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N° 205

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 août 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à lutter contre les plastiques dangereux
pour l’environnement et la santé,

(Renvoyée à la commission du développement durable et de l’aménagement du territoire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

Jimmy PAHUN, Philippe BOLO, Anne-Laure BABAULT, Erwan BALANANT, Géraldine BANNIER, Philippe BERTA, Christophe BLANCHET, Philippe BOLO, Jean-Louis BOURLANGES, Blandine BROCARD, Vincent BRU, Mickaël COSSON, Laurent CROIZIER, Jean-Pierre CUBERTAFON, Romain DAUBIÉ, Mathilde DESJONQUÈRES, Laurent ESQUENET‑GOXES, Marina FERRARI, Estelle FOLEST, Bruno FUCHS, Maud GATEL, Luc GEISMAR, Perrine GOULET, Frantz GUMBS, Cyrille ISAAC‑SIBILLE, Élodie JACQUIER‑LAFORGE, Sandrine JOSSO, Fabien LAINÉ, Mohamed LAQHILA, Florence LASSERRE, Philippe LATOMBE, Pascal LECAMP, Delphine LINGEMANN, Aude LUQUET, Emmanuel MANDON, Éric MARTINEAU, Jean-Paul MATTEI, Sophie METTE, Bruno MILLIENNE, Louise MOREL, Hubert OTT, Frédéric PETIT, Maud PETIT, Josy POUEYTO, Richard RAMOS, Sabine THILLAYE, Nicolas TURQUOIS, Laurence VICHNIEVSKY, Philippe VIGIER, Frédéric ZGAINSKI,

députés.


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

En 2050, l’Océan comptera davantage de plastiques que de poissons. Notre oeil ne perçoit qu’une infime partie de ce gigantesque fléau : les déchets que la mer charrie à sa surface et que les courants déposent sur nos plages. Les nano- et microplastiques constituent l’autre versant de cette pollution ([1]). Ces derniers, inférieurs à 5 mm, infestent nos mers à l’échelle du globe sur toute la profondeur de la colonne d’eau. Ils sont soit issus de l’utilisation de certains produits cosmétiques, de peintures ou d’engrais, soit de la dégradation de macroplastiques rejetés dans l’environnement.

Nettoyer l’Océan de ses plastiques est donc illusoire et les solutions à notre portée sont à terre. Elles consistent principalement en la réduction de la production et de la consommation de plastiques.

L’impact de la pollution plastique sur les écosystèmes marins et terrestres est bien connu de chacun. La question de l’impact des plastiques sur la santé humaine connaît‑elle un intérêt croissant. Différents travaux de recherche s’attachent à analyser les risques d’une exposition aux substances pouvant être contenues dans les emballages plastiques ([2]).

La France est pleinement engagée dans la lutte contre la pollution plastique. À la suite de la loi pour la reconquête de la biodiversité, de la nature et des paysages de 2016, la loi relative à lutte contre le gaspillage et à l’économie circulaire (AGEC) de 2020 apporte des réponses concrètes et fixe des objectifs ambitieux. Elle s’attaque notamment aux plastiques à usage unique et responsabilise les producteurs en leur imposant de traiter efficacement leurs déchets. Elle presse, également, l’Union Européenne (UE) d’agir contre les microplastiques intentionnellement ajoutés dans les produits en fixant des échéances nationales pour leur interdiction. De son côté, l’UE s’est fixé un cap en adoptant, en 2018, une première stratégie sur les matières plastiques.

La présente proposition de loi s’inscrit dans l’esprit de la loi AGEC en poursuivant le travail initié alors. La lutte contre la pollution plastique demande une vigilance continue de la part du législateur, pour adapter la législation aux pratiques des acteurs économiques et aux nouveaux matériaux pouvant être mis sur le marché. Il est, dès lors, nécessaire de compléter les dispositions en vigueur pour s’assurer du respect des objectifs que la France s’est fixée, notamment la fin des plastiques à usage unique en 2040.

À ce titre, il est nécessaire de remplacer les emballages constitués de polystyrène ou de polymères similaires (polystyrène expansé, acrylonitrile butadiène styrène, high impact polystyrene, styrène‑acrylonitrile, acrylonitrile styrène acrylate) par des emballages dont l’impact sur l’environnement est moindre. En effet, bien que ces emballages ne présentent que 16 % des mises en marché, ils constituent plus du tiers des plastiques retrouvés dans l’environnement. À cette persistance, qui représente un haut niveau de danger pour les milieux naturels dans lesquels ils sont relâchés, s’ajoute une haute toxicité une fois fragmentés. Des études attestent de la dégradation des capacités de certains organismes marins à assurer la « pompe carbone des océans ».

Ce phénomène de fragmentation dans l’environnement se retrouve également dans la migration des plastiques styréniques vers les aliments au contact de ces polymères. Ce faisant, ils se retrouvent directement ingérés par le consommateur. Or la toxicité des styréniques ne s’arrête pas à celle de son monomère, le styrène. Si ce produit chimique est bien classé cancérogène probable par le Centre international de recherche sur le cancer et récemment classé reprotoxique de catégorie 2 au niveau européen les études récentes pointent du doigt les effets délétères sur la santé du styrène, même polymérisé.

Par ailleurs, les plastiques styréniques nuisent au recyclage et donc au développement des filières de traitement des déchets ménagers. Ces plastiques représentent encore 42 % des plastiques incinérés et 27 % des mises en décharge. La piste étudiée par certains fabricants du recyclage chimique demeure incertaine à ce stade et son intérêt environnemental reste à démontrer tandis que les fuites de ces plastiques dans la nature n’en seront que peu diminuées. Enfin, il est important de souligner que de grands groupes de l’agroalimentaire se sont déjà engagés à ne plus recourir aux polymères et co‑polymères styréniques d’ici 2025. La mise en œuvre de cette interdiction à l’horizon 2025 est donc réaliste et permettra d’encourager un mouvement initié par les acteurs économiques concernés. Toutes les alternatives - PET, PP et PE - sont d’ores et déjà des matériaux largement déployés, collectés et pour lesquels des filières de recyclage sont opérationnelles, contrairement au PS. La substitution du PS, matériau toxique, à l’horizon 2025 est donc parfaitement envisageable au plus grand bénéfice de l’environnement et de la santé des consommateurs.

En mars 2021, dans le cadre de l’examen du projet de loi « Climat et Résilience », les députés ont adopté l’amendement du groupe Modem et Démocrates Apparentés interdisant à l’horizon 2025 les emballages en polymères et co‑polymères styréniques. Les sénateurs y ont ajouté une condition - de recyclabilité - rendant la disposition inopérante : comme expliqué ci‑dessus, l’intégration de ces matériaux dans une filière de recyclage demeure une perspective très incertaine et ne résoudra en rien le problème de sa haute toxicité.

Un second type de plastique doit faire l’objet de notre plus grande attention : les composés perfluorés. Il s’agit notamment des substances per- et polyfluoroalkyles (PFAS) largement utilisées pour leurs propriétés antiadhésive et imperméable. L’usage le plus connu est celui des poêles antiadhésives mais ces matériaux entrent dans la composition d’autres objets : les emballages alimentaires et la vaisselle jetable notamment ([3]). Ils permettent, par exemple, d’imperméabiliser les assiettes et gobelets en carton mis sur le marché suite à l’interdiction de la vaisselle en plastique à usage unique. Leur utilisation devrait aussi se généraliser en raison du développement de la vente à emporter. La migration de ces composés de l’emballage en papier ou carton vers l’aliment est une source d’exposition reconnue ([4]). Ils sont également présents dans l’eau potable. L’exposition de la population française a ces composés est donc avérée, y compris chez la femme enceinte, ainsi que sa persistance dans l’environnement ([5]).

Or, les composés perfluorés ne sont pas sans effets sur l’organisme humain et les milieux naturels. Longtemps méconnus ceux‑ci sont, aujourd’hui, mieux documentés. Les PFOS et PFOA, en particulier, ont des effets majeurs sur la santé : altération de la fécondité, effets hépatiques, cardiovasculaires et endocriniens. Ils ont pour cela fait l’objet de règlements internationaux limitant leur production et leur utilisation. En Europe, leur usage est encadré depuis 2009. Il est, cependant, indispensable d’encadrer plus largement l’utilisation des composés perfluorés en ne se limitant pas aux seuls PFOS et PFOA.

Le Danemark est le seul pays de l’Union Européenne, depuis 2020, à avoir interdit l’incorporation de composés perfluorés dans les emballages et contenants alimentaires. La France peut à son tour montrer l’exemple et participer à accélérer la dynamique européenne en ce sens.

L’information du consommateur doit également être améliorée pour lui permettre d’identifier simplement les emballages à usage unique contenant du plastique. En effet, le développement de nouveaux emballages constitués majoritairement de carton - comme alternatives au tout plastique - mais constitués également de matière plastique - fine pellicule, etc. - tend à induire le consommateur en erreur. Le risque étant que celui‑ci soit moins attentif au geste de tri, moins conscient de la dangerosité pour l’environnement de l’emballage, pensant avoir privilégié un emballage visiblement en carton.

La directive européenne SUP révisée en 2021, impose le marquage de certains produits comme les gobelets en carton pour informer de la présence de plastique. Mesure utile mais dont le champ reste trop restrictif : la présence de plastique devrait être indiquée sur tout emballage et qu’elle qu’en soit la proportion.

Enfin, pour mieux protéger les espaces naturels et la biodiversité qui s’y déploie, il convient d’y limiter voire interdire les plastiques à usage unique. L’impact délétère du plastique sur la biodiversité marine et terrestre est incontestable. Les conséquences de la pollution plastique sur les espèces marines sont particulièrement visibles : les macro‑déchets les blessent, les étranglent ou les noient, détériorent leurs habitats… tandis que les micro‑déchets, absorbés notamment par le plancton, intègrent l’ensemble de la chaîne alimentaire. Les conséquences de cette pollution sur les écosystèmes terrestres restent un objet d’étude relativement récent. Les premiers constats sont également inquiétants : la pollution des sols au plastique peut notamment nuire à la croissance des plantes ([6])([7]). La toxicité de certains plastiques accroît leur impact sur ces écosystèmes. En outre, la pollution plastique est aussi visuelle, elle dégrade les paysages naturels.

Les espaces protégés - c’est‑à‑dire les espaces naturels les plus sensibles - doivent être les premiers préservés de cette forme de pollution. Ainsi, l’Union internationale pour la conservation de la nature (UICN) « prie instamment les États membres de prendre des mesures prioritaires d’ici 2025 pour prévenir la pollution des aires protégées par les produits en plastique à usage unique, le but ultime étant d’éliminer toute pollution par le plastique dans les aires protégées » ([8]). Plusieurs pays ont franchi ce pas, le Kenya en juin 2020 et le Costa Rica en février 2021.

Ainsi, l’article 1er vise à interdire les emballages alimentaires constitués de polystyrène ou polymères équivalents à compter du 1er janvier 2025. Il retire ainsi la condition de recyclabilité du matériau considérant que celle‑ci nuit à la clarté du dispositif et surtout ne permet aucunement de résoudre le problème de dangerosité du polystyrène pour l’environnement et la santé.

L’article 2 vise à interdire les emballages et contenants alimentaires constitués de composés perfluorés dont l’innocuité sanitaire n’est pas établie, à compter du 1er janvier 2024. Il renverse en cela la charge de la preuve.

L’article 3 améliore l’information du consommateur en rendant obligatoire le marquage des produits à usage unique contenant du plastique dès 2024.

L’article 4 permet aux autorités locales de limiter l’introduction d’objets en plastique à usage unique dans les espaces protégés.


proposition de loi

Article 1er

À l’avant‑dernier alinéa du III de l’article L. 541‑15‑10 du code de l’environnement, les mots : « , non recyclables et dans l’incapacité d’intégrer une filière de recyclage, » sont supprimés.

Article 2

Le III de l’article L. 541‑15‑10 du code de l’environnement est complété par un alinéa ainsi rédigé :

« À compter du 1er janvier 2025, les emballages et contenants alimentaires constitués pour tout ou partie de composés perfluorés dont l’innocuité pour la santé humaine n’est pas établie sont interdits. »

Article 3

Après le cinquième alinéa de l’article L. 541‑9‑1 du code de l’environnement, sont insérés deux alinéas ainsi rédigés :

« Au plus tard le 1er janvier 2024, tout produit à usage unique constitué pour tout ou partie de polymères artificiels, qu’elle qu’en soit la proportion, fait l’objet d’un marquage indiquant la présence de plastique dans le produit et les effets nocifs sur l’environnement résultant du dépôt sauvage ou d’autres moyens d’élimination inappropriés des déchets issus du produit.

« Le marquage est apposé sur l’emballage ou sur le produit proprement dit. Il est visible, nettement lisible et indélébile. »

Article 4

Après l’article L. 360‑1 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 360‑1‑1 ainsi rédigé :

« Art. L. 36011. – I. – L’introduction, le transport et l’utilisation d’objets et d’emballages en plastique à usage unique dans les espaces protégés en application du présent livre ou du livre IV peuvent être réglementés ou interdits, par arrêté motivé, dès lors que ceux‑ci sont de nature à compromettre soit leur protection ou leur mise en valeur à des fins écologiques, agricoles, forestières, esthétiques, paysagères ou touristiques, soit la protection des espèces animales ou végétales.

« Les restrictions définies au premier alinéa du présent I ne s’appliquent pas lorsque l’introduction, le transport ou l’utilisation des objets et emballages en plastique à usage unique sont nécessaires à l’exécution d’une mission opérationnelle de secours, de sécurité civile, de police, de douanes ou de la défense nationale.

« II. – Sous réserve des pouvoirs dévolus en la matière aux autorités habilitées au titre des espaces mentionnés au I, des pouvoirs dévolus au président du conseil départemental en application de l’article L. 3221‑4 du code général des collectivités territoriales et des pouvoirs transférés au président de l’établissement public de coopération intercommunale en application de l’article L. 5211‑9‑2 du même code, l’autorité compétente pour réglementer ou interdire l’introduction, le transport et l’utilisation mentionnés au I du présent article est :

« 1° Le maire ;

« 2° Lorsque la mesure excède le territoire d’une seule commune, le représentant de l’État dans le département, après avis des maires des communes concernées ;

« 3° Lorsque la mesure concerne des espaces maritimes, le représentant de l’État en mer.

« Le représentant de l’État dans le département peut, dans le cas où il n’y aurait pas été pourvu par le maire en application du 1° du présent II et après mise en demeure de ce dernier restée sans résultat, prendre les mesures prévues au I. »


([1]) Fondation Tara Océan, Mission Microplastiques, Aux origines de la pollution plastique, 2019

([2]) Center for international environmental law (CIEL), Plastique et santé, les coûts cachés d’une planète plastique, 2019

([3]) Générations futures et autres, « Emballages jetables : usage unique, pollution éternelle, Enquête européenne sur les PFAS dans les emballages alimentaires et la vaisselle jetables », 20 mai 2021

([4]) Claire Pittolat et Laurianne Rossi, Rapport d’information sur les perturbateurs endocriniens présents dans les contenants en plastique, Assemblée Nationale, 2019

([5]) Santé publique France, « Imprégnation de la population française par les composés perfluorés », Programme national de biosurveillance, Esteban, 2019

([6]) Xiao-Dong Sun et autres, « Differentially charge nanoplastics demonstrate distinct accumulation in Arabidoptis Thaliana », Nature Nanotechnology, pp. 755-760, 2020

([7]) Yudi M. Lozano et autres, « Effects of microplastics and drought on soil ecosystem functions and mutlifunctionality », Journal of Applied Ecology, 2021 

([8]) UICN, Bilan du Congrès mondial de la nature de l’UICN, 3-11 septembre 2021, Marseille