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N° 5256

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à élargir la compétence extraterritoriale des juridictions nationales françaises concernant les infractions visées par le statut de la Cour pénale internationale,

(Renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de la législation et de l’administration générale
de la République, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. Guillaume GOUFFIERCHA,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La compétence universelle s’inscrit dans la lignée du Statut de Rome, entré en vigueur le 1er juillet 2002, créant la Cour pénale internationale et mettant en place un système juridictionnel reposant sur la coopération et la complémentarité entre les États parties et la Cour. Le préambule énonce ainsi qu’ » il est du devoir de chaque État de soumettre à sa juridiction criminelle les responsables de crimes internationaux » concernant la répression des crimes contre l’humanité, les crimes de guerre et le génocide.

Ce mécanisme permet alors à un État de poursuivre et de juger les auteurs de crime les plus graves, ceux touchant l’ensemble de la communauté internationale, quel que soit le lieu où le crime est commis et sans égard à la nationalité des auteurs ou des victimes. Il est par conséquent l’une des méthodes les plus efficaces pour dissuader et prévenir les crimes internationaux en augmentant les chances de poursuite et de condamnation de leurs auteurs.

En 2010, la France a élargi la compétence territoriale des tribunaux français ([1]) pour permettre la poursuite et le jugement des auteurs de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide commis hors de son territoire. Prévu à l’article 689‑11 du code de procédure pénale, la compétence universelle est assortie de plusieurs conditions restrictives. La loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme de la justice a permis d’obtenir des premières avancées avec la suppression de l’inversion du principe de complémentarité entre les juridictions nationales françaises et la Cour pénale internationale ainsi que la suppression de la double incrimination pour le génocide.

Désormais, trois conditions cumulatives demeurent autour ce mécanisme :

‒ La preuve de la résidence habituelle sur le territoire français de la personne soupçonnée ;

‒ La double incrimination qui implique que les faits soient punis par la législation de l’État où ils ont été commis ou que cet État ou l’État dont la personne soupçonnée a la nationalité, soit un État partie au Statut de Rome ;

‒ Le déclenchement de l’action publique par le ministère public, qui dispose d’un monopole en la matière.

En pratique, ces trois conditions rendent extrêmement difficile, voire impossible, l’activation de la compétence universelle en droit français.

À la différence d’autres crimes internationaux comme la torture ou la disparition forcée, où la simple présence de l’auteur présumé sur le territoire suffit, il est obligatoire de prouver la résidence habituelle de l’auteur ou du complice présumé de crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide. Le procureur de la république antiterroriste ne peut déclencher des poursuites à l’encontre d’une personne soupçonnée seulement si elle réside habituellement sur le territoire. Par conséquent, les auteurs éviteront d’installer le centre de leurs attaches professionnelles et familiales mais pourront effectuer des séjours en toute impunité.

Par ailleurs, si la condition de double incrimination constitue une garantie pour les justiciables afin de lutter contre l’arbitraire de certains régimes, elle ne se justifie pas concernant les crimes contre l’humanité ou les crimes de guerre puisque leur particularité réside dans leur universalité. Cette condition manifeste un recul de notre droit pénal qui ne l’exige habituellement que pour les simples délits et non pour les crimes. Par définition, les crimes internationaux constituent la violation de valeurs universelles reconnues par la communauté internationale. Par conséquent, une telle condition aussi restrictive conduit à conférer une impunité certaine à des auteurs de crimes internationaux.

Pour finir, seul le ministère public peut déclencher l’action publique, c’est‑à‑dire qu’il est le seul à pouvoir saisir le juge d’instruction pour déclencher des poursuites, ce qui empêche les victimes des crimes du Statut de Rome de pouvoir se constituer partie civile. Les victimes des crimes de guerre, crimes contre l’humanité et génocide doivent avoir le même accès au juge que les victimes de crimes de torture ou de disparitions forcées. Selon la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH), il s’agit « d’une atteinte grave aux droits des victimes à un recours effectif » ([2]).

Un arrêt récent en date du 24 novembre 2021 ([3]) illustre ces blocages liés à la compétence universelle en France. La Cour de cassation a jugé nécessaire, l’existence en droit syrien d’une incrimination comparable à celle du droit français afin de retenir la compétence extraterritoriale des juridictions françaises en matière de crimes internationaux. Autrement dit, cette exigence inclut nécessairement l’existence d’une infraction comportant un élément constitutif, relatif à une attaque lancée contre une population civile en exécution d’un plan concerté. Cela n’est pas le cas de la Syrie qui ne réprime pas les crimes contre l’humanité de façon autonome, ni aucune autre infraction comportant ces éléments constitutifs. Avec cette exigence de réciprocité, la Cour interprète strictement la condition de double incrimination et prive ainsi de toute effectivité, l’article 68911 du code de procédure pénale.

En conséquence de cet arrêt, le ministère de l’Europe et des Affaires étrangères ainsi que celui de la Justice ont rappelé dans un communiqué conjoint du 9 février 2022, l’importance de se tenir prêt « à définir rapidement les évolutions, y compris législatives, qui devraient être effectuées afin de permettre à la France de continuer à inscrire résolument son action dans le cadre de son engagement constant en faveur de la lutte contre l’impunité des auteurs de crimes internationaux ». Dans la continuité, la chambre de l’instruction de la Cour d’appel de Paris a opéré, le 4 avril 2022, une atténuation à la portée de ce principe en considérant qu’un ex‑rebelle islamiste syrien vivant en France pouvait être mis en examen pour des faits commis en Syrie entre 2013 et 2016.

Compte tenu de l’importance de la compétence universelle dans la répression et la lutte contre les crimes de guerre, des crimes contre l’humanité et du génocide, l’article unique de la présente proposition de loi vise à supprimer les trois conditions nécessaires à son utilisation afin de permettre une plus grande effectivité de la compétence universelle en France. La République française a toujours joué un rôle déterminant pour la promotion des droits de l’homme et la lutte contre l’impunité. Elle ne doit pas affaiblir son rôle dans la justice pénale internationale ni sa crédibilité dans le concert des nations en devenant un refuge d’impunité pour les criminels internationaux.

La présente proposition de loi a été travaillée avec l’association « Revivre ».


proposition de loi

Article unique

L’article 689‑11 du code de procédure pénale est ainsi modifié :

1° Au premier alinéa, les mots : « réside habituellement sur le territoire de la République » sont remplacés par les mots : « se trouve en France » ;

2° Après la référence : « Ier », la fin du 2° est supprimée ;

3° Après le mot : « code », la fin du 3° est supprimée ;

4° Les deux premières phrases du dernier alinéa sont supprimées.


([1]) Loi n°2010-930 du 9 août 2010 portant adaptation du droit pénal à l’institution de la Cour pénale internationale.

([2])  CNCDH, Avis sur l’avant-projet de loi portant adaptation de la législation française au Statut de la Cour pénale internationale, 15 mai 2003.

([3])  Chambre criminelle de la Cour de cassation, 24 novembre 2021, n°21-81.344