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N° 209

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 23 août 2022.

PROPOSITION DE LOI

relative à la charge fiscale de la pension alimentaire,

(Renvoyée à la commission des finances, de l’économie générale et du contrôle budgétaire, à défaut de constitution d’une commission spéciale dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par Mesdames et Messieurs

Aude LUQUET, Anne‑Laure BABAULT, Erwan BALANANT, Géraldine BANNIER, Philippe BERTA, Christophe BLANCHET, Philippe BOLO, Jean‑Louis BOURLANGES, Blandine BROCARD, Vincent BRU, Mickaël COSSON, Laurent CROIZIER, Jean‑Pierre CUBERTAFON, Romain DAUBIÉ, Mathilde DESJONQUÈRES, Laurent ESQUENET‑GOXES, Marina FERRARI, Estelle FOLEST, Bruno FUCHS, Maud GATEL, Luc GEISMAR, Perrine GOULET, Frantz GUMBS, Cyrille ISAAC‑SIBILLE, Élodie JACQUIER‑LAFORGE, Sandrine JOSSO, Fabien LAINÉ, Mohamed LAQHILA, Florence LASSERRE, Pascal LECAMP, Delphine LINGEMANN, Emmanuel MANDON, Éric MARTINEAU, Jean‑Paul MATTEI, Sophie METTE, Bruno MILLIENNE, Louise MOREL, Hubert OTT, Jimmy PAHUN, Frédéric PETIT, Maud PETIT, Josy POUEYTO, Richard RAMOS, Sabine THILLAYE, Nicolas TURQUOIS, Laurence VICHNIEVSKY, Philippe VIGIER, Frédéric ZGAINSKI Brigitte KLINKERT, Marie-Pierre RIXAIN, Robin REDA, David VALENCE, Anthony BROSSE, Véronique RIOTTON, Guillaume GOUFFIERCHA,

députés.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

Lorsqu’un couple avec des enfants divorce ou se sépare, la pension alimentaire versée par le parent qui n’a pas la garde du ou des enfants est déductible de son revenu imposable. En contrepartie, l’autre parent déclare ces sommes, tout en bénéficiant des parts fiscales des enfants qu’il a à sa charge.

Dans la réalité, les chiffres les plus récents montrent que dans près de 70 % des cas, la garde des enfants revient à la mère contre pas tout à fait 20 % au père.

Concomitamment, la pension alimentaire versée pour l’entretien et l’éducation de l’enfant est essentiellement versée par un père à une mère. Le rapport du Haut Conseil de la Famille d’avril 2014 explique en effet qu’en cas de séparation des parents une contribution pour l’entretien et l’éducation de l’enfant est versée pour 7 enfants sur 10 et que la pension est versée par le père dans 97 % des cas (HCF, Les ruptures familiales. État des lieux et propositions : Rapp. 10 avr. 2014, p. 90). Or, conformément à l’article 371‑2 du Code civil, chaque parent contribue à l’entretien de l’enfant à proportion de ses ressources, de celles de l’autre parent, et des besoins de l’enfant.

Il apparaît ainsi que le père verse une pension alimentaire parce que ses ressources sont supérieures à celles de la mère. Rappelons qu’aujourd’hui encore, les revenus des femmes sont largement inférieurs à ceux des hommes : compte tenu des inégalités en termes de volume de travail, les femmes perçoivent en moyenne une rémunération inférieure de 28,5 % à celle des hommes (INSEE première, n° 1803, 18 juin 2020). Il vient d’être aussi souligné que la crise liée à l’épidémie de Covid‑19 a eu un impact bien plus important sur les femmes que sur les hommes, du fait notamment de leur surreprésentation dans les secteurs sous‑payés comme le service à la personne et le commerce (European Commission, 2021 Report on gender equality in the UE, Justice and consumers, p. 19).

Enfin, la séparation du couple a des conséquences majeures sur le train de vie de la mère : le revenu médian des femmes après une séparation se détériore de 31 % contre seulement 6 % pour les hommes (Y. Jauneau et E. Raynaud, Des disparités importantes d’évolution de niveau de vie, in Les revenus et le patrimoine des ménages : INSEE, 2009, p. 36) Une étude plus récente tirée des données fiscales sur les revenus (revenu du travail, du capital mais aussi pensions alimentaires) rapportées au nombre de personnes vivant dans le ménage quand les personnes étaient encore en couple et lorsqu’elles se sont séparées montre qu’un divorce ou une rupture de Pacs est à l’origine d’une perte moyenne de niveau de vie de 19 % pour les femmes et de seulement 2,5 % pour les hommes, (INSEE, Paris, 2016.)

Ainsi, dans les faits, la pension pour l’entretien et l’éducation de l’enfant est versée par un père ayant certains revenus à une mère dont le niveau de vie a fortement baissé du fait de la séparation

Par ailleurs, il est rare que la pension alimentaire couvre le coût réel de la charge des enfants vivant dans le foyer. Elle ne constitue pas davantage un revenu de remplacement mais un partage des charges d’entretien de l’enfant entre ses parents, dans le seul intérêt de l’enfant. La pension alimentaire vient compenser une distorsion entre les revenus des parents pour s’acquitter de l’entretien de l’enfant.

Enfin, il faut indiquer que la solution du droit fiscal français est à l’opposé de ce qui se pratique à l’étranger : le Haut Conseil à la Famille souligne ainsi qu’à l’étranger, le modèle dominant est celui où la pension alimentaire n’est ni déductible du revenu du débiteur ni imposable pour le créancier (HCF, rapport précité, p. 86).

L’objectif de cette proposition de loi est ainsi de ne pas fiscaliser la pension alimentaire perçue par le parent ayant la charge des enfants ; et parallèlement, de ne pas autoriser la déduction du versement des sommes correspondant à la pension alimentaire, pour que cela ne crée pas de perte de recettes pour le budget de l’État.

Il est également proposé de limiter cet avantage à 4000 euros par enfant et par an, soit un versement d’un peu plus de 300 euros par mois et par enfant, en limitant l’avantage global à 12 000 euros.

En effet, il ne s’agit pas de créer un effet d’aubaine mais d’aider celui ou celle qui a la charge des enfants en plafonnant l’avantage pour cibler les foyers les plus sensibles dès lors qu’ils sont imposables. Il ou elle peut, si l’on continue à rendre imposable la pension perçue, perdre le bénéfice d’allocations comme les APL ou voir une baisse des allocations familiales. Or, ce sont souvent ces foyers qui sont le plus en difficulté.

Au‑delà, il n’est pas question de remettre en question l’attribution des parts de quotient familial - si cela pouvait constituer un réel avantage il y a encore dix ans, le plafonnement du quotient familial revu fortement à la baisse en 2012 et 2013, ne constitue plus aujourd’hui l’amortisseur qu’il était au départ.

En effet, le Conseil Constitutionnel, dans sa décision du 14 décembre 2018, a souligné l’objet différent des dispositifs : « l’attribution à l’un des parents de la majoration de quotient familial vise à tenir compte du fait qu’il assume la charge principale de l’enfant en s’acquittant directement des dépenses nécessaires à son entretien », tandis que la fixation d’une pension alimentaire est destinée à « équilibrer les contributions des parents à l’éducation et à l’entretien de l’enfant » en tenant « compte des besoins de ce dernier au regard des ressources de ses deux parents ».

Ainsi, il semble nécessaire, sans que le coût ne soit trop important pour les finances publiques via le plafonnement, d’aider ces parents à qui il revient, pour l’essentiel, d’assurer la charge des enfants vivants dans le foyer. Au regard du coût éventuel d’ailleurs, il faut également indiquer que l’impact sur les finances publiques de la mesure proposée ne sera pas nécessairement négatif. Au Canada par exemple, les pensions alimentaires ne sont plus imposables pour le bénéficiaire ni déductibles pour le débiteur depuis les années 1990 au nom de l’égalité économique entre les sexes, mais aussi de la préservation des finances publiques. En raison de la progressivité de l’impôt et des inégalités de revenus entre les hommes et les femmes, le Québec a ainsi réalisé 75 millions de recettes fiscales supplémentaires en 1995, (E. Biland, Gouverner la vie privée. L’encadrement inégalitaire des séparations conjugales en France et au Québec : ENS Éditions, Lyon, 2019, p. 180.).

 


proposition de loi

Article 1er

Au début de l’article 80 septies du code général des impôts, est insérée une phrase ainsi rédigée : « Les pensions alimentaires reçues pour l’entretien d’un enfant mineur ne sont pas soumises à l’impôt sur le revenu dans la limite de 4 000 euros par enfant plafonnée à 12 000 euros par an. »

Article 2

Après le deuxième alinéa du 2° du II de l’article 156 du code général des impôts, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :

« Le contribuable ne peut opérer de déduction que pour les sommes versées pour ses descendants mineurs au‑delà du seuil fixé à l’article 80 septies lorsqu’ils ne sont pas pris en compte pour la détermination de son quotient familial. »

Article 3

La perte de recettes pour l’État est compensée à due concurrence par la création d’une taxe additionnelle à l’accise sur les tabacs, prévue au chapitre IV du titre Ier du livre III du code des impositions sur les biens et services.