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N° 163

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 25 juillet 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à assurer l’accès aux soins sur l’ensemble du territoire,

(Renvoyée à la commission des affaires sociales, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Christophe NAEGELEN, Béatrice DESCAMPS, Stéphane LENORMAND, Guy BRICOUT, Pierre MORELÀL’HUISSIER, Max MATHIASIN,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Notre système de santé est à bout de souffle, le droit à l’accès aux soins se détériore à grande vitesse et les professionnels du monde médical ne cessent d’alerter les pouvoirs publics. Un plan de sortie de crise est indispensable, des mesures d’application immédiate doivent être prises et tout le système de santé doit être repensé.

Depuis plusieurs années, le nombre de médecins généralistes libéraux diminue. D’après le modèle de projection de la Direction de la Recherche, des Études, de l’Évaluation et des Statistiques, sous la triple hypothèse de comportements identiques des médecins, de législation inchangée et de non‑saturation de l’offre de postes salariés, cette baisse devrait se poursuivre jusqu’en 2025. À cette date, le nombre de médecins généralistes libéraux ou mixtes serait inférieur de 8 % à celui de 2009. Le constat est globalement le même pour les spécialistes en accès direct. En 2025, le nombre d’ophtalmologues, de gynécologues et de psychiatres libéraux ou mixtes devrait être inférieur de 18 % à 21 % à celui observé en 2012.

Au‑delà de l’évolution des effectifs de médecins, l’accès spatial aux soins dépend largement de leur répartition sur le territoire. La France qui perd ses médecins est largement représentée par une diagonale de l’intérieur du territoire, du Nord‑Est au Sud‑Ouest de l’hexagone.

Toutefois, ce n’est pas tant la seule difficulté d’accès aux médecins généralistes qui devrait qualifier une zone de « désert médical » qu’un cumul de mauvaises accessibilités à différents services (accès à un médecin généraliste mais aussi à une pharmacie et à un établissement de soins d’urgences). Près de 0,5 % de la population française cumule ces trois difficultés : l’indicateur d’Accessibilité Potentielle Localisée (APL) est inférieur à 2,5 consultations par an et par habitant, la première pharmacie est située à plus de 10 minutes de trajet motorisé et le premier établissement de soins d’urgences est situé à plus de 30 minutes de trajet motorisé. Les communes concernées sont de très petite taille, situées dans des espaces à dominante rurale et dans des régions montagneuses.

Aussi, les fermetures temporaires, notamment nocturnes ou définitives des services d’urgences d’hôpitaux situés en zones rurales, se multiplient faute de médecins et de ce fait élargissent considérablement le nombre de Français vivant en « zone blanche médicale », confrontant les patients à des pertes de chances médicales. Et pour cause : il manquerait 1 500 postes de médecins urgentistes dans les hôpitaux publics. Ces fermetures de services d’urgences en zones rurales ont pour conséquence d’aggraver la situation sur tout le territoire. La charge de travail d’un service fermé est déversée vers ceux qui restent et constitue un flux de patients que les gros services d’urgences ne parviennent pas toujours à absorber. La fermeture des services d’urgences s’accompagne d’un autre sujet, celui de la fermeture de services comme la maternité ou la chirurgie.

Les conséquences sont nombreuses : un accès aux soins difficile conduit nombre de patients à renoncer ou reporter des soins, entraînant anxiété, augmentation des symptômes, complications médicales nécessitant une prise en charge urgente et donc des coûts supplémentaires mais conduit également les patients à se rendre aux urgences, faute de médecin disponible et donc à encombrer les urgences déjà débordées.

Des mesures ont été mises en place depuis 2017, notamment dans le cadre du plan Ma Santé 2022. Cependant, ces mesures n’auront d’effets qu’à cinq ou dix ans. Par exemple, la suppression du numerus clausus en 2020, mesure phare, ne pourrait répondre à la désertification médicale qu’à moyen terme puisqu’il faut dix à douze ans pour former un médecin. Pourtant, le paysage médical sera alors radicalement différent : quels seront les besoins de la population ? Comment aura‑t‑elle évolué ? Quelle place prendront les nouvelles technologies ?

Nous manquons donc de recul quant aux potentiels résultats des mesures adoptées tandis que la situation des territoires sous‑dotés est urgente.

De plus, dans les Outre‑mer, sont observées de fortes disparités territoriales et sociales dans l’accès aux soins. Dans son rapport de septembre 2019 intitulé « Les outremer face aux défis de l’accès aux droits », le défenseur des droits relève que « L’inégale répartition des dispositifs sanitaires, ainsi que les coûts de santé, favorisent le renoncement aux soins des personnes précaires ou vivant dans des communes isolées. »

Ainsi, et pour ces raisons, en attendant que les mesures contre la désertification médicale donnent leurs premiers résultats en matière d’augmentation de l’offre que notre système de santé soit réformé, adopter des mesures temporaires urgentes et éventuellement plus radicales telles que la limitation de la liberté d’installation semble être une solution.

Cette proposition de loi comporte plusieurs mesures visant à répondre urgemment au phénomène de désertification médicale.

L’article 1 limite la liberté d’installation des médecins. Il instaure, comme c’est le cas par exemple pour les pharmaciens, un maillage territorial des médecins. Ces derniers ne pourront s’installer et ouvrir un cabinet que s’ils bénéficient d’une autorisation, appelée licence, accordée par le directeur de l’agence régionale de santé en fonction de l’offre et de la demande sur le territoire concerné.

À l’heure actuelle, le stage dit « de niveau 1 », au cours de l’internat de médecine générale, est un stage obligatoire de 6 mois en ville. L’article 2 rend obligatoire un stage d’au moins 12 mois au cours de l’internat en ville en médecine générale afin de créer des vocations de médecins libéraux et de concentrer dans les zones sous‑dotées le stage en soins premiers en autonomie supervisée (Saspas) des étudiants en dernière année de médecine générale. Le Saspas est un stage de médecine générale ambulatoire, réalisé dans trois cabinets de médecine générale différents, devant permettre aux internes d’approfondir leur approche du mode d’exercice de la médecine libérale. Il garantit également les indemnités pour le logement et le transport aux stagiaires en dehors de leur lieu d’étude.

L’article 3 vise à mettre en œuvre un système de conventionnement sélectif. Cette mesure prévoit de ne plus conventionner par la caisse primaire d’assurance maladie les médecins qui s’établiront dans des secteurs déjà bien fournis en médecins généralistes et spécialistes afin de limiter les installations des médecins dans les zones sur‑dotées selon un principe de « une arrivée pour un départ ». Dans ces zones, le conventionnement à l’assurance maladie d’un médecin libéral ne pourrait plus intervenir qu’en concomitance avec la cessation d’activité libérale d’un médecin exerçant dans la même zone.

L’article 4 prolonge les partages de compétences entre professionnels de santé pour libérer du temps médical en envisageant de nouvelles extensions législatives de compétences de certaines professions de santé. Ainsi il permet aux pharmaciens correspondants de prescrire des examens de biologie médicale pour les patients atteints de pathologies chroniques. Il allège également les restrictions au droit de prescription des sages‑femmes, aujourd’hui limité par des listes fixées par voie réglementaire.


proposition de loi

Article 1er

Le chapitre Ier du titre III du livre Ier de la quatrième partie du code de la santé publique est complété par deux articles L. 4131‑8 et L. 4131‑9 ainsi rédigés :

« Art. L. 41318. – Les créations, les transferts et les regroupements de cabinets médicaux de médecins généralistes doivent permettre de répondre de façon optimale aux besoins sanitaires des populations dans les zones où ils sont implantés.

« Art. L. 41319.  I. – Toute création ainsi que tout transfert ou regroupement de cabinets médicaux sont subordonnés à l’octroi d’une licence délivrée par le directeur général de l’agence régionale de santé compétente lorsque les médecins qui souhaitent exercer dans la nouvelle structure sont conventionnés en application de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale. L’autorisation est délivrée après avis du représentant de l’État dans le département et du conseil régional ou interrégional de l’ordre des médecins.

« II. – Dans le cas d’un transfert ou d’un regroupement de cabinets médicaux d’une région à une autre, la licence est délivrée par décision conjointe des directeurs généraux des agences régionales de santé compétentes, après avis des représentants de l’État dans les départements et des conseils régionaux ou interrégionaux de l’ordre des médecins concernés.

« III. – Lorsqu’il est saisi d’une demande de création, de transfert ou de regroupement de cabinets médicaux, le directeur général de l’agence régionale de santé peut imposer une distance minimale entre l’emplacement prévu pour le futur cabinet et le cabinet existant le plus proche.

« IV. – Le cabinet médical dont la création, le transfert ou le regroupement a été autorisé doit être effectivement exploité au plus tard à l’issue d’un délai d’un an à compter de la notification de l’autorisation, sauf en cas de force majeure.

« V.  Un décret en Conseil d’État fixe les conditions d’application du présent article. Ce décret précise les critères permettant l’octroi de l’autorisation mentionnée au I, notamment :

« 1° les seuils de population retenus pour l’attribution de la licence ;

« 2° les conditions d’installation que doivent satisfaire les cabinets médicaux ;

« 3° les conditions de délivrance de la licence ;

« 4° les modalités de présentation et d’instruction des demandes de création, transfert et regroupement des cabinets médicaux. »

Article 2

L’article 632‑2 du code de l’éducation est ainsi modifié :

1° Le premier alinéa du II est ainsi modifié :

a) À la première phrase, les mots : « de la dernière année » sont supprimés et les mots : « d’un semestre » sont remplacés par les mots : « de deux semestres » ;

b) À la deuxième phrase, les mots : « en priorité » sont supprimés. 

2° Le 3° du III est complété par les mots : « permettant de garantir les indemnités pour le logement et le transport y afférentes ; »

Article 3

I. – Après le 20° de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale, il est inséré un 20° bis ainsi rédigé :

« 20° bis Les conditions à remplir pour être conventionné, notamment celles relatives aux zones d’exercice définies par l’agence régionale de santé en application de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique ; »

II. – Si, dans les douze mois à compter de la promulgation de la présente loi, aucune mesure de limitation d’accès au conventionnement n’a été instituée dans les conditions prévues au 20° bis de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale, l’accès des médecins au conventionnement prévu par le même code est régulé dans les conditions suivantes :

1° Le directeur général de l’agence régionale de santé détermine par arrêté, après concertation avec les représentants des médecins, les zones dans lesquelles le niveau de l’offre de soins est particulièrement élevé au regard de l’indicateur mentionné à l’article L. 1411‑11 du code de la santé publique ;

2° Dans les zones mentionnées au 1° du présent II, un médecin ne peut accéder au conventionnement que concomitamment à la cessation d’activité d’un autre médecin exerçant dans la même zone. Est assimilé à une cessation d’activité le transfert de la résidence professionnelle du médecin vers une zone mentionnée au 1° de l’article L. 1434‑4 du code de la santé publique ;

3° Le 2° ne s’applique pas aux médecins souhaitant adhérer à la convention mentionnée à l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale qui s’engagent à respecter les tarifs qui y sont fixés.

Les 1° à 3° cessent d’avoir effet à la date d’entrée en vigueur des mesures de limitation d’accès au conventionnement instituées dans les conditions prévues au 20° bis de l’article L. 162‑5 du code de la sécurité sociale.

Les modalités d’application du présent II sont fixées par décret en Conseil d’État.

Article 4

Le code de la santé publique est ainsi modifié :

I. – À la première phrase du premier alinéa de l’article L. 4151‑4, les mots : « , dont la liste est fixée par l’autorité administrative, et, le cas échéant, mise à jour après la mise sur le marché d’un nouveau dispositif médical ou médicament nécessaire à » sont remplacés par les mots : « en lien avec » et les mots : « strictement nécessaires à » sont remplacés par les mots : « en lien avec ».

II. – À la seconde phrase du 7° de l’article L. 5125‑1‑1 A, après le mot : « accord, » sont insérés les mots : « prescrire des examens de biologie médicale pour les patients atteints de pathologies chroniques, »

Article 5

Les articles 1 à 3 entrent en vigueur à compter du 1er janvier 2024.

Article 6

I. – La charge pour les organismes de sécurité sociale est compensée à due concurrence par la majoration de l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.

II. – La charge pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.