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N° 5260

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

QUINZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 7 juin 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à instituer un bouclier sanitaire,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. JeanPierre DOOR,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La crise sanitaire de covid‑19 a fortement affecté notre système de protection sociale. En 2020, les régimes de base de sécurité sociale et le fonds de solidarité vieillesse (FSV) ont connu un déficit jamais atteint jusque‑là, – 39,7 milliards deuros. En 2021 la crise a affecté encore largement les dépenses et le déficit est demeuré très important, passant à 34,8 milliards deuros. Pour 2022, il est établi à 21,4 milliards. Le déficit anticipé par le gouvernement pour les années suivantes restera durablement élevé. En 2025, il se concentrera principalement sur la branche maladie à hauteur de 15,2 milliards et sur la branche retraites à hauteur de 8,2 milliards. Après avoir prévu la fin de la dette sociale en 2024, lexistence de la Caisse d’amortissement à la dette sociale (CADES) est prolongée jusquen 2033, soit neuf années supplémentaires.

S’agissant de la la branche maladie, les dépenses ont progressé de 10,1 % en 2020 et devraient croître de 10,7 % en 2021, contre 2,4 % en moyenne en 2018‑2019. Ces évolutions reflètent une progression record de l’Objectif national de dépenses d’assurance maladie (Ondam) en 2020 (9,4 %) et 2021 (8,2 %). Or Les finances sociales constituent la priorité du redressement de l’ensemble des comptes publics, car les dépenses sociales représentent près de la moitié des dépenses publiques.

Au regard de la trajectoire des déficits, il est donc urgent de s’attaquer aux faiblesses du système. Du point de vue des recettes et compte tenu du niveau record de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) du taux des prélèvements obligatoires atteint en France il serait irréaliste de procéder à de nouvelles augmentations qui pénaliseraient une reprise déjà très affectée par la situation internationale.

La consommation de biens et services médicaux s’est élevée à 209 milliards d’euros en 2020 et a été financée à hauteur de 81 % par l’assurance maladie obligatoire et l’État (complémentaire santé solidaire), de 12 % par les assurances maladie complémentaires et de 7 % directement par les ménages. Les solutions précédemment retenues en vue d’une maîtrise des dépenses ont pesé sur l’ensemble des acteurs du système de santé, sans épargner les assurés et les restes à charge, c’est à dire les tickets modérateurs, les forfaits et franchises et les dépassements des tarifs fixés par la sécurité sociale, sont devenus massifs.

Le régime des affections de longue durée (ALD) est l’un des dispositifs d’exonération ou de plafonnement des tickets modérateurs. Il permet un remboursement de 100 % du coût des soins nécessités par une liste de trente deux maladies longues et coûteuses. Mais il ne permet pas toujours d’assurer une prise en charge médicale optimale ni une réelle égalité dans la prise en charge financière. Ainsi, par exemple, le patient souffrant d’une ALD peut en même temps subir d’autres pathologies ne figurant pas dans la liste des ALD.

Les assurances maladie complémentaires étendues et rendues obligatoires pour les salariés du secteur privé restent coûteuses et renchérissent les frais de gestion. Leur couverture ne réduit pas les inégalités, les personnes riches pouvant bénéficier d’un reste à charge réduit. Elle n’évite pas les renoncements aux soins des personnes modestes, car les restes à charge sont particulièrement lourds pour les personnes aux revenus modestes. Malgré la couverture maladie universelle complémentaire, puis la complémentaire santé solidaire, les renoncements aux soins demeurent, comme le remarque la Cour des comptes en 2021 dans son rapport sur les complémentaires santé.

Aussi conviendrait‑il d’introduire un dispositif qui limite le reste charge des assurés à un plafond établi en fonction du revenu des assurés. La présente proposition de loi tend à instituer un bouclier sanitaire, qui se substituerait aux dispositifs d’exonération du ticket modérateur, résultat d’une addition de mesures sans véritable cohérence d’ensemble.

Le Haut Conseil pour l’avenir de l’assurance‑maladie (HCAAM), dans son rapport proposant quatre scénarios polaires d’évolution de l’articulation entre Sécurité sociale et Assurance maladie complémentaire, publié en janvier 2022, en donne la définition suivante. « Schématiquement, ce mécanisme consiste à plafonner le cumul de reste à charge  : à partir du moment où ce cumul atteint un certain niveau ou plafond, les dépenses de santé font l’objet d’une prise en charge à 100 % par la Sécurité sociale. De cette manière, le montant maximum de restes à charge cumulés ne peut excéder ce plafond, d’où le terme bouclier sanitaire ».

Le bouclier sanitaire a pour objectif la régulation des dépenses de l’Assurance maladie, l’équilibre de ses comptes et l’équité entre les assurés et notamment une meilleure protection des plus fragiles.

La création d’un bouclier sanitaire a été proposée par Martin Hirsch, Haut‑Commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté, en juin 2007 après l’annonce de nouveaux forfaits et franchises. À la demande du gouvernement un rapport sur ce dispositif été remis par Raoul Briet et Bertrand Fragonard. Le rapport démontre les effets positifs du plafonnement du reste à charge. Il recommande d’engager de façon mieux ciblée et beaucoup plus effective qu’à travers les ALD une politique d’amélioration du suivi médical des malades chroniques. Il préconise aussi la mise en œuvre de la réforme selon un calendrier réaliste et un mode de gestion rigoureux.

En 2015 la Cour des comptes dans une étude comparative de l’Assurance maladie en France et en Allemagne observe en Allemagne un meilleur remboursement de certaines prestations qu’en France dans le cadre d’un système de franchise mis en place en 2004 et dont le montant dépend des revenus de l’assuré.

En décembre 2010 une proposition de loi n° 3062 déposée par Jean‑Pierre Door visait à instituer un bouclier sanitaire. Aujourd’hui le plafonnement des dépenses de santé à la charge des assurés en pourcentage de leur revenu pour ceux qui n’auraient pas les moyens d’accéder aux soins reste une proposition toujours novatrice en France.

La présente proposition de loi tend à instituer un bouclier sanitaire, qui se substituerait aux nombreux dispositifs d’exonération du ticket modérateur, résultat d’une addition de mesures sans véritable cohérence d’ensemble.

Il sagit de permettre à chacun d’être soigné en fonction de ses besoins et non de ses revenus.

Le Parlement déterminerait chaque année dans la loi de financement de la Sécurité sociale le montant maximal que chaque Français affecterait à ses dépenses de santé en fonction de ses moyens.

Afin d’éviter que la protection offerte par le bouclier sanitaire ne soit limitée par les dépassements d’honoraires, cette proposition de loi tend également à réguler ces dépassements, dans un cadre que l’institution d’un « secteur optionnel », par la voie conventionnelle, complètera utilement.

Pour prendre le relais des protocoles de soins établis dans le cadre du régime des ALD, auquel le bouclier sanitaire se substituerait, il est proposé de mettre en place un système de suivi des maladies chroniques reposant sur le médecin traitant. À titre transitoire, il est proposé que les personnes bénéficiant d’exonérations du ticket modérateur à la date d’entrée en vigueur de la loi puissent en conserver le bénéfice jusqu’en 2027.

proposition de loi

Chapitre Ier

Création dun bouclier sanitaire

Article 1er

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Larticle L. 160‑14 est ainsi modifié :

a) Au début du premier alinéa, est ajoutée la référence : « I. – » ;

b) Les 1°, 3°, 10° et 12° sont abrogés ;

c) Est ajouté un II ainsi rédigé :

« II.  La somme des participations et des franchises acquittées en application de larticle L. 160‑13 au cours dune période de douze mois par les assurés membres dun même foyer fiscal ne peut excéder un plafond déterminé en proportion du revenu global net annuel de ce foyer au sens de l’article 13 du code général des impôts.

« Cette proportion est fixée par décret en Conseil d’État après avis de lUnion nationale des caisses dassurance maladie et de lUnion nationale des organismes dassurance maladie complémentaire.

« La majoration mentionnée au sixième alinéa de larticle L. 162‑5‑3 nest pas prise en compte pour le calcul de la somme mentionnée au premier alinéa du présent II.

« Lannexe prévue au 5° de larticle L.O. 111‑4‑1 justifie le plafond retenu pour lapplication du présent article par rapport à la situation financière des régimes obligatoires dassurance maladie et à la part de la dépense nationale de santé restant à la charge des assurés. »

2° Au second alinéa de larticle L. 432‑1, les mots : « du II et du III » sont supprimés.

Article 2

Le 2° de larticle L. 161‑28‑1 du code de la sécurité sociale est ainsi rétabli :

« 2° À la mise en œuvre des dispositions du II de larticle L. 160‑14. ».

Article 3

La section 4 du chapitre préliminaire du titre VI du livre I du code de la sécurité sociale est complétée par un article L. 160‑19 ainsi rédigé :

« Art. L. 16019  Les informations nécessaires à la détermination du plafond prévu au II de larticle L. 160‑14 peuvent être obtenues par les organismes dassurance maladie selon les modalités de larticle L. 114‑14.

« La fraude, la fausse déclaration, linexactitude ou le caractère incomplet des informations recueillies en application de lalinéa précédent exposent lassuré aux sanctions et pénalités prévues à l’article L. 114‑17.

« Lorsque ces informations ne peuvent pas être obtenues dans les conditions prévues au premier alinéa du présent article, les assurés les communiquent par déclaration aux organismes dassurance maladie.

« Ces organismes contrôlent les déclarations des assurés, notamment en ce qui concerne leur situation de famille, les enfants et personnes à charge, leurs ressources. Pour lexercice de leur contrôle, les organismes dassurance maladie peuvent demander toutes les informations nécessaires aux administrations publiques, notamment les administrations financières, et aux organismes de sécurité sociale, de retraite complémentaire et dindemnisation du chômage, qui sont tenus de les leur communiquer.

« Les informations demandées aux assurés, aux administrations et aux organismes susmentionnés sont limitées aux données strictement nécessaires à la détermination du plafond prévu au II de larticle L. 160‑14.

« Les personnels des organismes dassurance maladie sont tenus au secret quant aux informations qui leur sont communiquées.

« Lapplication du II de larticle L. 160‑14 peut être suspendue si lassuré refuse de se soumettre aux contrôles prévus par le présent article. »

Chapitre II

Encadrement des dépassements dhonoraires

Article 4

Larticle L. 162‑5‑13 du code de la sécurité sociale est complété par un III ainsi rédigé :

« III. – Les médecins autorisés à pratiquer des honoraires différents des tarifs fixés par la ou les conventions prévues à larticle L. 162‑5 appliquent ces tarifs pour un tiers au moins de leurs actes. »

Chapitre III

Suivi des maladies chroniques

Article 5

Larticle L. 162‑5‑3 du code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Le quatrième alinéa est complété par deux phrases ainsi rédigées : « Sur la base des informations qui leur sont communiquées en application du premier alinéa de larticle L. 161‑29, les organismes dassurance maladie informent régulièrement le médecin traitant de l’évolution de l’état de santé de tout assuré ou ayant droit atteint dune maladie chronique quil a désigné comme son médecin traitant. Au regard de ces informations, le médecin traitant détermine les actions de prévention à mettre en œuvre. »

2° À la seconde phrase du sixième alinéa, les mots : « lorsquest mis en œuvre un protocole de soins ou » sont supprimés.

Article 6

Au début du premier alinéa de larticle L. 324‑1 du code de la sécurité sociale, les mots : « En cas daffection de longue durée » sont remplacés par les mots : « Dans le cas prévu au 4° de larticle L. 160‑14 ».

Chapitre IV

Mesures transitoires et dispositions de coordination

Article 7

I. Les assurés dont la participation mentionnée au premier alinéa de larticle L. 160‑17 du code de la sécurité sociale était limitée ou supprimée en application des 1°, 3°, 10° et 12° de larticle L. 160‑14 du même code à la date dentrée en vigueur de la présente loi peuvent, à leur demande et si leur état de santé le justifie, continuer de bénéficier de cette limitation ou de cette suppression jusquau 31 décembre 2027.

II. Avant la date mentionnée à la fin du I du présent article, le Gouvernement remet au Parlement un rapport analysant leffet de la mise en application de la présente loi sur la part des dépenses de santé restant à la charge des assurés, après avis de lUnion nationale des caisses dassurance maladie, de lUnion nationale des organismes dassurance maladie complémentaire et de la conférence nationale de santé prévue à larticle L. 1411‑3 du code de la santé publique.

III.  Un décret en Conseil d’État détermine les conditions dapplication du présent article et peut prévoir, pour certaines affections, le maintien des limitations et des suppressions mentionnées au I du présent article après la date mentionnée au même I.

Par dérogation aux dispositions du même I, ce décret en Conseil d’État peut permettre le maintien de la limitation ou de la suppression de la participation de lassuré pour certaines affections.

Article 8

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° Après la première phrase du sixième alinéa de larticle L. 162‑5‑3, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Cette majoration est exclue des participations prises en compte pour lapplication du II de larticle L. 160‑14. » ;

2° Au premier alinéa de larticle L. 162‑30, les mots : « aux 3° et » sont remplacés par le mot : « au » ;

3° À la deuxième phrase du septième alinéa de larticle L. 324‑1, les mots : « des 3° et » sont remplacés par le mot : « du » ;

4° Au second alinéa de larticle L. 711‑7, la référence : « 10°, » est supprimée ;

5° À larticle L. 713‑4, la référence : « 10°, » est supprimée.

Article 9

La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration des droits mentionnés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts.