus rentable qu’un centre commercial !

La question qui se pose est la suivante : Que voulons‑nous pour nos aînés ? Qu’ils fassent croître les dividendes de quelques‑uns ou bien qu’ils soient traités dignement ? Pour que cesse la maltraitance institutionnelle de nos aînés au profit des actionnaires, la France insoumise propose de mettre fin aux Ehpad privés lucratifs pour privilégier les Ehpad publics et privés non lucratifs.

L’article 1 de cette proposition de loi interdit aux établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes de poursuivre un but lucratif. Le non‑respect de cette interdiction est puni d’une amende égale à 3 % du chiffre d’affaires résultant de leurs activités lucratives.

L’article 2 permet de financer le potentiel manque à gagner pour les finances publiques d’une telle mesure.

 


proposition de loi

Article 1er

I. – Après l’avant‑dernier alinéa de l’article L. 311‑1 du code de l’action sociale et des familles, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes prévus au I de l’article L. 313‑12 ne peuvent poursuivre de but lucratif. Le non‑respect de cette interdiction est puni d’une amende égale à 3 % du chiffre d’affaires résultant des activités lucratives exercées dans les douze mois précédant la constatation de l’infraction. »

II. – Les établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes prévus au I de l’article L. 313‑12 du code de l’action sociale et des familles qui poursuivent un but lucratif à la date de la promulgation de la présente loi doivent se mettre en conformité avec l’avant‑dernier alinéa de l’article L. 311‑1 du même code dans un délai de deux ans. Au terme de ce délai, le non‑respect de l’interdiction prévue par ledit alinéa est puni d’une amende égale à 3 % du chiffre d’affaires résultant des activités lucratives exercées entre le terme du délai précité et la constatation de l’infraction, dans la limite d’une durée de douze mois.

Article 2

I.  La perte de recettes résultant pour l’État des dispositions du I est compensée par la création à due concurrence d’une taxe additionnelle aux droits prévus aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

II. La charge pour les collectivités territoriales est compensée à due concurrence par la majoration de la dotation globale de fonctionnement et, corrélativement pour l’État, par la création d’une taxe additionnelle aux droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.

III. La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.