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N° 231

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ASSEMBLÉE NATIONALE

CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958

SEIZIÈME LÉGISLATURE

Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 20 septembre 2022.

PROPOSITION DE LOI

visant à renforcer les droits des consommateurs

en matière de démarchage téléphonique,

(Renvoyée à la commission des affaires économiques, à défaut de constitution d’une commission spéciale
dans les délais prévus par les articles 30 et 31 du Règlement.),

présentée par

M. Pierre CORDIER,

député.

 


1

EXPOSÉ DES MOTIFS

Mesdames, Messieurs,

La législation et la réglementation actuelles prévoient que le consommateur peut, s’il en fait expressément la demande en adhérant gratuitement au dispositif Bloctel, s’opposer à ce que ses données personnelles soient utilisées dans des opérations de prospection directe, c’est‑à‑dire en matière de démarchage téléphonique ou de télémarketing.

La loi n° 78‑17 du 6 janvier 1978, relative à l’informatique, aux fichiers et aux libertés, prévoit ainsi, à l’article 38, que « toute personne […] a le droit de s’opposer, sans frais, à ce que les données la concernant soient utilisées à des fins de prospection, notamment commerciale, par le responsable actuel du traitement ou celui d’un traitement ultérieur ». Ce droit figure également dans le code des postes et des communications électroniques qui dispose, à l’article R. 10, que « toute personne […] peut obtenir gratuitement de l’opérateur auprès duquel elle est abonnée ou au distributeur de ce service […] que les données à caractère personnel la concernant issues des listes d’abonnés ou d’utilisateurs ne soient pas utilisées dans des opérations de prospection directe, soit par voie postale, soit par voie de communications électroniques […] ».

Le dispositif Bloctel mis en place en juin 2016 suite à l’adoption de l’article 9 de la loi n° 2014‑344 du 17 mars 2014 relative à la consommation (article L. 223‑1 du code de la consommation), apparaît cependant nettement insuffisant. Le décret n° 2015‑556 du 19 mai 2015 relatif à la liste d’opposition au démarchage téléphonique n’a pas été plus efficace que l’article L. 121‑34 du code de la consommation qui précisait le régime d’opposition au démarchage téléphonique et qui a été abrogé par l’ordonnance n° 2016‑301 du 14 mars 2016 (article 34–V).

Selon une enquête réalisée par UFC‑Que Choisir il y a quelques années, 9 Français sur 10 se disent excédés par le démarchage téléphonique, qu’ils estiment en recrudescence avec des appels à répétition, y compris le soir et le week‑end, pour des motifs les plus divers, avec des procédés commerciaux abusifs : « Nous vous délivrons un certificat de conformité énergétique… » « Nous sommes agréés par l’administration… » « Une aide fiscale vous est offerte… » « Acceptezvous de répondre à un sondage officiel… » et, surtout : « Vous n’aurez rien à payer… », sésame d’autant plus insidieux qu’il s’avère, au final, masquer une démarche commerciale.

Si de telles techniques sont parfois très encadrées, notamment en matière d’appel à l’épargne, de proposition de prêts ou de droit bancaire (articles L. 341‑1 et suivants du code monétaire et financier), leur prohibition s’avère plus rare. Il convient de rappeler, par exemple, que la communication des listes électorales ne peut se faire pour un usage purement commercial (code électoral, article L. 28, et R. 16, Conseil d’État, 2 décembre 2017). Reste, dans le droit commun, à assurer le consentement des personnes démarchées. Ainsi, même si depuis son lancement près de 5 millions de personnes ont déjà utilisé cette procédure « bloctel » gratuite (ce qui représente plus de 10,5 millions de numéros de téléphone retirés des fichiers de prospection commerciale des professionnels), près de la moitié des personnes inscrites à cette liste d’opposition - censée freiner le harcèlement téléphonique ‒ s’agacent de recevoir toujours autant d’appels de démarchage commercial.

La prospection téléphonique est le seul système de démarchage où le consentement par défaut du consommateur est admis. Pour les mails et les SMS, c’est le système de l’optin qui est retenu, où le consommateur doit expressément accepter de recevoir des sollicitations. En Allemagne, le démarchage non sollicité est totalement interdit et les contrevenants risquent 300 000 euros d’amende.

Le Conseil constitutionnel a d’ailleurs insisté sur le fait que la consultation généralisée de données pouvait être attentatoire au respect de la vie privée, dans sa décision relative au fichier positif des crédits à la consommation : « eu égard à la nature des données enregistrées, à l’ampleur du traitement, à la fréquence de son utilisation, au grand nombre de personnes susceptibles d’y avoir accès et à l’insuffisance des garanties relatives à l’accès au registre, les dispositions contestées portent au droit au respect de la vie privée une atteinte qui ne peut être regardée comme proportionnée au but poursuivi ». Même si le démarchage téléphonique ne présente pas le même degré d’atteinte à la vie privée, il n’en comporte pas moins de tels risques et présente, au plan général, un aspect intrusif.

En juin 2018, à l’initiative des Députés Les Républicains et Apparentés, une première proposition de loi visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique a été examinée dans l’hémicycle. Si elle a été totalement vidée de son contenu par la Majorité et le Gouvernement, elle a toutefois permis de lancer le débat et une prise de conscience de ce rejet massif de nos concitoyens pour ce harcèlement quasi quotidien.

Suite à cela, diverses initiatives ont permis quelques timides avancées.

La loi n° 2020‑901 du 24 juillet 2020 visant à encadrer le démarchage téléphonique et à lutter contre les appels frauduleux a renforcé les obligations des professionnels en matière d’information des consommateurs, et a alourdi les sanctions. Elle a interdit en particulier le démarchage téléphonique dans le domaine de la rénovation énergétique et prévoit un encadrement des plages horaires dans les autres domaines.

La loi n° 2021‑402 du 8 avril 2021 a créé un nouvel article dans le code des assurances, l’article L. 112‑2‑2, qui fixe plusieurs obligations aux distributeurs d’assurances qui contactent par téléphone un souscripteur ou un adhérent éventuel en vue de la conclusion d’un contrat d’assurance. Les principales obligations sont la demande de l’accord du consommateur au début l’appel pour poursuivre l’échange téléphonique, l’arrêt de l’échange téléphonique si le consommateur indique, au cours de la communication, qu’il n’est pas intéressé par la proposition commerciale (et souvent il aura déjà raccroché…), ou encore un délai de 24 heures entre un accord téléphonique et la signature d’un contrat pour permettre la réflexion du client.

Enfin, le décret n° 2022‑34 du 17 janvier 2022 relatif au démarchage téléphonique en assurance a également renforcé l’information des assurés en encadrant les appels non sollicités à visée commerciale (dit « appels à froid »), en interdisant explicitement les ventes réalisées lors d’un premier appel téléphonique (ou « ventes en un temps »), et en précisant les modalités de recueil du consentement des consommateurs. Il prévoit également une obligation de conservation des enregistrements des appels de vente durant une période de deux années.

Malgré cela, nos concitoyens ne cessent d’être importunés, et aucune amélioration notable n’a été constatée. Il est par conséquent nécessaire de renforcer sans plus attendre les droits des consommateurs, qui devraient pouvoir ne plus être dérangés chez eux, contre leur gré, et ne plus être assaillis d’offres et d’informations commerciales diverses qu’ils n’ont pas sollicitées.

C’est pourquoi l’article premier de la présente proposition vise à garantir le consentement des particuliers au démarchage téléphonique, et non un simple droit d’opposition tel qu’il existe aujourd’hui. Ce droit d’opposition est en effet inefficace, dans la mesure où peu en font usage et où le dispositif Bloctel ne réduit pas le nombre d’appels intempestifs chez ceux qui s’y sont inscrits. Ce renversement de paradigme, de l’opposition vers le consentement, constitue l’essence de la proposition de loi. À cette fin, cet article premier dispose que les personnes répertoriées sur les listes d’abonnés auprès d’un opérateur de communications téléphoniques doivent donner expressément leur accord pour que leurs données téléphoniques puissent être utilisées à des fins commerciales avant toute prospection ou démarchage. Il précise qu’à défaut d’accord, les données téléphoniques des consommateurs sont réputées confidentielles. Le recueil de l’accord pourra se faire soit au moment de la conclusion d’un contrat avec l’opérateur de téléphonie, soit au moment d’un échange avec une entreprise. Il devra, en tout état de cause, être explicite et préalable à tout démarchage. En outre, il devra pouvoir être dénoncé à tout moment, et cette possibilité devra être clairement énoncée.

Afin ne pas nuire à l’activité de petites entreprises, pour lesquelles le démarchage téléphonique peut être une nécessité, et qui, le plus souvent, ne sont pas celles dont les appels sont dénoncés comme les plus nuisibles, l’article ne s’appliquera pas aux entreprises de moins de 50 salariés dont l’activité principale n’est pas le démarchage ou la prospection téléphonique. Il s’agit de protéger les artisans locaux notamment.

L’article 2 vise à mettre en place un indicatif unique pour le démarchage téléphonique réalisé par des entreprises de plus de 50 salariés et les entreprises dont l’activité principale est le démarchage ou la prospection téléphonique, quel que soit le nombre de leurs salariés. Il complète à cette fin l’article L. 221‑17 du code de la consommation en prévoyant la prise d’un arrêté car la mise ne place d’un indicatif unique ne relève en effet pas du domaine de la loi.

Les entreprises de moins de 50 salariés dont l’activité principale n’est pas le démarchage téléphonique ne seront pas concernées afin de ne pas imposer à ces entreprises, de petite taille, une contrainte qui peut apparaître excessive au regard des nuisances qu’elles occasionnent. En effet, pour ces petites entreprises, le démarchage peut être une nécessité, et leurs appels ne sont que très rarement vécus comme une gêne ou une nuisance par ceux à qui ils sont destinés. Pour les autres entreprises en revanche, de plus grande taille, ou spécialisées dans le démarchage téléphonique, l’utilisation d’un indicatif unique reste une nécessité pour permettre au consommateur de décrocher en connaissance de cause et le protéger d’appels intempestifs et non désirés.

L’article 3 prévoit un accord exprès des personnes qui signent un contrat, notamment avec un opérateur de téléphonie, pour le démarchage, alors qu’aujourd’hui c’est seulement une information par l’article L. 223‑2 du code de la consommation : « Lorsqu’un professionnel est amené à recueillir auprès d’un consommateur des données téléphoniques, il l’informe de son droit à s’inscrire sur la liste d’opposition au démarchage téléphonique. Lorsque ce recueil d’information se fait à l’occasion de la conclusion d’un contrat, le contrat mentionne, de manière claire et compréhensible, l’existence de ce droit pour le consommateur ». Il convient de passer de ce système d’information à un « droit d’opposition » à un accord exprès du consommateur lorsqu’il signe son contrat, ce qui complète, en matière de contrat de téléphonie, le principe général de l’article premier.

Enfin, l’article 4 actualise les sanctions applicables en cas d’utilisation frauduleuse des données personnelles.

Tel est l’objet de la présente proposition de loi que nous vous demandons de bien vouloir adopter.

 


proposition de loi

Article 1er

L’article L. 223‑1 du code de la consommation est ainsi rédigé :

« Art. L. 2231. – Les données téléphoniques issues des listes d’abonnés ou d’utilisateurs de communications téléphoniques ne peuvent être utilisées dans des opérations de démarchage ou de prospection commerciale directe sans l’accord préalable explicite de la personne physique à laquelle ces données téléphoniques se rapportent. À défaut d’accord, ces données sont réputées confidentielles, et ne peuvent, en aucun cas, être utilisées à des fins commerciales.

« Cet accord est soit expressément adressé à l’opérateur de communications mentionné à l’alinéa précédent pour tous les abonnements téléphoniques contractés, soit recueilli expressément et préalablement par l’entreprise pour le compte de laquelle le démarchage ou la prospection est effectué. Il peut être dénoncé à tout moment par la personne physique à laquelle ces données téléphoniques se rapportent. La possibilité de dénonciation est mentionnée de manière explicite au moment du recueil de l’accord, par l’opérateur de communications ou l’entreprise pour le compte de laquelle le démarchage ou la prospection est effectué.

« Les dispositions des deux premiers alinéas entrent en application le 1er janvier 2023, sauf lorsque le traitement répond à une obligation légale ou de sécurité publique. Elles ne s’appliquent pas aux entreprises de moins de cinquante salariés dont l’activité principale n’est pas le démarchage ou la prospection téléphonique. »

Article 2

Le troisième alinéa de l’article L. 221‑17 est complété par une phrase ainsi rédigée : « Un arrêté détermine un indicatif unique pour les entreprises de plus de cinquante salariés et les entreprises dont l’activité principale est le démarchage ou la prospection téléphonique ».

Article 3

Le second alinéa de l’article L. 223‑2 du code de la consommation est ainsi rédigé :

« Lorsque le recueil d’information mentionné au premier alinéa est réalisé à l’occasion de la conclusion d’un contrat, le professionnel s’assure au préalable que le consommateur consent à faire l’objet de prospection commerciale par voie téléphonique. À défaut d’accord exprès, les données téléphoniques se rapportant au consommateur ne peuvent être utilisées et communiquées à des fins commerciales ».

Article 4

À l’article 226‑18‑1 du code pénal, les mots : « malgré l’opposition de cette personne, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection, notamment commerciale, ou lorsque cette opposition est fondée sur des motifs légitimes » sont remplacés par les mots : « sans que cette dernière n’ait donné son accord préalable et écrit pour que ses données soient utilisées, lorsque ce traitement répond à des fins de prospection commerciale ».