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N° 24

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 8 juillet 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à déconjugaliser l’allocation aux adultes handicapés,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Yannick FAVENNECBÉCOT, François GERNIGON, Loïc KERVRAN, Lise MAGNIER, Xavier ALBERTINI, Christophe PLASSARD, Thierry BENOIT, Luc LAMIRAULT, JeanCharles LARSONNEUR, Anne-Cécile VIOLLAND, Philippe FAIT, Jean-Michel JACQUES, Laurence CRISTOL, Laurence VICHNIEVSKY, Jean-François LOVISOLO, Maud PETIT, Julie DELPECH, Liliana TANGUY, Patrice PERROT, Denis MASSÉGLIA, Anne BRUGNERA, Stéphane VOJETTA, Brigitte LISO, Agnès FIRMIN LE BODO, Anne LE HÉNANFF, Violette SPILLEBOUT,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

L’objectif de la présente proposition de loi vise à améliorer les droits à la dignité, à l’autonomie, à la possibilité de faire librement ses propres choix, à disposer d’un niveau de vie adéquat et à renforcer le pouvoir d’achat des personnes en situation de handicap, tout au long de leur vie, quelle que soit leur situation familiale.

L’allocation aux adultes handicapés (AAH) a été créée par la loi n° 75‑535 du 30 juin 1975 dite d’orientation en faveur des personnes handicapées afin de répondre à une obligation nationale de garantir un minimum de ressources aux personnes en situation d’invalidité et dans l’impossibilité, compte tenu de leur handicap, d’obtenir et d’exercer un emploi. Cette loi innovante et de justice sociale fait suite à la volonté affirmée du Président Valéry Giscard d’Estaing ([1]) de « considérer la personne handicapée comme une personne autonome lorsqu’il s’agit d’une adulte, indépendante de sa famille même si celle‑ci continue à lui apporter une aide précieuse et d’ailleurs fondamentale notamment du point de vue affectif ». Pour cela, il estimait indispensable de garantir aux personnes en situation de handicap le « droit à un minimum de ressources personnelles » et d’affirmer enfin leurs droits fondamentaux. Comme l’auteur de la proposition de loi, aujourd’hui déposée sur le bureau de l’Assemblée nationale, il ne souhaitait pas que l’autonomie des personnes en situation de handicap repose sur la solidarité familiale mais sur la solidarité nationale.

Si la loi sur le handicap du n° 2005‑102 du 11 février 2005 pour l’égalité des droits et des chances, la participation et la citoyenneté des personnes handicapées ([2]) a contribué à une revalorisation des ressources des personnes en situation de handicap, une difficulté majeure existe cependant. En effet, cette allocation, qui est attribuée sous réserve de respecter des critères d’incapacité, d’âge, de résidence et de ressources, voit son montant déterminé au regard des revenus du conjoint ou de la conjointe. Ainsi, le versement de l’AAH devient dégressif. Cela induit une inégalité entre bénéficiaires selon qu’ils sont en couple ou non. Dès lors, un grand nombre de personnes situation de handicap renoncent à se marier, à vivre maritalement ou à se lier par un pacte civil de solidarité, car elles craignent de perdre une allocation à laquelle elles ont droit pour leur assurer une autonomie à raison de leur handicap.

Certes, l’AAH constitue une aide de solidarité financière nationale comme d’autres prestations sociales, elle est néanmoins marquée par une dimension compensatrice, contrairement à d’autres minima sociaux. Cette allocation a vocation à s’adapter à la particularité du handicap, qui se distingue par son caractère souvent irréversible. L’AAH n’est donc pas un minima social comme les autres.

Le caractère injuste et discriminant de ce mode de calcul est dénoncé depuis longtemps tant par les personnes en situation de handicap, les associations que par une grande partie du personnel politique, élus locaux ou parlementaires. Ainsi, sous la précédente législature, plusieurs propositions de loi ont été déposées pour supprimer la prise en compte des revenus du conjoint ou de la conjointe dans la base de calcul de l’AAH, dont celle de Jeanine Dubié, députée des Hautes‑Pyrénées, relative à diverses mesures de justice sociale, en date du 30 décembre 2019 ([3]).

C’est une réalité, le mode de calcul et le plafonnement de l’AAH portent une grave atteinte au principe d’autonomie des personnes en situation de handicap. D’ailleurs, dans un avis du 30 septembre 2021 ([4]), la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) a souligné que « ce mode de calcul entrave le droit à vivre en couple ou à fonder une famille. En particulier, il porte atteinte aux droits des femmes handicapées en les empêchant de s’extraire facilement des situations d’abus conjugaux. Il ajoute à la dépendance humaine et technique liée au handicap une dépendance financière délétère ». La CNCDH a ainsi appelé « de ses vœux une réforme nécessaire tant pour les personnes concernées que pour notre société engagée dans une démarche d’inclusivité et de reconnaissance des personnes handicapées comme sujets de droit ». Plus de quarante ans après la création de l’AAH, le droit à la sécurité matérielle et à l’obtention par la collectivité des moyens convenables d’existence ne sont pas garantis contrairement à ce que prévoit le Préambule de la Constitution de 1946.

Le mode de calcul de l’AAH porte aussi atteinte au droit à l’autonomie des personnes handicapées réaffirmé par la Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne qui précise, à l’alinéa 3 de l’article 34 ([5]) concernant la sécurité sociale et l’aide sociale, que l’Union reconnaît le droit à une aide sociale destinée à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté.

Les engagements internationaux de la France en matière de droits fondamentaux des personnes handicapées, en particulier les droits à la dignité, à l’autonomie, à la liberté de faire ses propres choix, à la protection et à l’aide de l’État ne sont pas non plus respectés car, comme a pu le réaffirmer la CNCDH, dans son avis précédemment cité, la France a ratifié la Convention internationale relative aux droits des personnes handicapées (CIDPH) en 2010, s’engageant à garantir et promouvoir tous les droits humains pour les personnes handicapées. « Or les droits à la dignité, à l’autonomie, à la liberté de faire ses propres choix, à la protection et à l’aide de l’État compris dans les principes de la CIDPH ne sont pas effectifs pour un nombre important de personnes handicapées en France. Les situations décrites par les personnes bénéficiaires de l’AAH privées de toutes ressources individuelles en raison de la prise en compte des revenus de leur conjoint ne sont pas des situations de dignité, ni matérielle, ni humaine et sont contraires aux préconisations du Comité des Nations unies en charge du suivi du Pacte international sur les droits économiques, sociaux et culturels ». Ce mode de calcul ne respecte pas l’article 19 de la Convention des Nations unies sur l’autonomie de vie et l’inclusion dans la société en « ne laissant pas aux personnes handicapées la liberté de choisir à égalité avec les autres où et avec qui elles vont vivre du fait des lourdes conséquences de ce choix. Il ne respecte pas non plus l’article 23 concernant le respect du domicile et de la famille, en introduisant une discrimination dans ce qui a trait au couple et à la famille. Il ne respecte pas l’article 25 sur la santé, en empêchant les personnes handicapées de jouir du meilleur état de santé possible car les risques liés à la perte partielle ou complète de l’AAH ont sur la santé mentale de nombreuses personnes handicapées un réel impact, source de stress, de dépression et de pensées suicidaires. Ce mode de calcul ne respecte pas plus l’article 28 sur le niveau de vie et la protection sociale, tant ses répercussions sont multiples, y compris sur l’alimentation, l’habillement, la stabilité du logement familial, et se cumulent au fil des années. N’est pas non plus respecté l’article 30 sur l’accès à la vie culturelle et aux loisirs, les personnes y renonçant faute d’argent. Pourtant, en application de l’article 4 de la CIDPH, il appartient à l’État partie de prendre toutes les mesures appropriées, d’ordre législatif et administratif, pour mettre en œuvre, de manière effective, les droits reconnus par la convention ».

Pour l’auteur de cette proposition de loi, le mode de calcul de l’allocation aux adultes handicapés participe aux freins à une vie autonome des personnes en situation de handicap. C’est la raison pour laquelle cette proposition de loi vise à rétablir le principe d’autonomie dans son esprit et dans sa pratique, à donner une véritable effectivité au droit à la dignité des personnes concernées par l’allocation aux adultes handicapés et à améliorer leur pouvoir d’achat luttant ainsi contre la pauvreté subie par les personnes handicapées auxquelles le handicap interdit ou limite fortement l’accès au travail.

Ainsi, cette proposition de loi, composée de trois articles prévoit, entre autres, à l’article 1, alinéa 1, la suppression de la prise en compte des revenus du conjoint ou de la conjointe dans le versement de l’AAH quand celle‑ci est versée en complément des autres ressources du bénéficiaire. L’alinéa 2 vise à mettre fin à la prise en compte des revenus du conjoint dans le plafonnement de l’AAH.

L’article 2 demande au Gouvernement de remettre au Parlement, dans les douze mois suivant la publication de la présente loi, un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés, afin d’identifier les difficultés rencontrées et les moyens d’améliorer leur autonomie.

 


proposition de loi

Article 1er

Le code de la sécurité sociale est ainsi modifié :

1° À la première phase du dernier alinéa de l’article L. 821‑1, les mots : « est marié ou vit maritalement ou est lié par un pacte civil de solidarité et » sont supprimés ;

2° À la fin de la première phrase du premier alinéa de l’article L. 821‑3, les mots : « et, s’il y a lieu, de son conjoint, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité dans la limite d’un plafond fixé par décret, qui varie selon qu’il est marié, concubin ou partenaire d’un pacte civil de solidarité et a une ou plusieurs personnes à sa charge » sont supprimés.

Article 2

Le Gouvernement remet au Parlement, dans les douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, un rapport relatif à la situation sociale et financière des bénéficiaires de l’allocation aux adultes handicapés.

Article 3

La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services. 


([1]) https://www.elysee.fr/valery-giscard-d-estaing/1974/07/06/discours-de-m-valery-giscard-destaing-president-de-la-republique-au-centre-des-handicapes-de-la-canourgue-en-lozere-le-6-juillet-1974

([2]) https://www.legifrance.gouv.fr/loda/id/JORFTEXT000000809647/

([3]) https://www.assemblee-nationale.fr/dyn/15/dossiers/mesures_justice_sociale?etape=15-AN1

([4]) https://www.legifrance.gouv.fr/jorf/id/JORFTEXT000044179156
L’avis sur la déconjugalisation de l’allocation adulte handicapé a été adopté lors de l’assemblée plénière de la Commission nationale consultative des droits de l’homme (CNCDH) du 30 septembre 2021.

([5]) Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne - Art. 34, al 3 : « Afin de lutter contre l’exclusion sociale et la pauvreté, l’Union reconnaît et respecte le droit à une aide sociale et à une aide au logement destinées à assurer une existence digne à tous ceux qui ne disposent pas de ressources suffisantes ».

https://eur-lex.europa.eu/LexUriServ/LexUriServ.do?uri=OJ:C:2010:083:0389:0403:FR:PDF